Retour sur les obstacles à l’essor des contrats d’obligations réelles environnementales

Publié le 21/05/2021

Dans le cadre de la loi de finances pour 2021 (L. n° 2020-1721, 29 déc. 2020), le législateur a élargi aux établissements publics à coopération intercommunale la possibilité de voter l’exonération de taxe foncière pour les terrains faisant l’objet d’obligations réelles environnementales. La consécration de ce nouveau dispositif d’incitation fiscale offre l’occasion de s’interroger sur l’efficacité de ce mécanisme d’obligations réelles environnementales quatre ans après son entrée en vigueur.

Instituées par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les obligations réelles environnementales (ORE) participent à la protection des espaces naturels et la préservation de la biodiversité. Les ORE, conclues sous forme de contrat, créent, sur un terrain ciblé, des obligations de faire en vue de créer un habitat ou un milieu ou de le faire évoluer vers un état écologique plus favorable. Les ORE peuvent également porter sur des obligations de ne pas faire, comme le fait de s’astreindre à une inconstructibilité d’un terrain afin de conserver un milieu écologique sain.

S’inspirant d’outils existant dans certains pays, à l’instar de la Suisse où l’on trouve la « servitude écologique » ou encore du Canada qui a consacré les « servitudes de conservation »1, le législateur a conçu les ORE sur une approche volontariste des propriétaires fonciers, ces derniers ne pouvant en aucun cas être contraints à y recourir.

Par ailleurs, le contrat d’ORE est venu compléter un dispositif de mesures de maîtrise foncière existant déjà bien étoffé, bien que ce contrat, à l’inverse d’autres outils de maîtrise foncière, vise exclusivement la valorisation du patrimoine environnemental.

C’est sur ces deux aspects que réside l’originalité du contrat d’ORE.

Outil unique, il s’inscrit pleinement dans une démarche citoyenne au sens de l’article 2 de la charte de l’environnement qui dispose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Il contribue d’ailleurs à répondre à une préoccupation du Conseil économique, social et environnemental qui recommandait, dès 2013, de faire émerger au profit des citoyens de nouveaux moyens d’agir en faveur de la biodiversité afin de les mobiliser davantage sur cette thématique2.

Or si les ORE apparaissent comme un véritable accessoire de valorisation du patrimoine environnemental aux mains des citoyens souhaitant s’impliquer davantage sur cette thématique, ce contrat demeure cependant peu connu du grand public et les contraintes à son essor sont multiples, au risque de limiter l’intérêt des propriétaires.

I – Un outil contractuel très contraignant pour les propriétaires

Le contrat d’ORE est prévu à l’article L. 132-3 du Code de l’environnement : « Les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ».

L’outil ORE prend ainsi la forme d’un contrat dans lequel le législateur a entendu laisser une grande liberté aux parties. En effet, la loi n’exige qu’un minimum de contenu, à savoir la définition de la durée des obligations, les engagements réciproques et les possibilités de révision et de résiliation. Les parties restent totalement libres pour décider des mesures les plus adaptées aux enjeux environnementaux identifiés sur la parcelle et du calendrier des actions à réaliser. Cette forte liberté contractuelle peut ainsi permettre de répondre le plus précisément possible aux besoins et contraintes écologiques de chaque espace.

Sous cette apparence de grande liberté se dissimulent des contraintes fortes pour le fonds accueillant les ORE. Qualifié « d’OVNI juridique » par la doctrine3, le cadre juridique du contrat d’ORE emprunte à celui des servitudes civilistes.

En effet, les ORE sont rattachées à un fonds. Cela implique qu’en cas de vente du terrain impacté par des ORE, la charge des obligations contractuelles est reportée sur le nouveau propriétaire. Il convient d’ailleurs de souligner que les contrats d’ORE doivent faire l’objet d’un enregistrement au registre foncier afin de permettre leur opposabilité aux tiers.

Ainsi, les ORE jouissent d’une importante durabilité dans le temps. Cette pérennité se justifie parfaitement par la nécessité d’établir les actions écologiques sur le long terme. Il sera d’ailleurs précisé que le recours aux ORE a été autorisé pour réaliser des mesures compensatoires liées à un projet impactant l’environnement. Or, pour permettre un réel effet positif sur les milieux, la compensation relève souvent d’une action de long terme qui doit perdurer tant que l’impact négatif du projet sur l’écologie existe4. Les durées des contrats d’ORE s’expriment donc en décennies et peuvent aller jusqu’à 99 ans5.

