Par le paiement de la taxe foncière contractuellement mis à la charge du bailleur, le preneur d’un bail à construction renonce clairement et sans équivoque au bénéfice de la clause dérogatoire
Un preneur à bail à construction règle la taxe foncière. Il croit pouvoir en obtenir le remboursement auprès du bailleur en vertu d’une stipulation contractuelle. Il n’en est rien. Pour la Cour de cassation, le paiement par le preneur de la taxe foncière pourtant mis contractuellement à la charge du bailleur, qui plus est répercutée auprès du sous-locataire, manifeste une renonciation claire et non-équivoque au bénéfice de ladite clause.
Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, no 15-11129, F–D
Dès lors que le bail liant les parties n’est pas soumis à un régime d’ordre public de répartition des charges et travaux, comme cela peut être le cas avec les décrets de 1987 pour les baux d’habitation nue à usage de résidence principale ou mixte soumis à la loi de 1989 ou, depuis peu dans une certaine mesure avec la réforme Pinel1, en matière de bail commercial, les parties peuvent librement stipuler à ce sujet et même prévoir une dérogation à la charge du paiement légal de la taxe foncière. Il n’en reste pas moins que, en dépit d’une clause contractuelle de répartition, la partie bénéficiaire de la clause dérogatoire peut par son comportement manifester une renonciation à ladite clause, comme nous le rappelle la Cour de cassation, dans son arrêt du 7 avril 2016.
En l’espèce, les faits sont relativement simples. Le 11 janvier 1980, un bailleur donne à bail à construction sur un terrain lui appartenant. Puis, le 5 août 1999, il a conclu avec un nouveau preneur un bail à construction portant sur le même terrain, aux termes duquel il est stipulé que le preneur est tenu de toutes les taxes, à l’exception de la taxe foncière qui reste à la charge du bailleur. Le 26 juin 2002, le preneur a cédé le bénéfice de son bail. En 2011, le preneur substitué réclame alors au bailleur, qui n’a pourtant jamais payé la taxe foncière du fait qu’elle a toujours été acquittée par les preneurs successifs, le remboursement des taxes foncières qu’il a payées.
Toutefois, sa demande est rejetée en appel, la cour d’appel de Limoges estimant que le preneur avait renoncé au bénéfice de la clause dérogatoire du paiement de la taxe foncière par le bailleur et que la répercussion de ce paiement sur le sous-locataire ne suffit pas à caractériser la renonciation à ladite clause par cette répercussion.
Le preneur forme alors un pourvoi en cassation, dans lequel il soutient que la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d’un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, ce que ne caractérise pas en soi le paiement, d’autant plus s’il intervient en l’absence de possibilité de le répercuter à un sous-locataire.
La question qui se pose à la Cour de cassation est donc de savoir, dans un premier temps, si le paiement, par le preneur, d’un bail à construction, de la taxe foncière, peut suffire à caractériser la renonciation claire et non équivoque à la clause mettant contractuellement à la charge du bailleur le paiement de cet impôt foncier. Puis de savoir, dans un second temps, si la renonciation à ladite clause par le preneur pouvait être subordonnée à la répercussion de la taxe foncière à un sous-locataire.
Mais, en rejetant le pourvoi sur ces points, la Cour de cassation répond par l’affirmative sur le premier et par la négative sur le second. Pour motiver sa décision, elle retient, tout d’abord, en effet, que, ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que, nonobstant la stipulation claire et précise insérée dans le contrat, le preneur avait, depuis l’origine, acquitté les taxes foncières dues au titre de l’immeuble loué sans en demander le remboursement et en répercutant la charge de cette taxe sur son sous-locataire, la cour d’appel pouvait en déduire que son attitude manifestait une volonté claire et non équivoque de renoncer au bénéfice de la clause mettant ces taxes à la charge du bailleur Elle retient, ensuite, que, ayant souverainement retenu que le seul fait, pour le preneur, d’avoir répercuté la charge de la taxe foncière sur son sous-locataire ne permettait pas de déduire qu’il subordonnait sa renonciation au bénéfice de la clause litigieuse à cette possibilité de répercussion, la cour d’appel a pu en déduire que la renonciation du preneur au bénéfice de cette clause était acquise au bailleur.
