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Airbnb : un revers judiciaire pour la Ville de Paris ?

Publié le 20/10/2023
Airbnb : un revers judiciaire pour la Ville de Paris ?
Jose/AdobeStock

Dans le bras de fer que mène la Ville de Paris contre les loueurs en meublé saisonnier et les plateformes d’intermédiation locative du type Airbnb, la municipalité vient d’essuyer un échec juridique.

La Cour de cassation vient de se prononcer sur l’application de la réglementation très contraignante que la Ville de Paris a peu à peu mise en place pour limiter l’impact des locations saisonnières (Cass. 3civ., 7 sept. 2023, n° 22-18101).

La mobilisation de la municipalité

La start-up californienne est arrivée sur le marché français en 2010 et a bouleversé l’économie de la location de courte durée. La France est devenue le deuxième marché de la start-up californienne, derrière les États-Unis. Et Paris est devenu une destination phare. D’après les chiffres de la ville, entre 2011 et 2016, le parc locatif traditionnel de Paris a perdu au moins 20 000 logements, dont la majorité a été transformée en locations touristiques meublées, louées à la nuit ou à la semaine durant toute l’année. Dans plusieurs arrondissements, notamment dans au centre et à l’ouest de Paris, les meublés de tourisme représentent désormais jusqu’à 20 % de l’offre locative globale. Et Airbnb se taille la part du lion sur ce marché. Pour lutter contre le développement exponentiel de la location saisonnière et préserver l’accès au logement des Parisiens, la Ville de Paris a renforcé sa réglementation. En confiant la collecte de la taxe de séjour aux plateformes d’intermédiation locative, elle a sécurisé ses recettes tout en dressant une cartographie plus exacte de la location saisonnière sur le territoire parisien. La procédure d’enregistrement par téléservice qu’elle a mise en place pour tout bien faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine, avec un numéro d’enregistrement qui doit figurer sur les annonces publiées par les plateformes d’intermédiation locatives a accru la précision de cette cartographie. Elle a également doté la municipalité de nouveaux moyens pour faire respecter sa réglementation.

La notion-clé de changement d’usage

Celle-ci repose sur une distinction entre le propriétaire occupant qui met en location sa résidence principale quelques semaines par an et le propriétaire qui loue une résidence secondaire. Dans le premier cas, il est possible de louer son bien dans la limite de 120 jours par an en location saisonnière sans avoir à effectuer des démarches particulières, à l’exception d’une déclaration en mairie et de l’obtention d’un numéro d’enregistrement. En cas de défaut d’enregistrement du meublé de tourisme sur le téléservice de la Ville de Paris, une amende d’un maximum de 5 000 euros peut s’appliquer. En cas de dépassement du plafond de 120 jours ,de location par an pour une résidence principale, l’amende maximale peut aller jusqu’à 10 000 euros. Les plateformes d’intermédiation locative ont pour obligation de bloquer l’annonce dès lors que les 120 nuitées annuelles de location sont atteintes pour les résidences principales. Dans tous les autres cas, dépassement de cette durée pour une résidence principale, mise en location d’une résidence secondaire, investissement locatif mis sur le marché de la location de courte durée, le bien immobilier n’est plus considéré comme un logement, mais comme des meublés de tourisme, c’est-à-dire des biens à usage commerciaux dont la mise en location nécessite une autorisation préalable de la mairie avec une demande de changement d’usage. Cette autorisation de changement d’usage se fait avec compensation, en application des articles L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation et de l’article 3 du règlement municipal relatif au changement d’usage, laquelle consiste à transformer des surfaces commerciales en logements, pour compenser la perte de surfaces d’habitation du local transformé. Sans autorisation préalable de changement d’usage, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par m² jusqu’à régularisation. Des poursuites sont engagées régulièrement par la Ville de Paris auprès du tribunal judiciaire de Paris.

