Droit à la preuve et levée du secret bancaire
Le secret bancaire constitue un empêchement légitime, opposable au juge civil. Toutefois, cette règle n’est pas intangible et, au-delà des exceptions légales posées par la loi, il n’en demeure pas moins qu’au regard de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, de l’article 10 du Code civil et 9 et 10 du Code de procédure civile, un juge ne peut refuser de communiquer au tireur du chèque les informations figurant au verso du chèque, sous couvert du secret bancaire, sans rechercher si une telle communication est indispensable à l’exercice de ses droits à la preuve pour établir l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement des chèques et, en outre, proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires de ces chèques.
CA Poitiers, 2e ch. civ., 17 janv. 2023, no 22/01081
1. Le secret bancaire est l’obligation, pour l’ensemble des membres des organes de direction et de surveillance des établissements de crédit, ainsi que leurs employés exerçant une activité bancaire, de taire les informations de nature confidentielle qu’ils possèdent sur leurs clients ou des tiers. Le professionnel de la banque ne respectant pas cette obligation encourt des sanctions à caractères civil, pénal et disciplinaire1. Ce principe, qui trouve son origine dans la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit2, figure aujourd’hui à l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier.
2. Ce principe n’est cependant pas absolu. Il connaît, en effet, un certain nombre d’exceptions d’origine légale, voire parfois jurisprudentielle. Il est d’ailleurs classique de dire qu’au fil du temps, le principe s’est réduit en raison de la multiplication de ses exceptions3. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à parler de « déclin » à son égard4.
3. Or, depuis quelques années, le droit à la preuve des clients de banque est de plus en souvent admis, par les juges, comme légitimant une levée du secret bancaire5. La décision sélectionnée en témoigne.
4. En l’espèce, le 31 mars 2021, la SAS N. avait établi un chèque de 14 649,89 € destiné à payer l’un de ses fournisseurs, la société E., et le lui aurait adressé par la poste. Or ce chèque avait été encaissé par un garage, la société G.
5. La banque X, auprès duquel était ouvert le compte tiré, n’avait pas entendu rembourser la SAS N. en dépit d’une réclamation adressée en ce sens. De plus, elle avait également refusé de transmettre à cette société la copie du verso du chèque, les coordonnées de la banque présentatrice et la correspondance échangée entre les deux banques.
6. Une action en justice avait alors été entamée par la SAS. C’est ainsi que, par une ordonnance du 31 mars 2022, le président du tribunal judiciaire de Niort, statuant en référé, avait enjoint la banque X de justifier auprès de la SAS N. de l’identité et des coordonnées de la banque auprès de laquelle avait été présenté à l’encaissement le chèque concerné. De même, la communication de la copie du verso de ce chèque et de l’ensemble des courriers échangés avec la banque qui a présenté le chèque à l’encaissement, relativement à ce chèque, avait été ordonnée. Ces obligations étaient assorties d’une astreinte provisoire de 100 € par jour de retard, pendant 50 jours, à compter du septième jour suivant la signification de décision.
7. La banque X avait cependant, le 25 avril 2022, fait appel de cette décision. Elle demandait à la cour d’appel d’infirmer l’ordonnance de référé et de débouter en conséquence la société N. de l’intégralité de ses demandes.
8. L’étude de la solution dégagée par la cour d’appel de Poitiers (II) implique de rappeler au préalable l’état de notre droit concernant la levée du secret bancaire légitimée par le droit à la preuve (I).
I – Secret bancaire et droit à la preuve : rappel du droit applicable
9. La solution contemporaine favorable à une levée du secret bancaire en matière de procédure civile est le résultat d’une évolution de la jurisprudence fondée sur le droit à la preuve (A). Bien évidemment, une telle mise à l’écart du principe demeure scrupuleusement encadrée par les juges (B).
A – Une évolution de la jurisprudence favorable à la levée du secret bancaire
10. De longue date, il était acquis pour les juges qu’à défaut d’exception légale (comme en droit des entreprises en difficulté, en droit du surendettement6 ou en droit du divorce7), le secret bancaire devait être nécessairement opposé au juge civil ou à celui du tribunal de commerce8.
