Contrat de prêt immobilier : la déchéance du terme ne peut reposer sur une clause réputée non écrite

Publié le 09/01/2025
Clause abusive
leremy/AdobeStock

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle les conséquences du réputé non écrit d’une clause abusive de déchéance du terme contenue dans un contrat de prêt immobilier sur l’exigibilité immédiate de la totalité de la créance restant due. Selon la haute juridiction, la déchéance du terme ne peut reposer sur une clause réputée non écrite, même si le professionnel prêteur a mis en demeure le consommateur emprunteur de payer sa dette. D’où la nécessité pour les professionnels prêteurs d’arrimer leur technique contractuelle à l’évolution contemporaine de la protection des consommateurs. Cela passe notamment par la rédaction minutieuse des clauses de déchéance du terme.

La clause de déchéance du terme au cœur du contrat de prêt. Pour se prémunir contre le risque de défaillance de leurs clients, les banques insèrent habituellement des clauses de déchéance du terme dans les contrats de prêt. Cette clause permet au créancier d’exiger unilatéralement le remboursement immédiat du solde restant dû et des intérêts du prêt, sans intervention du juge et sans prendre en compte l’échéancier de départ. Toutefois, priver un débiteur du délai de remboursement qui lui avait été initialement accordé peut entraîner des conséquences importantes, singulièrement pour les emprunteurs immobiliers qui, dans la plupart des cas, ne disposent pas des fonds pour rembourser, en un seul paiement, le capital restant dû. C’est la raison pour laquelle le droit du crédit tend à limiter depuis quelques années le couperet que représente la déchéance du terme. La clause de déchéance du terme n’est valable qu’à partir du moment où le consommateur-emprunteur a été mis en mesure de connaître les différentes situations pouvant entraîner l’exigibilité immédiate de la totalité de la créance ainsi que la possibilité qui lui est offerte de régulariser les échéances impayées et de maintenir le terme initial du prêt. Or, tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, la clause de déchéance du terme est rédigée en des termes généraux et obscurs.

Faits et procédure. Les faits à l’origine du litige et de l’arrêt en commentaire sont classiques. Une banque consent, par acte notarié, un prêt immobilier à un couple. Estimant que les conjoints ont manqué à leurs obligations contractuelles, notamment celle du paiement des échéances, la banque fait jouer la clause d’exigibilité immédiate de la créance figurant au contrat de prêt. Elle délivre un commandement de payer valant saisie immobilière aux époux et les assigne à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution1. Les débiteurs font valoir que la créance n’est pas exigible, car la déchéance du terme n’a valablement été prononcée qu’à l’égard de l’un des conjoints dont le nom seul était mentionné dans le commandement de payer. Le juge de l’exécution les déboute de leurs demandes, constate le montant de la créance, autorise les débiteurs à procéder à la vente amiable de leur immeuble et en fixe le prix minimal. Le jugement est confirmé par la cour d’appel de Rennes. Par un premier arrêt2, la Cour de cassation casse la décision rendue en appel qui s’était fondée sur des conclusions prises par les débiteurs lors d’une instance antérieure pour en déduire un aveu judiciaire de la signification du commandement de payer aux deux débiteurs.

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Rennes autrement composée3. Celle-ci constate le caractère abusif de la clause d’exigibilité immédiate de la créance, mais fixe la créance de la banque à l’égard de l’un des conjoints débiteurs et autorise la vente de l’immeuble. Pour parvenir à cette solution, les juges retiennent que « si le contrat de prêt d’une somme d’argent peut prévoir que la défaillance de l’emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, celle-ci ne peut, sauf stipulation expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle »4. Ainsi, pour le juge d’appel, même si la clause d’exigibilité est réputée non écrite, la mise en demeure valablement adressée à l’un des débiteurs entraîne la déchéance du terme et justifie la procédure d’exécution engagée par le créancier.

Les époux se pourvoient en cassation et invoquent la violation des articles L. 311-2 du Code des procédures civiles d’exécution et L. 132-1 du Code de la consommation. Ils soutiennent que la banque n’a pu valablement prononcer la déchéance du terme à l’égard des conjoints, étant donné que la clause d’exigibilité immédiate figurant au contrat de prêt est abusive et réputée non écrite. Il en résulte, selon eux, que la créance n’était pas exigible au moment où la saisie immobilière a été pratiquée. Dès lors, la Cour de cassation doit répondre à la question de savoir si la déchéance du terme peut être prononcée par le créancier sur le fondement d’une clause d’exigibilité immédiate abusive et réputée non écrite.

