Variations sur le contrôle de proportionnalité en matière de sanctions administratives

Publié le 08/01/2025
Variations sur le contrôle de proportionnalité en matière de sanctions administratives
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Depuis les décisions d’Assemblée de 2013 et 2014, la sévérité de la sanction disciplinaire infligée par le juge du fond a cessé d’être une question relevant entièrement de l’appréciation des faits (CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, n° 488978, concl. du rapporteur public J.-F. de Montgolfier.) et elle fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité. Cette appréciation de la sévérité de la sanction relève de la qualification juridique. La jurisprudence sur les sanctions est ainsi fondée sur un contrôle de proportionnalité, dont les contours des liens avec d’autres instances jugées viennent d’être précisées par le Conseil d’État.

CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, no 488978

Dans sa décision Sieur B., le Conseil dÉtat considérait quil ne lui « appart[enait] pas dapprécier si limportance de la sanction prise est en rapport avec les faits qui lont provoquée » (CE, 16 juill. 1947, Sieur B., rec. p. 319).

« Errare humanum est, perseverare autem diabolicum » ; « Errare humanum est, sed perseverare diabolicum ». Ainsi pourrait-on qualifier l’affaire peu joyeuse qui donne lieu, le 27 septembre 20241, à un arrêt du Conseil d’État, rendu au fond, à la suite de la deuxième cassation.

Les décisions en cause sont des décisions du Conseil national de l’enseignement et de la recherche (CNESER). Il s’agit d’une instance à la fois consultative, présidée par le ministre en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et une juridiction administrative spécialisée. Dans sa fonction consultative, il donne des avis dans une série de domaines dont les stratégies d’enseignement supérieur et de recherche, les projets de réformes ou encore la création, suppression ou le regroupement d’établissements. À cette large palette de compétences consultatives s’ajoute une fonction disciplinaire.

Il statue en appel et en dernier ressort sur les décisions disciplinaires prises par les instances universitaires compétentes à l’égard des enseignants-chercheurs, enseignants et usagers. Selon l’article L. 232-2 du Code de l’éducation, il recherche, statue en appel et en dernier ressort sur les décisions disciplinaires prises par les instances universitaires compétentes à l’égard des enseignants-chercheurs et enseignants. Toutefois, il est appelé à statuer en premier et dernier ressort lorsqu’une section disciplinaire n’a pas été constituée ou lorsqu’aucun jugement n’est intervenu six mois après la date à laquelle les poursuites ont été engagées devant la juridiction disciplinaire compétente. L’article L. 232-3 du même code précise que le Conseil national est présidé par un conseiller d’État désigné par le vice-président du Conseil d’État. Hormis son président, il ne comprend que des enseignants-chercheurs d’un rang égal ou supérieur à celui de la personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire devant lui. Le président du CNESER statuant en matière disciplinaire désigne pour chaque affaire les membres appelés à former une commission d’instruction. La fonction de rapporteur de cette commission peut être confiée par le président à un magistrat des juridictions administrative ou financière extérieur à la formation disciplinaire.

Ce sont des décisions successives de l’instance juridictionnelle qui font l’objet d’annulations par le Conseil d’État. En effet, après avoir annulé une première fois la décision du CNESER du 23 mars 2022, le 30 décembre 2022, la haute juridiction administrative annule, le 27 septembre 2024, la nouvelle décision prise par le CNESER le 4 septembre 2023. Les faits concernent la participation d’un enseignant de l’université de Montpellier à l’expulsion violente, avec des coups portés, avec l’aide notamment de personnes extérieures à l’établissement, pour certaines cagoulées et munies de planches ainsi que d’un pistolet à impulsion électrique, d’étudiants occupant, dans le cadre d’un mouvement national, un amphithéâtre de cette université. Les motifs d’annulation sont, aux deux reprises, les mêmes, à savoir la disproportion entre les faits établis et la sanction retenue. Cette décision, fondée sur le devoir d’exemplarité des enseignants et la gradation des sanctions applicables en cas de manquement (I) précise les liens entre l’autorité de la chose jugée dans d’autres instances sur la même espèce et la décision de l’autorité de sanction (II).