11. Il est vrai qu’aucune disposition légale n’est de nature à contraindre le banquier à produire des informations confidentielles devant le juge civil ou le tribunal de commerce, comme c’est le cas pour la procédure pénale ou la procédure fiscale. Certes, l’article 10 du Code civil prévoit que : « Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui sans motif légitime se soustrait à cette obligation (…) peut être contraint d’y satisfaire (…) ». De même, les articles 11 et 142 du Code de procédure civile donnent au juge le pouvoir d’ordonner la production forcée des pièces détenues par une partie. Cependant, il convient de noter que cet article 10 du Code civil n’admet cette contrainte qu’en l’absence de « motif légitime ». Or la jurisprudence a perçu, pendant de nombreuses années, le secret bancaire comme un tel motif légitime9. Il devait donc prévaloir dans un tel cas10.
12. Une solution comparable était à observer lorsque le banquier est un tiers à l’instance. En effet, l’article 11, alinéa 2, du Code de procédure civile prévoit que le juge « peut, à la requête de l’une des parties demander ou ordonner (…) la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime ». L’article admet ainsi, dans ce cas encore, une exception à la production des informations requises : le cas de l’« empêchement légitime ». Or la jurisprudence a longtemps perçu, là encore, le secret bancaire comme un tel empêchement11. Cette solution se retrouvait notamment lorsque le client demandait en justice la production d’une photocopie du verso d’un chèque qu’il avait lui-même tiré12.
13. Cependant, la jurisprudence a connu une évolution notable en la matière. Il convient alors de s’y intéresser, car c’est sur son fondement que les magistrats poitevins ont été amenés à se prononcer dans l’arrêt étudié.
14. Avant d’évoquer l’évolution récente de la jurisprudence, il convient de noter qu’il est acquis de longue date, pour la haute juridiction, que la banque ne saurait opposer le secret bancaire au profit de sa propre défense, et ainsi refuser de communiquer des documents qui lui sont demandés par l’intéressé dans le cadre d’une procédure civile13. Il est vrai que le secret bancaire est une obligation pour le banquier, et non un droit derrière lequel il pourrait utilement se cacher. Dit autrement, l’opposabilité du secret n’a pas pour vocation à servir uniquement les intérêts du banquier.
15. Mais c’est une autre solution qui nous importe ici ; celle qui découle d’un arrêt de principe de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 novembre 201714. En l’occurrence, les liquidateurs d’une société en liquidation judiciaire souhaitaient obtenir du banquier de cette dernière la communication de documents concernant un virement de 50 000 000 $ effectués au bénéfice d’un tiers. L’objectif des liquidateurs était ici de pouvoir prouver que le banquier avait méconnu ses obligations à l’occasion de ce virement. Or la Cour de cassation considère que le principe du secret bancaire « ne constitue pas un empêchement légitime (…) lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident, mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ». Cette jurisprudence a été réitérée15.
16. Elle a cependant connu une évolution par la suite, comme en témoignent deux décisions remarquées de la chambre commerciale du 4 juillet 201816 et du 15 mai 201917.
17. Dans ces deux arrêts, qui constituent alors notre droit actuel, le mode de raisonnement de la haute juridiction diffère quelque peu, par rapport à la décision du 29 novembre 2017 mentionnée précédemment. Les juges du Quai de l’Horloge ne se reposent plus sur la qualité des intéressés (parties à un procès dirigé contre l’établissement bancaire), mais sur la recherche d’un juste équilibre entre les droits qui sont en conflits, en l’occurrence le secret bancaire et le droit à la preuve. Les critères de la nécessité et de la proportionnalité sont alors mis en avant.
