Quelles sont les indemnités dues en cas de sinistres causés par les phénomènes naturels de mouvements de terrains liés à la sécheresse ?
L’ordonnance améliore l’indemnisation des sinistres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhumidification des sols. La date maximale d’entrée en vigueur de l’ordonnance est fixée au 1er janvier 2024, à l’exception des nouveaux articles L. 125-2-1 à L. 125-2-4 du Code des assurances dont l’entrée en vigueur est fixée au plus tard au 1er janvier 2025.
Ord. n° 2023-78, 8 févr. 2023, relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, NOR : ECOT2300952R
L’ordonnance du 8 février s’inscrit dans le cadre du régime de la prise en charge des sécheresses par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « Cat Nat » (I). L’ordonnance (ainsi que les textes d’application qui l’accompagnent) permettront d’augmenter le nombre de communes éligibles à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par rapport à la situation actuelle (II). Elle prévoit aussi la limitation des cas de dommages donnant lieu à indemnisation (III) et exclut deux catégories de biens et dommages du droit à la garantie sécheresse (IV). Elle prévoit aussi une obligation d’affectation de l’indemnité à la réalisation effective des travaux de réparation durable de l’habitation (V). Enfin, elle encadre les modalités de réalisation de l’expertise désignée par les assureurs (VI).
I – Le régime de la réforme de la prise en charge des sécheresses par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « Cat Nat »
Le gouvernement était habilité à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi dite « 3DS », soit le 21 février 2023, toute mesure relevant du domaine de la loi afin d’améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti et sur les conditions matérielles d’existence des assurés des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols.
Pour rappel, l’année 2022 a été marquée par une sécheresse d’une ampleur exceptionnelle, dont le coût d’indemnisation est évalué à 2,9 milliards d’euros. Cet événement extrême témoigne de l’intensification et de l’augmentation de la fréquence des effets du changement climatique.
En France, plus de la moitié des maisons individuelles sont construites sur des sols argileux susceptibles de présenter un risque moyen ou fort de dégâts provoqués par un phénomène naturel de succession d’épisodes de sécheresse et de réhumidification des sols.
Le risque de « retrait-gonflement des argiles » (RGA) désigne les dommages causés aux constructions par le phénomène naturel de rétractation des sols argileux, en période de sécheresse, suivi par le gonflement de ces sols lorsque la pluie revient.
D’après une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 2018, une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080.
Le coût cumulé de la sinistralité liée à la sécheresse entre 2020 et 2050 représenterait un coût de 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes. Le régime Cat Nat ne serait ainsi plus en mesure de dégager assez de réserves pour couvrir les sinistres à l’horizon 2040.
Face aux conséquences de ce phénomène, l’État a engagé une réforme de la prise en charge des sécheresses par le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « Cat Nat » un dispositif qui associe les assureurs et la puissance publique à travers la réassurance publique des risques par la Caisse centrale de réassurance (CCR).
Depuis 1989, ce régime a indemnisé en moyenne, chaque année, 29 500 sinistres liés à la sécheresse, pour un montant total de 16 milliards d’euros. Ce phénomène naturel constitue désormais le premier poste de charge du régime pour les risques de particuliers, concentrant plus de la moitié du coût d’indemnisation.
Combinée aux dispositions de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), qui a apporté une solution pour l’avenir en imposant des normes de construction aux nouvelles habitations exposées, l’adaptation du régime d’indemnisation au phénomène de retrait‑gonflement d’argiles prévue par l’ordonnance du 8 février doit permettre, d’une part, une meilleure prise en charge de sinistres auparavant exclus de toute forme d’indemnisation, en améliorant les politiques d’indemnisation et d’information sur ce risque sans faire peser une charge financière excessive sur le régime des catastrophes naturelles, alors même qu’il est confronté aux défis induits par le changement climatique, et, d’autre part, de mettre en cohérence le cadre législatif en vigueur pour les constructions neuves.
