18 juillet 1898 : Zola est jugé à Versailles

La mémoire collective a bien retenu les déboires judiciaires de Zola après la parution de sa lettre « J’accuse ! », dans le journal L’Aurore le 13 janvier 1898. Parmi ces nombreux procès auxquels il a dû faire face, il y eut celui de Versailles, en juillet de la même année.
Fin du XIXe siècle, la France se déchire autour de l’affaire Dreyfus, entre « dreyfusards » et « anti-dreyfusards ». Émile Zola, écrivain et journaliste, fait part de sa position dans sa célèbre lettre ouverte : « J’Accuse… ! », publiée par le journal L’Aurore et adressée au président de la République, Félix Faure. Il y dénonce l’acquittement du commandant Esterhazy mais aussi les coupables de l’erreur judiciaire dont a été victime Dreyfus : l’État, dont le général Billot, ministre de la Guerre, et l’état-major. Poursuivi pour diffamation Émile Zola affronte la justice française à plusieurs reprises.
Il y a d’abord ce premier procès, que tout le monde retient, qui se tient du 7 au 23 février 1898. Devant la cour d’assises de Paris, quinze audiences mouvementées se concluent avec une condamnation pour diffamation avec le maximum de la peine possible : 3 000 francs d’amende et un an de prison.
Quelques mois plus tard, le 2 avril, la Cour de cassation annule cette condamnation pour vice de forme. Un nouveau procès doit avoir lieu à la cour d’assises de Versailles, le 23 mai. Celui-ci ne dure qu’une journée puisque l’avocat de Zola, Me Fernand Labori, se pourvoit immédiatement en cassation. Pourvoi rejeté par la Cour de cassation le 16 juin, entraînant le troisième procès de Zola devant la cour d’assises de Versailles, le 18 juillet.
À la défense, Fernand Labori
Fernand Labori, né à Reims en 1860, est inscrit au barreau de Paris depuis le 11 novembre 1884. Il collabore pour La Gazette du Palais et devient son rédacteur en chef, entre 1892 et 1895, puis il fonde et dirige la Revue du Palais en 1896. Il dirige aussi la publication du Répertoire Encyclopédique de Droit français.
Il a donc derrière lui une carrière déjà bien entamée lorsqu’il devient le défenseur d’Émile Zola en 1898. En janvier, il défendait Lucie Dreyfus, avec un autre avocat, Louis Leblois. Il défend par la suite Alfred Dreyfus devant le conseil de guerre en août 1898 – il y est victime d’une tentative d’assassinat à Rennes.
Le procès
Toute la presse française est présente pour couvrir le procès de Zola à Versailles. La tentative de rendre l’affaire moins publique en la déplaçant en-dehors de Paris n’a pas eu l’effet escompté. De longs comptes rendus détaillent chaque instant de l’audience du 18 juillet 1898 dans les éditions du soir. Ce jour-là, les gares Duplessis et Chantiers sont occupées par la gendarmerie et des gardiens de la paix à Paris. 400 agents constituent le service d’ordre autour du palais de justice. Des cordons de sécurité empêchent les personnes non munies de cartes spéciales de passer. Si la presse et de « nombreux voyageurs » se sont déplacés depuis Paris, « la population versaillaise semble se désintéresser complètement du procès », note La Croix de l’Aube.
Les femmes de Me Labori et d’Émile Zola sont présentes. La salle des assises est pleine à craquer. Arrivent petit à petit membres de l’armée et du gouvernement, dont les généraux Billot et Gonse, mais aussi le général Pellieux ou encore l’ancien président, Casimir Périer. Dans la foule à l’extérieur, on entend des « Vive l’armée ! À bas les traîtres ! », mais aussi des slogans antisémites. Toute la matinée, la tension monte avec les dreyfusards eux aussi présents. Dans la salle d’audience, « la voix de l’huissier crie : la Cour », relate le journal Le Soir. « M. le premier président Périvier est assisté du conseiller Poupardin et d’un magistrat du tribunal de Versailles, M. Doublé. Le procureur général Bertrand occupe le siège du ministère public, assisté du procureur de la République de Versailles. » Deux assesseurs et deux jurés supplémentaires sont adjoints. Zola et ses défenseurs rentrent à 11 h 45. L’audience est ouverte 12 h 10.
Après lecture des conclusions de Me Labori, déclarant « non recevable l’action civile des membres du Conseil de guerre agissant individuellement », il « dit notamment que le Conseil de guerre n’ayant pas de personnalité civile, ne pourrait être condamné aux dépends ou à des dommages-intérêts », poursuit Le Soir. Me de Las Cases réplique : « Le Conseil de guerre s’est porté partie civile parce qu’il a estimé qu’il avait le devoir de défendre la justice militaire insultée et diffamée par M. Zola. » Les échanges se poursuivent, provoquant parfois hilarité et applaudissements dans la salle, très vite ramenée à l’ordre par M. Périvier. Après une courte suspension d’audience, les premières conclusions sont rejetées. Me Labori en présente de nouvelles, sur la connexité, tentant de faire intervenir l’affaire Dreyfus dans le procès actuel. Elles sont également rejetées.
Me Labori ne lâche rien, dit avoir encore des conclusions à déposer et que MM. Zola et Perrenx, co-accusé et gérant de L’Aurore, se pourvoient en cassation. Dans Le Soir, on lit : « L’audience est suspendue. À ce moment des cris de : « À bas Zola ! » éclatent dans la salle. M. Hubbard, l’ancien député de Pontoise, crie : « À bas les gueulards ! » D’autres incidents surviennent avant un retour au calme.
Me Labori s’adresse au premier président : « Nous avons l’honneur de faire défaut. » Ce dernier lui répond : « Eh bien ! quittez l’audience. » Émile Zola, M. Perrenx, Me Labori, Georges et Albert Clémenceau se retirent. « Des rires, des rumeurs se font entendre sur le passage des deux prévenus », relate Le Figaro.
Me Ployer prononce sa plaidoirie, qui fait grande impression. Il conclut par : « Je ne veux pas juger M. Zola. J’en laisse le soin à Anatole France, qui écrivait de lui : « Son œuvre est mauvaise, il est de ceux dont on pourrait dire qu’il aurait mieux valu qu’ils ne fussent pas nés. » Le procureur général se montre lui aussi « très énergique » : « M. Zola a diffamé, dit-il ; poussé par son incommensurable orgueil, le détenteur du génie de la France. » Il est « temps d’en finir », insiste-t-il, « car il faut en finir avec ces agitations criminelles que le pays a condamnées et que vous allez condamner, à votre tour. » Après le réquisitoire, la Cour se retire pour délibérer.
Vers 15 h 30, le jugement est prononcé.
Zola et Perrenx sont condamnés chacun à un an de prison et 3 000 francs d’amende.
La condamnation et l’exil
La condamnation est définitive. Zola, lui, n’est pas présent pour la recevoir officiellement. Il a décidé de quitter Paris et rejoint Londres sur conseil de Me Labori et de Georges Clémenceau. Selon eux, cette stratégie leur permettait de gagner du temps en suspendant l’exécution du jugement. Zola part en exil le 19 juillet 1898, au lendemain du procès qui s’est tenu à Versailles. Accusé de fuir la justice, il rédige, pour se justifier, un texte dans sa chambre du Grosvenor Hotel. Il y retrace l’année écoulée et termine ainsi : « Nous resterons les soldats impassibles du vrai, incapables d’une reculade, capables de tous les sacrifices et de toutes les attentes, les plus rudes et les plus anxieuses. »
Référence : AJU015x4