Ces durées relativement longues, assorties à des obligations qui peuvent véritablement entraver toute action sur le bien, sont susceptibles d’entraîner une forte diminution de la valeur vénale du bien.

Ce caractère hybride du contrat d’ORE qui engendre des contraintes non négligeables pour le propriétaire du fonds qui fait l’objet du contrat, participe certainement à amoindrir son intérêt auprès des propriétaires terriens.

Environnement
Pasko Maksim/AdobeStock

II – Un énième outil pour réaliser des mesures compensatoires pouvant s’avérer complexes

Outre ces contraintes inhérentes au contrat d’ORE, il convient de noter que cet instrument juridique peut être mobilisé pour réaliser des mesures compensatoires aux atteintes à la biodiversité d’un projet6. Or les porteurs de projets disposent déjà de nombreux outils pour effectuer ces mesures.

En effet, l’article L. 163-2 du Code de l’environnement, qui autorise le porteur de projet à conclure un contrat avec le propriétaire ou l’exploitant de la parcelle visée pour réaliser des mesures compensatoires, ne donne aucune précision sur la nature du contrat. Le maître d’ouvrage est donc libre dans le choix de l’outil contractuel. Ainsi, les porteurs de projets susceptibles d’impacter l’environnement disposent d’un vaste panel d’outil de maîtrise foncière.

Au-delà de leur possibilité d’acquérir la pleine propriété des terrains destinés à accueillir les mesures compensatoires, les porteurs de projet peuvent, en accord avec le propriétaire du terrain, faire le choix de recourir à des types de contrats qui peuvent s’avérer tout aussi bien adaptés à la réalisation de la mesure compensatoire que le contrat d’ORE. Ainsi, sur un terrain relevant du domaine public, le porteur de projet peut solliciter la délivrance d’une convention d’occupation temporaire dont l’objet portera uniquement sur la réalisation de la mesure compensatoire. Sur tout autre type de terrains, l’entreprise et le propriétaire peuvent convenir de conclure les contrats suivants qui sont adaptables aux mesures compensatoires : le bail rural classique ou encore le bail rural à clauses environnementales dont la spécificité consiste en l’ajout de prescriptions environnementales7.

Par conséquent, le contrat d’ORE se retrouve noyé au milieu de nombreux dispositifs, ce qui contribue à accentuer l’absence de visibilité de l’outil. Cela est d’autant plus vrai que les instruments évoqués sont souvent bien connus des porteurs de projets et des propriétaires qui se tourneront plus volontiers vers ces outils déjà capables de répondre à leurs besoins en matière de compensation.

De plus, l’articulation des textes n’apparaît pas évidente quant aux conséquences des exigences que pourrait avoir l’Administration dans la mise en œuvre des mesures compensatoires sur un terrain faisant l’objet d’un contrat d’ORE.

Il convient en effet de constater que la compensation environnementale fait peser sur le maître d’ouvrage une obligation de résultat et non de moyens8. Cette affirmation a notamment pour conséquence de permettre à l’Administration de fixer des prescriptions complémentaires lorsqu’elle s’aperçoit que, malgré leur mise en œuvre, les mesures compensatoires sont inopérantes9.

Que peut-il advenir si des prescriptions édictées par l’Administration entrent en contradiction avec les obligations contractuelles fixées dans un contrat d’ORE ? Les textes ne prévoient actuellement pas cette éventualité. Dans l’hypothèse où des prescriptions remettraient en cause des conditions essentielles du contrat et qu’un avenant serait par conséquent impossible, il semble, en toute logique, que le contrat d’ORE devrait être résilié. Cela ferait alors peser sur le porteur de projet la responsabilité de trouver urgemment un nouveau foncier disponible pour réaliser les mesures de compensation, dans les conditions requises par l’Administration10, puisqu’il sera rappelé que l’Administration dispose d’un pouvoir de sanction en cas d’inexécution des mesures de compensation. La sanction pouvant aller jusqu’au prononcé d’une amende de 15 000 € et la suspension de l’exploitation des installations à l’origine de l’impact négatif sur l’environnement11.

III – Le développement des contrats d’ORE repose actuellement sur le pari de l’incitation fiscale

L’ensemble des raisons évoquées fait que le contrat ORE est encore peu utilisé en pratique. Comme l’indiquait le ministère de la Transition écologique et solidaire, « les premiers retours d’expérience montrent qu’un nombre restreint de contrats ont été signés et que l’utilisation de cet outil se fait principalement dans le cadre de la compensation12 ». En outre, l’outil reste encore peu connu du public et des acteurs locaux13. Il aura ainsi fallu attendre 2019 avant qu’un contrat d’ORE soit conclu sur le terrain d’un propriétaire privé et non d’une personne publique14.

