Le menottage du détenu et la présence de personnels de surveillance, tout comme l’absence d’un interprète lors des examens médicaux portent-ils atteinte à la dignité de la personne humaine ?

Publié le 31/01/2023
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Dans l’arrêt en date du 16 novembre 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation valide la régularité du menottage d’un détenu lors d’examens médicaux et en présence de personnels de l’administration pénitentiaire au regard du statut et du comportement antérieur du détenu. Par ailleurs, la mesure non actuelle de menottage ne permet pas de justifier le bien-fondé de la requête portant sur les conditions indignes de détention suivant l’article 803-8 du Code de procédure pénale caractérisant un traitement inhumain et dégradant. Les juges pénaux rappellent à juste titre que le droit à un interprète lors des expertises médicales ne peut être relié à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le traitement dégradant ne pouvait être caractérisé que par l’absence de soins médicaux adaptés à l’état de santé du détenu, ce qui n’a aucunement été relevé par ce dernier.

Cass. crim., 16 nov. 2022, no 22-80807

Le placement en détention provisoire, mesure en théorie exceptionnelle car privative de liberté pour une personne encore présumée innocente, doit être assorti de protection des droits fondamentaux. De ce fait, la préservation de la dignité des détenus et l’obligation de prévenir tout traitement inhumain ou dégradant conformément à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme s’imposent aux personnels de l’administration pénitentiaire. Dans la même veine, le respect des droits de la défense avec le droit à un interprète lors des expertises médicales s’applique au détenu suivant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et non son article 3. L’appréciation de l’étendue du domaine ratione materiae de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et de l’article 803-8 du Code de procédure pénale (CPP) est rappelée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’arrêt en date du 16 novembre 2022, tout comme le caractère proportionnel de recourir au menottage lors d’expertises médicales.

Dans une requête formée par un détenu dénonçant les conditions de détention dont il estime avoir été victime, sont exposées trois raisons justifiant le traitement dégradant et indigne. Premièrement, l’intéressé n’a pas bénéficié d’un réexamen de sa situation dans les délais visés dans la décision rendue le 8 octobre 2021. Deuxièmement, le détenu a été menotté et il est souligné la présence du personnel de surveillance lors des examens médicaux, sans pour autant que le personnel médical l’ait exigée. Enfin, les prescriptions médicales n’ont pas été traduites en espagnol et, lors des consultations médicales, l’absence d’un interprète ou soignant hispanophone est relevée. Par ordonnance du 10 décembre 2021, le juge de l’application des peines de Béthune fait droit partiellement à la requête du détenu. Le ministère public a relevé appel de la décision du juge de l’application des peines. Le 13 janvier 2022, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Douai écarte le bien-fondé de la régularité de la requête portant sur les conditions de détention, sans pour autant procéder à une nouvelle audition du détenu. Par ailleurs, elle considère que le menottage du détenu et la présence de personnels de surveillance lors des examens médicaux ne portent pas atteinte à la dignité de la personne humaine. Enfin, l’absence de fourniture d’un traducteur ou interprète dans une langue que le détenu comprend, lors des prestations médicales, n’entre pas dans les prescriptions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et de l’article 803-9 du CPP. Le détenu a formé un pourvoi en cassation en s’appuyant sur l’article 803-8 du CPP pour justifier l’obligation d’être auditionné par le juge d’appel lorsque le ministère public relève appel de l’ordonnance et que le détenu avait, en première instance, demandé à être entendu. En l’espèce, le défaut d’audition du détenu porte atteinte à l’article préliminaire, à l’article 803-8 du CPP et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Par ailleurs, l’article 803-8 du CPP impose au parquet de transmettre son avis écrit déposé devant le juge d’appel et de le transmettre au détenu et son avocat, pour que ces derniers puissent y répondre avant la décision du juge. Néanmoins, aucune communication de l’avis écrit de l’avocat général déposé le 11 janvier 2022 n’a été effectuée au détenu et à son avocat en violation des articles précités. Un autre argumentaire est avancé par le détenu portant sur le droit d’accès au juge garanti par la procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention. Il ressort de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 du CPP que, à la suite du dépôt de la requête, le détenu peut demander la comparution devant le juge d’application des peines. En cas de décision d’irrecevabilité, le magistrat doit procéder à l’audition du détenu. Si la requête est recevable, l’audition doit être effectuée avant que le juge ne se prononce sur le bien-fondé de celle-ci. Lors de l’audition, le détenu et son avocat peuvent présenter toutes observations utiles et le magistrat est tenu d’y répondre. Les arguments du premier moyen sont écartés par la chambre criminelle de la Cour de cassation car l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne trouve pas à s’appliquer en matière d’exécution des peines. Dans la même veine, l’article 803-8 du CPP n’enjoint pas la communication de l’avis écrit du ministère public au détenu et à son avocat, qui, par ailleurs, se sont abstenus de demander les communications lors de l’information d’un tel recours.