I – Le devoir d’exemplarité des enseignants et le contexte des manquements commis

Si la mission de l’enseignant-chercheur est essentiellement de transmettre un savoir, une somme de connaissances, son public d’adultes, plus ou moins jeunes, renforce le devoir d’exemplarité. L’éveil à la conscience politique des étudiants se fait souvent dans les cadres et par les années universitaires. Tel est le contexte de l’affaire (A) ayant conduit à une attitude entrant dans le cadre des sanctions, dans plusieurs procédures, lors de manquements (B).

A – Le contexte du manquement au devoir d’exemplarité

Le printemps 2018 a été le théâtre de discussions et tensions autour des questions universitaires. Ainsi au mois de mars, dans le cadre du mouvement étudiant contre la réforme de l’accès à l’université, des organisations syndicales avaient obtenu l’autorisation d’utiliser des locaux, dont un amphithéâtre de la faculté de droit de Montpellier. Il devait s’agir d’une réunion d’information qui est finalement devenue une assemblée générale, laquelle a décidé du vote de la grève, avec occupation et blocage des locaux.

Ce contexte conflictuel a conduit à des heurts entre les étudiants favorables et ceux hostiles au blocage. En l’absence d’évacuation ordonnée par le préfet, l’établissement a tenté un apaisement, alors même que le doyen de la faculté de droit se trouvait pris à partie2. Malgré la tentative d’accalmie, dans la nuit, un groupe d’individus, aux visages dissimulés et muni de diverses armes, s’est livré à des actions violentes sur les manifestants, comme en témoignent des captations vidéo par des téléphones mobiles. La presse s’était fait l’écho de ces violences. Le 22 mars 2018, un commando cagoulé et armé de bâtons et d’un pistolet à impulsions électriques avait violemment expulsé d’un amphithéâtre des étudiants et des militants qui protestaient contre la réforme de l’accès à l’université. Le coup de force avait fait 10 blessés légers. Outre deux universitaires, d’autres mises en examen avaient été prononcées dans le cadre de l’enquête pénale, notamment après un coup de filet chez des proches du milieu identitaire. Les militants et étudiants victimes du coup de force avaient dénoncé à l’époque la présence de militants de l’organisation étudiante Groupe union défense (GUD) ou de la Ligue du Midi lors de manifestations et contre-manifestations qui avaient suivi les événements devant la faculté de droit3. Parallèlement, dès le 23 mars, la ministre de l’Enseignement supérieur avait saisi l’Inspection Générale de l’Administration de l’Éducation nationale et de la Recherche (IGAENR) pour « intrusion et faits de violence perpétrés dans un amphithéâtre de l’UFR droit et science politique de l’université de Montpellier », et les avait faits suspendre de leurs fonctions4.

Les différentes enquêtes ont pu montrer que ces actions ont été menées à l’initiative de membres de la faculté de droit et particulièrement d’un enseignant, qui aurait également porté des coups, accompagné de son épouse, elle-même ayant sollicité préalablement des membres du service d’ordre du mouvement dit de la « manif pour tous »5. Plusieurs procédures ont alors eu lieu.

B – L’établissement des manquements par plusieurs procédures

Plusieurs procédures ont conduit à la condamnation des personnes mises en cause dans ces faits de violence. Il en est ainsi d’un jugement du 2 juillet 20216, le tribunal correctionnel de Montpellier ayant reconnu et condamné les faits. L’enseignant concerné par l’affaire ici commentée a alors été reconnu coupable de violences volontaires commises en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) n’excédant pas 8 jours sur trois victimes et de violences n’ayant pas entraîné d’ITT sur 6 autres victimes. Le tribunal a constaté que ces faits avaient été commis en récidive légale, l’intéressé ayant déjà été condamné en 2013 pour des faits juridiquement assimilés. Il lui a infligé la peine de 14 mois d’emprisonnement dont 8 assortis d’un sursis probatoire, les 6 mois ferme étant aménagés en détention à domicile sous surveillance électronique. Il a enfin prononcé à titre de peine complémentaire l’interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée d’un an. Cette décision a été partiellement annulée en appel, par un arrêt désormais définitif de la cour d’appel de Montpellier de la chambre correctionnelle en date du 28 février 2023. La décision d’appel retient néanmoins l’essentiel de la culpabilité de violence.

