Que retenir du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance ?

Publié le 08/08/2018

Ce texte adopté par l’Assemblée nationale en seconde lecture, le 26 juin 2018, a pour objectif d’améliorer la relation entre l’administration et les usagers et de changer le « logiciel administratif », selon la formule du Premier ministre, Édouard Philippe. Il cherche à encourager la bienveillance dans les rapports entre les administrés et leurs administrations. Il est porteur de mesures emblématiques comme l’instauration du droit à l’erreur pour tous les usagers des services publics ou la mise en place d’un droit au contrôle permettant à une entreprise de demander à une administration de la contrôler pour s’assurer qu’elle est en conformité avec la réglementation en vigueur.

Le projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance » (ESSOC)1 s’adresse à tous les usagers dans leurs relations quotidiennes avec les administrations. Il repose sur deux piliers : « faire confiance » à travers notamment la création d’un droit à l’erreur et « faire simple » par la mise en place de toute une série de dispositions visant à simplifier les procédures.

Ce texte législatif qui a obtenu un avis favorable du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN)2, s’ouvre avec l’annonce de l’approbation de la « stratégie nationale d’orientation de l’action publique » (art. 1er)3.

Qualifié de texte « fourre-tout »4 par certains de ses détracteurs, il est divisé en trois grands titres. Le premier s’attache à créer les conditions indispensables à une confiance retrouvée des citoyens dans l’administration en concentrant l’action de cette dernière sur ses missions de conseil et de service. Le second rassemble, quant à lui, des dispositions permettant de transformer l’action publique dans un objectif de modernisation, de simplicité et d’efficacité. Enfin, de manière inédite, le dernier titre est consacré à l’évaluation de la loi. Le gouvernement s’est engagé à « mettre en place les moyens nécessaires à une évaluation rigoureuse » de l’effet des mesures prises sur le fondement de ce nouveau texte législatif.

L’objet de la présente étude sera de présenter les principales dispositions de ce projet de loi adopté par les députés le 26 juin 2018.

I – Le renforcement des missions de conseil et de service de l’administration

Le titre premier du projet de loi « ESSOC » vise à favoriser une administration qui accompagne et dialogue avec le public. Il s’agit notamment d’introduire un changement de culture dans l’administration et de permettre le passage d’une administration de contrôle à une administration de conseil.

A – Les dispositifs destinés à renforcer le rôle d’accompagnement de l’État

Le texte reconnait un droit à l’erreur au bénéfice de l’usager de l’administration en cas de méconnaissance d’une règle applicable à sa situation (art. 2)5.Il précise que le droit à l’erreur sera limité à la première erreur. L’administré qui aura commis « une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation » bénéficiera également du droit à l’erreur. L’usager ne pourra faire l’objet d’une sanction s’il a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après y avoir été invité par l’administration.

La sanction pourra être cependant prononcée en cas de mauvaise foi ou de fraude, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation. Le législateur a souhaité que le droit à l’erreur ne puisse pas jouer pour les erreurs les plus grossières comme le non-respect des délais de paiement dans les contrats entre entreprises prévus par l’article L. 441-6 du Code de commerce 6.

Comme le précise l’étude d’impact du projet de loi, ce dispositif « ne tend pas à accorder aux administrés un droit de commettre des erreurs. Il leur reconnaît un droit de régulariser une erreur commise de bonne foi »7.

Le législateur vient inverser la charge de la preuve. En effet, la personne mise en cause est considérée a priori de bonne foi. La preuve de la mauvaise foi incombera à l’administration. Sera considéré de mauvaise foi, « toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation ».

Promesse d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2017, le droit à l’erreur, qui n’est pas « un droit à la fraude »8, apparait limité compte tenu de l’existence de toute une série d’exceptions. Il ne pourra pas s’appliquer lorsque la santé publique, l’environnement ou la sécurité des personnes ou des biens est en cause. Il ne pourra pas non plus s’appliquer lorsque la sanction pécuniaire applicable est requise pour la mise en œuvre du droit de l’UE ou lorsque cette sanction résulte d’une stipulation contractuelle. Les sanctions prononcées par les autorités de régulation à l’égard des professionnels soumis à leur contrôle seront également exclues du bénéfice du droit à l’erreur.

