Catherine Arenou : « Le fond du problème des quartiers est la politique du logement ! »
Les émeutes de juin et juillet 2023 ont causé la dégradation de plus de 2 000 bâtiments publics dans toute la France. Véhicules incendiés, attaques contre les policiers ou des institutions publiques, de nombreux quartiers classés en politique de la ville sont encore marqués par les conséquences des émeutes. C’est le cas dans les Yvelines notamment à Chanteloup-les-Vignes. Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, est aussi la première vice-présidente de « Ville et Banlieue ». Cette association, qui regroupe 70 communes et intercommunalités avec des quartiers classés en politique de la ville, travaille avec l’État et les partenaires de la politique de la ville pour faire des propositions dans le but d’améliorer la vie des habitants. Catherine Arenou donne son sentiment avec celui de ses homologues maires et détaille l’évolution de la situation à Chanteloup-les-Vignes.
Actu-Juridique : Quel bilan global faites-vous des émeutes de juillet 2023 ?
Catherine Arenou : Mon propos découle d’échanges avec mes collègues maires et aussi à partir de ma réflexion personnelle. Au moment du déclenchement des émeutes, nous étions déjà inquiets depuis plusieurs mois par rapport à la gravité des situations sociales individuelles et collectives dans nos quartiers face à l’inflation. Le déclenchement de ces émeutes ne nous a pas surpris. En revanche, nous avons été surpris par l’intensité des violences et l’étendue du phénomène dans de nombreuses villes et sur les réseaux sociaux. Certains territoires qui n’ont pas de quartiers classés en politique de la ville ont été touchés. Finalement, toute la France a été touchée. C’est un fait nouveau par rapport à des émeutes précédentes. En Île-de-France, les communes ont vécu des situations semblables. Durant les premiers jours, nous avons constaté avec surprise l’extrême jeunesse des émeutiers, entre 13 et 15 ans. Ils ont été rejoints ensuite par des émeutiers plus âgés et plus habitués à ce genre de délinquance. Il y a eu des casses des équipements publics et des pillages. Mais tous les territoires n’ont pas été impactés de la même manière.
AJ : Vous dites qu’il y avait déjà une inquiétude par rapport à la situation sociale dans les quartiers en politique de la ville. En quoi a-t-elle participé à l’intensité des violences durant les émeutes ?
Catherine Arenou : Il y avait une conjonction de phénomènes qui étaient alarmants avant le déclenchement des émeutes : l’appauvrissement des habitants face à l’inflation, les difficultés des associations caritatives à soutenir les personnes dans le besoin et même les collectivités sont aussi financièrement en difficulté. Ce sont des facteurs de désespérance. Dans ma commune de Chanteloup-les-Vignes, je fais des cellules de veille tous les mois et j’avais décelé cette ambiance. Il fallait juste une étincelle pour déclencher des faits de violence. On ne savait pas d’où elle viendrait mais les maires des communes en politique de la ville en avaient tous très peur. Même si on savait qu’il y avait un risque d’explosion sociale, on n’était pas forcément en capacité de l’empêcher. Mais les familles de Chateloup-les-Vignes ont condamné unanimement les incidents générés par les émeutes et il y avait même une volonté de s’engager pour remédier à ces émeutes.
AJ : Votre commune de Chanteloup-les-Vignes a subi ces événements. Comment avez-vous été impacté ?
Catherine Arenou : Concernant Chanteloup-les-Vignes, nous avons été victimes d’attaques sur les équipements publics. Notre poste de police municipale a été attaqué deux jours de suite. Il a été complètement dévasté ! Depuis six mois, nous avons un autre lieu pour accueillir les policiers municipaux. Le gymnase Laura Flessel a aussi été touché. Des grandes surfaces vitrées doivent être réparées. Le bureau de poste a été victime d’une voiture bélier. Enfin, le bâtiment de l’action départementale avec les services du conseil départemental, de l’aide sociale à l’enfance, l’école de la deuxième chance et un dispositif de mission locale a été complètement incendié. Il est aujourd’hui inutilisable. Au total, le coût pour les installations municipales dégradées à savoir le poste de la police municipale et le gymnase est estimé à 440 000 euros.
AJ : Quelle est la situation actuelle concernant les dégâts sur les équipements publics à Chanteloup-les-Vignes ?