Entre ces deux décisions relevant du juge judiciaire, le Conseil d’État a rendu une première décision d’annulation de la décision du CNESER le 30 décembre 20227. Il s’était alors référé à un jugement – contre lequel a été formé alors encore pendant – du tribunal correctionnel du 2 juillet 2021 de Montpellier qui, pour ces mêmes agissements, a relevé le caractère prémédité des violences en réunion et la participation directe de l’intéressé à celles-ci, dans l’université où il exerce comme enseignant-chercheur, l’a jugé coupable de faits de violence commise en réunion suivie d’incapacité n’excédant pas 8 jours, en récidive, et de faits de violence commise en réunion sans incapacité, en récidive, et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de 14 mois, dont 8 mois avec sursis, assortie d’une peine complémentaire d’interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée d’un an. Dans ces conditions, le Conseil d’État jugeait qu’en n’infligeant à raison de ces faits à M. A. que la sanction, prévue au 5° de l’article L. 952-8 du Code de l’éducation cité au point2, d’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant 4 ans, avec privation de la totalité de son traitement, et non une sanction prévue par les alinéas suivants de cet article, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a retenu une sanction hors de proportion avec les fautes commises. Il précise alors que si le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise8.

Parallèlement, des procédures administratives et disciplinaires ont été menées contre l’intéressé. Ce qui a conduit à s’interroger sur les liens entre les prérogatives disciplinaires du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’autorité de la chose jugée par d’autres autorités.

II – Les liens entre les prérogatives disciplinaires du CNESER et l’autorité de la chose jugée par d’autres autorités

Le deuxième point de la décision du 27 septembre 2024 donne la clé de lecture des rapports existant entre les prérogatives du CNESER et les décisions d’autres instances disciplinaires ou juridictionnelles. Le Conseil d’État affirme en effet que l’autorité de la chose jugée, s’attachant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s’imposent aux juridictions administratives, s’attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s’attacher aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité, ni, en principe, à ceux d’un jugement de condamnation procédant à la qualification juridique des faits poursuivis, ou de la peine qu’il inflige.

Les termes importants à relever dans cette affirmation sont ceux relatifs à la « constatation matérielle des faits (…) qui sont le support nécessaire du dispositif ». Dès lors en effet que le juge judiciaire de première instance avait reconnu la matérialité des faits de violence, l’annulation partielle en appel ne portant pas sur cette matérialité, le CNESER ne pouvait se prévaloir de cette dernière pour maintenir sa décision préalablement censurée. Ainsi parmi les sanctions pouvant être infligées par les instances disciplinaires et juridictionnelles en matière d’enseignement supérieur (A), le CNESER devait retenir celles correspondant aux faits déjà judiciairement établis (B).

A – Les sanctions pouvant être infligées par les instances disciplinaires et juridictionnelles en matière d’enseignement supérieur

Selon l’article L. 952-8 du Code de l’éducation, les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l’enseignement supérieur sont :

1° le blâme ;

2° le retard à l’avancement d’échelon pour une durée de deux ans au maximum ;

3° l’abaissement d’échelon ;

4° l’interdiction d’accéder à une classe, grade ou corps supérieurs pendant une période de deux ans au maximum ;

5° l’interdiction d’exercer toutes fonctions d’enseignement ou de recherche ou certaines d’entre elles dans l’établissement ou dans tout établissement public d’enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ;

6° la mise à la retraite d’office ;

7° la révocation.

Les personnes à l’encontre desquelles a été prononcée la sixième ou la septième sanction peuvent être frappées à titre accessoire de l’interdiction d’exercer toute fonction dans un établissement public ou privé, soit pour une durée déterminée, soit définitivement.

Il existe une jurisprudence nourrie sur le contrôle de ces sanctions, dans plusieurs champs de la vie administrative. Plusieurs types de fautes peuvent justifier les sanctions les plus sévères. Ce peut être la nature intrinsèque de la faute, sa gravité ou encore le contexte dans lequel elle a été accomplie.