18. Illustrons nos propos à la lecture de la décision du 15 mai 2019. Elle portait sur le contentieux lié aux demandes de production de copies de versos de chèques par le tireur souhaitant savoir qui avait effectivement encaissé les titres concernés18. En l’occurrence, les juges du fond avaient rejeté la demande du tireur, au motif qu’en produisant les pièces demandées la banque aurait divulgué les informations figurant au verso des chèques et porté ainsi atteinte au secret dont sont titulaires les bénéficiaires des chèques en question. Cette solution est cependant cassée par la haute juridiction, qui considère « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si la communication à M. et Mme R. des informations figurant au verso des chèques qu’ils avaient émis n’était pas indispensable à l’exercice de leur droit à la preuve, pour rechercher l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement desdits chèques, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires de ces chèques, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
19. Au-delà de ce nouveau fondement19, l’exception ainsi admise au secret bancaire est de bon sens. Elle a notamment pour intérêt d’éviter que des banquiers fautifs n’échappent trop facilement à l’engagement de leur responsabilité civile en opposant le secret bancaire au juge civil ou au tribunal de commerce20. Il importe peu en revanche, et c’est à souligner, que les informations en question visent également des tiers.
20. Cette solution, clairement favorable au droit à la preuve, ne saurait pour autant surprendre. Depuis plusieurs années, on peut percevoir l’émergence d’un tel droit, ayant pour effet de privilégier l’impératif de liberté et d’écarter les secrets protégés par le droit chaque fois que cela est « indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence »21. Plusieurs décisions rendues, depuis le début des années 2010, tant par la Cour européenne des droits de l’Homme que par la Cour de justice de l’Union européenne22 et enfin la Cour de cassation23, plaident en ce sens24. Cette dérogation demeure, dans tous les cas, très encadrée.
B – Une levée du secret bancaire encadrée par la jurisprudence
21. Il est à observer que les arrêts précités, et notamment ceux du 4 juillet 2018 et 15 mai 2019, ne cherchent pas à reconnaître une levée illimitée du secret bancaire au bénéfice du juge civil. Les arrêts concernés visent, cela a été dit, deux conditions cumulatives à une telle levée : les juges exigent, d’une part, que la communication des informations couvertes par le secret bancaire soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve des intéressés et, d’autre part, qu’elle soit proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Reprenons successivement ces deux critères de nécessité et de proportionnalité.
22. La communication des informations couvertes par le secret bancaire doit, d’abord, être indispensable à l’exercice du droit à la preuve. Concrètement, cela veut dire que la preuve requise, impliquant donc la levée du principe, doit être hautement nécessaire au demandeur ou au défendeur pour faire valoir ses droits. Si l’intéressé peut obtenir d’autres éléments de preuve, tout aussi utiles pour fonder ses prétentions ou sa défense, sans malmener le secret bancaire, la levée de ce dernier ne sera logiquement pas possible. La levée du principe doit ainsi demeurer exceptionnelle.
23. Ensuite, la communication des informations doit être proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Les juges du fond devront donc procéder à une mise en balance des intérêts concurrents (c’est-à-dire du demandeur, du défendeur, ou encore d’éventuels tiers concernés par le secret) et déterminer lequel, du droit à la preuve ou du secret bancaire, doit l’emporter au regard des faits de l’espèce. Plus précisément encore, les magistrats seront tenus d’identifier le droit auquel il est porté atteinte, mais aussi la réalité de l’atteinte et son caractère excessif ou non25. Nous sommes ainsi en présence d’un contrôle de proportionnalité réalisé, non pas de façon abstraite, mais à la vue des circonstances de fait26. Cette seconde exigence sera donc appréciée au cas par cas.
24. Logiquement, le recours à ces deux exigences aura pour effet de limiter la levée du secret bancaire27. C’est ainsi, notamment, que l’expert nommé par le juge (souvent un huissier de justice) pour aller chercher les éléments de preuve souhaités, ne pourra pas accéder à toutes les informations détenues par la banque sur une personne en particulier ; la levée du secret ne vaudra que pour l’obtention des éléments de preuve en lien direct avec l’objet du litige et utiles à ce dernier.
25. Sans surprise, les juges du fond commencent à rendre des décisions à propos des deux conditions précitées28. Tel est le cas de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 17 janvier 2023. Observons-le, dès lors, plus en détail.
