Seine-et-Marne (77)

Ouverture à la concurrence du rail : à quoi s’attendre en Île-de-France ?

Publié le 14/06/2021
Rails et trains en 3 D
tostphoto /AdobeStock

En décembre dernier, Île-de-France Mobilités dévoilait son calendrier de mise en concurrence de la SNCF sur le réseau francilien. La stratégie est celle de l’ouverture à cette concurrence ligne par ligne à partir du mois de décembre 2023, en commençant par les lignes T4, T11 et la navette entre Esbly et Crécy-la-Chapelle sur la ligne P en Seine-et-Marne (77). Malgré certains points prévus par les textes européens et la loi française, des zones grises sont encore à éclaircir.

Dans son communiqué du 10 décembre dernier, Île-de-France Mobilités précise que cette « ouverture progressive des lignes actuellement exploitées par la SNCF a pour objectif d’améliorer la qualité de service pour les voyageurs ». IDF Mobilités est l’entité en charge des transports pour la région Île-de-France. Elle y est entièrement dédiée et c’est par elle que transiteront les appels d’offres. Le processus d’ouverture à la concurrence s’inscrit dans un cadre législatif déterminé par le règlement CE n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route dit OSP (obligations de service public).

D’abord le transilien, puis le tramway

L’Île-de-France a la particularité d’avoir une très grande offre de transports différents. En ce qui concerne le rail, on compte les TER, le tramway, le transilien et le métro. Si le métro sera le dernier à être mis en concurrence, le calendrier donne la priorité au transilien puis à certaines lignes de tramway. Les RER arriveront dans un second temps.

Le premier lot est constitué des lignes trams-train T4 et T11, et de la navette entre Esbly et Crécy-la-Chapelle sur la ligne P avec une désignation du futur exploitant des lignes de trams-trains pour la mi-2022 et une première circulation de train par l’opérateur choisi en décembre 2023. Le calendrier prévoit les désignations des opérateurs pour le lot des lignes T12 et T13 en 2023, pour les lignes J et L en 2024, pour le RER B pour 2026 et s’étend jusqu’en 2032 pour le RER C.

L’ouverture à la concurrence pour le métro est remis à plus tard. Dans les négociations à l’échelle de l’Union européenne, les entreprises qui assurent sa gestion ont pu bénéficier d’exceptions. Des amendements ont été intégrés qui permettent de reporter la décision. La France fait partie des États qui ont souhaité prolonger le monopole sur les métros.

Les transports en IDF, un système complexe

En Île-de-France, toutes les compétences liées aux transports sont dans les mains d’IDF Mobilités, qui a remplacé le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). Pourquoi pas un conseil régional classique comme partout en France ? En plus des raisons historiques, la mission de transport est tellement complexe et dense en Île-de-France qu’une autorité spécifiquement concentrée sur ce domaine paraissait justifié. Les communes de la région n’ont donc plus de compétences propres sur les transports.

Pour le moment, au niveau du rail, deux acteurs principaux se partagent le réseau : SNCF Voyageurs pour tous les rails sauf le métro et le tramway, qui sont gérés par la RATP. Le RER B pousse la complexité un peu plus loin puisqu’une partie est sous la maîtrise de la SNCF tandis qu’une autre partie est sous la maîtrise de la RATP.

« Mais il faut faire une distinction entre la gestion de l’infrastructure et la fourniture de services de transport », précise Thomas Destailleur, docteur en droit public et juriste chez SNCF Réseau depuis 2019. « La gestion de l’infrastructure concerne la maintenance, la construction de voies, de tunnels, quais, gares, l’organisation des horaires, etc. Et la fourniture des services de transport, c’est le fait de mettre un tramway ou un train sur les voies et de le faire circuler d’un point A à un point B ».

Ainsi, SNCF Réseau a la maîtrise de l’infrastructure pour le RER et le transilien tandis que SNCF Voyageurs gère la fourniture des services. En théorie, la gestion de l’infrastructure, et donc des horaires, devrait rester entre les mains de SNCF Réseau, même si le communiqué précise que « la maintenance du matériel roulant sera intégrée au contrat d’exploitation et gérée directement par l’opérateur de transport ». L’ouverture de la concurrence pour les TER concerne donc surtout la partie fourniture des transports.