L’Assemblée nationale s’est opposée au Sénat en refusant d’étendre le bénéfice du dispositif du droit à régularisation en cas d’erreur aux collectivités territoriales dans leurs relations avec l’État et les organismes de sécurité sociale : « en faire bénéficier les collectivités locales au même titre que les usagers brouillerait l’objectif clairement affiché de cette réforme, qui s’adresse aux usagers finaux dans leurs relations avec toutes les administrations, et non aux relations entre administrations elles-mêmes qui ne peuvent pas être mises sur le même plan »9. Cette extension du droit à l’erreur aux collectivités locales, qui a été présentée par les sénateurs comme « une mesure de bon sens », a été l’une des causes essentielles de l’échec de la commission mixte paritaire, le 5 avril 2018.

Par ailleurs, toute personne pourra demander à faire l’objet d’un contrôle prévu par les dispositions législatives et règlementaires en vigueur. L’administration devra faire droit à cette demande sauf en cas « de mauvaise foi du demandeur, de demande abusive ou lorsque la demande a manifestement pour effet de compromettre le bon fonctionnement du service ou de mettre l’administration dans l’impossibilité matérielle de mener à bien son programme de contrôle » (art. 2).

Sous réserve des droits des tiers, toute personne contrôlée pourra opposer les conclusions expresses de ce contrôle à l’administration dont elles émanent. Ces conclusions cesseront d’être opposables en cas de changement de circonstances de droit ou de fait postérieures de nature à affecter leur validité. Elles cesseront également d’être opposables lorsque l’administration procède à un nouveau contrôle. Elles ne pourront pas non plus être opposables lorsqu’elles feront obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement.

Dans son avis très critique du 23 novembre 2017, le Conseil d’État a émis des réserves sur ce mécanisme du « droit au contrôle ». Si le juge administratif a reconnu qu’il cherche à « privilégier le dialogue et le conseil au détriment du contrôle et de la sanction », il a critiqué « la mise en place d’une procédure supplémentaire, sans simplifier les normes et les procédures existantes »10. Selon le Conseil d’État, ce dispositif « pourrait porter atteinte au bon fonctionnement de l’administration »11 compte tenu de l’insuffisance des moyens de celle-ci.

Enfin, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) aura la possibilité d’adresser à l’employeur un simple avertissement, en lieu et place d’une amende administrative, en cas de manquement constaté par l’inspection du travail dans les matières énumérées à l’article L. 8115-1 du Code du travail12 (art. 8). Cette sanction non pécuniaire de « rappel à la loi » sera applicable dès lors qu’il n’y a pas eu d’intention frauduleuse. Cependant, en cas de nouveau manquement, le plafond de l’amende administrative pouvant être infligée par le Direccte sera majoré de 50 %.

Le projet de loi « ESSOC » s’inscrit ici dans la continuité de la réforme du Code du travail opérée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. En effet, cette ordonnance a introduit un droit à l’erreur au bénéfice de l’employeur à propos des motifs contenus dans la lettre de licenciement. Elle a prévu que ces motifs pourront être précisés par l’employeur, spontanément ou à la demande du salarié, après la notification du licenciement 13.

B – Des droits nouveaux pour les administrés

Le projet de loi vise à assurer sa pleine efficacité à l’obligation de publier les instructions et circulaires mentionnées à l’article L. 312-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Il vient aussi consacrer l’opposabilité de ces actes, lorsqu’ils émanent de l’État, au profit des administrés (art. 9). Il précise que les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. Il introduit dans le CRPA un nouvel article L. 312-3 aux termes duquel « toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l’État et publiés sur des sites internet désignés par décret ».

C’est la première fois que le législateur vient consacrer de manière générale l’opposabilité de la doctrine administrative au bénéfice des usagers. Il a souhaité étendre à l’ensemble des secteurs de l’administration ce qui existe déjà en matière fiscale avec la « doctrine fiscale ». En effet, l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales (LPF) permet au contribuable de se prévaloir des « instructions ou circulaires publiées »14.

Tout administré pourra désormais se prévaloir de l’interprétation, même erronée, d’une règle opérée par la « doctrine administrative », pour son application à une situation qui n’affecte pas les tiers, dès lors que cette interprétation n’a pas été modifiée.

Toutefois, le droit à se prévaloir des instructions et circulaires publiées sera écarté dans le cas où il viendrait heurter l’application de règles visant à préserver la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement.