II – Secret bancaire et droit à la preuve : les apports de la décision étudiée
26. La cour d’appel de Poitiers était donc amenée à se prononcer sur l’existence d’une obligation, pour la banque X, de lever le secret bancaire ou, au contraire, sur son droit de l’opposer.
27. Or la solution dégagée par cette juridiction (A), et plus particulièrement les éléments pris en considération pour la fonder, suscite la réflexion. La décision emporte néanmoins, d’une façon globale, notre adhésion (B).
A – La solution dégagée par la cour d’appel
28. La cour d’appel de Poitiers commence par rappeler l’ensemble des articles de nature à fonder sa décision : l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, l’article 10 du Code civil, et enfin les articles 9 et 10 du Code de procédure civile. Pour mémoire, il résulte de ces deux derniers qu’il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention, et si le juge ne doit pas suppléer à la carence des parties dans l’administration de la preuve, il a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles.
29. Les arguments de la banque X sont alors reproduits. Celle-ci faisait notamment valoir qu’il apparaissait vain pour le juge des référés de rappeler que le secret bancaire n’était pas opposable lorsque la demande était dirigée à l’encontre de l’établissement financier, non en sa qualité de tiers confident, mais en sa qualité de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dès lors qu’en l’espèce, aucun procès en responsabilité n’avait été dirigé à son encontre ainsi que le reconnaissait l’intimée, laquelle concédait d’ailleurs que cette demande de communication de pièces visait à l’obtention d’un renseignement en vue de la mise en jeu de la responsabilité éventuelle d’un tiers, à savoir le banquier présentateur. La banque considérait encore que l’action entreprise par la SAS N. visait à la communication de l’identité et des coordonnées du banquier présentateur, c’est-à-dire de renseignements propres aux relations entre le garage G. qui avait procédé à l’encaissement du chèque et son établissement bancaire. D’autres reproches pouvaient être relevés. Ils étaient bien évidemment contestés par la SAS N.
30. La cour d’appel de Poitiers vient alors à se prononcer. Elle déclare que le secret bancaire « n’est pas intangible et, au-delà des exceptions légales posées par la loi qui ne concernent pas la présente espèce, il n’en demeure pas moins qu’au regard de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier, de l’article 10 du Code civil et 9 et 10 du Code de procédure civile, un juge ne peut refuser de communiquer au tireur du chèque les informations figurant au verso du chèque, sous couvert du secret bancaire, sans rechercher si une telle communication est indispensable à l’exercice de ses droits à la preuve pour établir l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement des chèques et, en outre, proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires de ces chèques ».
31. Elle recherche alors si nous étions bien dans ce cas de figure. Selon elle, comme le faisait justement constater la SAS N., il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir engagé cette action en responsabilité alors que, précisément, les pièces lui faisaient défaut pour connaître l’identité de la banque où le chèque avait été remis, mais aussi les opérations de vérification que l’une et l’autre banque avaient entreprises avant de payer le chèque.
32. La cour d’appel prend soin de noter que l’action intentée par la société N., par voie de référé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, était destinée à lui permettre d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pouvait dépendre la solution du litige.
33. Or il ressortait des différentes pièces versées aux débats par la société, notamment le dépôt de plainte et son récépissé, mais aussi les échanges de correspondances entre la banque X et cette même société, que cette dernière envisageait bien une action en responsabilité contre les différents acteurs de la chaîne cambiaire, dont faisait partie la banque X, de sorte que l’intérêt légitime du tiré à faire respecter le secret bancaire devait céder au profit de celui du tireur qui souhaitait faire établir son éventuelle responsabilité.
34. La cour d’appel de Poitiers décide alors de confirmer l’ordonnance du 31 mars 2022 du président du tribunal judiciaire de Niort en ce qui concerne l’injonction à produire le verso du chèque et les coordonnées de la banque auprès de laquelle avait été présenté à l’encaissement le chèque litigieux.