Éclairage pédagogique de la Cour de cassation. Pour répondre à cette question, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle le principe de l’effet obligatoire des contrats5. Toutefois, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites. Elle constate ensuite que pour fixer la créance à l’égard de l’un des conjoints, l’arrêt retient que, la clause d’exigibilité immédiate étant réputée non écrite, la banque ne pouvait prononcer valablement la déchéance du terme, sans mise en demeure préalable des débiteurs et que celle-ci a envoyé une lettre de mise en demeure préalable à la déchéance du terme mentionnant le nom de l’un des époux. La Cour décide enfin qu’« en statuant ainsi, après avoir dit que la clause d’exigibilité immédiate stipulée au contrat de prêt constituait une clause abusive qui devait être réputée non écrite, ce dont il résultait que la déchéance du terme ne pouvait reposer sur cette clause, peu important l’envoi par la banque d’une mise en demeure, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ». Elle casse par conséquent l’arrêt et renvoie l’affaire, une nouvelle fois, devant la cour d’appel de Rennes autrement composée.

Structuration du propos. L’arrêt présente un intérêt à la fois théorique et pratique indéniable qui guidera notre analyse. Sur le plan théorique, la Cour de cassation précise l’incidence du réputé non écrit de la clause d’exigibilité immédiate de la créance sur la déchéance du terme (I), en décidant qu’une clause abusive ne peut servir de fondement au prononcé de la déchéance de terme. Cette solution s’applique indépendamment de la mise en demeure préalable de l’emprunteur. Sur le plan pratique, l’arrêt rappelle la nécessité d’une rédaction minutieuse de la clause de déchéance du terme (II) qui doit satisfaire la double exigence d’intelligibilité de son contenu et du caractère raisonnable de sa mise en œuvre.

I – L’incidence de la clause d’exigibilité immédiate réputée non écrite sur la déchéance du terme

Le caractère général et obscur de la clause d’exigibilité immédiate. Dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation rappelle fort opportunément les règles applicables au contrat de consommation. Celles-ci découlent tantôt du droit des obligations, tantôt du droit de la consommation. Certes, l’ancien article 1134 du Code civil6 dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi pour ceux qui les ont faites7, mais cette règle n’a de sens que lorsque les parties au contrat ont décidé, sur un pied d’égalité, des modalités de leur collaboration. Or, tel n’est pas le cas en droit de la consommation, où le contrat est souvent préalablement rédigé par le professionnel, le consommateur ou le non-professionnel se contentant d’adhérer aux stipulations contractuelles. Dans cette situation, il convient de protéger la partie faible. C’est ainsi que l’article L. 112-1 du Code de la consommation dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs [ou non-professionnels], sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Les clauses abusives sont réputées non écrites8.

Dans l’affaire qui nous occupe, c’est la clause d’exigibilité immédiate de la créance prévue au contrat qui est jugée abusive et réputée non écrite. En effet, cette clause contractuelle, rédigée en des termes généraux et peu clairs, stipule que « les sommes dues seront de plein droit et immédiatement exigibles, si bon semble à la banque, sans formalité ni mise en demeure : en cas de non-paiement à son échéance d’une somme quelconque devenue exigible ; en cas d’incident de paiement caractérisé (…) ; plus généralement à défaut de paiement à bonne date par l’emprunteur ou la caution d’une somme due à quiconque »9. L’emploi des expressions « somme quelconque devenue exigible » et « somme due à quiconque » laisse penser que la déchéance du terme est acquise au prêteur même lorsque l’absence ou le retard de paiement concerne des sommes sans rapport avec le contrat de prêt10, quel que soit leur montant. La banque pouvait, par exemple, prononcer la déchéance du terme du prêt en cas de non-paiement à terme d’une somme d’un euro due à un tiers au contrat de prêt. Il va sans dire qu’une telle rédaction conférait au prêteur des superpouvoirs et plaçait le débiteur dans une situation extrêmement difficile.

