Nicolas Peyronnet : « Jamais on n’aura autant parlé de l’économie sociale et solidaire dans l’organisation d’un grand événement sportif » !

Publié le 02/11/2023

Dès la phase de candidature, la Ville de Paris s’est engagée à organiser en 2024 des Jeux sobres et durables. Pour tenir cet objectif, le Comité d’organisation Paris 2024 et la Société de livraison des ouvrages (Solideo) misent sur l’expertise de l’association Les Canaux, basée dans l’ancien bâtiment administratif de la gestion des canaux parisiens. Depuis 2017, c’est un lieu dédié à l’économie sociale et solidaire dans Paris. Nicolas Peyronnet, directeur du programme ESS 2024, nous explique comment les Jeux Olympiques et Paralympiques peuvent servir de tremplin au secteur. Rencontre.

Actu-Juridique : Pouvez-vous nous présenter l’association Les Canaux ?

Nicolas Peyronnet : L’association existe depuis 2017 et compte aujourd’hui une trentaine de salariés. Elle porte, entre autres projets destinés à faire émerger l’économie sociale et solidaire, le programme ESS 2024. Ce dernier mobilise un tiers des 30 salariés de l’association. L’économie sociale et solidaire existe sous différentes formes depuis la nuit des temps. En France, elle a un cadre juridique depuis la loi Hamon de 2014. Elle comprend des structures associatives, depuis l’association de quartier qui propose des cours de sport ou de musique, jusqu’à des associations de grande envergure. Elle compte également des coopératives, des mutuelles, des fondations, ainsi que des entreprises et des chantiers d’insertion par l’activité économique, qui permettent à des gens éloignés de l’emploi (des chômeurs de longue durée ou peu qualifiés) de rentrer dans des entreprises qui vont les accompagner vers un retour durable à l’emploi. L’ESS comprend enfin le secteur du handicap, qui englobe des entreprises adaptées ou des ESAT. Grâce aux engagements de Paris 2024, ces structures vont pouvoir se positionner car elles présentent des avantages concurrentiels. Depuis la loi de 2014, les entreprises commerciales peuvent elles aussi rentrer dans le champ de l’ESS si elles respectent les grands principes de l’ESS, telles que la gouvernance démocratique ou le réinvestissement des fonds dans la pérennisation de l’activité. Le statut n’est pas vertu, et il existe des entreprises de l’économie circulaire qui, du fait de leur statut, ne relèvent pas de l’ESS mais vont faire des choses exemplaires dans la production de biens ou de services par exemple.

AJ : En quoi consiste le programme ESS 2024 ?

Nicolas Peyronnet : Paris 2024 et la Solideo soutiennent le programme ESS 2024 qui a pour ambition de donner les moyens aux acteurs de l’ESS afin qu’ils se saisissent des opportunités générées par les Jeux, en les accompagnant et en les rendant visibles auprès des donneurs d’ordre. L’objectif est de montrer ce que l’ESS peut faire à l’occasion des Jeux de Paris 2024. Chez ESS 2024, nous faisons d’abord un travail de sourcing. Nous connaissons bien les entreprises : plus de 6 000 d’entre elles sont référencées sur notre plateforme. Ensuite, nous indiquons à Paris 2024 et à la Solideo les besoins auxquels ces entreprises sont capables de répondre et nous incitons les organisateurs des Jeux à leur réserver les marchés correspondant. Nous sommes un intermédiaire entre ces deux mondes. Les structures de l’ESS peuvent évidemment difficilement assurer les prestations de très grande ampleur, telles que la restauration du Village olympique et paralympique. Ce sont 15 000 personnes à nourrir chaque jour. C’est donc Sodexo qui assurera cette prestation. Néanmoins, les grandes entreprises prestataires des JOP, comme Sodexo ou Amaury Sport Organisation, ont des clauses et des critères à respecter. Nous sommes en lien avec elles pour les mettre en relation avec des entreprises de l’ESS pour la restauration, la sécurité, la logistique. L’objectif est qu’elles fassent appel à ces structures.

AJ : Quels sont les objectifs des jeux en matière d’ESS ?

