Entreprises en difficulté

Agissements fautifs à l’origine de la procédure collective – détournement d’éléments d’actif

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 22 mars 2016, no 2011047034

La société Man Trucks & Bus (MTB) a conclu, en janvier 1996 pour une durée indéterminée, avec la société Nîmes Poids Lourds (NPL) une concession exclusive dans le Gard pour la vente et la réparation des véhicules de la marque MAN. Dans la perspective de la mise en conformité de son réseau avec le règlement de la Commission européenne du 31 juillet 2002, MTB a remplacé le 26 janvier 2004 la concession exclusive par un contrat d’agent commercial, résilié le 21 février 2007 quand MTB a décidé de mettre en place un réseau de distribution sélective pour lequel NPL s’est portée candidate pour le Gard et l’Hérault. Le 14 janvier 2008 MTB a informé NPL de ce que sa candidature n’était pas retenue en qualité de distributeur de véhicules MAN. À partir de mars 2007, NPL a continué à vendre des véhicules MAN sous le couvert d’un autre membre du réseau, la société VVO, sans que leurs accords aient fait l’objet d’un écrit. En juin 2009, VVO a mis fin sans préavis à ces accords. Le 27 octobre 2009, MTB a résilié le contrat de réparateur toujours en vigueur.

Le 5 mai 2010 NPL a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, puis le 26 juin 2011, a été placée en liquidation judiciaire.

Représentée par son liquidateur, NPL a assigné MTB et VVO réclamant des dommages-intérêts pour avoir été par leurs agissements directement à l’origine du placement de NPL en redressement judiciaire et probablement en liquidation judiciaire, et s’agissant de VVO, pour avoir récupéré l’essentiel de la valeur incorporelle du fonds de commerce sans en acquitter le prix et sans formuler d’offre de reprise lors de la période d’observation.

Le tribunal fait droit à cette demande à hauteur d’une partie de son quantum aux motifs suivants :

Attendu, compte tenu des éléments qui précèdent, qu’il apparaît que NPL agissait en qualité de sous-distributeur MAN VVO ; statut autorisé par le contrat cadre MAN régissant les rapports entre MAN et VVO ;

Attendu que VVO a mis fin à ce mécanisme en juin 2009, brutalement et sans aucun préavis en refusant les commandes de NPL ; que ce refus constitue donc une rupture de leurs accords, qu’elle a causé un préjudice économique et d’image à NPL qui se trouvait, subitement dans l’impossibilité de satisfaire ses clients ; qu’au titre de cette rupture NPL peut prétendre à un dédommagement ;

Attendu que NPL avance que suite à cette résiliation VVO a directement démarché sans autre forme de procès la clientèle du Gard, qu’elle produit un courrier adressé à VVO lui enjoignant de cesser ces pratiques ; qu’il s’agit d’une clientèle spécifique compte tenu des véhicules en jeu, que les transactions ayant transité par VVO, ainsi qu’il résulte du schéma triangulaire précédemment décrit et non contesté par les parties, VVO avait connaissance d’une partie du fichier clientèle de NPL ;

Attendu que VVO a d’ailleurs repris une grande partie des salariés de NPL pour développer son activité ainsi que ses installations après la mise en liquidation ;

Attendu que privée de l’agrément MAN qui constituait la source essentielle de son activité NPL ne pouvait plus satisfaire sa clientèle ni poursuivre son activité ; que d’ailleurs elle devait faire l’objet d’une liquidation judiciaire, alors que son chiffre d’affaire s’était maintenu jusqu’à cette résiliation ainsi qu’il résulte des documents communiqués au tribunal ; qu’il apparaît que c’est en raison de cette dépendance et des promesses d’agrément entretenue que NPL a accepté l’application du schéma triangulaire ;

Attendu que la rupture brutale de VVO, effectuée sans aucun préavis a privé NPL de ses marges sur chiffre d’affaire, et a condamné toute poursuite d’activité ; cette manœuvre a par ailleurs été bénéfique pour VVO qui pouvait dès lors agir librement sur le Gard ;

Attendu que la société NPL fait valoir qu’en la privant de son activité principale MTB et VVO ont conduit à la cessation d’activité de NPL et a sa mise en liquidation judiciaire et fixe son préjudice à 800 000 € ;

Attendu qu’ainsi qu’il a été précédemment exposé le retrait brutal d’agrément de NPL conduisait nécessairement à la cessation d’activité de NPL ; mais que, si il ne peut être reproché à MAN et VVO d’avoir rompu les accords, les conditions dans lesquelles cette rupture est intervenue est de nature à engager leur responsabilité ; qu’ainsi l’ensemble des manœuvres mise en œuvre pour maintenir NPL dans un statut non formalisé, en lui faisant miroiter un possible agrément, mais sans l’informer de l’agrément de VVO sur son secteur d’activité a rendu possible la reprise ultérieure des locaux de NPL et de la majorité de ses salariés par VVO sans bourse déliée ;

Attendu que la non-formalisation de son statut de sous distributeur a également privé NPL d’indemnités auxquelles il aurait pu prétendre lors de la résiliation des accords tripartites ;

Attendu qu’ainsi qu’elle le démontre la société NPL avait eu un résultat positif avant la résiliation des accords ;

Attendu qu’il apparaît que MAN et VVO ont eu un comportement peu transparent et ont usé de manœuvres dolosives d’autant plus préjudiciables que NPL se trouvait dans un état de dépendance au regard de la marque MAN ; que l’ensemble de ces actions ont concouru à la cessation d’activité de NPL dans des conditions défavorables ;

Dès lors le tribunal usant de son pouvoir d’appréciation fixera le préjudice de NPL à 400 000 € au titre de la responsabilité de MAN et VVO dans la déconfiture de NPL et condamnera solidairement MAN et VVO à payer à NPL la somme de 400 000 € en réparation de son préjudice déboutant pour le surplus ;

 

LPA 13 Avr. 2018, n° 133q9, p.58

Référence : LPA 13 Avr. 2018, n° 133q9, p.58

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