C’est donc à bon droit que la cour d’appel a décidé que la clause de déchéance du terme ne déterminait pas clairement l’étendue des obligations des emprunteurs et créait de ce fait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des débiteurs. En effet, ceux-ci ont été exposés, par une décision unilatérale du prêteur, et en dehors du mécanisme de la condition résolutoire, à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. Il convient de noter que ce type de clause avait déjà été jugé abusif par la commission des clauses abusives aux termes de sa recommandation n° 04-03 relative au prêt immobilier du 27 mai 200411. On peut alors être surpris que le contrat de prêt immobilier, conclu près d’un mois plus tard12, n’ait pas pris en compte cette évolution dans la protection des droits des consommateurs. Si la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir décidé que la clause d’exigibilité est réputée non écrite, elle la sanctionne en revanche pour n’avoir pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

L’absence d’effet de la clause réputée non écrite. La position de la cour d’appel de Rennes est assez paradoxale. Elle décide, d’une part, que la clause d’exigibilité immédiate est abusive et réputée non écrite, mais retient, d’autre part, la déchéance du terme à l’égard de l’un des conjoints. Ainsi, selon le juge d’appel, « la clause d’exigibilité immédiate étant réputée non écrite, [le créancier] ne pouvait prononcer valablement la déchéance du terme, sans mise en demeure préalable des débiteurs ». En d’autres termes, le réputé non écrit de la clause d’exigibilité immédiate ne fait pas obstacle au prononcé de la déchéance du terme, lorsque le créancier a délivré au débiteur une mise en demeure préalable. En l’espèce, la banque ayant envoyé, à l’adresse commune des époux, une lettre de mise en demeure préalable à la déchéance du terme ne mentionnant que le nom de l’un d’eux, la déchéance du terme n’a été acquise qu’à l’égard de celui-ci. Ce raisonnement est sanctionné par la haute juridiction de l’ordre judiciaire, qui estime que la déchéance du terme ne peut reposer sur une clause d’exigibilité immédiate réputée non écrite.

La position de la deuxième chambre civile est donc très claire. La clause de déchéance du terme étant réputée non écrite, la banque ne pouvait se fonder sur celle-ci pour exiger le paiement immédiat de l’entièreté des sommes restant dues au prétexte qu’elle avait adressé une mise en demeure au débiteur. Dès lors, le créancier ne pouvait réclamer que le paiement des mensualités échues et non l’entièreté de sa créance. La solution est parfaitement logique et ne peut qu’être approuvée, car la cour d’appel ne pouvait, d’une part, considérer que la clause d’exigibilité immédiate est non écrite et, d’autre part, lui reconnaître l’effet qu’elle aurait produit si elle était valable.

Quoi qu’il en soit, si le professionnel prêteur ne peut réclamer le remboursement de la totalité de sa créance sur le fondement de la clause d’exigibilité immédiate, il peut cependant recourir aux autres mécanismes légaux permettant d’obtenir le paiement. Rappelons que ce qui est reproché au créancier en l’espèce, c’est le fait d’avoir imposé le paiement de la totalité de la créance restant due sur la base d’une clause abusive. La solution aurait été probablement différente si la banque avait plutôt eu recours à la résolution unilatérale ou judiciaire du contrat en application des articles 1226 et 1227 du Code civil. En matière de prêt immobilier, l’article L. 313-51, alinéa 1ᵉʳ, du Code de la consommation permet au prêteur de solliciter la résolution du contrat et d’obtenir le remboursement du capital restant dû ainsi que des intérêts échus : « Lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts à un taux égal à celui du prêt ». En revanche, si le professionnel prêteur entend s’octroyer le pouvoir contractuel d’imposer le remboursement immédiat de sa créance en cas de défaillance du débiteur, il doit veiller à la rédaction minutieuse de la clause d’exigibilité immédiate.

II – La nécessité d’une rédaction minutieuse de la clause de déchéance du terme

L’exigence de clarté de la clause de déchéance du terme. Les clauses de déchéance du terme, systématiquement prévues dans les contrats de prêts d’argent, peuvent prévoir diverses situations entraînant l’exigibilité immédiate de la totalité de la créance. Il peut s’agir du retard ou de l’absence de paiement qui brise la confiance du prêteur dans le respect de l’engagement du débiteur. Tel est également le cas de la dissimulation volontaire d’informations ou de la falsification des documents qui empêche la banque d’apprécier la situation financière de l’emprunteur. Toutefois, comme le précise l’arrêt sous commentaire, la clause de déchéance doit être claire, expresse et non équivoque. Cette exigence tend à la protection du consommateur. Or, dans l’affaire qui nous occupe, et comme il a été démontré, l’emploi des termes tels que « somme quelconque » et « somme due à quiconque » ne permettait pas aux débiteurs de connaître le risque auquel ils s’exposaient en cas de défaillance. Cette clause abusive ne pouvait donc qu’être sanctionnée, d’autant plus que la jurisprudence européenne et nationale s’affirme comme protectrice des consommateurs en demandant une rédaction minutieuse de la clause de déchéance du terme.