35. En revanche, il apparaissait disproportionné, pour les mêmes magistrats, au regard des éléments produits aux débats, de confirmer l’injonction de transmettre copie des correspondances entre la banque X et la banque présentatrice. L’ordonnance est alors exclusivement réformée de ce chef.
36. Cette solution, qui tend donc à la levée du secret bancaire, peut sembler a priori se démarquer de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation intéressant les relations entre le secret bancaire et le droit à la preuve29. Il n’en est rien selon nous. Certains passages méritent néanmoins quelques explications en raison de leur manque de clarté.
B – Une solution pour l’essentiel convaincante
37. Dans l’affaire qui nous occupe, il apparaît que la banque X avait notamment décidé de placer le débat sur le fait qu’en l’absence d’action en responsabilité de la société N. contre elle, le secret bancaire devait s’imposer.
38. On comprend alors que l’établissement de crédit en question cherchait à se fonder sur la décision de la Cour de cassation du 29 novembre 201730 voulant que le principe du secret bancaire « ne constitue pas un empêchement légitime (…) lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident, mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ».
39. Cependant, et cela a été observé31, la jurisprudence de la haute juridiction a évolué, par la suite, en la matière. Désormais, il est simplement requis que la communication des informations couvertes par le secret bancaire soit, d’une part, indispensable à l’exercice du droit à la preuve et, d’autre part, proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. La recherche de la responsabilité de la banque détenant les informations confidentielles n’est plus qu’une éventualité, et en aucun cas une condition.
40. On regrettera alors que la cour d’appel de Poitiers n’ait pas cherché à replacer plus clairement la discussion sur ces deux conditions cumulatives : la nécessité de la levée du secret et sa proportionnalité. La solution y aurait gagné à coup sûr en clarté.
41. Pour autant, on peut penser que ces conditions n’étaient pas absentes des motifs. D’abord, et de façon expresse, la dernière règle dégagée par la haute juridiction est rappelée. Il revient ainsi au juge de « rechercher si une telle communication est indispensable à l’exercice de ses droits à la preuve pour établir l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement des chèques et, en outre, proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».
42. Ensuite, il est sous-entendu que les informations demandées étaient nécessaires à la société N. pour connaître l’identité de la banque où le chèque avait été remis, et ainsi pouvoir exercer une action en responsabilité contre « les différents acteurs de la chaîne cambiaire, dont fait partie l’appelante ».
43. Quid de la proportionnalité d’une telle levée ? Elle est aussi présente. D’une part, la cour d’appel indique que « l’intérêt légitime du tiré à faire respecter le secret bancaire doit céder au profit de celui du tireur qui souhaite faire établir son éventuelle responsabilité ». Cela justifie alors l’injonction à produire le verso du chèque et les coordonnées de la banque auprès de laquelle avait été présenté l’encaissement le chèque litigieux. D’autre part, les mêmes magistrats considèrent qu’il est en revanche « disproportionné au regard des éléments produits aux débats » de confirmer l’injonction de transmettre copie des correspondances entre la banque X et la banque présentatrice. Ainsi, ce contrôle de proportionnalité permet de limiter la levée du secret bancaire à ce qui est utile pour que le demandeur puisse faire valoir ses droits, en l’occurrence afin d’exercer une action en responsabilité contre les banquiers étant intervenus à l’opération.
44. En conclusion, on peut considérer que les magistrats poitevins ont bien respecté la jurisprudence dégagée par la haute juridiction, ces dernières années, concernant les relations entre le secret bancaire et le droit à la preuve. Ils n’ont finalement admis la levée du premier que parce que les exigences de nécessité et de proportionnalité étaient bien respectées. Cette jurisprudence emporte donc notre conviction, même si un peu plus de clarté quant à l’emploi de ces deux conditions aurait été opportune. En effet, des concepts limpides, appliqués clairement, ont forcément plus de chance d’échapper à l’aléa judiciaire.
Notes de bas de pages
-
1.