Afin de garantir la sécurité juridique des administrés dans leurs relations avec l’administration, le législateur cherche à développer la pratique du rescrit administratif, c’est-à-dire des prises de position formelles par l’administration sur l’application d’une norme (art. 10). Le rescrit a été défini par le Conseil d’État15 dans son étude de 2013 comme « une prise de position formelle de l’administration, qui lui est opposable, sur l’application d’une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure »16.

Le rescrit a d’abord été expérimenté en matière fiscale avec la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières dite « loi Aicardi »17. Il a été aussi introduit en matière sociale par l’article 35 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, dite « loi Madelin ». Le rescrit a été également prévu en matière douanière par l’article 29 de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale. Ce rescrit douanier est d’ailleurs renforcé par le projet de loi « ESSOC » (art. 14). Prise sur le fondement de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, l’ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 est venue moderniser le rescrit social18 et créer de nouveaux cas sectoriels de rescrits administratifs19.

Le projet de loi « ESSOC » vient étendre le champ du « rescrit-créance » qui consiste « à prémunir son bénéficiaire d’une action administrative ex post qui aurait pour effet de mettre à sa charge une somme d’argent »20. Il développe quatre nouveaux dispositifs de rescrit afférents à la fiscalité de l’aménagement, à la taxe sur les bureaux en Île-de-France, aux redevances des agences de l’eau et à la redevance d’archéologie préventive. Il introduit aussi six nouvelles formes de rescrit, en matière d’archives publiques, de droit du travail et de garantie commerciale.

Il est également prévu d’expérimenter un mécanisme d’approbation tacite pour certaines des prises de positions formelles prévues par l’article 10 du projet de loi (art. 11). La personne qui saisit l’administration pourra joindre à sa demande un projet de prise de position formelle. En l’absence de réponse de cette dernière dans un délai de trois mois, le projet sera réputé approuvé.

Par ailleurs, tout usager pourra obtenir, préalablement à l’exercice de certaines activités, une information sur l’existence et le contenu des règles régissant cette activité (art. 12).

L’administration lui délivrera un certificat d’information sur l’ensemble des règles qu’elle a mission d’appliquer. Toute information incomplète ou erronée figurant dans le certificat, à l’origine d’un préjudice pour le titulaire de celui-ci, engagera la responsabilité de l’administration.

Le certificat d’information, qui rappelle à l’évidence le « certificat de projet » existant en matière environnementale21 apparaît comme une avancée pour les porteurs de projet dans la mesure où il contribuera à la sécurité juridique de leur activité.

En première lecture, les députés avaient adopté un amendement permettant d’expérimenter la cristallisation des règles présentées dans le certificat d’information pour une durée de douze mois, le temps pour le porteur de projet de lancer son activité. En revanche, en seconde lecture, l’Assemblée nationale a écarté la cristallisation du certificat d’information car elle serait, selon le gouvernement, « source d’insécurité juridique pour les tiers et d’inégalités entre les acteurs économiques ».

Enfin, afin de favoriser le recours à la transaction par les services de l’État, des comités de transaction seront créés (art. 13). Ces derniers seront chargés de formuler un avis préalable sur le principe du recours à la transaction et le montant de celle-ci. L’avis du comité sera obligatoire lorsque le montant en cause dépasse un seuil qui sera précisé par décret en Conseil d’État. L’avis donné par le comité ad-hoc sur les projets de transaction de l’administration de l’État ne pourra pas exonérer le signataire de la transaction de sa responsabilité pénale.

C – Les dispositions visant à faciliter le dialogue entre l’administration et les usagers

Pour simplifier les démarches des usagers, le projet de loi s’inscrit dans la logique des « guichets uniques » en prévoyant d’expérimenter la mise en place, au sein de l’administration et pour des procédures déterminées, de référents uniques à même de faire traiter des demandes qui leur sont adressées pour l’ensemble des services concernés (art. 15). Il prévoit également d’expérimenter le principe d’un référent unique doté d’un pouvoir de décision dans les maisons de services au public (art. 15 bis) ainsi qu’un dispositif de référent unique pour les porteurs de projet dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (art. 15 ter).

Par ailleurs, le législateur cherche à développer la médiation (art. 17). Il généralise la médiation dans les URSSAF, laquelle a été expérimentée en Ile-de-France depuis 2016. Il met en place pour trois ans un dispositif de médiation visant à résoudre les différends opposant entreprises et administrations (art. 17 bis).

