Rentrée du Conseil d’État : Remettre le service aux usagers au coeur de l’action publique
La rentrée du Conseil d’État a eu lieu le mercredi 6 septembre en présence de la première ministre Élisabeth Borne. Son vice-président, Didier Roland-Tabuteau, a présenté devant un parterre de hautes personnalités du monde politique, administratif et judiciaire les propositions de l’étude annuelle consacrée au « dernier kilomètre » autrement dit à « la capacité des politiques publiques à atteindre effectivement l’usager ».
Le Conseil d’État a tenu sa deuxième rentrée ce mercredi. Cette jeune tradition instaurée l’an dernier est désormais inscrite dans les agendas, au même titre que les rentrées judiciaires dont elle s’inspire. Toutefois, l’institution du Palais-Royal étant à la fois conseil et juge, on ne parle pas de « rentrée solennelle », mais simplement de « rentrée ». L’événement s’est déroulé en présence de la première ministre Élisabeth Borne, de plusieurs membres du gouvernement et de nombreuses hautes personnalités.
Plus de 350 000 décisions administratives prononcées en 2022
Le vice-président du Conseil d’État, Didier Roland-Tabuteau, a commencé par présenter les chiffres de l’année écoulée. En 2022, les tribunaux administratifs ont rendu 232 000 décisions, les cours d’appel 32 000, la Cour nationale du droit d’asile 67 000 et le Conseil d’État 8 900 (premier ressort, appel et cassation). Pour comparer avec les chiffres de l’année 2022, c’est par ici.
Concernant l’activité juridictionnelle, le voce-président a dénoncé les attaques subies par le juge administratif ces derniers mois. Ainsi notamment, le tribunal administratif de Bastia a été occupé le 15 mars 2023, et celui de Nantes par deux fois cible de violence les 23 et 28 mars 2023. « Ses décisions (NDLR : de la justice administrative) peuvent être commentées, c’est légitime, a estimé Didier Roland-Tabuteau. Elles peuvent être contestées par les voies de droit, c’est indispensable. Mais les dénoncer comme illégitimes, en s’en prenant à ceux qui les ont rendues, c’est remettre en cause l’État de droit. Toute critique mettant en cause son indépendance, son impartialité ou sa compréhension des réalités concrètes qui se trouvent derrière les questions de droit qu’il tranche est pernicieuse ». Toujours au chapitre des chiffres d’activité, le Conseil d’État a examiné, en 2022, plus de 1 000 projets de textes, dont 70 projets de loi et 45 projets d’ordonnance. Treize avis ont en outre été rendus sur des questions posées par le gouvernement.
Un « dernier kilomètre » parfois négligé
Au-delà des habituelles statistiques d’activité, le sujet phare de cette rentrée a été l’étude annuelle consacrée au « Dernier kilomètre ». Le document, qui compte 420 pages, est accessible ici. Son objet ? Dresser un bilan de l’efficacité des politiques publiques et formuler des propositions pour l’améliorer. Dans son diagnostic, le Conseil d’État constate que les transformations engagées par les administrations les ont « parfois conduites à négliger le dernier kilomètre ». Et le vice-président de citer cet exemple ô combien représentatif d’une pathologie : « La décentralisation a certes souvent permis de rapprocher la décision des citoyens, mais il faut aujourd’hui à l’administration 17 pages en format A3 pour exposer dans un tableau dit « synthétique » la répartition des compétences entre les collectivités territoriales ! ».
Des normes qui pétrifient l’action publique
À cela s’est ajoutée la production de la norme : « 13,2 millions de mots étaient contenus dans le Journal officiel en 2021 contre 5,8 millions en 2002 ». Et le vice-président de poursuivre « La complexité induite a pu faire dire à certains élus rencontrés que « la France des procédures tuait la France des projets » ». L’an dernier, lors de cette même rentrée, Élisabeth Borne s’était dite soucieuse d’instituer une « sobriété législative » (lire notre compte-rendu ici). Et en effet, il semble y avoir eu un léger mieux, mais rien n’est pour autant résolu. « Même si comme vous l’avez souligné Madame la Première ministre dans votre communication en conseil des ministres du 21 juillet, on note sur la période récente un léger ralentissement sur le plan quantitatif, l’envahissement du quotidien par la législation et la réglementation reste tangible par nos concitoyens » a relevé Didier Roland-Tabuteau. Résultat ? Le volume et la complexité des textes tendent à « pétrifier l’action publique ». L’étude conclut que ces insuffisances dans l’action concrète ont provoqué une crise de confiance dans l’hôpital public, l’école et la justice et formule 12 propositions pour « mettre le service aux usagers au cœur de l’action publique ».
« Les grands chiffres et les grands mots ne font que creuser la défiance »
Visiblement la première ministre partage les constats du Conseil d’État. « Nous traversons une crise de confiance politique, institutionnelle et peut-être plus largement de l’autorité » a répondu Elisabeth Borne. Pour elle, « Beaucoup (NDLR : de français) ont le sentiment que rien ne bouge, les grands chiffres et les grands mots ne font que creuser la défiance ». Elle a dès lors rappelé son obsession des résultats concrets. « On ne peut pas s’imaginer que parce qu’une loi est votée, le problème est réglé, il n’est pas réglé tant que nos décisions n’ont pas d’effet dans le quotidien ». Pour répondre au défi du dernier kilomètre, Élisabeth Borne estime qu’il faut satisfaire deux impératifs : d’abord tenir compte du quotidien des citoyens lors de la prise de décision et de ses conséquences concrètes, ensuite faire confiance au terrain. « Si nous cherchons à imposer des solutions uniques venues d’en haut nous risquons de ce pas être au rendez-vous. Il faut laisser de la place aux acteurs locaux, c’est la demande des élus » a-t-elle estimé.
Le Conseil d’État dénonce depuis des années l’inflation législative et ses effets délétères. Sans que rien jamais ne change. Mais qui c’est, cette fois-ci sera peut-être la bonne…
La prochaine étude annuelle sera consacrée à la souveraineté.
Référence : AJU388056