Le leasing social : un dispositif pour favoriser une mobilité durable et inclusive

L’introduction du leasing social, prévu par l’arrêté du 15 décembre 2023, marque une étape décisive dans la promotion de la mobilité électrique pour les ménages modestes. Ce dispositif ambitionne de rendre les véhicules électriques accessibles à ceux qui, jusqu’à présent, n’en avaient pas les moyens, tout en poursuivant des objectifs écologiques et sociaux majeurs. Toutefois, derrière cette ambition louable se cache une complexité réglementaire et organisationnelle qui exige des entreprises de location une adaptabilité certaine et une vision stratégique solide.
À titre de comparaison, des initiatives similaires ont vu le jour dans d’autres pays européens, comme le programme Private Leasing Support aux Pays-Bas, qui subventionne la location de véhicules électriques pour les ménages modestes1. En Espagne, les dispositifs de microcrédit automobile sont appuyés par le Plan MOVES III2. Ces programmes favorisent l’acquisition ou la location de véhicules électriques en s’appuyant sur des aides publiques substantielles. Ces exemples soulignent l’importance de politiques coordonnées entre les acteurs publics et privés pour garantir le succès de ces projets ambitieux.
Le leasing social s’adresse aux ménages modestes et très modestes, tels que définis par les critères sociaux en vigueur, notamment sur la base des revenus. Ces ménages représentent une catégorie de population souvent exclue des solutions de mobilité durable à cause de leurs coûts élevés. Ainsi, les loueurs participant à ce dispositif ont l’obligation d’adapter leur modèle économique afin de proposer des offres spécifiques conformes à une convention-type approuvée par l’État.
L’identité du loueur : une exigence réglementaire incontournable. Le leasing social ne peut être proposé que par des loueurs disposant d’un agrément en tant que société de financement, conformément aux dispositions du Code monétaire et financier. Cette restriction s’explique par le fait que la location avec option d’achat (LOA) et le crédit-bail automobile sont juridiquement considérés comme des opérations de crédit et relèvent, à ce titre, du monopole des établissements de crédit et des sociétés de financement agréées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Un intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) ou un loueur non-financeur ne peut donc pas conclure directement une convention de leasing social avec l’État pour proposer ces offres. Toutefois, il peut intervenir en tant qu’intermédiaire mandaté pour accompagner un bailleur agréé, en assurant la mise en relation avec les bénéficiaires et la gestion administrative des contrats. Cette distinction est essentielle afin d’éviter toute qualification d’exercice illégal du crédit, passible de sanctions pénales et administratives.
Afin d’assouplir le cadre actuel tout en préservant la conformité réglementaire, une convention tripartite impliquant un loueur non-financeur, un établissement agréé et l’État pourrait être envisagée. Un tel schéma permettrait aux entreprises de location spécialisées, mais non habilitées en tant qu’établissements de crédit, de proposer des offres de leasing social sous la supervision d’un acteur financier disposant de l’agrément requis. Cette approche pourrait également ouvrir la voie à une distribution plus large des véhicules électriques subventionnés, en s’appuyant sur un réseau de partenaires qualifiés tout en sécurisant les aspects juridiques et financiers du dispositif.
Une convention avec l’État : un prérequis indispensable. Pour participer au dispositif, chaque entreprise de location doit conclure une convention avec l’État, conforme à la convention-type annexée à l’arrêté du 15 décembre 2023. Cette convention précise les engagements réciproques, notamment :
- les critères techniques et financiers des véhicules proposés3 ;
- les modalités de transparence et de communication avec les bénéficiaires4 ;
- les obligations de suivi et de reporting, incluant le nombre de contrats signés, les économies d’énergie réalisées, et les profils des bénéficiaires5.
La signature de cette convention constitue une étape essentielle, car elle formalise les attentes réciproques et conditionne l’accès aux subventions liées au dispositif.
Cette exigence pose cependant une question stratégique : dans quelle mesure les loueurs peuvent-ils personnaliser cette convention pour tenir compte de leurs contraintes opérationnelles ? Si la convention-type prévoit un cadre général, les réalités économiques diffèrent d’une entreprise à l’autre. Cette négociation potentielle est d’autant plus importante que les engagements pris sont souvent assortis de coûts importants.
Une offre de location sur mesure. Au cœur du dispositif, les loueurs doivent proposer une offre spécifique de location de véhicules électriques. Cette offre doit respecter des critères stricts : une durée minimale de 36 mois, un coût plafonné pour les bénéficiaires et des véhicules conformes aux normes environnementales imposées par les certificats d’économies d’énergie (CEE).
La création de cette offre pose un véritable défi pour les loueurs. Non seulement ils doivent repenser leur catalogue pour inclure des solutions accessibles financièrement, mais ils doivent également former leurs conseillers à cette nouvelle offre. Cette adaptation requiert une approche systémique, car il ne s’agit pas simplement d’ajouter une option supplémentaire, mais bien d’intégrer un nouveau modèle dans leur fonctionnement global. Les expériences du Royaume-Uni, où des formations spécifiques sont déployées pour le Affordable EV Leasing Program6, montrent que la montée en compétence des équipes est un levier essentiel pour garantir une expérience client fluide et conforme aux objectifs du programme.
Garantir la transparence et l’équité. Un autre volet essentiel du dispositif est la nécessité de garantir une information claire et transparente pour les ménages éligibles. Les loueurs doivent communiquer de manière compréhensible sur les caractéristiques des véhicules, les conditions de location et les modalités d’accès à l’aide publique. Cette obligation vise à éviter tout biais ou discrimination dans l’attribution des contrats, tout en renforçant la confiance des bénéficiaires.