À l’échelle européenne, la CJUE a défini dans l’arrêt Banco Primus13 quatre critères14, permettant au juge national de déterminer si une clause produit un déséquilibre significatif au détriment du consommateur au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 93/13, qui s’articulent autour du caractère proportionné de la clause de déchéance15 et la possibilité offerte au débiteur d’empêcher ses conséquences16. À l’échelle nationale, la Cour de cassation a eu l’occasion de juger que le contrat de prêt doit indiquer, d’une manière intelligible pour le consommateur, les différentes causes susceptibles d’entraîner le prononcé de la déchéance du terme. Elle a, par exemple, décidé que la clause de déchéance ne doit pas « laisser croire que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration »17. De même, cette clause ne peut, sans être abusive, subodorer que « l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme »18. La Cour de cassation a également jugé que la déchéance du terme n’est valable que lorsque les manquements de l’emprunteur portent sur des éléments essentiels de la relation contractuelle19. Les professionnels devraient suivre cette jurisprudence pour rédiger les contrats de prêt destinés aux consommateurs, afin d’éviter que le contrat ne soit ultérieurement sclérosé par un réputé non écrit.

Le souci d’une amélioration de la condition du débiteur. Dans l’arrêt qui nous intéresse, la Cour de cassation décide que le prononcé de la déchéance du terme ne peut reposer sur une clause d’exigibilité immédiate réputée non écrite. Cela peut laisser penser que la validité de la clause d’exigibilité suffit pour que la mise en demeure infructueuse du débiteur entraîne la déchéance du terme. Mais il ne suffit pas que la clause d’exigibilité précise clairement les modalités de sa mise en œuvre. Il est aussi important qu’elle prévoie la possibilité pour le débiteur d’éviter le prononcé de cette sanction contractuelle en lui accordant un délai de paiement. Ainsi, appelé à se prononcer sur le caractère abusif ou non d’une clause de déchéance du terme, le juge doit non seulement apprécier la clarté de la rédaction de ladite clause, mais également le délai accordé au débiteur pour remédier à la situation.

Certes, en l’espèce, la discussion ne s’est pas portée sur le délai de mise en demeure préalable à la déchéance du terme. Il faut néanmoins constater que le contrat de prêt prévoyait expressément la déchéance du terme « si bon semble à la banque, sans formalité ni mise en demeure ». On peut être tenté de penser que cette formulation est conforme à la jurisprudence selon laquelle la clause de déchéance du terme « ne peut, sauf stipulation expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier sans la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle »20. Mais, à regarder de près, cette stipulation contractuelle accorde au prêteur un pouvoir discrétionnaire quant à la mise en demeure de l’emprunteur, ce qui porte atteinte, dans une certaine mesure, à la prévisibilité du contrat. Fort heureusement, la banque a adressé une mise en demeure à l’un des conjoints en lui accordant un délai qui n’est pas rapporté dans l’arrêt. Il convient à cet égard de préciser que si la loi ne prévoit pas un délai minimal accordé au débiteur défaillant, l’article 1226 du Code civil exige néanmoins que ce délai soit raisonnable.

Dès lors, il incombe au créancier de fixer le délai accordé au débiteur pour payer les mensualités échues et au juge d’apprécier le caractère raisonnable de ce délai. La jurisprudence considère qu’est abusive une clause de déchéance du terme ne prévoyant pas de mise en demeure21 ou mentionnant un délai de mise en demeure bref de huit jours22 ou de quinze jours23. En effet, la brièveté de ces délais expose le débiteur à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, en créant un déséquilibre significatif au détriment de celui-ci. En revanche, un délai de régularisation d’un mois a été jugé raisonnable24. À la lumière de l’arrêt sous commentaire, il convient donc de distinguer l’exigence d’intelligibilité de la clause de déchéance de l’exigence d’un délai de régularisation préalable au prononcé de la déchéance du terme, la violation de l’une ne pouvant être corrigée par le respect de l’autre. Ainsi, tout comme la mise en demeure valable du débiteur ne peut reposer sur une clause d’exigibilité immédiate réputée non écrite, de même, l’absence d’un délai de régularisation de la situation du débiteur25 rend abusive la clause d’exigibilité immédiate. De ce point de vue, semble désormais révolue la jurisprudence de la Cour de cassation permettant aux créanciers professionnels d’échapper, par une disposition expresse et non équivoque du contrat, à l’obligation de mise en demeure préalable du débiteur26.