Les cas de condamnations sont néanmoins très rares : J. Lasserre Capdeville, Rép. pén. Dalloz, v° Banque, 2018, n° 276. Il est vrai que la preuve d’une violation n’est pas simple à rapporter : CA Paris, 2 sept. 2021, n° 18/24451. De surcroît, concernant les actions en responsabilité civile, l’existence d’un préjudice devra être aussi démontrée, CA Paris, 3 nov. 2021, n° 17/21559 : LEDB févr. 2022, n° DBA200n6, obs. J. Lasserre Capdeville.
-
2.
La jurisprudence le visait néanmoins déjà avant cette date : v. par ex. CA Paris, 17 oct. 1931 : Gaz. Pal. 1932, n° 1, p. 19 – T. civ. Strasbourg, 23 déc. 1954 : RTD com. 1956, p. 634, obs. J. Becqué et H. Cabrillac – T. civ. Caen, 22 déc. 1955 : JCP 1956, IV, 56 – CA Paris, 6 févr. 1975 : D. 1975, p. 318, obs. J. Vezian.
-
3.
De nouvelles exceptions ont d’ailleurs été proposées, récemment, par le haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) dans un rapport remarqué : J. Lasserre Capdeville, « Rapport du HCJP sur le secret bancaire : présentations et réflexions personnelles », JCP E 2020, n° 49, 1509, p. 32.
-
4.
J. El Mir, Le secret bancaire : une institution en déclin, thèse, 2022, A. Gaudemet (dir.), université Paris-Panthéon-Assas.
-
5.
J. Lasserre Capdeville, « Le secret bancaire à l’épreuve de la procédure », in A. Maymont et M. Nicolas-Gréciano (dir.), Le droit bancaire et financier à l’épreuve de la procédure, 2022, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, Colloques et Essais, p. 77, nos 34 et s.
-
6.
Elle profite au juge du contentieux de la protection : C. consom., art. L. 742-6.
-
7.
Elle bénéficie au juge aux affaires familiales : C. civ., art. 259-3, al. 2.
-
8.
R. Routier, « Le secret bancaire face au juge civil et commercial en droit français », RLDA 5/2010, p. 55.
-
9.
Cass. com., 25 févr. 2003, no 00-21184 : Bull. civ. IV, n° 26 ; D. 2003, AJ, p. 1162, obs. V. Avena-Robardet ; JCP G 2003, II 10195, note E. Ayissi Manga ; RTD com. 2003, p. 343, obs. D. Legeais ; RTD civ. 2003, p. 477, obs. J. Hauser ; RD bancaire et fin. 2003, comm. 59, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et droit 2003, p. 56, obs. T. Bonneau – Cass. com., 13 nov. 2003, n° 00-19573 : JCP E 2004, 736, n° 2, obs. J. Stoufflet ; Banque et droit 2004, p. 57, obs. T. Bonneau – Cass. com., 25 janv. 2005, n° 03-14693 : Bull. civ. IV, n° 13 ; Banque et droit 2005, n° 101, p. 70, obs. T. Bonneau ; RTD com. 2005, p. 395, obs. D. Legeais – Cass. com., 23 janv. 2007, n° 05-18368 : Bull. civ. IV, n° 7 ; RTD com. 2007, p. 432, obs. D. Legeais.
-
10.
La même solution se retrouvait pour les mesures d’instruction in futurum qui sont ordonnées en dehors de tout procès au fond en vue d’un éventuel litige : D. Chemla et E. Bouretz, « Référé probatoire et secret bancaire : un secret si bien gardé », RD bancaire et fin. 2004, p. 205 – Cass. com., 16 janv. 2001, n° 98-11744 : Bull. civ. IV, n° 12 ; D. 2001, p. 545, obs. A. Lienhard ; D. 2003, p. 340, obs. H. Synvet.
-
11.
