Enfin des explications quant à l’expérimentation de l’article 97 de la loi 3DS

Le décret relatif aux modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue à l’article 97 de la loi 3DS en matière de procédure de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale est paru au JO du 25 octobre 2023. Ajoutant encore à la complexité de l’article qu’il explicite, ce texte en partie imparfait est entré en vigueur le 1er janvier 2024.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, relatif aux modalités de mise en œuvre de l’expérimentation prévue à l’article 97 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 en matière de procédure de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale
Treize ans après que le législateur français a annoncé, sous la pression européenne1, vouloir rapatrier l’aménagement commercial dans l’urbanisme général2, l’article 97 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 (dite 3DS) fait prendre à ce rapatriement le visage d’une expérimentation d’une durée de six ans3. La disposition monolithique d’une centaine de lignes prévoit, pour l’essentiel, les conditions d’une planification du commerce au sein du document d’aménagement artisanal, commercial et logistique (DAACL) du schéma de cohérence territoriale (SCoT), ainsi que la fin de l’examen des autorisations d’exploitation commerciale (AEC) par les commissions d’aménagement commercial.
Un décret devait apporter des précisions sur les modalités de mise en œuvre de l’article 97. Publié au JO du 25 octobre 2023, il entrera en vigueur le 1er janvier 2024, presque deux ans après la disposition qu’il explicite. Long de treize articles regroupés en quatre chapitres, ce texte laisse chez l’observateur une impression assez mitigée. Alors qu’il devait expliciter « les délais d’instruction des demandes et de recueil des avis ainsi que les modalités de saisine de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) sur les évolutions des documents d’urbanisme visant à prendre en compte les critères précités mentionnés à l’article L. 752-6 du Code de commerce »4, il précise finalement certains aspects de la procédure de préparation de l’expérimentation5, les conditions expérimentales de délivrance de l’autorisation valant AEC6 et les modalités d’évaluation de l’expérimentation7. Un ultime chapitre est relatif à son entrée en vigueur.
I – Une procédure décourageante (art. 1 à 3)
Cette expérimentation, aux vertus simplificatrices si l’on en croit l’introduction de la consultation publique sur le projet de décret, est pourtant d’une singulière complexité en raison de conditions d’entrée aussi abondantes que contraignantes. Immature dans son esprit et alambiquée dans sa lettre, la mesure inscrite dans l’article 97 n’a d’ailleurs pas eu toutes les faveurs de la doctrine spécialisée8.
Son champ d’application, d’abord, est doublement restreint. D’une part, elle n’est ouverte qu’à certains établissements publics à fiscalité propre : les communautés urbaines et les métropoles (soit 35 établissements publics de coopération intercommunale) et les métropoles d’Aix-Marseille-Provence, de Lyon et du Grand Paris9, les territoires ayant signé une convention d’opération de revitalisation de territoire (ORT) ainsi que, depuis la loi Industrie verte10, les territoires ayant qualifié de grande opération d’urbanisme (GOU) une opération de transformation d’une zone d’activité économique11. D’autre part, elle ne concerne, au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) susmentionnés, que ceux simultanément couverts par un DAACL et un PLUi exécutoire12 déterminant les conditions d’implantation des grands équipements commerciaux en considération des critères actuellement pris en considération par la CDAC lors de son examen des AEC13.
Finalement, combien d’EPCI sont-ils concernés ? Il faut se souvenir que l’expérimentation n’était pas prévue dans le texte martyr de la loi 3DS ; elle résulte d’un amendement gouvernemental n° 3335 ajoutant un article 26 bis au projet de loi présenté pour la première fois devant l’Assemblée nationale. Sans étude d’impact, il est difficile de donner une estimation du nombre de candidats éventuels – même si un ordre de grandeur a été avancé lors des débats devant l’Assemblée nationale14. Selon l’ex-ministre J. Gourault, elle « pourrait concerner, à terme, une dizaine de territoires au maximum ». Et il est encore plus difficile de dire si cette dizaine de potentiels candidats souhaitera mener à terme les démarches d’entrée dans l’expérimentation : la technicité et les coûts de fabrication d’un DAACL, les délais contraints dans lesquels les documents de planification devront intégrer les objectifs et critères du Code de commerce ainsi que le calendrier dans lequel est enfermé le montage d’un dossier de candidature complexe risquent bien de décourager les collectivités souhaitant se lancer dans l’aventure15.