En somme, la protection du consommateur emprunteur a beaucoup évolué au cours de ces deux dernières décennies et l’arrêt commenté en est la parfaite illustration. D’une part, l’arrêt rappelle la nécessité pour les banques d’éviter en amont un réputé non écrit de la clause de déchéance du terme grâce à une rédaction méticuleuse du contrat de prêt. Cette vigilance est d’autant plus importante que le caractère abusif d’une clause de déchéance du terme peut être invoqué à n’importe quelle étape de la relation contractuelle ainsi qu’à tous les stades du procès27. C’est dans ce sillage que la Cour de cassation a décidé que l’invocation du caractère abusif de la clause de déchéance du terme échappe au principe de la concentration temporelle des prétentions28. D’autre part, l’arrêt interpelle les défenseurs des consommateurs qui doivent scruter toutes les dispositions du contrat de prêt afin d’y déceler, le cas échéant, des clauses abusives pouvant entraîner l’inexigibilité immédiate de la totalité de la créance en cas de défaillance du débiteur.

Notes de bas de pages

  • 1.
    À cette audience, le juge de l’exécution oriente le dossier soit vers une vente amiable, soit vers une vente forcée, après avoir contrôlé que les conditions préalables à la saisie sont remplies, et statué sur les éventuelles contestations du débiteur.
  • 2.
    Cass. 2e civ., 19 nov. 2020, n° 19-19.269, D.
  • 3.
    CA Rennes, 26 oct. 2021, n° 21/00300.
  • 4.
    À rapprocher de Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15.655 : Bull. civ. I, n° 131.
  • 5.
    C. civ., art. 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
  • 6.
    Devenu l’article 1103 du Code civil.
  • 7.
    Sur la question, L. Aynes, « Le contrat, loi des parties », Cah. Cons. const., n° 17, dossier « Loi et contrat », mars 2005.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 30 mars 2022, n° 19-17.996, B – Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23.169 – Cass. com., 8 avr. 2021, n° 19-17.997.
  • 9.
    CA Rennes, 26 oct. 2021, n° 21/00300.
  • 10.
    Il peut donc s’agir des sommes dues à des tiers ou des sommes dues au prêteur dans le cadre d’un autre contrat de prêt.
  • 11.
    C. consom., art. L. 112-1.
  • 12.
    Le contrat de prêt immobilier a été conclu le 15 juin 2004.
  • 13.
    CJUE, 26 janv. 2017, n° C-421/14, Banco Primus SA c/ Jesús Gutiérrez García.
  • 14.
    Ces critères ne sont ni cumulatifs ni alternatifs, CJUE, 8 déc. 2022, n° C-600/21, § 33, QE c/ Caisse régionale de Crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest.
  • 15.
    La déchéance du terme ne peut être prévue que dans l’hypothèse de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel.
  • 16.
    D’où la nécessité d’une mise en demeure au sens de l’article 1126 du Code civil qui permet ainsi d’échapper, le cas échéant, au couperet que représente la déchéance du terme.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 17-20.441.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 17-20.441.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 20 janv. 2021, n° 18-24.297 – CA Aix-en-Provence, 3-3, 5 oct. 2023, n° 20/01775.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15.655 : Bull. civ. I, n° 131.
  • 21.
    CA Rennes, 29 sept. 2023, n° 21/00700 : une telle clause « laisse croire aux emprunteurs qu’ils ne disposent d’aucun délai pour régulariser l’arriéré et que le prêteur peut se prévaloir de la déchéance du terme pour une seule échéance impayée sans considération de la gravité du manquement au regard de la durée et du montant du prêt consenti ».
  • 22.
    Cass. 1re civ., 22 mars 2023, n° 21-16.044, B.
  • 23.
    Cass. 1re civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904, B.
  • 24.
    CA Paris, 5-6, 29 nov. 2023, n° 21/11703 – CA Paris, 5-6, 2 mai 2024, n° 22/19935 – CA Paris, 5-6, 21 févr. 2024, n° 22/03333 – CA Colmar, 11 déc. 2023, n° 23/00903.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 22 mars 2023, n° 21-13.038.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 22 mai 2019, n° 18-13.246 – CA Lyon, 25 avr. 2023, n° 21/02597.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 30 mars 2022, n° 19-17.996, FS-B : D. 2022, p. 974, note J. Lasserre Capdeville ; RTD eur. 2023, p. 282, obs. A. Jeauneau ; RDI 2022, p. 382, obs. J. Bruttin ; Rev. prat. rec. 2022, p. 31, chron. K. De La Asuncion Planes ; RTD civ. 2022, p. 380, obs. H. Barbier ; RTD com. 2022, p. 361, obs. D. Legeais.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 2 févr. 2022, n° 19-20.640, FS-B : D. 2023, p. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2022, p. 290 ; RDI 2022, p. 513, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2022, p. 630, obs. D. Legeais.
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