D’autre part, le gouvernement est habilité à prendre par ordonnances toute mesure visant à créer, pour les bénéficiaires de prestations sociales et de minima sociaux, un droit à rectification des informations les concernant dans le cadre d’une procédure de recouvrement d’indus, et à harmoniser les règles relatives à la notification d’indus (art. 18).

Le texte prévoit également la transmission systématique d’une copie des procès-verbaux constatant les infractions au Code de l’environnement et au Code forestier aux personnes mises en cause, sauf instruction contraire du procureur de la République. Cette disposition permettra à la personne mise en cause au stade de l’enquête judiciaire d’être informée rapidement et de mieux comprendre les infractions qui lui sont reprochées (art. 20). Comme le rappelle l’étude d’impact annexée au projet de loi, ce droit existe déjà en ce qui concerne les principales infractions aux règles du Code rural et de la pêche maritime et du Code des douanes.

Enfin, il sera interdit à toutes les administrations visées par l’article L. 100-3 du CRPA, à l’exception des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, « de recourir à un numéro téléphonique surtaxé dans leurs relations avec le public », à compter du 1er janvier 2021 (art. 15 A).

II – Les dispositions concourant à la transformation de l’action publique

Le projet de loi « ESSOC » cherche à remédier à une trop grande complexité administrative22. Son second titre rassemble toute une série de mesures de simplification des formalités administratives.

A – Les dispositions visant à développer la dématérialisation des procédures

Il s’agit d’assurer la pleine effectivité du fameux principe « Dites-le nous une fois » adopté sous le précédent quinquennat23. Ce principe cherche à réduire le nombre d’informations et de pièces justificatives demandées aux usagers en développant les systèmes d’échanges entre administrations.

Il est prévu, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, que les personnes inscrites au répertoire des entreprises et de leurs établissements ne seront pas tenues de communiquer à une administration des informations que celle-ci détient déjà dans un traitement automatisé ou qui peuvent être obtenues d’une autre administration par un tel traitement (art. 21).

Lorsqu’elle obtiendra des informations par un traitement automatisé, l’administration en informera la personne concernée. Elle assurera la confidentialité et la protection de ces informations. Le législateur vient instaurer une sorte de « coffre-fort numérique » qui recensera les informations qui sont régulièrement demandées aux entreprises. Il répond à une demande des entreprises en donnant à ces dernières des garanties pour que les données stockées par l’administration demeurent confidentielles.

Le texte prévoit aussi une dispense de signature pour les décisions administratives relatives à la gestion des agents publics produites par voie dématérialisée dans le cadre des systèmes d’information des ressources humaines (art. 22).

Enfin, il ouvre la voie à une expérimentation, pour une durée de dix-huit mois, dans quatre départements, de la suppression des justificatifs de domicile pour la délivrance des cartes nationales d’identité, des passeports, des permis de conduire et des certificats d’immatriculation des véhicules (art. 23). L’usager devra désormais simplement fournir les références qui permettront son identification auprès d’un fournisseur d’un bien ou d’un service attaché à son domicile. Les vérifications seront effectuées par l’administration auprès du fournisseur. Ce dernier sera tenu de répondre aux sollicitations de l’administration en lui communiquant « les données à caractère personnel lui permettant de vérifier le domicile déclaré par le demandeur ». Il reviendra à l’administration de garantir la confidentialité et la protection de ces informations.

B – Les dispositions visant à simplifier une administration trop complexe

Le législateur cherche à faciliter la réalisation des projets de construction. Il habilite le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures instaurant une autorisation pour le maître d’ouvrage de bâtiment à déroger à certaines règles de construction dès lors « qu’il apporte la preuve qu’il parvient, par les moyens qu’il entend mettre en œuvre, à des résultats équivalents à ceux découlant de l’application des règles auxquelles il est dérogé et que ces moyens présentent un caractère innovant » (art. 26). Avec ce « permis de faire », il s’agit de fixer désormais aux entreprises une obligation de résultat et non plus de moyens. Pour le député Stanislas Guérini, rapporteur du projet de loi, ce dispositif introduit un « vrai changement en matière de production de normes ».

Par ailleurs, le projet de loi « ESSOC » tire les conséquences du principe dégagé par la jurisprudence Danthony du Conseil d’État24selon lequel « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que si cette irrégularité a exercé une influence sur le sens de la décision ou a privé les intéressés d’une garantie ». Il vient abroger l’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit25 qui limite ce principe juridique aux seules irrégularités qui sont commises lors de la consultation d’un organisme (art. 26).