Seul le second moyen est retenu par la chambre criminelle de la Cour de cassation. À ce titre, le détenu estime que la présidente de la chambre de l’application des peines n’a pas justifié, au regard des risques sérieux de fuite, de blessure ou dommage, le port de menottes et la présence de personnels pénitentiaires lors des examens médicaux conformément à l’article 803-8 du CPP et à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les mêmes articles imposent d’allouer un traducteur lors des prestations médicales dans une langue compréhensible pour le détenu. Ces éléments manifestent une atteinte à la dignité de la personne humaine.

Face à la problématique de l’identification d’un traitement contraire à la dignité de la personne humaine d’une personne placée en détention provisoire, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle écarte toute atteinte à la dignité de la personne humaine en relevant que le menottage du détenu lors d’examens médicaux et déplacements au sein de l’établissement était justifié par le statut et le comportement antérieur du détenu. Par ailleurs, les juges relèvent l’absence de caractère d’actualité de la situation de menottage du détenu. La solution rappelle judicieusement que la nécessité de fournir un traducteur ou interprète au détenu des prestations médicales par l’administration pénitentiaire ne relève pas de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et encore moins de l’article 803-8 du CPP. Enfin, il est souligné que le détenu ne reproche aucunement l’absence d’accès à un traitement médical lié à son état de santé qui aurait pu constituer une atteinte à la dignité de la personne humaine.

La présente solution met en lumière, sous certaines conditions, une compatibilité du menottage du détenu avec le respect de la dignité de la personne humaine (I), tout en confirmant l’incompatibilité du droit à un interprète avec le respect de la dignité de la personne humaine (II).

I – Une compatibilité du menottage du détenu avec le respect de la dignité de la personne humaine

La chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce sur la régularité de la procédure de détention provisoire au regard de la présence d’une individualisation du menottage du détenu (A). En outre, le grief soulevé par le détenu est écarté suivant l’absence d’actualisation du menottage du détenu (B).

A – La présence d’une individualisation du menottage du détenu

La solution confirme la possibilité pour la présidente de la chambre d’application des peines d’ordonner le menottage du détenu lors d’examens médicaux et de déplacements au sein de l’établissement pénitentiaire en présence de membres du personnel. La haute cour conditionne la régularité du menottage à une individualisation de la mesure au regard du statut et du comportement antérieur du détenu contre toute atteinte à la dignité de la personne humaine suivant l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, ledit article dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». A contrario des tortures, les mauvais traitements sont inhumains ou dégradants à partir du moment où ils atteignent un minimum de gravité1. Les juges européens considèrent que les traitements dégradants se caractérisent par un sentiment de peur, d’angoisse et d’infériorité propre à avilir et humilier la personne, même en l’absence d’intention2. À la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), au visa de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour défaut de recours préventif efficace permettant de faire cesser les atteintes à la dignité humaine3, la haute cour s’est prononcée sur la nécessité de préserver la dignité des détenus au cours de la détention provisoire et d’empêcher tout traitement inhumain ou dégradant4. Assurément, les expertises médicales doivent particulièrement préserver la dignité et l’intimité du détenu. À cet effet, le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), dans le cadre du rapport au gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée dans le département de la Réunion, préconise que « (…) tous les examens/consultations/soins médicaux de détenus doivent toujours s’effectuer hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier – hors de la vue du personnel d’escorte (qu’il soit pénitentiaire ou de police). En outre, examiner des détenus soumis à des moyens de contrainte est une pratique hautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique et elle n’est pas de nature à créer une relation de confiance appropriée entre le médecin et le patient »5. Dans la même veine, l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans sa version initiale abrogée par l’ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022, prévoyait que les établissements de santé étaient tenus de prendre en charge la santé des détenus dans les conditions prévues par le Code de la santé de la publique. En ce sens, la qualité et la continuité des soins doivent être identiques pour les détenus avec l’ensemble de la population. Il faut se référer à la circulaire du 18 novembre 2004, relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale, qui expose trois niveaux de surveillance. Le premier niveau de surveillance consiste à effectuer la consultation médicale sans la présence du personnel pénitentiaire avec l’usage ou non d’un moyen de contrainte. Le deuxième niveau se traduit par une surveillance constante du personnel pénitentiaire en l’absence d’un moyen de contrainte. Enfin, le troisième niveau cumule à la fois la surveillance constante et un moyen de contrainte. Dans l’arrêt d’espèce, il apparaît que c’est le troisième niveau de surveillance qui a été mis en place. Toutefois, peu importe le niveau de surveillance, il incombe au chef d’escorte de s’assurer que les mesures de sécurité usitées ne portent pas atteinte au secret médical et, de facto, à la dignité de la personne humaine. Le chef d’escorte doit veiller à la proportionnalité et l’individualisation des mesures de contrainte applicables au détenu6. À cet égard, la CEDH a, dans une espèce identique au présent arrêt, retenu le caractère inhumain et dégradant du traitement du détenu ayant subi un niveau trois de surveillance, sans que soient caractérisées la nécessité et la proportionnalité de la mesure de contrainte applicable au détenu ayant subi des examens médicaux menotté et sous contrainte, sous la surveillance d’un agent des services pénitentiaires7. La solution du 16 novembre 2022 prend strictement en compte les critères d’individualisation requis par la CEDH dans l’arrêt Duval c/ France. À ce titre, la nécessité des mesures au regard du statut et des antécédents du détenu est relevée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