Outre l’exonération de droits d’enregistrement et de perception de la taxe de publicité foncière15, le législateur a pourtant mis en place un mécanisme d’incitations fiscales afin de favoriser l’essor des contrats d’ORE. Le déploiement de cette incitation est à l’initiative des communes. En effet, depuis le 1er janvier 2017, les conseils municipaux peuvent délibérer en faveur d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties, pour la part leur revenant, au profit des biens accueillant des ORE16.

Ce mécanisme a été récemment renforcé puisque la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 étend cette possibilité aux établissements publics à coopération intercommunale pour la part qui leur revient. L’exonération pourra donc être votée pour l’année 2022.

Cette exonération est permanente et s’applique donc pendant toute la durée du contrat prévoyant des ORE.

S’il s’agit d’une avancée, nous sommes encore loin des réflexions qui avaient émergé lors des travaux parlementaires autour de la loi de 2016. Il avait ainsi été évoqué la possibilité de diminuer les droits de succession pour les parcelles concernées par les ORE, ou encore la possibilité de faire bénéficier aux propriétaires de crédits d’impôts sur le revenu17.

En outre, en l’absence de rapport officiel, on peut se demander si cette possibilité d’exonération de la taxe foncière ne sera pas surtout utilisée par les collectivités à partir du moment où elles souhaitent elles-mêmes bénéficier d’un contrat d’ORE sur un terrain afin d’y réaliser les mesures compensatoires liées à l’un de leurs projets.

Enfin, la multiplication des incitations fiscales, si elle peut faciliter la montée numérique des contrats d’ORE, contribuera à renforcer d’autant plus le nombre de niches fiscales existantes en France, au risque de bénéficier aux propriétaires terriens.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport n° 2064, fait au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi relatif à la biodiversité, par Madame Geneviève Gaillard.
  • 2.
    CESE, avis, 11 sept. 2013, Agir pour la biodiversité, par MM. Marc Blanc et Allain Bougrain-Dubourg.
  • 3.
    H. Bosse-Platière, « La ruée vers l’ORE ? », RD rur. 2019, Environnement 470.
  • 4.
    C. envir., art. L. 163-1.
  • 5.
    Au titre de l’article 1210 du Code civil, « les engagements perpétuels sont prohibés ».
  • 6.
    L’article L. 163-1 du Code de l’environnement définit les mesures compensatoires et précise les procédures y étant soumises : « I. – Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont les mesures prévues au 2°, du II, de l’article L. 110-1 et rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d’un projet de travaux ou d’ouvrage ou par la réalisation d’activités ou l’exécution d’un plan, d’un schéma, d’un programme ou d’un autre document de planification. »
  • 7.
    Les clauses pouvant être insérées dans ce bail sont listées à l’article R. 411-9-11-1 du Code rural.
  • 8.
    Rapport de la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures d’anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi : https://lext.so/_L2GAO.
  • 9.
    C. envir., art. L. 163-4.
  • 10.
    Sur ce point, il est précisé que le ministère de la Transition écologique et solidaire a rappelé que le contrat d’ORE « ne libère pas le maître d’ouvrage de sa responsabilité à l’égard de l’autorité administrative ». Voir en ce sens : Guide méthodologique relatif aux ORE : https://zL6BF-.
  • 11.
    C. envir., art. L. 171-8.
  • 12.
    Rép. min. Transition écologique et solidaire, à QE n° 12318, 26 sept. 2019, M. Guillaume Chevrollier : JO Sénat, 27 févr. 2020.
  • 13.
    QE n° 35891, 2 févr. 2021, min. Agriculture, M. Philippe Chassaing.
  • 14.
    L. Radisson, « Biodiversité : un premier agriculteur signe une obligation réelle environnementale », Actu-Environnement.com, https://lext.so/zW7IRt.
  • 15.
    C. envir., art. L. 132-3.
  • 16.
    CGI, art. 1394 D.
  • 17.
    Rapport n° 1847, fait au nom de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi relatif à la biodiversité, par Madame Geneviève Gaillard.
LPA 21 Mai. 2021, n° 200f8, p.17

Référence : LPA 21 Mai. 2021, n° 200f8, p.17

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