Car la procédure d’expérimentation, ensuite, est à maints égards dissuasive. Elle débute par une délibération de l’EPCI candidat où figurent, entre autres, « les objectifs de la stratégie d’aménagement commercial du territoire, prévue dans le DAACL et déclinée dans le PLU ou les documents en tenant lieu »16. À cette occasion, le président de cet EPCI saisit pour avis les communes membres et le syndicat mixte en charge du SCoT sur le territoire concerné17, lesquels ont trois mois à compter de la réception de la saisine pour rendre leur avis ; à défaut, il est réputé favorable. La procédure se poursuit par le dépôt en préfecture d’un dossier de candidature très fourni : outre la délibération de l’EPCI candidat et les avis des communes et de l’EPCI chargé du SCoT, le décret indique qu’il contient la convention d’ORT, une synthèse de la stratégie d’aménagement commercial prévue à l’intérieur des documents d’urbanisme, ainsi que plusieurs extraits du SCoT et du PLUi (ou des PLU) justifiant de la prise en compte par ces documents de certains des critères du Code de commerce18. Notons que la liste ne comporte aucune référence à l’éventuel projet partenarial d’aménagement en cas de création d’une GOU. L’arrêté du préfet validant la demande d’expérimentation est enfin pris sur avis conforme de la CNAC « au regard de la stratégie d’aménagement commercial du territoire ».
La lourde insistance des rédacteurs de la loi et du décret sur l’intégration des objectifs et critères du Code de commerce au sein des documents d’urbanisme (obligation de mise à jour des documents préalablement à l’entrée dans l’expérimentation, rappels de la stratégie commerciale du territoire dans la délibération, production de plusieurs extraits utiles du SCoT et du PLUi exécutoire justifiant l’insertion des critères commerciaux dans ces documents) témoigne du déplacement du curseur de l’aménagement commercial expérimental vers la planification, permettant une convergence salutaire de l’urbanisme et du commerce : « L’expérimentation offre aux collectivités un cadre juridiquement sécurisé permettant d’imposer des partis pris d’aménagement clairs et précis à coup sûr »19.
II – La CNAC, acteur central de l’expérimentation (art. 4 à 7)
L’arrêté préfectoral autorisant l’expérimentation est pris sur avis conforme de la CNAC, rendu dans les quatre mois de la réception du dossier de candidature complet. Alors qu’elle jouait jusqu’alors les rôles d’autorité administrative chargée de l’examen du recours préalable contre les décisions des CDAC et d’observateur privilégié de l’aménagement commercial20, la CNAC est astucieusement érigée en acteur majeur de l’expérimentation grâce au « droit de veto » dont elle est nantie21. Le décret prévoit la procédure suivie devant elle – délais, auditions et mesures de publicité – pour lui permettre de valider la pertinence de la stratégie de planification commerciale portée sur le territoire de l’EPCI candidat. Ce rôle dévolu à la CNAC n’est pas sans rappeler celui que le projet de loi Macron sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dans sa version initiale, voulait octroyer à l’Autorité de la concurrence : la disposition du projet, finalement abandonnée en chemin par les sénateurs, prévoyait que l’Autorité pouvait être consultée avant le lancement de l’enquête publique par le ministre de l’Économie ou le préfet de département sur les SCoT et PLUi ou le SDRIF lors de leur élaboration, modification ou révision.
Concrètement, le candidat se voit notifier par le secrétariat de la commission, dans les quinze jours de l’arrivée du dossier, sa bonne réception. Dans le cas où celui-ci s’avérerait incomplet, il dispose de quinze jours pour fournir les pièces manquantes. À défaut de diligences de sa part, le dossier sera déclaré irrecevable. Dans le mois suivant la réception du dossier complet, le service instructeur départemental transmet son avis à la commission. Les modalités de réunion sont ensuite sensiblement les mêmes que celles de la procédure actuellement suivie devant la commission22. Les présidents de l’EPCI candidat et de l’EPCI compétent en matière de SCoT sont convoqués pour audition quinze jours avant la réunion. D’autres personnes peuvent également être entendues si elles en font la demande, notamment les maires des communes sises sur le périmètre de l’expérimentation ainsi que d’autres personnes justifiant des motifs de leur demande d’audition. La CNAC peut enfin auditionner « toute personne qu’elle juge utile de consulter »23.
