Nullité de tout règlement patrimonial anticipé conclu avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce

Publié le 26/12/2017

Une convention comportant, ne serait-ce que pour partie, des stipulations relatives à la liquidation et au partage du régime matrimonial, ne peut être conclue avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce.

Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, no 16-23531, PBI

1. Le principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux a encore de beaux jours devant lui. En l’espèce1, Mme X fait grief à l’arrêt d’appel attaqué de déclarer nulle la convention signée par elle-même et son mari, antérieurement à l’ordonnance de non-conciliation. Cette convention prévoyait, d’une part, que le mari serait attributaire de la propriété d’un immeuble dépendant de la communauté, moyennant le paiement d’une soulte d’un certain montant, d’autre part, qu’il verserait une prestation compensatoire. Les juges du fond confirment l’annulation du protocole transactionnel conclu le 29 juin 2011 par M. Y et Mme X. En effet, les juges du fait estiment que le protocole transactionnel était nul car il avait été conclu avant le début de l’instance, soit avant la date de l’assignation en divorce du 18 mars 2013. Mme X soutenait, qu’ils disposaient d’un tel pouvoir et avaient seulement l’obligation de soumettre la convention ainsi conclue avant le début de l’instance au juge du divorce pour qu’il l’homologue, après que l’instance eut été initiée. En procédant ainsi, la cour d’appel aurait violé l’article 268 du Code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi en estimant nulle toute convention conclue avant la date de l’assignation en divorce (II) ce qui nécessite de revenir sur l’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux avec la théorie générale des obligations (I).

I – L’articulation entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit des obligations

2. Le droit des régimes matrimoniaux s’est inspiré très largement de la théorie générale des obligations (A) car, en l’espèce, l’article 265-2 du Code civil permet la conclusion d’une convention pour la liquidation et le partage du régime matrimonial durant l’instance de divorce (B).

A – Le droit des régimes matrimoniaux s’inspirant de la théorie générale des obligations

3. Hormis le célèbre emprunt de la théorie de l’enrichissement sans cause2 par le droit des régimes matrimoniaux, la jurisprudence augmente nettement cet emprunt dans le domaine du changement de régime matrimonial. C’est ainsi que dans un arrêt de cassation récent3, la haute juridiction a visé les anciens articles 11084 et 11345 du Code civil en matière de changement de régime matrimonial6. La liberté matrimoniale est un principe fondamental qui relève de l’idéologie du droit des régimes matrimoniaux consacré depuis fort longtemps par la loi, et ensuite par la jurisprudence. Selon Janine Revel : « Le régime matrimonial a été soumis au principe de l’immutabilité absolue jusqu’à ce que la loi de 1965 assouplisse ce principe en introduisant la mutabilité sous contrôle judiciaire ; depuis la loi du 23 juin 2006, le régime matrimonial peut être conventionnellement modifié et ce n’est qu’à titre exceptionnel que la convention des époux est soumise au contrôle du juge »7.

4. En l’espèce, les époux, en vertu de la liberté matrimoniale, ont stipulé une convention antérieurement à l’ordonnance de non-conciliation en prévoyant, d’une part, que le mari serait attributaire de la propriété d’un immeuble dépendant de la communauté, moyennant le paiement d’une soulte d’un certain montant, d’autre part, qu’il verserait une prestation compensatoire. Il n’est pas douteux que dans cette hypothèse, où le partage porte sur un bien immobilier soumis à publicité foncière, la convention doit être établie par acte notarié8. Il résulte, en effet, de l’article 265, alinéa 2, du Code civil que : « Les époux peuvent, pendant l’instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial. Lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à la publicité foncière, la convention doit être passée par acte notarié ». Aussi a-t-on assez volontiers qualifié cette convention de nature contractuelle.

B – Conclusion d’une convention pour la liquidation et le partage du régime matrimonial durant l’instance de divorce : l’homologation judiciaire

5. Ainsi, l’idée de liberté matrimoniale, incertaine dans l’abstraction, prend en matière de divorce un sens précis. En l’espèce, l’arrêt énonce que les époux peuvent conclure une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce avant que l’instance en divorce ne débute, la validité de celle-ci étant seulement conditionnée à son homologation par le juge auquel ils doivent la soumettre pendant l’instance. Là encore, il est fait appel à une procédure permettant de valider l’accord conclu par les époux. Il s’agit de la procédure de l’homologation qui a conduit la doctrine à proposer de supprimer le dernier verrou de l’homologation judiciaire, au motif qu’elle serait inutile et contraire à la liberté des époux 9. Ici se font jour dans la doctrine deux sentiments contradictoires. D’abord un sentiment de liberté de fixation de la prestation compensatoire en anticipant le divorce10. Selon Laurence Mauger-Vielpeau : « Sa fixation relève soit du seul juge aux affaires familiales, soit des époux sous le contrôle de ce même magistrat lors de l’homologation de leur convention. L’enjeu est donc de déterminer quel arbitrage est réalisé par notre droit positif en la matière entre l’ordre public et la liberté contractuelle »11. Ensuite, la procédure d’homologation est inutile et contraire à la liberté matrimoniale12. En l’espèce, les demandeurs au pourvoi n’ont manifestement pas convaincu la haute juridiction qui rejette leur pourvoi en estimant qu’« aux termes de l’article 265-2 du Code civil, les époux peuvent, pendant l’instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial ; qu’il s’en déduit qu’une convention comportant, ne serait-ce que pour partie, des stipulations relatives à la liquidation et au partage du régime matrimonial, ne peut être conclue avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce. »