B – L’absence d’une actualisation du menottage du détenu

Un élément portant sur le caractère non actuel du menottage du détenu lors des déplacements dans l’établissement pénitentiaire est invoqué dans la solution pour écarter la recevabilité du grief. En effet, la jurisprudence conditionne le bien-fondé de la demande du détenu portant sur les traitements portant atteinte à la dignité de la personne humaine à des conditions de vie indignes, crédibles, précises, actuelles et personnelles. Le juge a pour mission de vérifier les différentes conditions, sur la base des descriptions effectuées par le détenu. Si les conditions invoquées par le détenu sont établies par le magistrat, la remise en liberté devra être ordonnée. Dans le cas contraire, comme en l’espèce, le grief sera écarté8. La question de la preuve des conditions indignes caractérisant le traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme incombe au détenu, qui doit apporter des éléments de preuve appropriés9, « au-delà de tout doute raisonnable » dont les raisons sont déduites des faits présentés10. Néanmoins, la problématique de la preuve est particulièrement délicate à apporter par le détenu eu égard aux critères de crédibilité, précision et actualité et le critère personnel dégagés par la jurisprudence. Il apparaît une rupture d’égalité des armes entre l’administration pénitentiaire qui dispose d’une exclusivité dans la connaissance des éléments et le détenu. De ce fait, la jurisprudence européenne a tendance à privilégier un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutés, suffisamment graves, précis et concordants11. La CEDH opère un renversement de la charge de la preuve lorsque les allégations des mauvais traitements des requérants n’ont pas été assez confortées. Dans cette occurrence, il appartient à l’État de fournir une explication, notamment sur les origines des contusions des détenus, particulièrement lorsque les autorités pénitentiaires sont seules à connaître les événements12. Récemment, la CEDH a poussé plus loin son raisonnement en concluant que, à défaut d’explication plausible apportée par l’État, les lésions médicalement constatées sur le détenu sont la conséquence de la privation de liberté13. Le critère d’actualité est équivoque car les juges ne donnent pas plus de amples explications sur le moment à partir duquel l’élément de preuve est dépassé. La preuve médicale permet assurément d’établir le caractère récent des blessures infligées. En ce sens, la CEDH a considéré qu’un viol commis sur un détenu n’était pas prouvé car la dénonciation des faits était trop tardive pour établir ou exclure médicalement l’infraction sexuelle14. Néanmoins, lorsque la problématique porte sur le port de menottes, il est difficile de rapporter un commencement de preuve du caractère actuel de la mesure contestée. En effet, le port de menottes dans le cadre d’une détention légale, n’ayant nécessité ni l’usage de la force ni l’exposition publique, ne porte pas ipso facto atteinte à la dignité de la personne humaine15. Dès lors, il apparaît que la situation non actuelle du menottage lors des déplacements en présence du personnel de l’administration pénitentiaire élude la recevabilité du grief invoqué par le détenu, conformément à l’article 803-8, I, du CPP suivant la procédure instaurée par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention16. De fait, l’article R. 249-19 du CPP expose la procédure à suivre pour l’établissement de la requête portant sur les conditions de détention de l’article 803-8 du même code. Cet élément est à conjuguer avec le mauvais fondement textuel visé par le détenu pour justifier l’absence d’interprète ou traducteur lors des prestations médicales, illustrant alors une incompatibilité du droit à un interprète avec le respect de la dignité de la personne humaine.

