L’obligation d’une motivation ciblée des requêtes en contentieux administratif

Publié le 08/08/2018

Le juge administratif, pour rendre utile le recours pour excès de pouvoir, est peu strict sur la motivation d’une requête. Cependant, celle-ci doit être motivée de manière ciblée envers l’acte attaqué et ne saurait être motivée par une référence intégrale et exclusive à une motivation antérieure.

CE, 13 juin 2018, no 409281, Mme A

L’arrêt commenté est relatif à la motivation des requêtes présentées devant le juge administratif. S’il est classique dans sa solution, cet arrêt est intéressant car il rappelle utilement l’obligation de motiver une requête de manière ciblée en contentieux administratif ; obligation qui conduit à l’interdiction de motiver une requête par référence totale à une motivation antérieure.

En l’espèce, la requérante s’est vu infliger un blâme par le maire de Carrières-sur-Seine (Yvelines) en 2010 et a été licenciée en 2011.

Contestant ces deux décisions devant le tribunal administratif de Versailles par recours pour excès de pouvoir, les premiers juges ont rejeté la demande de la requérante en 2016. L’appel formé devant la cour administrative d’appel de Versailles a été rejeté par ordonnance en 2017. Formant un pourvoi devant le Conseil d’État, la requérante a demandé à ce que l’ordonnance de rejet en appel soit annulée et que l’affaire soit réglée au fond. Saisi du litige, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance de la cour administrative d’appel et lui a renvoyé l’affaire.

Pour annuler l’ordonnance, le Conseil d’État, s’est fondé sur les articles R. 222-1 et R. 411-1 du Code de justice administrative (ci-après CJA). Ce dernier article, pour rappel, dispose que « la juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours ». Ces dispositions imposent une obligation de motivation de la requête.

Il convient de préciser que cette obligation est interprétée de manière large par le juge administratif. En effet, pour permettre un accès facilité à son prétoire, notamment pour les requérants qui ne font pas appel à un avocat, et rendre utile le recours pour excès de pouvoir, le juge administratif a une lecture bienveillante des requêtes qui lui sont soumises1. Il n’est pas exigé au titre de l’article R. 411-1 cité que les faits et les moyens soient formulés de manière distincte2. Par ailleurs, plusieurs éléments composants une requête peuvent être régularisés (éléments de forme tels la signature3, l’habilitation à agir4, etc., ou de fond comme la motivation5 et les conclusions6).

Le juge administratif est donc peu regardant sur la consistance de la motivation d’une requête7, ce qui lui importe est son existence. Mais il demeure attentif au fait que si toute requête peut contenir une motivation certes lacunaire, celle-ci doit à tout le moins obligatoirement être ciblée envers l’acte attaqué. Cette obligation a pour conséquence qu’une requête motivée par référence totale à une motivation antérieure est irrecevable. Cela pose la question de la distinction des requêtes à la motivation ciblée (II), de celles qui font référence totalement à une motivation antérieure et seront jugées irrecevable et rejetées (I).

I – L’irrecevabilité des requêtes se bornant à reproduire intégralement et exclusivement une motivation antérieure

De jurisprudence constante, le juge administratif rejette toute requête qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement une motivation antérieure. Un requérant ne peut pas contester en appel le jugement de première instance en joignant à sa requête la copie d’une autre requête qu’il avait formée contre un jugement antérieur8 ou en faisant référence à un jugement antérieur du même tribunal administratif condamnant la même commune à réparer des dommages causés par les mêmes inondations9. Un requérant ne peut pas non plus contester une décision administrative devant le juge en renvoyant aux moyens invoqués lors de la procédure contradictoire avec l’Administration10. Le juge administratif juge donc irrecevables de telles requêtes, même en appel : une requête d’appel qui se borne à se référer, en la joignant, à la demande de première instance, sans présenter des moyens propres à l’appel est irrecevable11. L’irrecevabilité d’une telle requête est aussi opposable au requérant qui avait la qualité de défendeur en première instance12. Ainsi, le requérant en appel ne peut donc pas se borner à reproduire « intégralement et exclusivement » le texte du mémoire de première instance : le requérant qui s’est contenté « dans ses écritures d’appel, à reproduire intégralement et exclusivement les onze pages de son unique mémoire de première instance, repris mot pour mot » ne produit pas une requête satisfaisant aux exigences de motivation posées à l’article R. 411-1 du CJA13.