II – Le maintien du principe de la nullité des règlements anticipés avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce

6. La Cour de cassation en rejetant le pourvoi maintient le principe de la nullité des règlements patrimoniaux anticipés (A). Cette décision permet d’observer que la liberté matrimoniale semble plus étendue depuis la loi du 18 novembre 2016 relative à la modernisation de la justice du XXIe siècle prévoyant à l’article 229-1 du Code civil une nouvelle forme de divorce par consentement mutuel conventionnel (B).

A – Nullité de toute convention conclue avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce

7. La solution issue de l’arrêt annoté a été progressivement affinée par les hauts magistrats. C’est ainsi qu’aux termes d’un arrêt rendu le 8 avril 200913, la Cour de cassation censure les juges du fond en affirmant qu’« en statuant ainsi, alors que la convention litigieuse, qui avait pour objet et pour effet de priver l’épouse de sa créance éventuelle de participation sur des acquêts réalisés par l’époux, ne pouvait s’analyser que comme une convention relative à la liquidation du régime matrimonial et qu’une telle convention était illicite dès lors qu’elle altérait l’économie du régime de participation aux acquêts et que, de surcroît, elle avait été conclue avant l’introduction de l’instance en divorce, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, a violé les textes susvisés ». Force est de reconnaître que la liberté conventionnelle proposée aux époux mariés n’est pas sans limite14.

8. Au cas d’espèce, la haute juridiction souligne qu’aux termes de l’article 265-2 du Code civil, les époux peuvent, pendant l’instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial. En interprétant fort logiquement l’article 265-2 du Code civil, la Cour de cassation en déduit qu’une convention comportant, ne serait-ce que pour partie, des stipulations relatives à la liquidation et au partage du régime matrimonial, ne peut être conclue avant l’assignation ou la requête conjointe en divorce15. Cette convention matrimoniale est donc frappée de nullité. Certes, il a été jugé que si un acte nul de nullité absolue ne peut être rétroactivement confirmé, il est loisible aux parties de renouveler leur accord ou de maintenir leur commune volonté lorsque la cause de nullité a cessé ; il en est ainsi lorsque, après que le divorce est devenu irrévocable, les volontés, même tacites, des parties se rencontrent à nouveau pour renouveler l’accord passé hors la présence d’un notaire au cours de l’instance en divorce16.

B – L’article 229-1 du Code civil prévoyant une nouvelle forme de divorce par consentement mutuel conventionnel

9. Il résulte de l’article 229-1 du Code civil que : « Lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374. Cette convention est déposée au rang des minutes d’un notaire, qui contrôle le respect des exigences formelles prévues aux 1° à 6° de l’article 229-3. Il s’assure également que le projet de convention n’a pas été signé avant l’expiration du délai de réflexion prévu à l’article 229-4. Ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire ». En effet, la loi du 18 novembre 2016 relative à la modernisation de la justice du XXIe siècle a prévu à l’article 229-1 du Code civil une nouvelle forme de divorce par consentement mutuel conventionnel conférant ainsi la fonction authentifiante à l’acte de dépôt au rang des minutes du notaire17.