Ainsi, quant à la nature même de la faute, en matière militaire par exemple, le juge confirme la radiation d’un capitaine qui, en l’espèce, ne contestait pas la matérialité de ces faits ni leur caractère fautif pour avoir participé directement à des violences contre un civil et pour avoir dissimulé à sa hiérarchie des sévices commis par des militaires placés sous ses ordres à l’encontre d’un combattant ennemi prisonnier et entravé9. Le Conseil d’État juge alors que l’intéressé « a été sanctionné pour avoir participé directement à des violences contre un civil et pour avoir dissimulé à sa hiérarchie des sévices commis par des militaires placés sous ses ordres à l’encontre d’un combattant ennemi prisonnier et entravé. L’intéressé ne conteste pas la matérialité de ces faits ni leur caractère fautif. S’il fait valoir qu’un délai de quatre ans et demi s’est écoulé entre ceux-ci et la sanction prononcée, les autorités militaires n’ont eu connaissance effective des faits litigieux que le 19 mai 2016 lors de la remise d’un rapport d’enquête de commandement et ont engagé la procédure disciplinaire dans le délai de trois ans fixé par l’article L. 4137-1 du Code de la défense. Eu égard à la gravité des faits, et malgré le contexte particulièrement difficile dans lequel se déroulait l’opération Sangaris et les très bons états de service de M. A., l’autorité disciplinaire n’a pas pris, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, une sanction disproportionnée en décidant de radier des cadres10 ».

Quant à la gravité de la faute, le Conseil d’État a construit une jurisprudence conséquente relative aux faits de harcèlement, sexuel ou moral11. Ainsi dans un arrêt du 9 octobre 2020, le juge confirme une sanction, car l’intéressé avait méconnu le devoir d’exemplarité qui s’imposait à lui et fait la preuve de son incapacité à exercer ses fonctions de professeur des universités, en cherchant à entretenir avec des étudiantes, contre leur volonté, des relations intimes et inappropriées, en adoptant un comportement brutal et arbitraire à l’encontre d’étudiants, en adressant des messages électroniques diffamatoires ou insultants à ses collègues, puis, après avoir été sanctionné par la décision du 19 juillet 2016 à raison de ces faits, en tentant d’intimider et de dissuader plusieurs de ses collègues et étudiantes de témoigner dans le cadre de l’instance d’appel, en recourant à des messages anonymes ou adressés sous une fausse identité. Il avait alors jugé qu’en infligeant la sanction de révocation à M. A. à raison de l’ensemble de ces faits fautifs, le CNESER n’a pas prononcé une sanction hors de proportion avec les fautes commises12.

S’agissant des fautes qui, dans le contexte où elles sont commises, nonobstant leur degré de gravité, créent les conditions d’une rupture, elles ont été confirmées par le juge administratif dans plusieurs domaines, comme celui de l’assistance sociale où un agent avait profité de la faiblesse de l’assurée qu’il devait aider13. De même, à propos d’un policier ayant tenu des propos racistes et discriminatoires sur un groupe d’un service de messagerie instantanée et n’ayant pas dissuadé ou modéré les propos des autres membres du groupe, le Conseil d’État juge, en 2023, à propos du policier ayant été révoqué que « la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a pu, sans erreur de droit, estimer que les faits reprochés à M. A. étaient constitutifs d’une faute de nature à justifier légalement une sanction, même si les propos incriminés avaient été tenus au sein d’un groupe de discussion composé de collègues et si ces échanges étaient intervenus, en partie, en dehors du service »14. Il précise encore que « l’appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève de l’appréciation des juges du fond et n’est susceptible d’être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu’ils ont retenue quant au choix, par l’administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises ».

La jurisprudence d’Assemblée du 23 novembre 2013 constitue une avancée dans le contrôle exercé par le juge administratif sur les sanctions administratives, en passant d’un contrôle restreint à un contrôle entier. Le Conseil d’État juge alors qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes15. Cette jurisprudence a fait l’objet d’un satisfecit de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie de la même affaire après épuisement des voies de recours par l’intéressé. Elle estime en effet que « la sanction prononcée contre le requérant a ainsi fait l’objet d’un contrôle dit entier (autrement appelé contrôle normal) de la part du Conseil d’État, juge de l’excès de pouvoir, susceptible d’aboutir, le cas échéant, à l’annulation de cette sanction. L’étendue d’un tel contrôle coïncide avec celle du contrôle de ‟pleine juridiction” au sens de la jurisprudence de la Cour » ; « La Cour souligne enfin que la sanction infligée au requérant a fait l’objet d’un entier contrôle de proportionnalité qui a porté sur l’appréciation du degré de gravité de cette sanction par rapport aux faits qui lui étaient reprochés. Ce contrôle a ainsi permis une mise en balance des impératifs d’efficacité de l’action administrative et des intérêts du requérant. À cet égard, elle note que le Conseil d’État a pris en compte tant le passé et la manière de servir du requérant que la gravité des faits qui lui étaient reprochés et sa place dans la hiérarchie pour considérer que la mesure de radiation choisie par l’administration n’était pas excessive »16.