Plus d’interlocuteurs : partage des responsabilités ?

L’opérateur choisi par IDF Mobilités aura une partie de la maintenance du réseau à assurer. Cette maintenance quotidienne concerne par exemple les traverses, la vérification des fissures ou des ballasts. En termes de responsabilités, cela demandera de pouvoir identifier qui est en charge de quelle opération. Les compensations en cas de retard sont également un angle mort de cette ouverture à la concurrence : qui paiera ? L’opérateur en charge d’une partie de la maintenance ? L’opérateur en charge de l’autre partie ? Ou celui qui a la maîtrise de la fourniture ?

Transfert des salariés

Si au niveau des usagers, les tarifs continueront d’être décidés par IDF Mobilités, les salariés qui travaillent sur le réseau actuellement, comme les conducteurs par exemple, seront eux transférés vers le nouvel opérateur ayant remporté l’appel d’offres selon l’article L. 2121-20 du Code des transports.

Thomas Destailleur

Thomas Destailleur ajoute dans un article intitulé : « Régionales : l’ouverture à la concurrence des TER est sur les rails », publié le 20 avril dernier sur le site des Surligneurs, que « Le nombre de contrats de travail transférés est fixé d’un commun accord entre l’ancien exploitant (actuellement la SNCF) et la région. Une partie de la négociation portera forcément sur ce qu’il faut entendre par “salariés concourant à l’exploitation et à la continuité du service public”. En cas de désaccord, c’est l’Autorité de régulation des transports qui décidera, comme elle l’a fait pour la région PACA. La loi prévoit en outre que la rémunération des salariés transférés ne peut être inférieure à celle des 12 derniers mois précédant le transfert. En revanche, les autres garanties (temps de travail, congés, temps de repos, etc.) doivent être fixées dans un accord de branche négocié entre les partenaires sociaux du secteur ferroviaire  ».

Ce processus est normalisé dans la plupart des services publics qui fonctionnent avec des appels d’offres comme l’eau ou les déchets dans certaines régions. Mais, complète Thomas Destailleur, « Les cheminots et contractuels – le statut de cheminot n’existe plus depuis le 1er janvier 2020 – sont historiquement très attachés à l’entreprise SNCF. Il y a donc une dimension psychologique de l’ouverture à la concurrence qui ne doit pas être oubliée ».

Le chapitre sur le personnel se révèle donc compliqué tant que la convention de branche sur le ferroviaire n’est pas arrêtée. D’autant que certaines entreprises répondant à l’appel d’offres pourraient ne pas accepter les conditions de travail de la SNCF et vouloir les négocier.

S’attendre à un raté ?

Comme le souligne Thomas Destailleur, « L’ouverture à la concurrence peut se transformer en raté ». On pense ici à l’échec de l’ouverture à la concurrence pour les lignes nationales entre Lyon et Nantes ou Bordeaux et Nantes. À l’époque, SNCF, Arriva (Allemagne), Transdev et Eurorail (Belgique) s’étaient manifestés. « En dehors de SNCF, les entreprises avaient toutes décidé de renoncer à candidater à l’appel d’offres, estimant que les délais pour déposer une offre étaient trop justes, et que les garanties liées aux infrastructures de maintenance de la SNCF étaient insuffisantes. Cela conduisit l’État à annuler la procédure fin 2020 », écrit le juriste.

L’enjeu sera alors d’ « anticiper en amont le processus de mise en concurrence », mais aussi de « s’assurer que SNCF Voyageurs transmette bien l’ensemble des données d’exploitation », ce qui est une obligation légale depuis l’article 14 de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018, transposé à l’article L. 2121-16 du Code des transports. L’Autorité de régulation des transports a déjà dû arbitrer un premier différend entre la région Hauts-de-France et SNCF Voyageurs dans la décision n° 2020-044 du 30 juillet 2020.

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