Cette impossibilité de motiver une requête par une référence antérieure de manière intégrale se justifie pleinement. En effet, l’exigence de motivation qui résulte de l’article R. 411-1 du CJA14 doit permettre au juge administratif d’être en mesure de se prononcer sur les erreurs qu’auraient pu commettre les juges de première instance15. Notons cependant qu’une requête qui reproduirait intégralement et exclusivement une motivation antérieure peut être régularisée jusqu’à l’expiration du délai de recours conformément à l’article R. 411-1 du CJA. À défaut, la requête est rejetée16.

Cette impossibilité s’explique aussi par le fait que les avocats ne faisaient que reprendre les conclusions de première instance sans contester le jugement attaqué. C’est pourquoi le juge administratif a exigé en 1999 dans son arrêt OPHLM de Caen que les requêtes en appel ou en cassation soient des requêtes « nouvelles »17. Il s’agit là d’un énième revirement de jurisprudence concernant la possibilité de motiver une requête par référence. Dans les années 1950, la motivation en appel par référence au mémoire de première instance était jugé irrecevable18. Puis à compter de 1970, le Conseil d’État par une décision rendue en assemblée a admis qu’en appel, la motivation de la requête pût être faite par référence à la demande de première instance, à la condition de joindre la copie de cette demande à l’appel19.

On comprend donc, en quelque sorte, que le juge administratif demande au requérant qui conteste une décision administrative ou à celui qui interjette appel un effort procédural pour contester spécifiquement la décision attaquée. À l’inverse, si la requête reprend exclusivement une motivation antérieure, alors le juge rejettera la demande en « proportionnant son effort à celui du requérant »20. Cette impossibilité de motivation par référence totale implique une obligation de motivation ciblée pour contester la décision attaquée. Autrement dit, la requête doit contenir, même sommairement, des moyens propres. Or, en l’espèce, la requête a été rejetée par la cour administrative d’appel qui avait considéré qu’elle « se bornait à reproduire la demande formulée devant les juges de première instance », ce qui a été censuré par le Conseil d’État.

II – La recevabilité des requêtes produisant une motivation ciblée

Nous avons vu que le juge administratif n’a pas une interprétation stricte de la consistance de la motivation, mais celle-ci doit tout de même être propre à la requête, sans être un simple copier/coller. Aussi, à travers plusieurs exemples, le juge administratif précise ce qu’il entend par une motivation ciblée répondant aux exigences de l’article R. 411-1 du CJA.

La requête d’appel peut contenir des moyens critiquant chacun des motifs du tribunal, et en ce cas elle ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement les écritures de première instance21. Une requête est recevable si « à tout le moins », elle « critique les motifs retenus par le tribunal administratif »22. N’est pas non une plus « la seule reproduction littérale d’un mémoire de première instance » une requête qui énonce « à nouveau, de manière précise les critiques adressées à la décision dont il avait demandé l’annulation au tribunal administratif »23. Une requête reprenant en appel « l’essentiel de l’argumentation développée devant le tribunal, ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance, si elle précise à nouveau, à l’appui de sa demande d’annulation du jugement, les moyens tendant à l’annulation de l’arrêté » contesté24.

Bien que cela ne ressorte pas expressément des différentes décisions, on comprend alors qu’une requête avec une motivation propre et ciblée doit être différente, même sommairement, à celle de première instance25. Toutefois, ne sont pas différentes les requêtes qui se limitent à modifier les conclusions pour demander l’annulation du jugement26.

