Les territoires vent debout face aux baisses de dotations
Les établissements publics territoriaux du Grand Paris ont lancé un grand mouvement de contestation face à la perte annoncée de 55 millions d’euros de dotations.
C’est peu dire que les dispositions de loi NOTre (« portant nouvelle organisation territoriale de la République » promulguée le 7 août 2015) ne font pas l’unanimité au sein des élus des territoires de la petite couronne. En cause notamment, une de ses dispositions qui prévoit l’interruption du versement des dotations par la Métropole du Grand Paris (MGP) aux onze établissements publics territoriaux (EPT) dès le 1er janvier 2019. Le tout créerait un total de 55 millions d’euros par an de manque dans les budgets des EPT.
La loi NOTre qui a encadré l’établissement de la MGP prévoit en effet que ces dotations (qui correspondent peu ou prou à ce que touchaient les intercommunalités avant le 1er janvier 2016) ne soient redistribuées que jusqu’à fin 2018. Une situation inadmissible pour les élus de territoires qui pointent du doigt le fait que le transfert de compétence qui aurait dû accompagner cette diminution de financement n’a pas eu lieu. Depuis juin, ceux-ci ont organisé une mobilisation crescendo qui se matérialise aujourd’hui sous la forme d’une association « l’Alliance des territoires ». Créée mi-octobre par les présidents des onze EPT, l’association a obtenu le soutien de plus de 122 maires de la petite couronne autour de l’enjeu du maintien des ressources aux communes et aux intercommunalités et a exigé que le gouvernement signe un amendement modificatif de la loi.
Les élus n’hésitent d’ailleurs pas à rappeler la promesse du président de la République de « simplifier drastiquement les structures » qu’il avait tenu en juillet 2017 lors de la conférence nationale des territoires. Car si la concertation approfondie (dont les conclusions ont été rendues par le préfet de région, Michel Cadot, au mois de janvier) a bien eu lieu, les arbitrages d’Emmanuel Macron se font toujours attendre et les acteurs du Grand Paris commencent à s’impatienter… Pour aller plus loin, Jean-Didier Berger, président du territoire Vallée Sud Grand Paris, répond à nos questions.
Les Petites Affiches
Quelle est la situation des collectivités en Île-de-France ?
Jean-Didier Berger
Nous sommes aujourd’hui dans une situation ubuesque où coexistent cinq niveaux de collectivités. Et si nous sommes de plus en plus nombreux à devoir assumer les compétences, il faut le faire avec toujours moins de moyens. Tout cela crée des conditions plus qu’inconfortables pour assurer le service public et cela a des conséquences très concrètes sur la vie de nos concitoyens. Je rappelle que les établissements publics territoriaux sont l’échelon d’intercommunalité de proximité avec les habitants et que ses compétences sont celles de la vie quotidienne : les transports, le ramassage des ordures ménagères, les piscines, les conservatoires, les médiathèques, l’aménagement, le plan local d’urbanisme… Nous devons assumer les conséquences des absurdités et des incohérences profondes de la loi NOTre. Le gouvernement avait annoncé sa simplification, c’est-à-dire passer de 5 à 4 strates voire à 3 ou 2, mais rien n’a était fait !
Le point qui est évidemment le plus problématique est le transfert d’un certain nombre de ressources depuis les territoires vers la Métropole du Grand Paris en 2019 et 2020. Or comme les compétences n’ont pas été transférées, ce transfert de ressources est totalement contraire au principe de neutralité financière. Nous l’avons démontré, la Métropole n’a pas besoin de cet argent pour fonctionner. On est en train d’en convaincre le président de la République tout en faisant mesurer qu’en nous retirant cet argent, c’est d’abord les collectivités les plus pauvres qui vont en pâtir, notamment celle de l’Est parisien.
LPA
Justement, quelles seront les conséquences concrètes de ces baisses de dotations si elles sont appliquées ?
J.-D. B.
