Pratiques discriminatoires — manœuvres dolosives — rupture brutale de relations commerciales
T. com. Paris, 22 mars 2016, no 2011047034
La société Man Trucks & Bus (MTB) a conclu, en janvier 1996 pour une durée indéterminée, avec la société Nîmes Poids Lourds (NPL) une concession exclusive dans le Gard pour la vente et la réparation des véhicules de la marque MAN. Dans la perspective de la mise en conformité de son réseau avec le règlement de la Commission européenne du 31 juillet 2002, MTB a remplacé le 26 janvier 2004 la concession exclusive par un contrat d’agent commercial, résilié le 21 février 2007 quand MTB a décidé de mettre en place un réseau de distribution sélective pour lequel NPL s’est portée candidate pour le Gard et l’Hérault. Le 14 janvier 2008 MTB a informé NPL de ce que sa candidature n’était pas retenue en qualité de distributeur de véhicules MAN. À partir de mars 2007, NPL a continué à vendre des véhicules MAN sous le couvert d’un autre membre du réseau, la société VVO, sans que leurs accords aient fait l’objet d’un écrit. En juin 2009, VVO a mis fin sans préavis à ces accords. Le 27 octobre 2009, MTB a résilié le contrat de réparateur toujours en vigueur.
Le 5 mai 2010 NPL a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, puis le 26 juin 2011, a été placée en liquidation judiciaire.
Représentée par son liquidateur, NPL a assigné MTB et VVO réclamant des dommages-intérêts pour refus d’agrément discriminatoire, manœuvres dolosives relativement à l’indemnité de résiliation et rupture brutale des accords de sous-distribution.
Le tribunal fait droit à ces demandes à hauteur d’une partie de leur quantum aux motifs suivants :
« Sur ce :
1 — Sur les pratiques discriminatoires :
Attendu que NPL estime avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire en n’ayant pas obtenu de réponse à ses courriers de candidature, en n’ayant pas été informée que contrairement à l’espérance dans laquelle l’entretenait MAN, ce dernier avait agréé un concurrent sur le département du Gard sur lequel elle exerçait ;
Attendu qu’en application de la liberté du commerce, il n’y a aucune obligation à agréer un candidat à l’entrée dans un réseau de distribution sélective, ni de motiver son refus ;
Attendu par ailleurs que de jurisprudence constante « s’il appartient en stricte application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie à tout fournisseur d’organiser le mode de distribution de ses produits et de procéder aux modifications et rationalisations jugées nécessaires sans que les cocontractants ne bénéficient de droits acquis à y demeurer, le titulaire du réseau se doit, néanmoins, de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et d’appliquer ceux-ci de manière non discriminatoire » ;
Que c’est seulement par courrier RAR du 14 janvier 2008 que MAN informait NPL du rejet de sa candidature sans spécifier les motifs de ce rejet ; qu’à cette date il avait agréé un concurrent de NPL sur le Gard depuis plusieurs mois, rendant sa candidature vide de sens, sans l’en informer pour autant ;
Attendu qu’il résulte des pièces communiquées au tribunal que MAN, même s’il n’avait pas à justifier son refus d’agréer NPL, n’a communiqué au tribunal aucun des prétendus critères de définition de son réseau de distribution sélective quantitative appliqués lors des dépôts des candidatures successives de NPL, ni ultérieurement et que si le tribunal n’a pas à apprécier la pertinence de ces critères il lui revient d’en constater l’existence ;
Attendu que MAN a expliqué à l’audience que NPL ne satisfaisait pas non plus aux critères qualitatifs de son réseau de distribution sélective, mais qu’il n’a pas jugé utile de préciser, ni à l’époque ni au tribunal quels étaient ces critères ;
Que faute d’établir l’existence de critères qualitatifs et quantitatifs objectifs gouvernant la constitution de son réseau de distribution, MAN ne peut se prévaloir de l’exemption établie par le règlement CE n° 1400/2002 du 31 juillet 2002, spécifique à la distribution automobile, et la dispensant en particulier des dispositions de droit commun du droit de la concurrence et des pratiques discriminatoires ;
Attendu que le tribunal constate que les candidatures de NPL ont été formulées à de nombreuses reprises, que non seulement MAN n’a pas communiqué les critères, même qualitatifs, retenus pour la constitution de son réseau à NPL, mais a laissé NPL poursuivre ses offres de candidature alors même qu’il avait agréé un concurrent de NPL sur le Gard, allant même jusqu’à accepter la mise en place d’un schéma par lequel les opérations proposées par MAN passaient par ce candidat, qui prenait ainsi connaissance du fichier clients de NPL ;
Attendu que MAN n’a pas fait preuve de la transparence ni de la bonne foi qui sied aux relations d’affaire ;
Attendu de plus que NPL a enregistré un résultat positif jusqu’en 2008 date à laquelle il a perdu l’ensemble de ses agréments MAN et que la fragilité financière qu’évoque MAN aujourd’hui trouve largement son origine dans le comportement de ce dernier ».