II – Une incompatibilité du droit à un interprète avec le respect de la dignité de la personne humaine

La chambre criminelle de la Cour de cassation écarte le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 803-8 du CPP invoqués par le détenu. De ce fait, elle rappelle que le droit à un interprète lors des consultations médicales est extrinsèque au respect de la dignité de la personne humaine (A), a contrario du droit à un traitement médical adapté qui y est intrinsèque (B).

A – Un droit à un interprète lors des consultations médicales, extrinsèque au respect de la dignité de la personne humaine

Le détenu s’appuie sur l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 803-8 du CPP pour justifier la nécessité de bénéficier d’un interprète lors des prestations médicales réalisées en détention. À raison, le droit à un interprète est garanti par l’article 6, paragraphe 3, a), de la Convention européenne des droits de l’Homme permettant à un accusé d’« être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ». L’étendue du droit à l’assistance d’un interprète s’applique pour les déclarations orales et les pièces écrites lors de la garde à vue17, de l’information judiciaire18, de la détention provisoire19 et à l’audience de jugement. En ce sens, à tous les stades de la procédure, l’intéressé doit pouvoir bénéficier du droit à ce que lui soit traduit ou interprété dans une langue compréhensible l’ensemble des actes procéduraux engagés à son encontre afin de répondre au principe du procès équitable20. La loi n° 2013-711 du 5 août 2013, portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, a consacré le droit à un interprète au sein de l’article préliminaire du CPP. C’est dire que le droit à un interprète est consubstantiel au respect des droits de la défense et non au respect de la dignité de la personne humaine. Or, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme n’est pas applicable en matière d’exécution des peines, comme rappelé par la haute cour pour écarter la recevabilité du premier moyen. À raison, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme ne trouve pas application à une requête en relèvement car l’objet de la demande porte sur l’exécution d’une peine résultant d’une condamnation devenue définitive et non sur une accusation en matière pénale21. L’article 803-8 du CPP ne renferme pas non plus le droit, pour le détenu, de bénéficier d’un interprète lors des expertises médicales. En effet, à la suite de l’arrêt JMB c/ France22 rendu par la CEDH intimant à la France de prendre des mesures générales afin de lutter contre la surpopulation carcérale et d’instaurer un recours préventif dans le but d’améliorer les conditions de détention23, le législateur est intervenu avec la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. À ce titre, le détenu peut effectuer un recours devant le juge des libertés et de la détention ou le juge de l’application des peines sur le fondement de la dignité de la personne détenue24. L’article R. 249-26 du CPP permet au juge de rejeter la requête par une ordonnance notifiée suivant les conditions prévues par ledit article car infondée. Pour ce faire, si le détenu en fait la demande, le juge doit l’auditionner, ainsi que le représentant de l’administration pénitentiaire et du ministère public s’ils le demandent, conformément à la circulaire du 30 septembre 2021 de présentation des dispositions de l’article 803-8 du CPP instituant un recours judiciaire visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et de son décret d’application n° 2021-1194 du 15 septembre 2021. Il s’agit de l’argument invoqué par le détenu au service de son moyen, qui considérait à tort que la combinaison des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 du CPP obligeait le juge d’application des peines à auditionner le détenu ayant déposé une requête portant sur les conditions indignes de détention.