CA Paris, 6 févr. 1998, n° 97/17006 : RD bancaire et fin. 1998, comm. 69, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard – CA Chambéry, 15 févr. 2002 : Banque et droit 2002, n° 84, p. 54, obs. T. Bonneau – Cass. com., 21 févr. 2012, n° 11-10900 : RD bancaire et fin. 2012, comm. 75, obs. F.-J. Crédot et T. Samin ; LEDB avr. 2012, n° 39, p. 3, obs. J. Lasserre Capdeville – Cass. com., 5 févr. 2013, n° 11-27746 : Banque et droit 2013, n° 149, p. 28, obs. T. Bonneau ; LEDB avr. 2013, n° 42, p. 5, obs. R. Routier ; JCP G 2013, 502, note J. Lasserre Capdeville ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 119, obs. F.-J. Crédot et T. Samin – Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-14779 : Dalloz actualité, 24 févr. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; LEDB avr. 2015, n° 62, p. 6, obs. R. Routier ; D. 2015, p. 959, note J. Lasserre Capdeville.
-
12.
L’hypothèse est traditionnellement la suivante. Un tireur émet un chèque, mais celui-ci n’est, semble-t-il, pas encaissé par celui qui aurait dû en être le bénéficiaire. Il est alors tentant pour le tireur de demander au juge de bien vouloir obliger le banquier tiré à produire une copie du verso du chèque pour découvrir qui a, réellement, encaissé le chèque en question. La demande peut également provenir d’héritiers réservataires du tireur décédé, qui souhaiteraient s’assurer qu’il n’y a pas eu d’atteinte à leur réserve héréditaire avant le décès du de cujus. Or, dans l’ensemble de ces cas, la Cour de cassation, comme les juges du fond, faisait traditionnellement prévaloir le secret bancaire, en qualifiant ce dernier « d’empêchement légitime » au sens de l’article 11 précité. En ce sens, Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-16317 : Bull. civ. IV, n° 172 ; Banque 1995, p. 93, obs. J.-L. Guillot ; RD bancaire bourse 1995, p. 145, obs. F.-J. Crédit et Y. Gérard – Cass. com., 8 juill. 2003, n° 00-11993 : Bull. civ. IV, n° 119 ; D. 2003, AJ, p. 2170, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003, p. 783, obs. M. Cabrillac ; RD bancaire et fin. 2004, comm. 5, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et droit 2004, p. 54, obs. T. Bonneau – Cass. com., 9 juin 2004, n° 02-19572 : Banque et droit 2004, p. 82, obs. T. Bonneau ; RJDA 2004, n° 1363 – Cass. com., 21 sept. 2010, n° 09-68994 : LEDB nov. 2010, p. 3, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Pau, 29 oct. 2013, n° 13/01378 – CA Paris, 3 avr. 2014, n° 13/00462.
-
13.
Cass. com., 19 juin 1990, n° 88-19618 : Bull. civ. IV, n° 179 ; RD bancaire bourse 1991, n° 27, p. 197, note F.-J. Crédot et Y. Gérard – CA Toulouse, 9 juill. 2021, n° 20/02282. De même, les juges du fond admettent que le banquier doit pouvoir lever son secret lorsqu’il risque de subir un préjudice en le conservant : CA Paris, 23 mai 1996 : RD bancaire bourse 1996, p. 236, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard – CA Paris, 25 mars 1998, n° 7911/97.
-
14.
Cass. com., 29 nov. 2017, n° 16-22060 : JCP E 2017, n° 49, act. 877 ; Dalloz actualité, 8 déc. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2017, AJ, p. 2420 ; LEDB janv. 2018, n° DBA111a6, obs. N. Mathey ; JCP E 2018, n° 4, 1038, note J. Lasserre Capdeville ; D. 2018, p. 603, note C. Kleiner. V. également par le passé, mais moins net, Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-10490 : Bull. civ. IV, n° 153 ; D. 2011, AJ, p. 2532, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2011, p. 780, obs. D. Legeais ; JCP G 2011, 1388, note J. Lasserre Capdeville ; Banque et droit 2012, p. 34, obs. T. Bonneau.
-
15.
Cass. com., 24 mai 2018, n° 17-27969 : LEDB juill. 2018, n° DBA111m4, obs. J. Lasserre Capdeville ; RJDA 2018, n° 757.
-
16.
Cass. com., 4 juill. 2018, n° 17-10158 : RD bancaire et fin. 2018, comm. 152, obs. T. Samin et S. Torck ; JCP E 2018, 1507, note J. Lasserre Capdeville ; JCP E 2018, 1596, n° 2, obs. N. Mathey.