Un an plus tard, la décision d’Assemblée du 30 décembre 201417 retient désormais que, si le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise18.

Sur ces bases jurisprudentielles, le caractère fautif des faits sanctionnés est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, qui contrôle que la solution retenue n’est pas hors de proportion avec les fautes commises.

Sur cette base, le juge a ainsi pu annuler des décisions de cour administrative d’appel en l’absence d’exercice d’un entier contrôle sur la proportionnalité d’une telle sanction, ce qui constitue une méconnaissance de l’étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir à l’égard d’une telle décision19.

En matière universitaire, il existe plusieurs instances compétentes pour prononcer ces sanctions, les instances disciplinaires des universités en premier lieu, puis en appel, le CNESER et enfin, en cassation, le Conseil d’État. Ce dernier, saisi une première fois, puis une deuxième fois, en cassation, a évoqué l’affaire, sur le fondement du Code de justice administrative et précisé les conditions d’applications de la proportion entre les sanctions adoptées et l’autorité de la chose précédemment jugée.

B – La proportion entre les sanctions adoptées et l’autorité de la chose précédemment jugée

La décision d’Assemblée de 2014 précisait déjà qu’il appartient en principe au juge disciplinaire de statuer sur une plainte dont il est saisi sans attendre l’issue d’une procédure pénale en cours concernant les mêmes faits ; que, cependant, il peut décider de surseoir à statuer jusqu’à la décision du juge pénal lorsque cela paraît utile à la qualité de l’instruction ou à la bonne administration de la justice20. Il apparaît donc que, au regard de la gamme des sanctions et des procédures pouvant être actionnées en cas de faits répréhensibles, l’autorité administrative peut se trouver en position de tenir compte d’autres procédures ou décisions de justice.

Il peut arriver que des procédures soient menées parallèlement devant le juge judiciaire et devant le juge administratif, posant nécessairement la question de l’articulation et de la cohérence des décisions. Par exemple, en 2018, le Conseil d’État avait annulé un arrêt de cour administrative d’appel ayant confirmé un jugement du tribunal administratif annulant la sanction prise par l’autorité administrative. Précédemment, par un jugement du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône du 15 octobre 2012, l’intéressé avait été déclaré coupable d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions et condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans assortie, pour la totalité, d’un sursis. À la suite, la sanction de mise à la retraite d’office avait été prise par un arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 17 juillet 2013. C’est cette sanction qui conduit à la procédure devant les juges administratifs. Le Conseil d’État estime alors qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; que si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l’appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l’appréciation des juges du fond et n’est susceptible d’être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu’ils ont retenue quant au choix, par l’administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises21. Il rappelle ensuite que, selon les termes mêmes de l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Lyon a retenu que l’agression sexuelle de deux mineurs âgés de 14 ans commise, en juin 2011, par l’intéressé, en dehors de son activité d’enseignant, lors d’un stage de plongée sous-marine auquel il participait en qualité d’instructeur, a été reconnue par l’intéressé, qui s’en est excusé auprès des victimes et a entamé un suivi psychologique, tandis que l’expertise psychiatrique a conclu à l’absence de pulsion pédophile et de personnalité perverse ainsi que d’éléments caractérisant un facteur de dangerosité ou un risque de récidive. Il rappelle encore que la cour a également relevé que l’intéressé avait continué d’exercer normalement ses fonctions pendant une année, avant d’être suspendu puis sanctionné, et qu’au vu de ces faits constants, la cour a estimé qu’eu égard à la manière de servir de l’intéressé et à sa situation à la date de la décision attaquée, la sanction de mise à la retraite d’office était disproportionnée par rapport à la gravité des fautes commises. Le Conseil d’État casse la décision en considération du devoir d’exemplarité qui pèse sur l’intéressé en raison de la nature de ses fonctions22. Il précise ainsi qu’eu égard à l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service, et compte tenu de l’atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l’intéressé, à la réputation du service public de l’Éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service, toutes les sanctions moins sévères susceptibles d’être infligées à M. A. en application de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 mentionné ci-dessus étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes commises par ce dernier. C’est cette même logique qui préside à la décision ici commentée.