Ainsi, de par son comportement, le preneur peut renoncer au bénéfice de la clause dérogatoire du bail mettant le paiement de la taxe foncière à la charge du bailleur. Il est vrai que, en matière de bail à construction, l’article L. 251-4 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que le preneur est tenu de toutes les charges, taxes et impôts relatifs tant à la construction qu’au terrain et que, en conséquence, en vertu de l’article L. 1400-II du Code général des impôts, le Trésor public émet l’avis de paiement à destination du preneur du bail à construction.
Il n’en reste pas moins que l’article L. 251-4 du Code de la construction et de l’habitation n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent valablement y déroger. Ce qu’elles ont fait, en l’espèce, en prévoyant dans le bail à construction que le preneur devait s’acquitter de tous les impôts, contributions, taxes et redevances de toutes natures, à l’exception de la taxe foncière, celle-ci restant à la charge du bailleur. Si, en l’espèce, la validité de la clause n’a pas été remise en cause par les juge du fond, c’est la pratique du preneur d’acquitter la taxe foncière qui lui a été préjudiciable. En effet, en s’acquittant des taxes foncières dues au titre de l’immeuble loué, il a, par cet acte positif de paiement, manifesté une volonté claire et non équivoque de renoncer au bénéfice de la clause mettant cette taxe à la charge de la bailleresse.
Ainsi, le seul fait pour le preneur d’avoir répercuté la charge de la taxe foncière sur le sous-locataire ne permet pas de déduire qu’il subordonnait sa renonciation à la possibilité de pouvoir la récupérer auprès de son propre locataire. Il est admis que la renonciation par l’une des parties contractantes aux droits qu’elle tient du contrat ne peut en principe résulter que d’actes positifs. Ainsi, il a été jugé que la seule acceptation par le bailleur d’un loyer réduit, au-delà de la période de franchise prévue dans le bail pour tenir compte de l’exécution de travaux par le preneur, ne vaut pas en soi renonciation à exiger le montant du loyer contractuellement prévu2. Justement, ici, le comportement actif du preneur, se manifestant par le paiement, a pu modifier le contenu du contrat.
La validité de la clause expresse transférant la charge du paiement de la taxe foncière du preneur au bailleur n’était pas en soi contesté ni contestable. D’ailleurs, le transfert du paiement de cette imposition, cette fois, du bailleur au preneur, dans les baux types investisseurs, qu’ils soient commerciaux, professionnels voire soumis au droit commun du bail, ne suscite aucun doute3, d’autant plus que le décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 pris en application de la loi Pinel en légitime la répercussion en matière commerciale. Ainsi, dès que la charge de l’impôt foncier pèse contractuellement sur le preneur, le paiement volontaire du bailleur, même répété, ne semble pas devoir être un obstacle à sa demande de remboursement auprès du preneur, dans la limite de la prescription à agir, dès lors que le plus souvent, en pratique, une clause stipule que l’inaction du bailleur à l’application de l’une quelconque des clauses du bail ne vaut jamais renonciation pour ce dernier à s’en prévaloir à nouveau si bon lui semble.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2014-626, 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux TPE : JO n° 0140, 19 juin 2014, texte n°1 ; D. n° 2014-1317, 3 nov. 2014, relatif au bail commercial : JO n° 0256, 5 nov. 2014, p. 18638, texte n° 30.
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2.
Cass. 3e civ., 22 janv. 2014, n° 12-29856 : RJDA 5/14, n° 412.
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3.
V. Cass. 3e civ., 26 mars 2013, n° 11-24311.