À noter. Les mesures prévues par l’ordonnance n’emportent aucune charge financière nouvelle pour les collectivités territoriales.
II – Augmenter le nombre de communes éligibles à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle
L’ordonnance s’inscrit dans une volonté d’augmenter le nombre de communes éligibles à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Ainsi, en complément des critères de reconnaissance actuels fondés sur l’intensité d’une sécheresse mesurée sur une période donnée, un nouveau mécanisme, prévu par la loi, permettra également la reconnaissance Cat Nat.
Désormais, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pourra concerner également les communes ayant subi une succession anormale d’événements de sécheresse d’ampleur significative mais dont l’intensité mesurée année par année ne remplit pas les critères actuels.
Pour rappel, le délai dont disposent les communes pour transmettre au préfet leur demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est désormais de 24 mois après le début de la survenance de l’événement naturel. À cet égard, l’ordonnance du 28 février précise que, pour les mouvements de terrain différentiels, ce délai de 24 mois intervient après le dernier événement de sécheresse donnant lieu à la demande communale.
À noter. Un arrêté du 3 avril (JO du 4 mai) a placé presque 3 500 communes en état de catastrophe naturelle. Ces communes réunissent « les critères géotechniques et météorologiques fixés par la circulaire du 10 mai 2019 ».
III – La limitation des cas de dommages donnant lieu à indemnisation
Désormais, l’indemnisation sera concentrée sur les seuls sinistres susceptibles d’affecter la solidité ou d’entraver l’utilisation normale du bâtiment endommagé. Selon le communiqué de presse du Conseil des ministres du 8 février 2023, il s’agit d’accompagner en priorité les sinistrés confrontés à des dommages matériels affectant la solidité de l’habitation ou susceptibles de générer des dommages graves à terme sur celle-ci s’ils ne sont pas traités précocement.
Pour la sénatrice Christine Lavarde, rapporteure spéciale de la mission Écologie, développement et mobilité durables, cette disposition pose une série de difficultés inquiétantes : fragilité juridique, remise en cause de la nature assurantielle du régime pour les sinistrés qui ne seront plus éligibles à indemnisation à raison de la nature des dommages sur leur bâti ou encore risque que certains « petits » dommages qualifiés d’« esthétiques » dégénèrent en des sinistres beaucoup plus significatifs et coûteux pour le régime.
D’ailleurs, pour le Sénat, l’ordonnance prise par le gouvernement n’apporte pas de vraies avancées (Rapport d’information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine Lavarde, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 février 2023). Le Sénat a notamment souligné que les financements prévus par l’ordonnance ne représentent qu’à peine 50 % des coûts attendus.
IV – Les biens et dommages exclus du droit à la garantie
L’ordonnance exclut deux catégories de biens et dommages du droit à la garantie sécheresse :
1° Les bâtiments construits sans permis de construire lorsque ce dernier est requis en application de l’article L. 421-1 du Code de l’urbanisme.
2° Pendant une durée de dix ans suivant la réception des travaux au sens de l’article 1792-6 du Code civil, les bâtiments soumis aux dispositions des articles L. 132-4 à L. 132-8 du Code de la construction et de l’habitation (étude géotechnique), et dont le dépôt du permis de construire a été effectué postérieurement au 1er janvier 2024, s’il ne peut être justifié par le maître d’ouvrage ou le propriétaire du bien au moment du sinistre du dépôt de l’attestation RGA (attestation retrait gonflement des argiles).
Remarque. L’ordonnance complète l’article L. 132-8 du Code de la construction et de l’habitation en prévoyant que l’attestation RGA devra être annexée à la promesse de vente ou, à défaut de promesse, à l’acte authentique de vente. En cas de vente publique, cette attestation doit être annexée au cahier des charges. Elle doit rester annexée au titre de propriété du bien et suit les mutations successives de celui-ci.