En l’espèce en effet, le CNESER a pris argument d’une décision d’appel du juge judiciaire pour retenir la même sanction que celle qu’il avait initialement prise, pourtant annulée par le Conseil d’État. Dans ce contexte, le rapporteur public préconisait de se saisir de l’erreur de droit qui a conduit le CNESER à s’estimer tenu de ne pas se conformer à la décision par laquelle le Conseil lui avait déjà, une fois, renvoyé l’affaire.

Il faut rappeler que cette précédente décision était assortie de l’autorité de la chose jugée23 en ce qu’elle jugeait hors de proportion avec la faute commise une sanction relevant, dans l’échelle de sanctions disciplinaires fixée par l’article L. 952-8 du Code de l’éducation, du 5° de cet article (l’interdiction temporaire d’exercer) et non de ses 6° ou 7° (c’est-à-dire une mise à la retraite d’office ou une révocation). De plus, l’autorité de la chose jugée des décisions rendues par le Conseil d’État en tant que juge de cassation s’étend aux questions de qualification juridique. Depuis la décision rendue en Assemblée le 30 décembre 2014, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise. Par suite, lorsque le Conseil d’État juge en cassation qu’une sanction infligée par le juge du fond est hors de proportion avec les fautes commises, ce constat s’impose au juge du fond comme une question de qualification juridique.

L’erreur de droit commise par le CNESER tient en ce qu’il a jugé devoir « tenir compte, en raison de l’autorité de la chose jugée » de l’arrêt rendu en appel par le juge judiciaire en ce qu’il a procédé à l’allègement de la peine prononcée en première instance24. Ainsi le Conseil d’État juge que le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a ensuite jugé qu’il devait « tenir compte, en raison de l’autorité de la chose jugée » attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier, de ce que cet arrêt avait amoindri la peine prononcée en première instance à l’encontre de l’intéressé. En reconnaissant ainsi à cet arrêt l’autorité de chose jugée sur ce point, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a commis une erreur de droit25.

Au regard des faits reprochés à l’intéressé, la gravité des manquements qu’ils représentent, le CNESER ne pouvait pas tirer argument d’une peine moins sévère prononcée en appel pour maintenir la substance de sa décision initiale, que le Conseil d’État avait annulée. Dès lors, en vertu du second alinéa de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative : « Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette affaire. » Le Conseil d’État étant saisi, en l’espèce, d’un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l’affaire au fond. Après avoir annulé pour vice de forme la décision du 11 janvier 2019 de la section disciplinaire du conseil académique de Sorbonne université, le Conseil d’État évoque l’affaire et juge au fond. Le juge rappelle les termes de l’article L. 121-1 du Code général de la fonction publique, selon lesquels le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité, le quatrième alinéa de l’article L. 123-6 du Code de l’éducation assignant par ailleurs au service public de l’enseignement supérieur la promotion « des valeurs d’éthique, de responsabilité et d’exemplarité ». En outre, aux termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa version applicable à la date des faits litigieux, désormais codifié à l’article L. 530-1 du Code général de la fonction publique : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ». Enfin, aux termes de l’article L. 952-8 du Code de l’éducation : « Les sanctions disciplinaires qui peuvent être appliquées aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants vont du blâme à la révocation » (v. supra). Rappelant la gravité des faits énoncés dans les motifs revêtus de l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 28 février 2023, devenu définitif, de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Montpellier, il les lit au miroir des exigences inhérentes aux fonctions exercées par l’intéressé. Il en est ainsi de l’exigence de dignité, à laquelle porte atteinte un tel comportement ainsi qu’à la réputation du service public de l’enseignement supérieur, auquel le législateur a, par ailleurs, assigné la mission de promouvoir les « valeurs d’éthique, de responsabilité et d’exemplarité ». Le Conseil d’État conclut à ce que ces manquements justifient le prononcé d’une sanction disciplinaire, et qu’il y a lieu, eu égard à leur gravité, de prononcer à l’encontre de l’intéressé la sanction de la révocation.