En l’espèce, la requête présentée par la requérante ne se bornait pas « à reproduire la demande formulée devant les juges de première instance ». Elle contenait « un argument nouveau au soutien de l’un des moyens écartés par les premiers juges ». Par conséquent, le juge administratif a annulé la décision de rejet au motif que le président de la 6e chambre de la cour administrative d’appel de Versailles a entaché d’erreur de droit son ordonnance. Cette jurisprudence prohibant la motivation par référence intégrale est exclusive permet « une meilleure marche de la justice administrative » et permet au juge d’appel de remplir son rôle pour juger les jugements attaqués27.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 26 juin 1959, n° 38299, Synd. algérien de l’éducation surveillée CFTC : Fournier J., AJDA 1959, I, 157 ; Lebon p. 399 ; Broyelle C., Contentieux administratif, 5e éd., 2017, LGDJ, p. 88.
  • 2.
    V. en ce sens CE, 8 déc. 2000, n° 183836, M. X.
  • 3.
    CE, 18 déc. 1987, n° 89727, Abbate. Désormais la régularisation est possible par signature électronique depuis le dépôt des requêtes sur Télérecours : CE, 16 mars 2016, n° 389521, Mme B.
  • 4.
    CE, 26 juin 1959, n° 38299, Synd. algérien de l’éducation surveillée CFTC ; CE, 16 janv. 1998, n° 153558, Association aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont.
  • 5.
    CJA, art. R. 411-1.
  • 6.
    CE, 12 janv. 2011, n° 329776, Kejjou ; CAA Bordeaux, 19 mars 2018, n° 16BX02410, Dpt de la Haute-Garonne : « Ni les articles R. 421-1 et R. 411-1 du Code de justice administrative, ni aucune règle de procédure applicable devant la juridiction administrative n’imposent, à peine d’irrecevabilité, que des conclusions indemnitaires doivent être chiffrées devant les juges de première instance avant l’expiration du délai de recours contentieux. Il s’ensuit que si des conclusions tendant à une condamnation pécuniaire doivent en principe être chiffrées devant les juges de première instance, cette irrégularité est régularisable même après l’expiration du délai de recours contentieux tant qu’il n’a pas été statué sur la demande de l’examen du dossier de première instance ».
  • 7.
    Pour la motivation v. CE, 8 déc. 2000, n° 183836. Pour les conclusions v. CE, 26 juin 1989, n° 99763, Mme Biètry c/ ville d’Aix-en-Provence.
  • 8.
    CE, 28 juill. 2000, n° 189212, M. X.
  • 9.
    CE, 3 juill. 1985, n° 43261, Cne de Morlaix.
  • 10.
    CE, 30 déc. 2011, n° 335621, M. A.
  • 11.
    CE, 11 juin 1999, n° 173972, OPHLM de Caen.
  • 12.
    CE, 18 oct. 2006, n° 280350, ministre de l’Intérieur.
  • 13.
    CAA Bordeaux, 5 févr. 2018, n° 17BX03468, M. C.
  • 14.
    CE, 27 juin 2005, n° 263754, Sté Les techniques de communication.
  • 15.
    CE, 28 juill. 2000, n° 189212, M. X. ; CE, 11 juin 1999, n° 173972, OPHLM de Caen.
  • 16.
    CE, 30 déc. 2009, n° 295009, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ; CAA Marseille, 5 avr. 2018, n° 16MA02982, M. A.
  • 17.
    CE, 11 juin 1999, n° 173972, OPHLM de Caen : Bergeal C., « La motivation du recours d’appel par référence au mémoire de première instance », RFDA 2000, p. 331.
  • 18.
    CE, 9 janv. 1954, Sté Warner Bros : Lebon, p. 25 – CE, 13 juillet 1956, min. de l’Intérieur : Lebon, p. 336.
  • 19.
    CE, 23 janv. 1970, n° 68324, Épx Neel.
  • 20.
    Chauvaux D., « Quelle motivation pour qu’une requête d’appel soit recevable ? », AJDA 2005, p. 1959, concl. sous CE, 27 juin 2005, n° 263754, Sté Les techniques de communication et CE, 27 juin 2005, n° 259446, M. M.
  • 21.
    À titre d’exemple, v. CAA Nancy, 9 mars 2017, n° 16NC00139, M. et Mme J. ; CAA Nancy, 26 oct. 2017, n° 17NC00853, M. F. A.
  • 22.
    CE, 7 nov. 2012, n° 352985, Mme B. et a.
  • 23.
    CE, 27 juin 2005, n° 259446, M. M.  : Markus P., « Motivation des recours en appel par reproduction des premières conclusions », D. 2005, p. 2583.
  • 24.
    CAA Nancy, 29 mai 2018, n° 17NC01034, Mme C.
  • 25.
    V. en ce sens CE, 3 déc. 2008, n° 295790, Sté Goujon Vallée.
  • 26.
    CAA Lyon, 5 déc. 2017, n° 16LY02047, M. A. B. ; CAA Douai, 29 déc. 2017, n° 17DA00858, M. C.
  • 27.
    Markus P., « Motivation des recours en appel par reproduction des premières conclusions », D. 2005, p. 2583.