B – Un droit à un traitement médical adapté lors de la détention provisoire, intrinsèque au respect de la dignité de la personne humaine

Dans l’arrêt commenté, la chambre criminelle de la Cour de cassation relève que le détenu ne conteste pas avoir eu accès à un traitement médical adapté à son état de santé pouvant caractériser une atteinte à la dignité de la personne humaine. En effet, l’article D. 382 du CPP permet à un détenu dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale particulière d’être transféré dans un établissement pénitentiaire adéquat. Concrètement, l’intéressé qui présente des pathologies pourra être détenu dans des locaux adaptés à l’admission des détenus par l’établissement de santé prévu à l’article R. 6112-14 du Code de la santé publique. Il apparaît alors que, si des éléments suffisamment graves sont à même de porter atteinte à la santé physique ou mentale du détenu, une demande de mise en liberté, motivée par le caractère inhumain et dégradant des conditions d’incarcération, peut être invoquée conformément aux dispositions légales régissant la détention provisoire25. Le degré de gravité de l’état de santé du détenu est apprécié in concreto par les juges. À de nombreuses reprises, la CEDH a condamné la France pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en l’absence d’administration de soins adaptés aux détenus26. En revanche, les juges strasbourgeois ont confirmé la non-violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme par la France, à la suite du rejet de la demande d’un requérant atteint du sida supposant des soins réguliers et importants de bénéficier d’un transfert dans un établissement pénitentiaire en l’absence de degré de gravité suffisant27. En revanche, dans l’arrêt Helhal c/ France28, la CEDH a condamné la France sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, pour la première fois pour défaut de soins dispensés à un détenu lourdement handicapé. L’inexistence de soins de kinésithérapie pendant trois ans et l’absence de transfert dans un établissement pénitentiaire adapté à ses besoins constituent un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En l’espèce, le détenu ne fait aucune allégation sur un défaut d’encadrement médical adapté à ses besoins de santé pouvant constituer un traitement dégradant. À raison, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité jurisprudentielle qui met en lumière la nécessité de soulever un état de santé particulièrement grave du détenu incompatible avec la privation de liberté dans l’établissement pénitentiaire. Seul le défaut de soins adaptés à l’état de santé du détenu aurait pu justifier une atteinte à la dignité de la personne humaine car constitutif d’un traitement dégradant.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CEDH, 9 juin 1998, n° 22496/93, Tekkin c/ Turquie, § 52.
  • 2.
    CEDH, 20 janv. 2011, n° 19606/08, Payet c/ France, § 76 et 85 : AJDA 2011, p. 139 ; AJDA 1993, p. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011, p. 643, note S. Lavric ; D. 2011, p. 1306, obs. J.-P. Céré et M. Herzog-Evans ; RSC 2011, p. 718, obs. J.-P. Marguénaud.
  • 3.
    CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et a. c/ France : Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna. ; JCP G 2020, 154, aperçu rapide B. Pastre-Belda ; D. 2020, p. 753, note J.-F. Renucci ; D. 2020, p. 1195, obs. J.-P. Céré ; D. 2020, p. 1643, obs. J. Pradel.
  • 4.
    Cass. crim., QPC, 8 juill. 2020, n° 20-81739 : AJDA 2020, p. 1383.
  • 5.
    CPT/Inf (2005), 21), § 48.
  • 6.
    CEDH, 14 nov. 2002, n° 67263/01, Mouisel c/ France, § 46 et 47 – CEDH, 27 nov. 2003, n° 65436/01, Hénaf c/ France, § 52 : AJ pénal 2004, p. 78, obs. J.-P. Céré ; D. 2004, Pan., p. 1102, obs. E. Péchillon ; D. 2004, p. 1196, note D. Roets – CEDH, 29 oct. 2009, n° 17020/05, Paradysz c/ France, § 95.
  • 7.