Plusieurs formalités de publicité sont prévues, au stade de la réception du dossier par la CNAC et après la notification de l’avis de la commission au préfet : dans le premier cas, l’EPCI doit faire publier, dans les quinze jours de la transmission du dossier complet, un extrait de sa demande d’expérimentation dans deux journaux diffusés dans le département, à peine d’irrecevabilité du dossier par la CNAC24 ; dans le second cas, outre sa publication électronique, l’avis de la commission est publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du département ainsi que, sur initiative préfectorale, au sein de deux journaux diffusés dans le département25.
Le décret étant taisant sur la teneur de l’avis en cas de silence à l’issue du délai de quatre mois, il semblerait possible de se calquer sur la procédure classique : l’absence d’avis rendu dans le délai de quatre mois vaut acceptation tacite26.
III – Des modalités de délivrance des AEC insuffisamment précises (art. 8 et 9)
Au sein des territoires participant à cette expérimentation, la procédure de délivrance des AEC est substantiellement modifiée. À compter de la date d’entrée en vigueur de l’expérimentation sur le territoire concerné, elle relèvera des seules dispositions de droit commun du livre IV du Code de l’urbanisme et ne comportera plus, en principe, de passage obligé du projet en CDAC27 – sauf en cas d’opération engendrant une artificialisation des sols au sens du 9e alinéa de l’article L. 101-2-1 du Code de l’urbanisme28.
On doit ici, en principe, prendre la pleine mesure de la simplification annoncée : alors que les objectifs et critères, auxquels doit en principe satisfaire toute implantation commerciale, étaient auparavant examinés au stade final de la délivrance de l’autorisation, ils seront désormais incorporés en amont au sein des documents de planification commerciale. Si le passage en commission est bien supprimé (ce qui a pu faire dire à certains professionnels que le gain de temps espéré pour les opérateurs était de cinq mois au plus), les demandes d’autorisation d’urbanisme valant AEC seront toujours instruites en considération d’un dossier spécial, présenté par le pétitionnaire en application de l’article R. 752-6 du Code de commerce29. Le maire disposera d’un mois supplémentaire pour instruire la demande par dérogation à l’article R. 423-25, e), du Code de l’urbanisme (notons qu’en dehors de l’expérimentation, la CDAC dispose en principe de deux mois pour l’examen des demandes d’AEC30).
La simplification annoncée pour les porteurs de projet est alors largement illusoire. On serait même tenté de dire qu’avec cette expérimentation, la complexification a essaimé dans tous les pans et pour toutes les parties prenantes de l’aménagement commercial expérimental : pour le planificateur contraint de rédiger un DAACL en un temps record, pour l’EPCI candidat qui doit monter un dossier de candidature cauchemardesque, pour l’autorité en charge de la délivrance de l’autorisation devant se frotter à une matière technique qu’il ne maitrise pas toujours, et pour le porteur de projet sommé de produire le même dossier relatif au volet commercial de l’autorisation qu’auparavant.
Plusieurs points demeurent en suspens en raison de la rédaction elliptique des articles 8 et 9 du décret.
D’une part, l’article 97, IV, prévoit que l’AEC est délivrée sur avis conforme du président de l’EPCI si la compétence d’urbanisme ne lui a pas été déléguée. Cette formalité, qui ajoute à la lourdeur de la procédure d’instruction, pourrait aviver des tensions préexistantes entre les deux autorités concernées (le maire et le président de l’EPCI). Cet avis conforme avait d’ailleurs divisé les parlementaires lors de l’adoption de l’article, un député ayant avancé que cet avis pourrait apparaître comme une forme de tutelle sur le maire.