Il est à noter que le législateur n’a pas souhaité procéder à une codification de la jurisprudence Danthony. Il a effectivement suivi l’avis du Conseil d’État qui a considéré qu’une telle mesure serait « inopportune » car elle priverait le juge administratif de « la possibilité de lui apporter les amendements nécessaires (…) notamment afin de prendre en compte la spécificité de certaines procédures administratives préalables sectorielles »26.

Enfin, le gouvernement est habilité à légiférer par ordonnance pour expérimenter de nouvelles formes de regroupement des établissements d’enseignement supérieur (art. 28).

C – Des règles plus simples pour le public

Il est prévu la création, à titre expérimental, d’un mécanisme de « rescrit juridictionnel », c’est-à-dire d’une appréciation en régularité, par un juge, d’une décision administrative, appréciation qui limite ensuite les possibilités de recours contre cette décision (art. 31).

Avec ce mécanisme de « rescrit juridictionnel », le législateur cherche à réduire les risques contentieux. Cette nouvelle voie de droit est de nature à sécuriser des projets de grande ampleur qui s’inscrivent dans le cadre d’opérations complexes27.

Ce nouveau dispositif vient marquer clairement « un mouvement visant à assurer la primauté de la sécurité juridique sur la légalité, en raison de la complexité croissante du droit, et s’inscrit dans la continuité de plusieurs autres dispositions du projet de loi »28.

Par ailleurs, le texte adopté par les députés prévoit l’expérimentation pour une durée de trois ans d’une procédure de consultation du public par voie électronique en lieu et place de l’enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale qui ont donné lieu à une concertation préalable sous l’égide d’un garant (art. 33)29

Enfin, le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur l’application du principe selon lequel « le silence de l’administration vaut acceptation » et ses exceptions (art. 43). Ce principe a été consacré par la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens et a été codifié à l’article L. 231-1 du CRPA. Malheureusement, il connaît de multiples exceptions qui le vident de sa substance. On a d’ailleurs évoqué un véritable « choc de complexification »30 à propos de ce principe qui est pourtant intervenu dans le cadre du « choc de simplification », lancé en mars 2013 par le président, François Hollande.

En conclusion, le projet de loi « ESSOC », qui a été présenté comme « l’un des textes les plus importants du quinquennat »31, apparaît comme une nouvelle tentative en vue de simplifier les démarches administratives après d’autres tentatives dont le bilan s’avère mitigé32. Tout en s’inscrivant dans la continuité du « choc de simplification » décidé en 2013, il va plus loin que la réforme engagée sous la précédente législature.