    CEDH, 5e sect., 26 mai 2011, n° 19868/08, Duval c/ France.
  • 8.
    Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 20-84886.
  • 9.
    CEDH, 28 juill. 1999, n° 25803/94, Selmouni c/ France : AJDA 2000, p. 526, chron. J.-F. Flauss ; D. 2000, p. 31, obs. Y. Mayaud ; D. 2000, p. 179, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1999, p. 891, obs. F. Massias ; RTD civ. 1999, p. 911, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 1999, 10193, note F. Sudre – CEDH, 3 juin 2004, n° 33097/96, Bati c/ Turquie, § 114 – Contra CEDH, 24 mai 2011, n° 33810/07, Assoc. 21 décembre 1989 et a. c/ Roumanie, § 158.
  • 10.
    CEDH, 18 janv. 1978, n° 5310/71, Irlande c/ Royaume-Uni, § 161 – CEDH, gr. ch., 8 juill. 1999, n° 23657/94, Çakici c/ Turquie, § 92 : JDI 2000, p. 117, obs. E. Delaplace – CEDH, 10 févr. 2004, n° 42023/98, Naoumenko c/ Ukraine, § 109 – CEDH, 10 nov. 2011, n° 48337/09, Plathey c/ France, § 49 : AJ pénal 2011, p. 605.
  • 11.
    CEDH, gr. ch., 6 avr. 2000, n° 26772/95, Labita c/ Italie, § 121 : Rec. CEDH 2000-IV – CEDH, 19 mai 2004, n° 44568/98, R.L et M.-J.D c/ France, § 69 et s. : RSC 2005, p. 630, obs. F. Massias – CEDH, 3 juin 2004, n° 33097/96, Bati c/ Turquie, § 114 – CEDH, 2 nov. 2004, n° 58438/00, Martinez Sala c/ Espagne, § 122 – CEDH, 20 janv. 2011, n° 19606/08, Payet c/ France, § 54.
  • 12.
    CEDH, 1er mars 2001, n° 22493/93, Berktay c/ Turquie, § 167 – CEDH, 1er avr. 2004, n° 59584/00, Rivas c/ France, § 38 : AJ pénal 2004, p. 206, obs. J. Coste ; RSC 2005, p. 630, obs. F. Massias – CEDH, 15 avr. 2014, n° 8933/05, Tomaszescy c/ Pologne, § 104.
  • 13.
    CEDH, 5 déc. 2019, n° 71670/14 : AJ pénal 2020, p. 41, note M. Dominati.
  • 14.
    CEDH, 28 juill. 1999, n° 25803/94, Selmouni c/ France, § 88.
  • 15.
    CEDH, 16 déc. 1997, n° 20972/92, Raninen c/ Finlande, § 56.
  • 16.
    Pour plus de développements, M. Giacopelli, « Loi n° 2021- 403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention », Procédures 2021, n° 8-9, alerte 12.
  • 17.
    CEDH, 14 oct. 2014, n° 45440/04, Baytan c/ Turquie, § 49.
  • 18.
    CEDH, 19 déc. 1989, n° 9783/82, Kamasinski c/ Autriche, § 74 – CEDH, 5 janv. 2010, n° 13205/07, Diallo c/ Suède.
  • 19.
    CEDH, 5 avr. 2011, n° 35292/05, Şaman c/ Turquie, § 36.
  • 20.
    CEDH, 28 nov. 1978, nos 6210/73, 6877/75 et 7132/75, Luedicke, Belkacem et Koç c/ Allemagne, § 48.
  • 21.
    Cass. crim., 28 avr. 2004, n° 03-84217.
  • 22.
    CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B et a. c/ France : Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. E. Senna. ; JCP G 2020, 154, aperçu rapide B. Pastre-Belda ; D. 2020, p. 753, note J.-F. Renucci ; D. 2020, p. 1195, obs. J.-P. Céré ; D. 2020, p. 1643, obs. J. Pradel.
  • 23.
    Cass. crim., QPC, 8 juill. 2020, n° 20-81739 : AJDA 2020, p. 1383.
  • 24.
    M. Giacopelli, « La garantie du droit au respect de la dignité en détention : vers un recours effectif ? », JCP G 2021, 458 ; M. Léna, « Un recours préventif – et effectif ? – en cas de conditions de détention indignes », AJ pénal 2021, p. 169.
  • 25.
    Cass. crim., 29 févr. 2012, n° 11-88441 : Bull. crim., n° 58 ; AJ pénal 2012, p. 471, note E. Senna ; RSC 2013, p. 879, obs. X. Salat – Cass. crim., 3 oct. 2012, n° 12-85054 : Bull. crim., n° 209 ; Dalloz actualité, 2 nov. 2012, obs. O. Martineau ; RSC 2013, p. 879, obs. X. Salvat.
  • 26.
    CEDH, 14 nov. 2002, n° 67263/01, Mouisel c/ France – CEDH, 11 juill. 2006, n° 33834/03, Rivière c/ France – CEDH, 23 févr. 2012, n° 27544/09, G. c/ France.
  • 27.
    CEDH, 14 déc. 2004, n° 25875/03, Gelfmann c/ France : AJ pénal 2005, p. 33, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2005, p. 630, obs. F. Massias.
  • 28.
    CEDH, 19 févr. 2015, n° 10401/12, Helhal c/ France : JCP 2015, p. 268, veille B. Pastre-Belda.
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