Yvelines (78)

Arrêté municipal insolite : 34 955 communes de France ont jusqu’au 15 septembre pour prendre un arrêté drôle, poétique et absurde !

Publié le 01/09/2022

Depuis 4 ans, Raphaël Costa et Théo Renaudie aiment débusquer les « curiosités juridiques » : des jugements et des textes de lois « incroyables mais vrais ». Chargé de cours à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (78) et avocat au barreau de Versailles (78), ils fouillent ensemble les bases de données pour exhumer les décisions les plus loufoques. Loin de son habituelle image rébarbative, le droit tel qu’ils le montrent s’intéresse aux esprits, aux poupées vaudous et aux soucoupes volantes, et les décisions sont parfois rédigées par des juges facétieux. Après avoir tiré trois ouvrages de ces curiosités juridiques, les deux juristes sont à l’origine d’un concours de l’arrêté municipal insolite. Les maires des 34 955 communes de France ont jusqu’au 15 septembre 2022 pour prendre un arrêté drôle, poétique et absurde. Rencontre avec Raphaël Costa.

Actu-Juridique : En quoi consiste le concours de l’arrêté municipal insolite ?

Raphaël Costa : Nous avons lancé ce concours pour proposer aux maires de pendre un arrêté municipal pour mettre en avant une problématique locale ou pour faire connaître un aspect du patrimoine de leur commune. Il y a un précédent célèbre en la matière, avec l’arrêté municipal de Châteauneuf-du-Pape. En 1954, le maire de cette commune prenait un arrêté municipal interdisant aux ovnis de survoler la commune ou d’y atterrir. Cet arrêté, loufoque, était en fait stratégique. En faisant cela, le maire espérait braquer les projecteurs sur sa commune. Et cela a fonctionné ! Le vin de Châteauneuf-du-Pape est désormais mondialement connu. Nous proposons aux maires des 34 955 communes françaises de l’imiter et de nous adresser un arrêté municipal surprenant, qui permette de mettre en avant le patrimoine à l’échelle nationale ou de faire connaître une problématique rencontrée au niveau local. On peut imaginer, par exemple, un arrêté municipal interdisant de mourir parce qu’il n’y a plus de places au cimetière ! Le concours s’arrêtera le 15 septembre 2022. À la mi-juillet, nous avions déjà eu quelques contributions : des arrêtés municipaux anti-nuages ou anti-moustiques. Un autre arrêté, plus original, par lequel le maire oblige le port de baskets pendant une journée entière, car la ville accueillera une épreuve de handisport aux Jeux olympiques. Le non-respect de cet arrêté expose à une amende de 5 squats… Pour départager les candidats, nous avons la chance d’avoir un jury prestigieux et éclectique, qui compte des humoristes comme Nicole Ferroni, François Rollin et Caroline Vigneaux, des avocates comme Laure-Alice Bouvier ou Élise Arfi, des journalistes… Il sera présidé par l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe.

Actu-Juridique : Comment en êtes-vous arrivé aux Curiosités juridiques ?

Raphaël Costa : Depuis longtemps, je suis fan de science-fiction et de droit. Je suis en fin de thèse en droit des activités spatiales et chargé de cours à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (78). Théo Renaudie, lui, est avocat au barreau de Versailles (78). Nous nous sommes rencontrés en master de droit de l’espace à la faculté de Sceaux. Le droit de l’espace est un domaine du droit international qui est encore peu connu et insolite à certains égards. Il comporte des problématiques assez classiques de droit de la guerre, d’autres plus avant-gardistes concernant les extraterrestres… Par exemple, dans le Traité de l’espace de 1967, un article enjoint ainsi aux États de faire leur possible pour éviter la contamination de la terre par des substances extraterrestres ! Dans les années 1980, Ronald Reagan avait tenu un discours pour dire que la terre serait unifiée le jour où il y aurait une menace d’invasion extraterrestre. les États devraient alors s’unir pour se défendre. Le droit de l’espace porte donc naturellement à s’intéresser à l’insolite…

Actu-Juridique : Comment a commencé l’aventure des Curiosités juridiques ?

Raphaël Costa : Nous avons créé la page Curiosités juridiques sur Twitter en 2018. Notre idée de départ était d’en faire un cabinet de curiosités, de vendre en ligne des objets insolites liés au monde du droit. Nous avions ainsi chiné aux enchères une lithographie de Dalí représentant la justice, puis différentes allégories de la justice. Nous imaginions que ces pièces pourraient servir pour décorer des cabinets d’avocats… Pour faire connaître le site, nous avons commencé à mettre en ligne quelques décisions insolites. Parmi les plus emblématiques, l’interdiction d’un spectacle de lancer de nain dans une boîte de nuit par la commune de Morsang-sur-Orge ou le refus du prénom Titeuf à l’état civil. Nous traquons aussi les fautes de frappe. Nous avons trouvé 27 décisions dans lesquelles l’expression « Code civil » est retranscrite par « Gode civil ». Ces décisions ont été relayées, et finalement, c’est cette partie de l’activité qui a trouvé son public. Nous nous sommes mis à ne faire que cela : recenser les décisions et textes de justice les plus improbables. Nous avions aussi une partie librairie, avec un ouvrage, Le Droit dans la saga Harry Potter, qui nous a valu de rentrer en contact avec des éditeurs.