Dès lors le tribunal dira que MAN a adopté un comportement fautif dans l’instruction de la demande d’agrément de NPL et condamnera MAN à payer à Me T. ès qualités de liquidateur de NPL la somme de 216 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
2 — Protocole d’accord du 8 juin 2007 :
« Attendu qu’en application des articles 2044 et suivants du Code civil « … toute transaction implique l’existence de concessions réciproques ; il n’y a pas transaction lorsqu’une partie abandonne ses droits sans contrepartie » ;
Attendu que l’article 1116 du Code civil dispose que : « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre n’aurait pas contracté » ;
Attendu que le 8 juin 2007 MAN et NPL ont signé un document qui se définit comme un « accord transactionnel » et fixe l’indemnité de résiliation allouée à NPL à 297 848 € ; correspondant aux marges sur facturation dont le montant n’est contesté par aucune des parties ;
Attendu par ailleurs que ce document laisse entendre que MAN étudiera la candidature de NPL pour les départements 34, 11 et 66 et qu’en cas d’acceptation de sa candidature pour ces départements l’indemnité de 297 848 € devrait être restituée à MAN ; que MAN soutient que l’accord transactionnel indique que la candidature de NPL reste en court d’instruction et ne mentionne pas le département du Gard qui avait donc été exclu ;
Attendu qu’en pareille hypothèse, NPL aurait donc accepté de ne pouvoir être agrée sur le Gard en échange d’une promesse vague et non contraignante de MAN d’étudier sa candidature pour de nouveaux départements d’intervention ;
Attendu que l’engagement de MAN dépendait de la seule volonté de ce dernier, était purement potestatif donc nul de plein droit et que NPL renonçait à une candidature sur le Gard sans contrepartie ;
Attendu donc que le protocole de juin 2007 ne peut, en application de l’article 2044 du Code civil, être qualifié de « protocole transactionnel » et ne revêt donc pas entre les parties l’autorité de la chose jugée en application de l’article 2052 du Code civil auquel il ne fait d’ailleurs pas référence ;
Attendu que MAN et VVO ne produisent aucune pièce justifiant que NPL ait été informée de l’agrément de VVO sur le Gard ;
Attendu au contraire que NPL fournit plusieurs documents justifiant qu’il a toujours maintenu sa candidature sur le Gard en sus d’une éventuelle extension de son périmètre d’agrément ;
Attendu que l’accord transactionnel est muet sur le département du Gard, qu’il ne peut être déduit de ce silence, comme MAN le soutient, que celui-ci était donc exclu du champ de la candidature de NPL en cours d’instruction, le comportement de NPL démontrant à l’évidence que dans son esprit la question de son agrément comme concessionnaire MAN sur le Gard restait ouverte ;
Attendu qu’il apparaît que NPL était maintenu dans l’espoir d’un agrément et continuait de vendre des véhicules MAN sur le Gard, territoire auquel il aurait renoncé selon MAN, dans un cadre non contractualisé et sur la base d’un schéma triangulaire faisant intervenir VVO et MAN ;
Attendu que ce silence et cette dissimulation, la mise en place du schéma tripartite pouvant lui laisser par ailleurs espérer une régularisation de son statut non formalisé, constituent des manœuvres dolosives propres à tromper le consentement de NPL ».
Le tribunal annulera l’accord transactionnel et condamnera MAN à verser à Me T. ès qualités de liquidateur de NPL, la somme de 50 000 € à titre de réparation du préjudice subi outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation déboutant pour le surplus.
3 — Sur la rupture des accords commerciaux avec VVO :
« Attendu qu’il résulte des écritures des parties et des pièces produites au tribunal qu’à compter de juin 2007 MAN et VVO mettent en place un mode de fonctionnement oral avec NPL, aux termes duquel NPL recevait les commandes de ses clients, adressait la fiche « FAD » à MAN pour obtenir le prix à appliquer à l’opération de vente, puis passait commande du véhicule à VVO ; VVO facturait à NPL le prix de l’opération à l’exclusion d’aucune marge ou commission, NPL facturait au client le prix du véhicule y incluant sa marge ;
Attendu, compte tenu des éléments qui précèdent, qu’il apparaît que NPL agissait en qualité de sous-distributeur MAN VVO ; statut autorisé par le contrat cadre MAN régissant les rapports entre MAN et VVO ;
Attendu que VVO a mis fin à ce mécanisme en juin 2009, brutalement et sans aucun préavis en refusant les commandes de NPL ; que ce refus constitue donc une rupture de leurs accords, qu’elle a causé un préjudice économique et d’image à NPL qui se trouvait, subitement dans l’impossibilité de satisfaire ses clients ; qu’au titre de cette rupture NPL peut prétendre à un dédommagement ;
Attendu que NPL a incontestablement subi un préjudice du fait des agissements de VVO, que celui-ci peut être évalué au montant des marges brutes dont elle a été privée du fait de la rupture brutale des accords de sous distributeur ; que NPL justifie du montant des marges brutes réalisées sur la période de juin 2007 à juin 2009 et qu’usant de son pouvoir d’appréciation le tribunal fixera le montant de l’indemnité due pour rupture brutale de la relation commerciale à 74 000 € ».
Le tribunal condamnera VVO à verser à Me T. ès qualité de liquidateur de NPL, au titre de la rupture brutale des accords de distributeur MAN les liant, une d’indemnité de 74 000 € en réparation du préjudice subi par NPL.