-
17.
Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-10491 : JCP E 2019, act. 360 ; D. 2019, p. 2009, obs. D.-R. Martin ; LEDB juill. 2019, n° DBA112t7, obs. N. Mathey ; Lexbase Hebdo, 6 juin 2019, n° 596, éd. Affaires, note A. Maymont ; JCP E 2019, 1443, p. 42, note J. Lasserre Capdeville ; JCP G 2019, 642, note T. Bonneau ; Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019, p. 1595, note H. Michelin-Brachet.
-
18.
V. supra, § 12.
-
19.
Pour une analyse de ces deux exigences, v. infra, § 22 et s.
-
20.
CA Rouen, 2 juin 2020, n° 18/02441 : LEDB sept. 2020, n° DBA113h6, obs. J. Lasserre Capdeville.
-
21.
Cass. 1re civ., 5 avr. 2012, n° 11-14177 : Bull. civ. I, n° 85 ; D. 2012, p. 1596, note G. Lardeux ; D. 2012, p. 2826, obs. J.-D. Brezner ; RTD civ. 2012, p. 506, obs. J. Hauser.
-
22.
CEDH, 10 oct. 2006, n° 7508/02, LL c/ France : D. 2006, AJ, p. 2692 ; RTD civ. 2007, p. 95, obs. J. Hauser – CJUE, 16 juill. 2015, n° C-580/13, Coty Germany GmbH : RD bancaire et fin. 2016, repère 4, note T. Bonneau ; AJ pénal 2015, p. 544, note J. Lasserre Capdeville ; D. 2015, p. 2168, note C. Kleiner ; D. 2016, p. 96, note G. Lardeux – CJUE, 13 sept. 2018, n° C-358/16, UBS Europe : Europe 2018, comm. 408, obs. D. Simon ; Banque et droit 2018, n° 181, p. 40, obs. J. Morel Maroger.
-
23.
Cass. 1re civ., 5 avr. 2012, n° 11-14177 : Bull. civ. I, n° 85 – Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12403 – Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-22183.
-
24.
G. Lardeux, « Le droit à la preuve : tentative de systématisation », RTD civ. 2017, p. 1.
-
25.
H. Michelin-Brachet, D. 2019, p. 1595, n° 9.
-
26.
Pour une légalisation de cette jurisprudence, J. Lasserre Capdeville, « Rapport du HCJP sur le secret bancaire : présentations et réflexions personnelles », JCP E 2020, n° 49, 1509, p. 32, nos 15 et s.
-
27.
Certains considèrent d’ailleurs que l’état du droit n’aurait pas vraiment changé par rapport à la jurisprudence antérieure : J. Martinet et V. Borgel, « Secret bancaire, nécessité probatoire et obligation de vigilance du banquier – L’héritage polémique de l’arrêt du 29 novembre 2017 », Banque et droit 2021, n° 198, p. 4. Nous ne partageons pas, quant à nous, cette opinion.
-
28.
CA Aix-en-Provence, 17 sept. 2020, n° 19/17711 : LEDB nov. 2020, n° DBA113n1, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Toulouse, 12 oct. 2021, n° 20/02050. Sur les règles de procédures en la matière, CA Douai, 5 mars 2020, n° 19/05024. Selon ce dernier, en soutenant que la demande indemnitaire du client impliquait la production de relevés de compte et de cartes bancaires et de copies de chèques en vue de l’exercice du droit à la preuve de la banque, la banque soulève une contestation sérieuse échappant à la compétence du juge des référés, dans la mesure où ces éléments sont couverts par le secret bancaire.
-
29.
V. supra, § 16 et s.
-
30.
V. supra, § 15. V. également, Cass. com., 24 mai 2018, n° 17-27969 : LEDB juill. 2018, n° DBA111m4, obs. J. Lasserre Capdeville ; RJDA 2018, n° 757.
-
31.
V. supra, § 16 et s.
Référence : AJU008c3