Cependant, cette transparence implique des investissements en matière de communication, notamment la mise en place de plateformes numériques ou de points d’information physiques. Une question majeure reste donc de savoir comment conjuguer accessibilité et efficacité, tout en limitant les coûts administratifs. En Allemagne, le E-Mobility Fund offre un exemple intéressant avec des outils numériques performants permettant aux bénéficiaires de vérifier rapidement leur éligibilité et de simuler les coûts liés à la location7.
L’évaluation et la gestion des risques. L’une des obligations les plus sensibles est la vérification de l’éligibilité des bénéficiaires. Les loueurs doivent s’assurer que les ménages respectent les critères sociaux prévus, ce qui peut s’avérer complexe8. Cette tâche pourrait être externalisée à des organismes spécialisés ou partiellement automatisée via des outils numériques, mais ces solutions engendrent elles aussi des coûts et des contraintes.
Par ailleurs, le risque d’insolvabilité des bénéficiaires est une réalité que les loueurs devront gérer avec prudence. La mise en place d’un fonds de garantie ou de partenariats avec des assureurs pourrait être une solution, mais elle implique une coordination avec l’État ou des tiers privés pour en limiter l’impact financier. Les retours d’expérience de la France sur les dispositifs de prêts à taux zéro renforcés pourraient servir d’exemple pour anticiper ces difficultés et construire un cadre financier robuste.
Les défis concrets rencontrés par les acteurs du leasing social. Au-delà des exigences réglementaires, plusieurs difficultés opérationnelles ont été identifiées par les acteurs du leasing social :
- perte de véhicule à l’issue du contrat. À l’issue du contrat social, les locataires se retrouvent sans véhicule, ayant dû céder leur ancien véhicule pour bénéficier du dispositif. Cette contrainte peut être un frein majeur pour certains bénéficiaires qui ne disposent pas d’une alternative immédiate ;
- le coût de l’assurance est plus élevé pour le locataire. L’assurance tous risques est obligatoire dans le cadre du leasing social, alors que de nombreux bénéficiaires avaient auparavant des assurances au tiers, nettement moins coûteuses ;
- problèmes liés aux délais de remboursement de l’aide publique. Les retards de remboursement peuvent générer d’importantes tensions de trésorerie pour les loueurs ;
- remise en cause des montants versés. Certains bénéficiaires ont signalé des ajustements a posteriori des aides, créant une incertitude financière ;
- mauvaise coordination entre les interlocuteurs publics. Deux entités administratives se partagent la gestion du dispositif, ce qui peut entraîner des contestations et des demandes de justificatifs supplémentaires pour les entreprises de leasing ;
- charge administrative élevée. Les loueurs doivent faire face à une lourde charge administrative, notamment liée au téléversement des documents sur la plateforme dédiée, ce qui représente une contrainte supplémentaire en termes de temps et de ressources.
Par ailleurs, l’État peut modifier la convention de manière unilatérale. La convention-type prévoit que l’État peut à tout moment imposer des modifications aux conditions du dispositif. Si le loueur refuse ces modifications, il peut dénoncer la convention sous un délai de trois mois, mais les changements restent exécutoires entre-temps.
Enfin, en cas de contraintes budgétaires ou de changement de priorités politiques, le dispositif peut être stoppé sans préavis, ce qui expose les loueurs à des pertes financières.
Conclusion : un équilibre entre ambition et réalité. Le leasing social incarne une avancée majeure vers une mobilité durable plus inclusive, mais il nécessite une refonte du cadre réglementaire pour garantir sa pérennité et son efficacité. Les acteurs du marché doivent s’adapter aux nouvelles contraintes administratives et opérationnelles tout en gérant les risques financiers liés aux délais de remboursement et à la volatilité des aides publiques.
L’introduction d’une convention tripartite entre l’État, un loueur non-financeur et un établissement agréé pourrait être une solution innovante pour faciliter l’accès au dispositif tout en sécurisant sa mise en œuvre. Cette approche permettrait d’élargir le nombre de loueurs éligibles et de fluidifier le marché, tout en préservant l’intégrité du cadre réglementaire.
Toutefois, pour véritablement démocratiser l’accès à une mobilité plus verte, il serait pertinent d’envisager une extension du dispositif aux véhicules électriques d’occasion. Cette approche permettrait d’abaisser significativement les coûts pour les bénéficiaires tout en optimisant l’utilisation du parc existant, répondant ainsi à un double enjeu d’accessibilité et de transition écologique. Certaines initiatives européennes, comme le leasing subventionné de véhicules reconditionnés, en Allemagne ou aux Pays-Bas, pourraient servir d’inspiration pour adapter le modèle français.
En s’inspirant des bonnes pratiques observées à l’étranger et en renforçant la collaboration entre acteurs publics et privés, le leasing social pourrait devenir un levier central pour la transition écologique et la démocratisation des véhicules électriques.
Notes de bas de pages
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1.
Ministère néerlandais des Infrastructures et de la Gestion de l’Eau, 2023.
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2.
IDAE (Institut pour la Diversification et l’Économie d’Énergie) : https://lext.so/wvBM14.
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3.
Convention-type annexée à l’arrêté du 15 décembre 2023, art. 1.
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4.
Convention-type annexée à l’arrêté du 15 décembre 2023, art. 3.
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5.
Convention-type annexée à l’arrêté du 15 décembre 2023, art. 4 et 5.
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6.
UK Department for Transport, 2023.
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7.
Ministère allemand de l’Environnement, 2023.
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8.
Convention-type annexée à l’arrêté du 15 décembre 2023, art. 2.
Référence : AJU017i5