Cette décision s’inscrit dans la ligne droite de la jurisprudence du Conseil d’État sur le contrôle des sanctions, et de leur proportionnalité dans le contexte d’exercice. À titre de comparaison, la jurisprudence de l’Union européenne en matière de sanctions se développe dans la même logique. De longue date, le recours en annulation devant le tribunal de la fonction publique permet à celui-ci de corriger tant les erreurs de fait que les erreurs de droit et de contrôler la proportionnalité entre la faute reprochée et la sanction disciplinaire contestée26, indiquant notamment que « le tribunal de la fonction publique a constaté (…) que la requérante n’avait fait valoir, au regard de l’article 10 de l’annexe IX du nouveau statut, aucune circonstance atténuante, tenant à sa situation personnelle, de nature à établir le caractère disproportionné de la sanction de révocation »27. Ainsi cette réflexion ancienne28 conduit à de nombreuses jurisprudences dont le point commun est la recherche de la meilleure proportion entre la sanction, les faits reprochés et les fonctions exercées. C’est ce que le Conseil affirma déjà dans son étude thématique sur le sujet en 2017 : « Dans le cadre de son contrôle, le juge de plein contentieux privilégie une démarche casuistique et s’attache donc à vérifier in concreto l’adéquation de la sanction à la gravité des fautes commises. Ainsi, il tient compte, notamment, des fonctions exercées par la personne sanctionnée lorsque cela a une pertinence29 ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, n° 488978.
  • 2.
    CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, n° 488978, concl. du rapporteur public J.-F. de Montgolfier.
  • 3.
    https://lext.so/8Dwdrz.
  • 4.
    https://lext.so/hTbjs6.
  • 5.
    https://lext.so/hTbjs6.
  • 6.
    Cité par le rapporteur public.
  • 7.
    CE, 30 déc. 2022, n° 465304.
  • 8.
    CE, 30 déc. 2022, n° 465304, pt 3.
  • 9.
    CE, 28 févr. 2020, n° 428711.
  • 10.
    CE, 28 févr. 2020, n° 428711, pt 10.
  • 11.
    CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, n° 488978, v. la jurisprudence citée par le rapporteur public.
  • 12.
    CE, 9 oct. 2020, n° 425459.
  • 13.
    CE, 27 mars 2020, nos 427868 et 427985, Sté Orange.
  • 14.
    CE, 28 déc. 2023, n° 478289.
  • 15.
    CE, 13 nov. 2013, n° 347704.
  • 16.
    CEDH, 3 nov. 2022, n° 32314/14, pts 61 et 65.
  • 17.
    AN, 30 déc. 2014, n° 381245.
  • 18.
    CE, 30 déc. 2022, n° 465304, pt 19.
  • 19.
    CE, 2 déc. 2020, n° 426826.
  • 20.
    AN, 30 déc. 2014, n° 381245, pt 3.
  • 21.
    CE, 18 juill. 2018, n° 401527.
  • 22.
    CE, 18 juill. 2018, n° 401527, pt 5.
  • 23.
    Le rapporteur public rappelle ainsi que selon la décision Sieur Botta du 8 juillet 1904 (GAJA, § 13 et concl. Romieu) l’autorité de la chose jugée en cassation s’impose au juge du fond à nouveau saisi de l’affaire.
  • 24.
    Concl. Romieu.
  • 25.
    CE, 4e-1re ch. réunies, 27 sept. 2024, n° 488978, pt 4.
  • 26.
    TFP, 9 sept. 2010, n° T-17/08, P.
  • 27.
    TFP, 9 sept. 2010, n° T-17/08, P, pt 41.
  • 28.
    V. not. J.-M. Sauvé, « Les sanctions administratives en droit public français. État des lieux, problèmes et perspectives », AJDA 2001, p. 16. V. aussi CE, le dossier thématique, « Le juge administratif et les sanctions administratives », 2017.
  • 29.
    CE, le dossier thématique, « Le juge administratif et les sanctions administratives », 2017, p. 24.
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