10. On peut se demander, ici encore, si la jurisprudence de la Cour de cassation, à la suite de la réforme du 18 novembre 2016, refusera de rouvrir les débats et de remettre en cause la convention de divorce par consentement mutuel sur le fondement du dol18. On rappellera qu’elle estime : « qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré irrecevable cette demande, alors que, d’une part, en décidant que la partie à la convention définitive ne pouvait, lorsque son consentement avait été vicié par l’erreur dont elle avait été victime ou par le dol imputable à l’autre conjoint, en obtenir la nullité, la cour d’appel aurait violé les articles 279, 1108, 1110 et 1116 du Code civil, alors que, d’autre part, en retenant, pour refuser de prononcer l’annulation de la convention définitive, que l’action en nullité ne pouvait aboutir qu’à l’anéantissement de la clause relative à la prestation compensatoire et ainsi à une révision prohibée de la convention, la cour d’appel aurait à nouveau violé les articles 1108, 1110 et 1116 de ce même code, et alors qu’enfin, la cour d’appel aurait violé l’article 481 du nouveau Code de procédure civile en statuant sur le bien-fondé de la demande de M. X, après avoir déclaré irrecevable celle-ci ; Mais attendu que la troisième branche du moyen, qui est exclusivement dirigée contre des motifs de la décision, est, par là même, irrecevable ; Et attendu que l’arrêt retient à bon droit que le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi »19. Gageons que le divorce par consentement mutuel conventionnel procurera des avantages tant au regard des aspects personnels que patrimoniaux liés à la rupture des époux.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Conventions entre époux : à conclure uniquement pendant l’instance, et non avant, sous peine de nullité ! », Lamyline 28 sept. 2017 ; « Est nulle la convention relative à la liquidation du régime matrimonial conclue avant le début de l’instance en divorce », Defrénois flash 9 oct. 2017, n° 141x6, p. 9 ; Divorce (régime matrimonial) : validité d’une convention portant sur la liquidation, Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n° 16-23531, D. 2017, p. 1911 ; Aulagnier J. et Aynès L., « Exception : L’article 265-2 du Code civil », Le Lamy Patrimoine, n° 210-43.
  • 2.
    Lécuyer H., La théorie générale des obligations dans le droit patrimonial de la famille, thèse Paris II, 1993.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-10027.
  • 4.
    Comme l’ancien article 1108 du Code civil, le nouvel article 1128 du Code civil issu de l’article 2 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dispose : « Sont nécessaires à la validité d'un contrat : 1° Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain. »
  • 5.
    L’article 1134 du Code civil est remplacé par le nouvel article 1103 du Code civil issu de l’article 2 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 qui dispose toujours que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
  • 6.
    Souhami J., « Changement de régime matrimonial : le droit des contrats protège-t-il l’intérêt de la famille ? », D. 2013, p. 2088.
  • 7.
    Revel J., « Le changement de régime matrimonial », Fiche de niveau 3. Droit de la famille / Liberté des conventions matrimoniales, 2007, http://www.france-jus.ru/upload/fiches_fr.
  • 8.
    Le Guidec R. et Zalewski-Sicard V., « Divorce par consentement mutuel : convention de liquidation – partage du régime matrimonial et règlement de prestation compensatoire », Defrénois 15 mars 2014, n° 115g0, p. 243.
  • 9.
    Lécuyer H., « Les régimes matrimoniaux : le droit international privé modèle du droit interne ? », LPA 28 mars 2001, p. 49 ; Cabrillac R., « Le changement de régime matrimonial », RLDC 2007/35, p. 64.
  • 10.
    Mauger-Vielpeau L., « Fixation de la prestation compensatoire et anticipation du divorce », LPA 3 juin 2014, p. 33.
  • 11.
    Mauger-Vielpeau L., « Fixation de la prestation compensatoire et anticipation du divorce », LPA 3 juin 2014, p. 33.
  • 12.
    Lécuyer H., « Les régimes matrimoniaux : le droit international privé modèle du droit interne ? », LPA 28 mars 2001, p. 49.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 8 avril 2009, n° 07-15945.
  • 14.
    Pouliquen É., « La liberté conventionnelle des époux mariés sous un régime de participation aux acquêts n’est pas totale », RLDC 2009/61, p. 49.
  • 15.
    « Est nulle la convention relative à la liquidation du régime matrimonial conclue avant le début de l’instance en divorce », Defrénois flash 9 oct. 2017, n° 141x6, p. 9.
  • 16.
    Code civil, 2018, Dalloz, art. 265-2 ; Cass. 1re civ., 29 nov. 1983, n° 82-14472 : Gaz. Pal. Rec. 1984, 2, 495 – Bignon D., obs. sous Cass. 1re civ., 17 déc. 1996, n° 95-12956, Defrénois 15 avr. 1997, n° 36531, p. 455 (transaction sur la liquidation de la communauté et la prestation compensatoire après dissolution du mariage).
  • 17.
    Niel P.-L., « Divorce par consentement mutuel conventionnel déposé au rang des minutes d’un notaire : entre l’efficacité de l’instrumentum notarié et la validité du negotium sous seing privé contresigné par l’avocat », LPA 5 mai 2017, n° 126g4, p. 12.
  • 18.
    Niel P.-L., « Divorce par consentement mutuel conventionnel déposé au rang des minutes d’un notaire : entre l’efficacité de l’instrumentum notarié et la validité du negotium sous seing privé contresigné par l’avocat », LPA 5 mai 2017, n° 126g4, p. 12.
  • 19.
    Cass. 2e civ., 13 nov. 1991, n° 90-17840.