Hauts-de-Seine : une tour qui fait couler de l’encre
Il y a quelques semaines, nous consacrions un article sur le chantier de l’ancienne tour Insee, à Malakoff (92), en bordure de Paris. L’État pousse pour une destruction/reconstruction ; un collectif de citoyens soutenus par la mairie et armés de bon sens poussent pour une réhabilitation de l’existant, afin de minimiser l’empreinte carbone. Notre article se terminait par trois points de suspension. Depuis, l’affaire a connu des rebondissements.
Anne-Laure Pineau
Ce n’est pas juste l’histoire d’une tour emblématique aux abords du périphérique parisien, de son avènement dans les flamboyantes seventies à sa fin en 2023, pour laisser place au siège des ministères sociaux. Avec l’épilogue du tripode de l’Insee de 32 500 m² de bureaux et de 50 mètres de haut, cette tour construite en 1974 par les architectes Serge Lana et Denis Honegger, c’est à la fin d’une époque que l’on assiste. Mais pas de celle que l’on croit. Jean-Christophe Hanoteau, avocat, Malakoffiot et président de l’association « IN C’ Malakoff » (qui s’est constituée pour lutter contre la démolition de la Tour Insee), n’est pas avare de mots quand il s’agit d’évoquer son cheval de bataille.
Alors que les premières discussions autour du site en bordure du XIVe arrondissement ont été lancées en 2014 et sont toujours en cours, les travaux de désamiantage viennent de commencer. Les compagnons de lutte fulminent. « Ça m’est apparu comme une évidence pendant le confinement, alors que le travail de bureau était repensé et que les enjeux climatiques étaient de plus en plus pregnants. Quand j’ai vu le film Don’t Look Up – Déni cosmique, je me suis dit : on marche sur la tête ». Nous lui avons demandé ce qui se cachait derrière cette tour.
Actu-Juridique : Quels sont les nouveaux développements concernant le chantier de la tour ?
Jean-Christophe Hanoteau : Plusieurs réunions ont eu lieu à l’initiative des ministères sociaux et du maître d’ouvrage. Nous regrettons la façon dont cela a été mené. Par exemple, sous couvert de concertation préalable, on a présenté le projet à un groupe de riverains censés être représentatifs de la population… du 16 décembre 2022 au 3 janvier 2023. Une période compliquée. Nous nous sommes présentés, il n’y avait que cinq riverains. Dans les mêmes eaux, le maître d’ouvrage a tenu à organiser une réunion importante pour présenter les résultats de l’étude multicritères que nous avions obtenue. Mais cette réunion a été prévue le jour du conseil municipal, et il a été refusé de modifier la date. Là encore, nous nous sommes rendus à la réunion qui fut assez mouvementée : nous avons montré notre mécontentement à être invités au débotté, et surtout de recevoir les résultats de cette étude importante un an après sa commande. Cette étude compare trois scénarios : la destruction/réhabilitation, la réhabilitation légère et la réhabilitation lourde. Il ressort de cette étude que le scénario neuf coûterait entre 30 et 15 millions d’euros de plus, que la réhabilitation neuve pourrait aboutir à des performances énergétiques très proches du neuf, et que concernant l’empreinte carbone, le scénario destruction/construction neuve dépassait de loin les autres scénarios en termes de bilan carbone. Même si le bâtiment neuf présente un fonctionnement haute qualité environnementale plus avantageux au quotidien en termes de performance, l’étude montre bien qu’il faudrait environ trois siècles pour « rembourser » le différentiel de 14 000 tonnes de CO2 qu’aura coûté la démolition/construction neuve par rapport à un projet de réhabilitation (sachant que le bâtiment neuf consomme 2 600 tonnes de moins que le bâtiment réhabilité tous les cinquante ans).
Actu-Juridique : Pourtant, entre le pacte pour la construction parisienne de 2021 et les États généraux de la transformation des tours qui s’est tenu en février 2021, la réhabilitation semble être le choix le plus évident ?
Jean-Christophe Hanoteau : En 2018, quand ils ont lancé le projet, l’époque était différente, personne ne parlait d’empreinte carbone. Ils se sont dit que faire un immeuble haute qualité environnementale était le bon choix, ils ont réfléchi comme on le faisait il y a cinquante ans. Depuis, les temps ont beaucoup changé. D’ailleurs, le préfet des Hauts-de-Seine Laurent Hottiaux qui a apporté son soutien au projet de destruction/construction, a donné une interview en janvier au journal Le Monde, au sujet de la réhabilitation de la tour de la Préfecture (une tour de 26 étages en béton armé, conçue par André Wogenscky et son épouse Marta Pan, sur les principes de Le Corbusier, ndlr). Il dit clairement qu’on ne démolit plus les tours de cette époque-là, en citant les années 1970. « La préfecture, constate-t-il, était dans l’air du temps, et même à la pointe dans les années 1970. Mais elle a besoin d’être reprise. Il faut lui rendre son côté exemplaire ». À l’évocation de tous les scénarios possibles, il avait dit : « Les tours de ce type ne sont pas détruites. Toutes celles livrées à La Défense dans les années 1970 ont été rénovées, et ce pour des raisons d’empreinte carbone ». De même, lors des États généraux de la transformation des tours, l’architecte Jean-Paul Viguier qui travaille sur le projet des Ministères avait rappelé l’intérêt des tours pour les villes (en citant en particulier le cas des tours de La Défense) et rappelé qu’il fallait plutôt restructurer que démolir. Quand on a découvert ces prises de position par voie de presse, on a eu l’impression que l’ère du temps s’est arrêtée à nos portes.
Actu-Juridique : Comment expliquez-vous cette situation ?
Jean-Christophe Hanoteau : La raison véritable, c’est qu’il y a plusieurs années, l’État a décidé d’installer toutes les administrations centrales au cœur de Paris, dans des bâtiments qu’il a loués. Les ministères sociaux, par exemple, se sont rendu compte que leur loyer annuel était de plusieurs dizaines de millions d’euros par an. C’est astronomique. Et donc, quand l’État parle d’un terrain disponible, surmonté d’une tour obsolète, tout devient possible : les ministères se sentent riches, l’investissement serait vite amorti. Leur approche est purement comptable, à courte vue : on pose peut-être un problème écologique, mais on résout un problème économique.
Anne-Laure Pineau
Actu-Juridique : Quelles sont vos actions les plus récentes ?
Jean-Christophe Hanoteau : Le 14 mars 2023, nous avons organisé une réunion publique autour de deux questions : « Avec le changement climatique », « La donne a changé et détruire, est-ce la solution ? ». Plusieurs invités ont apporté leur éclairage : des architectes, la maire de Malakoff Jacqueline Belhomme et Carine Petit, la maire du XIVe arrondissement de Paris, ainsi que Fabien Gantois, président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France. Un membre du GIEC nous a parlé de l’impact d’une telle décision sur notre avenir commun. Le citoyen a des droits ; celui de s’opposer à une décision de l’État en est un. Notre pétition en ligne regroupe plus de 18 000 signatures, nous ne lâchons rien !
Référence : AJU008f0