Procédure civile

Assignation – défaut de demande – nullité

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 2 juin 2016, no 2015045191

La société Véolia Environnement a souscrit une police d’assurance auprès de la compagnie Axa Corporate Solutions, pour son compte et celui de diverses entités de son groupe dont Transdev Group, Transdev North America et Connex Railroad.

À la suite d’un grave accident ferroviaire aux États Unis, ces sociétés ont été mises en causes dans diverses procédures devant les juridictions américaines. Elles ont appelé en garantie Axa Corporate Solutions en dépit d’une clause de la police attribuant compétence exclusive aux tribunaux français.

Axa Corporate Solutions assigne Véolia Environnement devant le tribunal de commerce de Paris à qui elle demande de donner acte que Véolia Environnement n’est assignée qu’en qualité de souscriptrice de la police et de mandataire des sociétés Transdev et Connex Railroad et qu’aucune demande n’est formulée à son encontre. Axa Corporate Solutions demande également au tribunal de dire qu’elle n’a pas à prendre en charge les frais de défense exposés par ses assurés dans le cadre du litige diligenté à leur encontre en Californie par les assureurs locaux de SCRRA, non plus que les condamnations qui pourraient être prononcées et de condamner Transdev et Connex Railroad à 100 000 € de dommages intérêts au titre des frais entrainés par la réclamation que ces sociétés ont formée à son encontre.

Véolia Environnement, au constat de ce qu’aucune demande n’est formulée contre elle et que les demandes figurant dans l’assignation concernent des sociétés qui ne sont pas dans la cause, demande au tribunal de déclarer nulle l’assignation qui lui a été délivrée.

Le tribunal fait droit à cette demande de nullité aux motifs suivants :

Sur la nullité pour absence de demande à l’encontre de Veolia destinataire de l’assignation :

Attendu que l’article 53 du Code de procédure civile (CPC) dispose : « La demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses prétentions. Elle introduit l’instance ».

Attendu que l’article 4 du CPC dispose : « L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant».

Attendu que l’article 56 du CPC dispose : « L’assignation, contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice : (…) ; 2° L’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit » ;

Attendu donc qu’il revient au tribunal de déterminer dans quelle mesure l’assignation de AXA CS remplit les prescriptions impératives des articles sus mentionnés et en particulier l’article 56 du CPC ;

Attendu qu’une simple demande de donner acte ne constitue pas une demande en justice suffisante au regard des articles 4, 53 et 56 du CPC ;

Attendu que la demande en justice doit nécessairement comporter une véritable demande de condamnation, ce qui implique une demande en responsabilité lorsque le litige porte sur la responsabilité civile, ou une demande en paiement si le litige porte sur un paiement ;

Attendu que les seules demandes de condamnations concernent les sociétés Transdev/Connex, qui n’ont pas été assignées, sont donc inopérantes en tant que tel.

Attendu que la seule signification à personne de l’assignation effectuée en application de l’article 654 du CPC concerne Veolia environnement à l’égard de laquelle AXA CS demande exclusivement au tribunal de : « Donner acte à AXA CS que Veolia environnement n’est assignée qu’en qualité de souscriptrice de la police et de mandataire des sociétés Transdev SA, Transdev Inc. et Connex RAILROAD et qu’aucune demande n’est formulée à son encontre » ;

Attendu cependant et conformément à l’article 4 du CPC qui en dispose, que AXA CS a précisé et/ou complété ses demandes lors de conclusions subséquentes de la façon suivante : « Dire et juger qu’il résulte des termes et conditions de la police d’assurance souscrite par Véolia, tant pour son compte que pour le compte de ses filiales et sous-filiales, que AXA CS n’a pas à prendre en charge les frais de défense exposés par l’assuré, ni les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, dans le cadre de toute procédure contentieuse pour laquelle la responsabilité civile de l’assuré n’est pas mise en cause ».

Attendu qu’il est constant que la problématique des frais de défense sus-mentionnés résulte de procédures consécutives au sinistre « fondateur » des différents procès et en ce sens concerne au premier chef Transdev/Connex et non pas directement Véolia environnement ;

Attendu qu’en leur absence, Transdev/Connex n’étant pas dans la cause, le tribunal ne saurait se prononcer sur une question qui les concernerait ;

Mais attendu que la demande principale et de principe que le tribunal est invité à examiner est formulée à l’encontre de Véolia ;

Attendu que la demande formulée par AXA CS est une demande qui vise en réalité à obtenir une position du tribunal sans demande de condamnation ;

Attendu que toute demande par voie d’assignation doit, à peine de nullité, mentionner ;

  • l’objet de la demande (c’est-à-dire les prétentions proprement dites),

  • l’exposé des moyens en faits,

  • l’exposé des moyens en droit c’est-à-dire le fondement juridique des prétentions ;

Attendu que la demande d’AXA CS mentionne son fondement juridique – article 1134 et suivants du Code civil, articles L. 112-1 et suivants du Code des assurances, police d’assurance responsabilité civile souscrite par Veolia n° 413 034 335 20,

Attendu que la demande d’AXA CS relativement aux faits, mentionne les demandes formulées par les filiales de Veolia de remboursement des frais de procédures et la menace de formuler ces demandes devant les juridictions californiennes au titre du contrat « master » dont elle est le souscripteur et qui contient une clause de compétence au profit des tribunaux français, pour lequel elle risque d’être mise en cause ;

Attendu que l’émission d’une prétention consiste à demander au tribunal un avantage, ou la satisfaction attendue du fait de la violation d’un droit ;

Attendu que de ce point de vue la prétention de AXA CS ne répond pas à la précédente définition ;

Attendu, ainsi qu’en a convenu AXA CS en cours d’audience, que son action est purement déclaratoire ;

Attendu qu’il n’entre pas dans le champ des décisions que ce tribunal peut prendre de déterminer à l’avance la légitimité d’une situation juridique ;

Attendu qu’une telle demande dans la situation du droit positif tel qu’il est accessible au présent tribunal ne remplit pas les prescriptions impératives des articles 4, 53 et 56 du CPC ;

Attendu que le moyen selon lequel la Cour de cassation a admis la possibilité d’une action déclaratoire sur la compétence internationale des juridictions françaises (Cass. 1re civ., 7 déc. 2011, n° 10-30919) dans le cas où des demandeurs avaient été contraints de porter leur litige devant une juridiction qu’ils n’avaient pas choisie en violation du droit d’option de compétence inhérent à la Convention de Montréal, cette décision n’est pas de nature à ouvrir le droit à toute demande de déterminer à l’avance la légitimité d’une situation juridique et de surplus vis-à-vis de parties qui ne sont pas dans la cause ;

Le tribunal déclarera nulle l’assignation signifiée à la Société Veolia environnement le 30 juillet 2015 pour absence de prétention.

LPA 13 Avr. 2018, n° 133r4, p.67

Référence : LPA 13 Avr. 2018, n° 133r4, p.67

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