Catherine Arenou : À Chanteloup-les-Vignes et dans de nombreuses communes, nous n’avons pas pu commencer la moindre réparation à cause de conflits avec les assurances sur des contestations de chiffres. Les assurances ont eu tellement de dossiers à traiter que le traitement a pris beaucoup de temps. Par exemple, j’ai eu les conclusions de l’expertise définitive concernant les équipements publics communaux uniquement en décembre 2023 ! La mobilisation de l’État se déclenche dès lors que la commune obtient le chiffrage de l’assurance. Pendant six mois, nous avons été dans les expertises, les contre-expertises ou les vérifications. En ce début d’année 2024, nous allons pouvoir lancer des travaux sur des équipements publics qui ont encore des allures de désolation. Même si nous avons tous eu la capacité d’assurer la continuité du service public. Nous avons été solidaires entre institutions pour se prêter des locaux. Beaucoup de maires d’Île-de-France partagent ce constat même si les situations sont différentes. Dans les Yvelines, ma commune n’a pas été la plus touchée. Dans certaines villes classées en politique de la ville, des mairies annexes ont été incendiées. À La Verrière, sur trois équipements scolaires, deux ont été brûlés le premier jour.
AJ : Comment vont vos habitants de Chanteloup-les-Vignes aujourd’hui ?
Catherine Arenou : Depuis les émeutes, c’est le calme plat dans la commune. Nous sommes habitués à avoir des échauffourées entre jeunes et police pour des faits de délinquance. Nous n’avons pas vécu ce genre de situation depuis les émeutes. Je fais des réunions spécifiques une fois par mois avec les acteurs du territoire et tout le monde constate ce retour au calme depuis le mois de juin 2023. C’est un regard mais qui n’a pas de grande signification. Pour ma part, j’étais persuadée qu’il y aurait un avant et un après-émeutes et que le gouvernement aurait eu une prise en compte majeure des quartiers classés en politique de la ville. Il n’en est rien ! On a l’impression que tout le monde a repris son petit chemin. Nous sommes en pleine période de contractualisation avec l’État pour faire remonter les besoins du territoire. Le mot « émeutes » est un peu aboli dans ces discussions. Même les habitants n’en parlent plus.
AJ : À côté de cet épisode, la situation sociale des habitants ne s’est pas arrangée…
Catherine Arenou : Effectivement, la situation financière des familles ne s’est pas améliorée. Elles sont encore touchées par l’augmentation des prix de l’énergie. Sur le plan de l’emploi, l’amélioration constatée au niveau national l’est d’abord à l’avantage des personnes bien insérées. La baisse du chômage et la progression de l’emploi ne bénéficient pas forcément à tous les habitants de Chanteloup-les-Vignes. Les offres concernent des emplois avec qualification. Il y a un travail de long terme à faire même si certaines entreprises jouent le jeu de l’insertion des publics éloignés de l’emploi. C’est un frémissement. Sur le plan éducatif, mes équipes sont mobilisées pour prendre en main l’éducation des enfants notamment à travers la Cité éducative. C’est un point qui est rassurant avec un travail sur le long terme et des résultats dans plus de dix ans. Tous les acteurs sont impliqués dans ce projet et notamment les parents par-delà leur situation sociale.
AJ : En élargissant la problématique des quartiers classés en politique de la ville, comment avez-vous vu évoluer ce sujet depuis que vous avez été élue maire en 2009 ?
Catherine Arenou : Depuis 30 ou 40 ans, la France a organisé une concentration de pauvreté. On les appelle quartiers prioritaires ou politique de la ville. En réalité, l’essentiel des populations les plus pauvres est orienté vers les quartiers les plus en difficulté notamment par la mauvaise répartition du logement social en France. La majorité des réservations est gérée en préfecture dont la mission est de loger les plus démunis. Les préfectures doivent trouver des solutions de logement. La plupart du temps ce sont dans les quartiers classés en politique de la ville. On met en place des actions à travers des politiques ciblées sur les habitants de ces quartiers efficaces à titre individuel. Certaines familles vont avoir des solutions de réussite grâce à l’éducation ou l’insertion par l’emploi. Ces réussites, grâce aux dispositifs de la politique de la ville, redonnent de la liberté aux personnes contrairement à la situation initiale où vous n’avez pas le choix de votre logement social. Elles peuvent vivre de leur travail, éduquer leurs enfants et quitter le territoire. Nous avons des mouvements perpétuels avec un taux de rotation très important. Les familles qui vont mieux s’en vont et sont remplacées par des personnes précaires où il faut reprendre un accompagnement à zéro.
AJ : Quels enseignements tirez-vous de ce constat ?
Catherine Arenou : Le fond du problème des quartiers est la politique du logement ! Ces quartiers ont été construits avec 100 % de logements sociaux et une densification majeure des personnes en situation de précarité. Notre travail est d’en déconstruire une partie pour y remettre d’autres populations et instaurer une mixité.
Référence : AJU012o4