D’autre part, quid du contentieux des autorisations valant AEC expérimentales ? La notice du décret annonce des précisions relatives aux « modalités des (…) litiges portés directement devant le juge administratif » sans toutefois que ces précisions ne s’imposent avec la force de l’évidence à l’esprit du lecteur. On comprend en creux que le recours administratif préalable obligatoire (RAPO)devant la CNAC et la saisine subséquente de la CAA ne seraient plus d’actualité ; comme l’autorisation est « demandée, instruite et délivrée dans les conditions prévues au livre IV du Code de l’urbanisme », il serait logique d’aligner le contentieux de l’AEC expérimentale sur celui d’urbanisme de droit commun. On aurait pu imaginer un RAPO devant la CNAC, mais rien ne justifierait la compétence de cette commission pour connaitre du volet proprement urbanistique des autorisations valant AEC. Il aurait également pu être utile de préciser les mesures de publicité permettant le déclenchement du délai de recours contre l’autorisation ainsi que les personnes disposant d’un intérêt à agir contre elle. Un cas, qui n’est pas nécessairement d’école, n’a d’ailleurs pas été prévu par le décret : celui des projets dont la zone de chalandise s’étend sur des territoires non-candidats à l’expérimentation. Un décret ultérieur pourrait venir apporter les précisions contentieuses nécessaires à la bonne marche de l’expérimentation.
Enfin, la notice du décret annonce « préciser les modalités d’exclusion de l’expérimentation des projets engendrant une artificialisation ». On devine à la rédaction maladroite de l’article 8 du décret que les projets engendrant une artificialisation des sols ne sont pas concernés par les simplifications expérimentales et que la procédure classique de délivrance retrouvera tout son empire le cas échéant (passage en CDAC et accord du préfet pour les projets compris entre 3 000 et 10 000 m2 de surface de vente).
IV – L’évaluation de l’expérimentation (art. 10 et 11)
Il a été reproché, au sein des contributions à la consultation publique sur le projet de décret, de ne pas avoir prévu de modalités d’évaluation ou de suivi des expérimentations ; un chapitre entier du décret composé de deux articles y est finalement dédié. Il institue un « collège interministériel de suivi et d’évaluation des expérimentations » et en fixe la composition. Présidé par le représentant du ministre chargé du commerce, il comprendra douze membres (un représentant de chacun des trois ministères concernés par l’évaluation, trois représentants de l’État, trois personnalités qualifiées et trois représentants des collectivités locales) et dressera annuellement un bilan de l’expérimentation.
Notes de bas de pages
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1.
CE, 13 déc. 2006, n° IP/06/1794.
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2.
J.-P. Charié, rapp. Avec le commerce, mieux vivre ensemble, mars 2009.
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3.
L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 97, XII.
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4.
L. n° 2022-217, 21 févr. 2022, art. 97, XI.
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5.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, chapitre 1er.
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6.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, chapitre 2.
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7.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, chapitre 3.
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8.
J.-A. Fresneau, « Loi 3DS : la fin annoncée des commissions d’aménagement commercial ? », Le moniteur, 10 juin 2022.
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9.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 97, X.
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10.
L. n° 2023-973, 23 oct. 2023 : JO, 24 oct. 2023.
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11.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 97, I.
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12.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 97, II 1°.
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13.
C. com., art. L. 752-6.
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14.
Séance du 14 déc. 2021.
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15.
D. Moreno, « Perspectives de l’aménagement commercial : sobriété foncière, contractualisation et expérimentation », BJDU 2023, n° 1.
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16.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 1er.
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17.
C. urb., art. L. 143-16, 2° et 3°.
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18.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 3.
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19.
J.-M. Talau, « Décentralisation (expérimentale) de l’autorisation d’exploitation commerciale et levée des obstacles à l’opération de revitalisation de territoire », JCP A 2022, 2101, n° 13.
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20.
CNAC, rapport annuel.
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21.
D. Moreno, « Perspectives de l’aménagement commercial : sobriété foncière, contractualisation et expérimentation », BJDU 2023, n° 1.
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22.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 5 et 6.
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23.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 5.
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24.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 4.
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25.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 7.
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26.
C. com., art. L. 752-17, I.
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27.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 97, III.
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28.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 97, VI.
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29.
D. n° 2023-977, 23 oct. 2023, art. 8, 2°.
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30.
C. com., art. L. 752-14, II.
Référence : AJU012r8