Nicolas Peyronnet : La Solideo a principalement deux objectifs. Elle a d’une part conçu une charte qui impose 10 % d’heures d’insertion sur le volume total des heures travaillées pour les opérations qu’elle mène. Les entreprises qui vont remporter les marchés publics devront réaliser ces 10 % d’heures. La Solideo a été plus loin que ces 10 % quand c’était propice, un peu moins loin quand c’était difficile. Les entreprises qui ne réalisent pas ces clauses d’insertion ont des pénalités. D’autre part, elle a pour objectif que 25 % des marchés soient fléchés vers des TPE PME et des ESS. Pour la première fois, les ESS sont aux côtés des TPE et des PME dans l’orientation des marchés. Cela reste un objectif : on ne peut pas le rendre obligatoire dans le cadre de marché public. Si les entreprises qui remportent les marchés ne réalisent pas ces 25 %, il n’y a pas de pénalité. Les entreprises tentent cependant vraiment d’atteindre cet objectif. Cela va dans le sens de nouvelles actions et démarches et c’est très positif. Les entreprises d’insertion et celle qui emploient des personnes en situation de handicap vont être éligibles à cette clause. Elles vont pouvoir répondre à ces marchés, ou vont pouvoir s’associer aux structures de l’insertion et du handicap pour réaliser plus facilement leur objectif.

Enfin, Paris 2024 s’est engagé à favoriser, dans sa stratégie responsable des achats, les prestataires remplissant les critères suivants : démarche d’économie circulaire, neutralité carbone et respect de l’environnement, innovation sociale, inclusion des personnes en situation de handicap, création de valeur sur le territoire. Dans tous les marchés passés par Paris 2024, ces grands principes guident les clauses et les critères de sélection. Cela favorise les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, un peu plus de 400 prestations sont réalisées par des acteurs de l’ESS dans le cadre des JOP. Cela représente plus de 340 structures de l’ESS, car certaines entreprises gagnent plusieurs marchés. Ce chiffre est voué à grossir car il y aura du rattrapage dans toutes les chaînes de sous-traitance.

AJ : Quelles sont les entreprises de l’ESS qui travaillent déjà pour Paris 2024 ?

Nicolas Peyronnet : Le Village olympique et paralympique a été un gros pourvoyeur de marché pour l’ESS, notamment en ce qui concerne les sous-traitants qui assurent les travaux de second œuvre tels que la pose des fenêtres ou de l’électricité. Des entreprises du domaine de la restauration et de la logistique ont également remporté des contrats. Une belle histoire s’est ainsi conclue au début de l’été. Paris 2024 avait un marché à passer pour la blanchisserie du Village olympique et paralympique. Les organisateurs avaient en tête, grâce au Code de la commande publique, de le réserver aux acteurs de l’insertion et du handicap. Juridiquement, quand on réserve un marché, on prend un risque, puisqu’on restreint la concurrence. Pour un marché aussi emblématique et important que celui des laveries du Village, il ne fallait pas se tromper. Nous avons interrogé les structures de l’ESS pour savoir si elles étaient compétentes. Elles ont répondu que oui, notamment en se groupant. On l’a fait savoir à Paris 2024 qui a pris la décision de leur réserver le marché. Neuf structures d’insertion et du handicap ont donc remporté ce marché et vont coopérer pour gérer les laveries du Village olympique et paralympique. Sur l’aménagement paysager, au nord du Village, nous avons réussi à faire acter une clause d’insertion plus ambitieuse que prévu, à hauteur de 40 %. Nous avons réussi à accompagner un groupement : une PME de l’aménagement paysager francilienne a répondu avec une entreprise d’insertion et une entreprise du handicap. Ce groupement pluridisciplinaire d’économie traditionnelle et d’ESS a remporté le marché. Ces deux structures vont assurer en co-traitance tout l’aménagement paysager du nord du Village olympique et paralympique.

AJ : Au-delà des JO, quels sont les objectifs de développement de l’ESS ?

Nicolas Peyronnet : Jamais on n’aura autant parlé de l’ESS dans l’organisation d’un grand événement sportif. Cela restera. Il y a un précédent. Après avoir porté le programme ESS 2024 et avoir donné aux structures de l’ESS une capacité à se saisir de ces marchés, on saura comment faire pour positionner l’ESS à un niveau ambitieux. À long terme, il y a une structuration de la filière à effectuer pour que l’ESS puisse prétendre à des marchés de plus grande ampleur. Prenons l’exemple du textile : quand, pendant la crise sanitaire, la fabrique de masques Made in France est devenue une cause nationale, un groupement nommé Résilience s’est créé. Il regroupe plus de 80 ateliers en France, dont beaucoup sont des structures de l’insertion et du handicap. C’est un exemple de structuration d’une filière. L’objectif de l’ESS est qu’elle reste locale. Mais une meilleure mise en réseau lui permettra d’être davantage visible et de montrer ce dont elle est capable. Je n’ai aucun doute sur le fait que l’ESS, en se regroupant, pourra répondre à des volumes aussi ambitieux que ceux des Jeux olympiques. Cela prendra du temps.

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