Au Pré-Saint-Gervais, les archives de la préfecture de police

Publié le 29/04/2024
Au Pré-Saint-Gervais, les archives de la préfecture de police
En ce moment, les archives de la préfecture de Police de Paris dévoilent les archives du dossier Manouchian

Au cœur du Pré-Saint-Gervais, les archives de la préfecture de police de Paris sont un patrimoine secret à disposition de tous mais connu de peu. Portrait d’un jardin secret.

C’est un quartier d’anciennes manufactures de briques, des ruelles qui ont vu passer un Paris gouailleur, le bruit des révoltes. Depuis 2012, dans un immeuble à la façade vitrée qui n’annonce pas la couleur, sont entreposées les archives de la préfecture de police. Chaque année, plus de 3 000 personnes venues du monde entier se pressent dans la petite salle de lecture pour consulter les documents. Le jour où nous nous y rendons, la salle compte une petite dizaine de personnes, dont une étudiante en master d’histoire, dont le sujet d’étude concerne la police parisienne après la Seconde Guerre mondiale, et une dame âgée venue chercher les documents de naturalisation de ses ancêtres. « Moi je suis venue trouver des réponses sur l’homicide de mon grand-père », confie un lecteur, le nez dans une boîte d’archives méticuleusement étiquetée.

« C’est une belle journée, pour ce qui est de la fréquentation », assure en venant à notre rencontre Cécile Lombard, adjointe au chef du département patrimonial, responsable des Archives à la préfecture de police de Paris. Elle nous fait une visite des coulisses : des kilomètres de linéaires contiennent des milliers de boîtes, des affiches, des cassettes vidéos, ou des photographies, dont certaines sont des photos d’identité sur plaques de verres. Des milliers de visages qui racontent une histoire de la justice en France. Sur une grande table, l’archiviste a laissé pour nous des documents de grande valeur historique, pour comprendre ce qui se joue ici. Il y a le registre d’écrou de la Conciergerie, daté d’octobre 1608 à novembre 1610. Au feuillet 270, on peut lire dans la marge de l’inscription de l’arrestation du régicide Ravaillac, conduisant au supplice qu’il subit le 27 mai 1610.

Un gigantesque livre de cuir noir est également ouvert à notre vue, présentant dans un tableau la longue litanie des registres de la morgue. Parfois, des photographies illustrent les mentions « anonymes », des photos d’effets personnels ou de visages pour permettre aux familles d’identifier un jour les leurs. « Ces documents racontent en creux une histoire fascinante de notre société : on peut par exemple voir que le nombre de découvertes de corps de nouveau-nés ou de fœtus sur la voie publique descend de manière drastique après les lois sur la contraception et l’avortement », souligne la responsable.

Les archives et les affaires culturelles de la préfecture de police.

Bien qu’il s’agisse d’archives administratives en majeure partie, on trouve de nombreux trésors au Pré-Saint-Gervais. Dans les tiroirs, des lettres de cachets, des registres d’écrou, les comptes rendus d’internements, les titres de séjours, les rapports de la brigade mondaine, des registres des procès criminels sous l’Ancien Régime, les dossiers des Renseignements généraux, les licences de taxis, les archives relatives au camp d’internement de Drancy, ceux de la guerre d’Algérie, de la guerre froide ou de mai 1968. On peut voir de facto la police devenir scientifique. Toutes ces archives concernent le territoire de Paris et les aéroports, ainsi que celles de l’ancien département de la Seine épargnées par les incendies de la Commune. Au total, ce sont ainsi près 12 kilomètres de rayons, 4 500 références (ouvrages, registres, micro-films, cartons) et près de 2 millions d’images, tous supports confondus, qui sont mis à la disposition des consultants.

« Depuis 2012, nous avons notre siège au Pré-Saint-Gervais, mais nos archives restent disséminées dans plusieurs lieux, sur l’île de la Cité, au laboratoire central de la préfecture dans le XVe arrondissement et surtout à Créteil où nous avons encore 40 km de linéaire », souligne Agnès Masson, cheffe du service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC) de la préfecture de police, également présente pour nous donner une vision d’ensemble de l’institution qui dépend du SMAC et a pour mission d’assurer le tri et l’inventaire des archives. La mise à disposition de celles-ci est soumise à un cadre juridique rigoureux : les archives de nature administrative ne sont pas librement consultables avant l’expiration d’un délai de 25 ans, porté à 50 ans dans de nombreux cas (C. patr, art. L. 213-2). S’agissant des archives à caractère judiciaire, ce délai légal est porté à 75 ans. Toute consultation d’un document dont l’ancienneté est inférieure à ces délais, est soumise à instruction d’une dérogation ad hoc.

Nettoyées, les écuries d’Augias !