Actu-Juridique : Comment dénichez-vous ces curiosités juridiques ?

Raphaël Costa : Nous avons commencé par partager les décisions que nous connaissions puis nous nous sommes demandé s’il en existait d’autres. Nous avons commencé à faire des recherches, au départ essentiellement sur Légifrance. Le secret d’une recherche fructueuse, c’est de trouver le bon mot-clé à entrer dans le moteur de recherche. Il faut qu’il soit discriminant. Rentrer une insulte ne suffit pas à aboutir à des décisions loufoques. Parfois, on est à court d’idées. Récemment, sous la douche, j’ai eu un flash : chercher à partir de l’expression « poils pubiens ». Je suis tombé sur une décision de licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait mis des poils pubiens dans le sandwich de sa collègue…

Actu-Juridique : Quel est l’intérêt de ces curiosités juridiques ?

Raphaël Costa : Au début, notre idée était de faire connaître le droit autrement. Si vous ouvrez un manuel de droit, dès les premières pages, vous lirez que c’est la discipline par excellence de la rigueur et du sérieux. Cela donne une image rébarbative de la matière, alors qu’elle ne l’est pas ! Le droit traite évidemment de sujets sérieux, mais aussi de questions drôles, insolites, dérisoires, incongrues. Tant que l’on est étudiant, on entend souvent parler en cours des décisions étonnantes, qui sont d’ailleurs celles que l’on retient le mieux ! Dans la vie professionnelle, on perd cet aspect de nos études. Nous voulions garder ce plaisir-là, continuer à nous amuser avec le droit. Nous sommes toujours surpris par la variété des décisions de justice et l’imagination des justiciables. Débusquer ces curiosités juridiques réenchante notre quotidien de juriste.

Actu-Juridique : Quelle est la décision qui vous a le plus marqué ?

Raphaël Costa : Ma préférée, c’est la décision dite « Da Vinci Code ». En voici l’histoire : dans les années 1980, trois journalistes britanniques publient un essai intitulé : L’Énigme sacrée, dans lequel ils développent la thèse selon laquelle Jésus a eu un enfant avec Marie-Madeleine. Des années plus tard, l’écrivain Dan Brown en fait un livre qui devient un best-seller : Da Vinci Code. Il est alors attaqué par les trois journalistes qui l’accusent d’avoir volé leur découverte. Un juge londonien, sommé de trancher le litige, donne raison à Dan Brown. Il estime que ce dernier n’a rien volé car la thèse initiale était historique, et que l’écrivain en a tiré une fiction. Sur le fond, c’est une décision très classique de droit de la propriété intellectuelle. Sur la forme, en revanche, le juge a parsemé sa décision de lettres en italique qui forment un code secret, déchiffrable à l’aide d’une suite mathématique. Dans ce message crypté, il rend hommage à un bateau britannique. Le message décodé n’a pas d’intérêt particulier, mais il montre que le juge a cherché à se faire plaisir. Les trois journalistes ont fait appel de la décision. Le juge d’appel l’a validée, tout en tançant son collègue de première instance. En France aussi, il arrive quelquefois que l’on trouve des traits d’humour ou des appréciations personnelles dans des décisions de justice. J’ai pu lire dans des décisions des expressions telles que « la demanderesse a un QI de la taille de sa caravane », ou « la demanderesse a beau être avocate, cela ne lui donne pas de super-pouvoirs ». Généralement, ces décisions sont retoquées…

Actu-Juridique : Quelle est votre production aujourd’hui ?

Raphaël Costa : Nous avons aujourd’hui trois livres de curiosités juridiques à notre actif. Le premier est consacré à la jurisprudence. Nous y avons repris les 120 décisions partagées en ligne, et en avons rajouté autant de nouvelles. Le deuxième tome est consacré aux lois et arrêtés municipaux insolites. On y trouve, par exemple, un arrêté interdisant aux femmes d’accoucher car il n’y a plus de maternité dans la commune. Pour ce second opus, nous avons dû démêler le vrai du faux, car certaines lois loufoques – par exemple, celle selon laquelle il est interdit d’appeler son cochon Napoléon -, sont des fake. Le troisième tome est consacré aux curiosités juridiques aux États-Unis. Nous avons également lancé une Revue du droit insolite, d’approche universitaire, qui présente de façon sérieuse les points doctrinaux de ces différents sujets étonnants. Le premier numéro était consacré au droit de l’espace, et nous travaillons en ce moment à un second numéro sur le droit et le cinéma.

Actu-Juridique : Vous attendiez-vous à ce que votre concept trouve un tel écho ?

Raphaël Costa : Nous sommes présents sur Twitter, Instagram, et Facebook et totalisons avec ces trois réseaux sociaux plus de 450 000 abonnés. Nous avons d’abord été suivis par des juristes, mais très vite, le public s’est élargi. Cela m’a beaucoup étonné. Nous avons été interviewés par des médias non-juridiques : Les Grosses Têtes, Konbini, Fun Radio… Quand vous lisez la brève concernant les poils pubiens dans les sandwichs, vous découvrez au passage le motif de faute grave justifiant un licenciement. Des Youtubeurs ont été voir le détail de la décision. Des personnes a priori éloignées du monde du droit nous suivent et découvrent la matière par ce biais.

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