V – L’affectation de l’indemnité
Par ailleurs, afin de renforcer la prévention face à de futurs sinistres, l’ordonnance prévoit une obligation pour les assurés d’affecter l’indemnité perçue au titre d’un sinistre reconnu Cat Nat à la réalisation effective des travaux de réparation durable de leur habitation.
Mme Lavarde, dans son rapport précité, considère qu’« une telle disposition est inéquitable dans la mesure où, parfois, la décision de démolir une habitation sinistrée pour reconstruire ailleurs est plus pertinente que d’engager de lourds travaux de réparation ».
VI – L’encadrement des modalités de réalisation de l’expertise désignée par les assureurs
Enfin, afin de renforcer l’harmonisation des conditions de réalisation des rapports d’expertise, l’ordonnance encadre les modalités de réalisation de l’expertise désignée par les assureurs.
L’ordonnance prévoit que les fonctionnaires et agents publics habilités ou commissionnés par l’autorité administrative compétente et assermentés peuvent contrôler sur pièces ou en procédant, avec l’accord exprès de leurs propriétaires ou de leurs occupants, à une visite des bâtiments qui ont fait l’objet de l’expertise mentionnée à l’article L. 125-2 du Code des assurances, le respect par l’expert des obligations mentionnées à l’article L. 125-2-1.
À noter. Un décret en Conseil d’État précisera notamment l’autorité administrative compétente, les catégories de fonctionnaires autorisés à réaliser le contrôle ainsi que leur champ d’intervention territorial.
L’ordonnance précise aussi que l’autorité ou les fonctionnaires et agents publics peuvent désigner les professionnels mentionnés à l’article L. 181-1-1 du Code de la construction et de l’habitation pour procéder à la visite de ces bâtiments, dans les conditions fixées par ce même article.
Par ailleurs, précise également l’ordonnance, lorsqu’à l’occasion d’un contrôle est constaté un manquement aux obligations incombant à l’expert, l’autorité administrative doit en en faire part à ce dernier. Celui-ci pourra faire valoir ses observations dans un délai que cette autorité détermine et qui ne peut être inférieur à quinze jours.
En outre, l’autorité administrative devra mettre l’intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai qu’elle détermine.
Si, à l’expiration de ce délai, l’expert ne s’est pas conformé à ses obligations, l’autorité administrative compétente pourra prendre à son encontre une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes :
1°- Prononcer l’invalidité du rapport d’expertise et enjoindre à l’entreprise d’assurance de désigner un nouvel expert ;
2°- Interdire à l’expert en cause, pendant une durée ne pouvant excéder douze mois, d’exercer toute mission en lien avec l’expertise ayant fait l’objet du contrôle mentionné à l’article L. 125-2-3 du Code des assurances, auprès d’une entreprise d’assurance, d’un assuré ou à la demande d’un tribunal judiciaire ;
3°- Ordonner le paiement d’une amende administrative au plus égale à 10 000 € pour une personne physique et à 50 000 € pour une personne morale, recouvrée comme en matière de créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine, et une astreinte journalière au plus égale à 300 € pour une personne physique et à 1 500 € pour une personne morale, applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu’à satisfaction de la mise en demeure ou de la mesure ordonnée.
Ces amendes et astreintes doivent tenir compte de la gravité du manquement constaté et y être proportionnés mas également tenir compte de sa nature intentionnelle ou involontaire, des préjudices subis en conséquence par les assurés et les entreprises d’assurance ainsi que des mesures prises par l’expert pour remédier aux dysfonctionnements constatés et réparer les préjudices causés.
À noter. Ces sanctions sont exercées sans préjudice des sanctions civiles ou pénales résultant des actions judiciaires engagées par l’assuré.
Pour conclure, on rappellera que ces évolutions complètent la réforme relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles, en vigueur depuis le 1er janvier 2023, qui améliore la transparence de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, favorise une indemnisation meilleure et plus rapide des sinistrés et renforce les efforts de prévention face à ces phénomènes.
Référence : AJU009a2