Apprécier la qualité d’usage d’un bien immobilier

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, la Ville de Paris s’est pourvue en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en mai 2022 (CA Paris, 12 mai 2022, n° 21/18214), relatif une location de courte durée. Dans cette espèce, la Ville de Paris a assigné en référé la propriétaire d’un appartement parisien pour obtenir le retour du bien à un usage d’habitation et la condamnation de la propriétaire au paiement de plusieurs amendes civiles, dont une pour en avoir changé l’usage en le louant de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, en contravention avec les dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, et une autre pour ne pas avoir transmis à la commune, dans le mois suivant sa demande, le nombre de jours au cours desquels il avait été loué, en violation de l’article L. 324-1-1, IV, du Code du tourisme. La cour d’appel a rejeté les demandes de la ville. La municipalité avance cependant que tout local est réputé avoir l’usage pour lequel il était affecté au 1er janvier 1970. En effet, cette date a été retenue dans la mesure où, dans le cadre de la révision quinquennale des évaluations foncières du 1er janvier 1970, des déclarations devaient être souscrites, permettant de démontrer cet usage à la date de référence. Et en application du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, ces déclarations pouvaient être établies jusqu’au 31 mai 1970 pour les communes de moins de 5 000 habitants et jusqu’au 15 octobre 1970, sachant que les formulaires réglementaires sont issus d’un arrêté du 6 mars 1970. Dans ces conditions, une déclaration modèle H2 remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est occupé par son propriétaire démontre l’usage d’habitation du bien à la date de référence. Or, au cas d’espèce, la Ville de Paris produisait une déclaration modèle H2 établie le 17 août 1970 et indiquant que le bien était occupé par la propriétaire. Pour la municipalité, en retenant que cette déclaration ne permettait pas d’établir que le bien était à usage d’habitation au 1er janvier 1970, la cour d’appel a violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation, ensemble les articles 38, 39 et 40 du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969 et l’arrêté du 6 mars 1970. À tout le moins, ajoute-t-elle, la production d’une déclaration modèle H remplie postérieurement au 1er janvier 1970 mais avant la date limite de dépôt et mentionnant que le bien est occupé par son propriétaire fait présumer un usage d’habitation à la date du 1er janvier 1970. Pour le juge de cassation, la seule mention, sur une déclaration remplie postérieurement au 1er janvier 1970, d’une occupation d’un local par son propriétaire, ne permet pas d’en établir l’usage à cette date ni de le faire présumer. Elle est donc inopérante pour prouver qu’il était affecté, à cette date, à un usage d’habitation, au sens de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

La possibilité d ’appliquer une amende civile

Pour la Cour de cassation, aux termes de l’article L. 324-1-1, IV, alinéa 1er, du Code du tourisme, dans les communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement de la déclaration préalable mentionnée au III, toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale ne peut le faire au-delà de 120 jours au cours d’une même année civile, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure. Aux termes de l’alinéa suivant du même article, la commune peut, jusqu’au 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle un meublé de tourisme a été mis en location, demander au loueur de lui transmettre le nombre de jours au cours desquels ce meublé a été loué. Le loueur transmet ces informations dans un délai d’un mois, en rappelant l’adresse du meublé et son numéro de déclaration. Selon l’article L. 324-1-1, V, alinéa 2, du même code, toute personne qui ne se conforme pas aux obligations résultant du IV est passible d’une amende civile. Celle-ci constituant une sanction ayant le caractère d’une punition (Cass. 3e civ., 26 janvier 2022, n° 21-40026 QPC), son champ d’application est, en vertu du principe de légalité des délits et des peines, d’interprétation stricte. Il en résulte que l’amende civile prévue par l’article L. 324-1-1, V, alinéa 2, est applicable aux seules personnes offrant à la location un meublé de tourisme déclaré comme leur résidence principale, qui omettent de transmettre à la commune l’ayant demandé depuis plus d’un mois, l’information relative au nombre de jours de l’année précédant la demande, au cours desquels ce meublé a été loué.

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