A Châtellerault, le ton monte entre les avocats et les policiers sur le contrôle des sacs

Publié le 13/01/2022

Au commissariat de Châtellerault, depuis plusieurs mois, certains fonctionnaires de police veulent absolument contrôler les sacs des avocats. Après avoir tenté en vain de résoudre le problème à l’amiable avec le parquet, le conseil de l’ordre vient de décider de suspendre les désignations pour assister des personnes en garde à vue. 

Voitures de police garées dans la rue.
Albachiaraa/ AdobeStock

Le contrôle des sacs des avocats dans les commissariats, c‘est un peu comme les baleines de soutien-gorge des avocates qui sonnent sous les détecteurs de métaux à l’entrée des établissements pénitentiaires, un sujet de conflit qui renait régulièrement ici ou là.

Les avocats jugent ces mesures de défiance à leur égard insupportables, voire dans certains cas illégales.

A Châtellerault, le problème concerne le contrôle des sacs des avocats à l’entrée des locaux de garde à vue du commissariat.

Les démarches amiables n’ont mené nulle part

Jusqu’à il y a trois mois, dans le département de la Vienne, que ce soit dans les deux commissariats (Poitiers et Châtellerault) ou dans les gendarmeries, tout allait bien. Et puis en octobre dernier, certains fonctionnaires de police du commissariat de Châtellerault ont décidé de contrôler les sacs des avocats venant assister leurs clients en garde à vue.

Le problème est consécutif, semble-t-il à une note de service de la direction départementale de la sécurité publique en date du 23 avril 2021. Celle-ci prévoit que le chef de poste doit vérifier le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité, s’assurer  qu’aucune personne non-autorisés n’entre sur le site, observer chaque personne qui entre dans le SAS et utiliser systématiquement le détecteur de métaux. « Pour permettre une vérification visuelle, les sacs seront présentés ouverts », est-il précisé. Cette note est datée du jour même de l’attentat terroriste du 23 avril 2021 perpétré au commissariat de Rambouillet, qu’elle vise expressément. Ce jour-là, la policière Stéphanie Monfermé a été assassinée d’un coup de couteau dans le SAS d’entrée du commissariat.

Il semble que certains fonctionnaires du commissariat de Châtellerault interprètent cette note comme leur imposant de contrôler aussi les sacs des avocats. Or, selon ces-derniers, cela constitue une violation du secret professionnel. D’où la colère du barreau.

Le sac professionnel d’un avocat constitue le prolongement de son cabinet

« Nous avons fait une série de démarches amiables, auprès du procureur, puis du procureur général, en vain. J’ai alors demandé un rendez-vous au directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) qui m’a reçu début décembre, confie le Bâtonnier Nicolas Gillet. Nous avions prévu que nous irions ensemble, avec le procureur, au commissariat pour résoudre le problème à l’amiable. Nous avons écrit et proposé des dates, le procureur nous a indiqué qu’il ne viendrait pas, quant au DDSP, il ne répond pas ».

Entre temps, deux nouveaux incidents ont eu lieu les 20 et 29 décembre.

Face à l’échec des négociations, le barreau a adopté une motion le 12 janvier dans laquelle il rappelle que le sac professionnel d’un avocat constitue le prolongement de son cabinet et qu’il ne peut donc être examiné que dans le cadre légal d’une perquisition. Le conseil de l’ordre  a décidé l’arrêt des désignations pour toute garde à vue, qu’elle concerne un majeur ou un mineur, au commissariat de Châtellerault.

Sur les réseaux sociaux, l’affaire a tout de suite ému les avocats car elle témoigne d’une méfiance à leur endroit qui oublie ou feint d’oublier leur qualité d’auxiliaire de justice.

Une avocate en jupe se voit demander d’écarter les jambes pour un contrôle au détecteur de métaux

« Il ne s’agit que de quelques fonctionnaires, mais nous ne parvenons pas à obtenir leur identité » précise Nicolas Gillet.

L’affaire a rebondi ce jeudi avec un nouvel incident. Selon le récit du bâtonnier, une avocate s’est présentée à 7h55 au commissariat pour assister un client lors d’un renouvellement de garde à vue. Une policière munie d’un détecteur de métaux portatif lui aurait alors demandé  d’écarter les jambes pour effectuer le contrôle. Ce que l’avocate, habillée en jupe, a refusé.  Alerté par téléphone, le bâtonnier tente de joindre le chef de poste qui n’accepte pas de prendre  l’appel. « Il lui a demandé sa carte professionnelle, qu’elle lui a présentée, mais aussi de pouvoir effectuer un contrôle visuel de son sac, ce qu’elle a refusé.  Prévenu, un officier de police judiciaire a décidé de placer le sac dans son casier qu’il a fermé et il lui a remis la clef. Elle a pu s’entretenir avec son client ». L’avocate observe qu’au moment même où on la soumettait à toutes ces mesures, des ouvriers venus effectuer une réparation passaient sans autre formalité que la présentation de leur carte professionnelle. Puis elle a vu une autre personne entrer dans le commissariat, également sans subir de contrôle. Quand elle l’a fait observer, on lui a répondu « ce n’est pas la même personne chef de poste et chacun fait ce qu’il veut ».

Lors du premier incident en octobre, le bâtonnier de l’époque avait demandé qu’on lui fasse remonter tous les incidents. « Le problème, c’est que tout le monde ne connait pas les règles, les plus jeunes peuvent être impressionnés et penser qu’il vaut mieux céder plutôt que de laisser leur client sans assistance » analyse Nicolas Gillet.  Pour justifier leur position, les policiers évoquent  l’attentat de Rambouillet. « Ils nous disent aussi que lorsqu’ils vont dans des centres de détention, ils laissent leurs armes et leur carte professionnelle à l’entrée. Dont acte. En ce qui nous concerne, nous passons sous le portique et nous présentons notre carte, c’est tout, on ne nous demande pas d’ouvrir nos sacs ».

L’affaire aurait pu être rapidement réglée par un simple rappel aux règles du parquet. Mais celui-ci oppose une fin de non-recevoir aux avocats. « Ils nous expliquent que cela relève du fonctionnement administratif, et que le judiciaire ne peut pas interférer dans l’organisation de l’intérieur. Or, lorsque c’est arrivé dans d’autres juridictions,  c’est bien le procureur, en tant qu’il est  légalement chargé des conditions de garde à vue, qui a résolu le problème », souligne Nicolas Gillet.

Le barreau de Poitiers a décidé de saisir le défenseur des droits.

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