C’est très simple, pour un certain nombre de nos intercommunalités la baisse de dotation est supérieure à 100 % de leur autofinancement, ce qui les placerait dans une situation de faillite pure et simple. Et comme une collectivité n’a pas le droit d’être en déséquilibre, elle devra agir sur deux leviers : commencer par fermer des équipements d’abord (piscines, conservatoires, bibliothèques), puis deuxième option – qui risque de se cumuler à la première – : demander aux communes de renflouer les caisses. Nous n’avons plus d’autonomie fiscale, c’est donc le seul moyen légal pour corriger le tir. Mais par un effet boule de neige, les communes ayant elles-mêmes un autofinancement extrêmement réduit avec les baisses de dotations qu’elles assument depuis 5 ans, celles-ci seront obligées d’augmenter massivement les impôts l’année suivante. Ce scénario est évidemment inacceptable pour nous et c’est la raison pour laquelle nous avons fédéré les communes et les territoires à travers l’Alliance des territoires. Via cette plate-forme, nous souhaitons défendre les finances communales et empêcher que cela soit une fois de plus le contribuable qui paie l’ardoise à la fin. Notre raison d’exister est de faire des économies d’échelle, non pas d’alourdir le budget des communes.
LPA
Vous vous êtes entretenus avec le président de la Métropole sur ces sujets, quelle a été sa réponse ?
J.-D. B.
Nous avons en effet eu une réunion chez le préfet de région ; Patrick Ollier argumente qu’il a besoin de cet argent, nous avons démontré chiffres à l’appui que ce n’était pas exact. Ce n’est pas possible utiliser d’un côté l’argent pour tout un tas de dépenses nouvelles plus ou moins injustifiées et de l’autre dire qu’on n’a plus d’argent et demander à ce que l’on renfloue les caisses en prenant aux communes. Le deuxième argument du président de la Métropole consiste à dire que ce n’est pas lui qui prend l’argent, c’est la loi qui l’y oblige. Nous demandons simplement à l’État d’appliquer le principe de neutralité financière, il n’y a pas de transfert de compétences donc on ne peut transférer nos ressources. Le gouvernement a d’ailleurs bien conscience que la loi est mauvaise et qu’il faut la modifier.
Il faut ajouter à cela que l’État donne chaque année des compétences supplémentaires aux territoires. L’année précédente c’était le droit de préemption urbain avec les portages fonciers qui sont très coûteux pour les collectivités, cette année on nous a confié la compétence aménagement, on parle là de centaines d’opérations d’aménagement avec un chiffrage qui s’élève en milliard d’euros. Pour 2019, il faudra rajouter les conférences intercommunales de logement et pour 2020, la fusion des offices de logement… On ne peut pas demander à nos intercommunalités de gérer toujours plus de compétences et de l’autre nous retirer les ressources nécessaires pour s’en occuper. Aujourd’hui, nous ne demandons pas plus de ressources, on demande juste à ce que l’on ne vienne pas nous faire les poches.
LPA
Quels moyens d’action supplémentaires envisagez-vous ?
J.-D. B.
De nombreux rendez-vous ont été pris avec les parlementaires pour expliquer la situation financière de nos collectivités. Ils sont d’ailleurs plutôt sensibles aux préoccupations que nous avons pu exprimer. Nous avons également demandé un entretien avec Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, qui s’est montré favorable à ce qu’une rencontre soit rapidement organisée. Une centaine de maires ont déjà signé notre mobilisation pour le maintien des dotations et nous nous efforçons par ailleurs de sensibiliser la population. Si jamais nous n’étions pas entendus, nous sommes prêts à mettre en place des actions plus musclées en commençant par montrer concrètement les équipements qui sont susceptibles de fermer. On pense également à faire des encarts publicitaires dans un certain nombre d’emplacements, notamment les transports en commun qui sont financés par nos soins. Il faut bien comprendre que ce n’est pas une lubie, mais une nécessité vitale !