Dans la salle de lecture de 17 places, impossible d’apporter un stylo, un livre ou une pochette. Les lieux sont tenus d’une main de maître par une équipe dévouée à l’intégrité des pièces confiées à l’institution. Une partie grandissante de l’équipe (7) est archiviste de formation. À terme, espèrent Cécile Lombard et Agnès Masson, toute l’équipe le sera grâce à des plans de formations en interne. Car il a fallu des années de travail intense pour archiver avec science et conscience des documents jusqu’alors rangés sans grand système, dans les bureaux et les caves de la rue de la Cité. « Les archives n’ont été prises au sérieux, au niveau étatique, que de façon très récente, il y a eu la loi des dations de 1968, la loi archives de 1979 puis le livre II du Code du patrimoine en 2004 », souligne Agnès Masson. « Avant cela, il n’y avait pas de notion de l’archive à proprement parler, pas de classement. Et même quand ces cadres ont été posés, les administrations ont mis du temps à engager des professionnels de l’archive ou à se former à l’archive : dans la mentalité de la préfecture, il n’y avait qu’un objectif, et on peut le comprendre : le maintien de l’ordre public. Et tant qu’il y avait de la place dans les locaux, on entassait. Voilà pourquoi nous traitons toujours des arriérés. Quand il a fallu commencer à vider les caves pour pouvoir les utiliser pour les Jeux olympiques, nous avons dû nous retrousser les manches : nous avons traité 8 km de linéaire de titres de séjours avec une équipe de vacataires ».

En plus du traitement dantesque des archives coincées sur l’île de la Cité, le quotidien des salariés du site du Pré-Saint-Gervais est également voué à numériser les index et notices sur France Archives (pour permettre à tout un chacun de localiser les archives avant de se rendre sur place pour les consulter). Les équipes reçoivent aussi régulièrement des fonds, des collections, des legs ou des dossiers à classer ou rediriger au besoin. « Nous avons obtenu des dossiers de l’Agence nationale de la recherche (ANR) compilant 70 à 80 ans de signalements sur la voie publique, des troubles du voisinage, tapages ou violences conjugales. C’est une véritable sociologie parisienne qui se cache dans ces registres. La petite-fille de Léon Say, ancien préfet de Seine, nous a donné toutes ses archives. Nous avons aussi obtenu celles de l’ancien directeur du laboratoire central de la préfecture de police, après son départ en retraite, contenant entre autres ses dossiers d’expertises à la suite de la catastrophe AZF ou relatifs à l’incendie du Parlement de Rennes. Des dossiers passionnants qui viennent enrichir notre patrimoine public !

Des archives publiques avant tout !

Si les deux historiennes archivistes ont chevillé au corps leur mission de tri et d’inventaire, elles sont tout autant passionnées par la mise à disposition des archives à un public toujours plus grand. « Notre public est majoritairement composé de chercheurs-doctorants, de sociologues, d’historiens, mais aussi des particuliers qui font de la généalogie, des artistes, des documentaristes (nous avons récemment eu plusieurs personnes qui travaillaient sur Missak Manouchian ou sur l’assassinat de Dulcie September). Nous avons des représentants d’associations qui viennent consulter, par exemple, la comptabilité du camp de Drancy, mais nous avons aussi reçu plusieurs fois le pôle Cold Cases du parquet de Nanterre… », explique Agnès Masson.

S’il est difficile d’établir le top des recherches quotidiennes, les deux femmes n’ont pas à se creuser longtemps la tête avant de souligner qu’une grande partie des requêtes concernent les renseignements généraux (« surveillances individuelles, des associations, des partis politiques, des médias, des entreprises »), les dossiers de la guerre d’Algérie (« ce sont des dossiers toujours très sensibles, car les faits sont relativement récents »). Le département patrimonial de la préfecture de police de Paris est aussi toujours heureux de faire voyager ses trésors et de nouer des partenariats avec la BNF, le Mont Valérien, le Mémorial de la Shoah, le musée Carnavalet, le Petit Palais, le Château de Vincennes ou encore le Moma.

En 2008, les éditions l’Iconoclaste sortaient un ouvrage fascinant : Dans les secrets de la police. Quatre siècles d’Histoire, de crimes et de faits divers dans les archives de la préfecture de police. L’institution avait alors ouvert son catalogue à l’auteur, Bruno Fugli, qui avait pu proposer sa mise en valeur personnelle d’archives jusque-là là restées peu connues du grand public. En 2015, au Grand Palais, une extraordinaire exposition montrait au grand public les trésors de ses collections, dont des lettres de Jacques Mesrine.

Loin de l’austérité que l’on pourrait attendre d’elles, les archives de la préfecture de police ont plus d’une corde à leur arc pour s’ouvrir à un public toujours plus large. En plus des expositions temporaires avec le musée des archives nationales (dont la prochaine associera sport et police, en lien avec les JO 2024), elle a proposé le 8 mars une journée consacrée à Sarah Bernhardt (qui figurait dans le registre des femmes galantes, conservé sur place) ainsi qu’un concert de musiciennes jouant des œuvres composées exclusivement de compositrices oubliées. En septembre 2023, un escape game novateur a même pris place dans les locaux du Pré-Saint-Gervais pour offrir à quelques chanceux l’occasion de partir à la chasse aux archives sur les traces de l’anarchiste Ravachol, « qui a donné du fil à retordre à la préfecture de police »…

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