Ce texte qui détermine un nouvel équilibre dans les relations entre le public et l’administration en introduisant une logique d’accompagnement et de conseil, en particulier face aux erreurs commises de bonne foi, sera en quelque sorte complété par le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, lequel a été adopté par le conseil des ministres du 28 mars 2018. En effet, ce projet de loi, également en cours d’examen par le Parlement, vise lui à « renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt »33.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Après l’échec de la commission mixte paritaire le 5 avril 2018, il a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale le 26 juin 2018.
  • 2.
    Il fait suite au projet de loi relatif au droit à l’erreur et à la simplification présenté le 6 juillet 2017 par le Premier ministre au CNEN, lequel avait rendu le 20 juillet 2017 un avis défavorable. Après avoir été enrichi à la demande du président de la République, il a été adopté par le conseil des ministres du 27 novembre 2017. Il a également été enrichi lors du débat parlementaire tout en restant conforme dans ses grandes lignes au projet de loi initial.
  • 3.
    Elle prévoit notamment la dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives, en dehors de la première délivrance d’un document d’identité, d’ici à 2022. L’Assemblée nationale a tenu à introduire dans la stratégie nationale d’orientation de l’action publique la mention de la prise en compte « des besoins d’accompagnement des citoyens ayant des difficultés d’accès aux services dématérialisés ». Dans son rapport d’activité pour 2016 et dans son avis du 10 janvier 2018 sur le projet de loi, le Défenseur des droits a d’ailleurs souligné que la dématérialisation des procédures par les services publics « exclut nombre d’usagers qui se retrouvent dans l’incapacité de procéder aux démarches requises ».
  • 4.
    V. Rapp. Sénat, n° 329, 22 févr. 2018, sur le projet de loi, p. 20.
  • 5.
    Le principe du droit à l’erreur a été présenté par le gouvernement comme étant « la possibilité pour chaque Français de se tromper dans ses déclarations à l’administration sans risquer une sanction dès le premier manquement » (dossier de presse du gouvernement sur le projet de loi, 27 nov. 2017, p. 4).
  • 6.
    V. l’exposé des motifs du projet de loi, p. 5.
  • 7.
    V. l’étude d’impact du projet de loi, p. 26.
  • 8.
    Selon la formule du député LRM, Stanislas Guérini, rapporteur du projet de loi.
  • 9.
    Pour reprendre le texte de l’amendement n° 67 au projet de loi adopté par les députés le 7 juin 2018.
  • 10.
    CE, avis sur le projet de loi, 13 nov. 2017, p 4.
  • 11.
    Ibid.
  • 12.
    Ces matières concernent la durée maximale de travail, le temps de repos, le décompte de la durée du travail, le salaire minimum ainsi que les règles d’hygiène, de restauration et d’hébergement des travailleurs.
  • 13.
    C. trav., art L. 1235-2.
  • 14.
    Les dispositions de l’article L. 80 A du LPF instituent « un mécanisme de garantie au profit du redevable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation de la loi formellement admise par l’administration, même lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit » (CE, avis, 8 mars 2013, Mme Monzani).
  • 15.
    Cette étude a été adoptée le 14 novembre 2013 par l’assemblée générale du Conseil d’État. Elle fait suite à une demande du Premier ministre en date du 31 mai 2013.
  • 16.
    CE, Le rescrit, sécuriser les initiatives et les projets, 2013, Doc. Fr, p. 20.
  • 17.
    V. Collet M., Droit fiscal, 4e éd., 2013, PUF, p. 184-189.
  • 18.
    Ord. n° 2015-1628, 10 déc. 2015, relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l’administration, sur l’application d’une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur : JO n° 0287, 11 déc. 2015, p. 22852.
  • 19.
    V. Plessix B., « Une réponse ? Le rescrit », RDP, 2017, n° 1, p. 83.
  • 20.
    CE, Le rescrit, sécuriser les initiatives et les projets, 2013, Doc. Fr, p. 20.
  • 21.
    Le certificat de projet peut être demandé par le porteur d’un projet soumis à autorisation environnementale à l’autorité administrative compétente pour la délivrer. Les dispositions de l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 sont venues généraliser la procédure du certificat de projet qui avait fait l’objet d’une expérimentation depuis 2014 (V. Zarka J.-C., « La réforme de l’autorisation environnementale unique », LPA 11 avr. 2017, n° 125m4, p. 7).
  • 22.
    Selon le Global Competitiveness Report du Forum économique mondial, la France se classe au 115e rang sur 140 en termes de complexité administrative, pour la période 2016-2017.
  • 23.
    Ce principe de non-redondance des informations demandées aux usagers a été inscrit dans le CRPA
  • 24.
    (CRPA, art. L. 113-12 et CRPA, art. L. 113-13).
  • 25.
    CE, ass., 23 déc. 2011, Danthony, req. n° 335033 : Dr. adm. 2012, comm. 22, note Melleray F. ; JCP A 2012, 2089, note Broyelle C.
  • 26.
    L’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 dispose que « lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre de la décision ».
  • 27.
    CE, avis sur le projet de loi, 13 nov. 2017, p. 16.
  • 28.
    V. l’étude d’impact du projet de loi, p. 194.
  • 29.
    Rapp. Sénat, n° 329, 22 févr. 2018, sur le projet de loi, p. 256.
  • 30.
    On observera que le Sénat a souhaité en première lecture supprimer cette expérimentation car il a jugé prématuré de prévoir une telle dérogation aux procédures de participation du public qui ont été récemment réformées par l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016.
  • 31.
    Cassia P., « Silence de l’administration : le choc de complexification », D. 2015, p. 201.
  • 32.
    Pour reprendre la formule de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics (Entretien au Journal du dimanche, 26 nov. 2017).
  • 33.
    V. CE, Simplification et qualité du droit, Étude annuelle 2016.
  • 34.
    Compte-rendu du conseil des ministres, 28 mars 2018.
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