Du nouveau quant à la vérification de l’identité des clients pour des services bancaires

Publié le 14/06/2023
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Le décret du 3 février 2023 atténue les dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux inscrits dans le Code monétaire et financier pour des services financiers présentant de faibles risques de détournement criminel. Entré en vigueur le 6 février 2023, le texte vise prioritairement des publics défavorisés en marge des circuits bancaires traditionnels.

D. n° 2023-63, 3 févr. 2023, relatif à la vérification de l’identité de la clientèle pour certains produits et services à faible risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, NOR : ECOT2207047D

Pour rappel, la lutte contre le blanchiment de capitaux (LCB) a un double objectif et oblige certains professionnels à mettre en place des mesures de vigilance, qui peuvent être allégées dans certains cas (I). À cet égard, le décret n° 2023-63 du 3 février 2023 assouplit les dispositifs de LCB pour des services financiers présentant de faibles risques de détournement criminel (II).

I – Le double objectif de la LCB

Le blanchiment de capitaux consiste à dissimuler l’origine de fonds obtenus de manière illicite et à les introduire dans l’économie légale afin que leurs détenteurs puissent en conserver la jouissance. Il représenterait 3 % du PIB mondial et 1,3 % du PIB de l’Union européenne.

Le nombre de déclarations de soupçon transmises par les professions assujetties à Tracfin a fortement augmenté dans les secteurs financier (banques et établissements de paiement) et non financier. Elles ont été multipliées par plus de 6 entre 2012 et 2021.

La lutte contre le blanchiment s’inscrit dans un double objectif : d’une part, prévenir les activités criminelles en les privant de fonds ; d’autre part, assurer la solidité, l’intégrité et la stabilité du système économique et financier.

La lutte contre les flux financiers illicites est une priorité de longue date des autorités françaises et a été particulièrement renforcée depuis les attentats commis en 2015 et 2016 sur le territoire français. Dès 2015, le Plan d’action pour lutter contre le financement du terrorisme porté par le ministère de l’Économie et des Finances a été adopté, avec pour objectifs de mieux identifier, surveiller et agir contre le financement du terrorisme (FT).

La France a fait le choix d’un assujettissement large afin d’assurer une couverture exhaustive des activités financières et non financières pouvant être exploitées à des fins de blanchiment de capitaux ou de FT.

Les entités assujetties sont énumérées à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier ; cette liste recouvre notamment :

• les entités des secteurs bancaire et financier ;

• les intermédiaires immobiliers ;

• les professions du chiffre et du droit (experts-comptables, commissaires aux comptes, avocats, notaires, huissiers de justice, mandataires de justice – administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires) ;

• les entités du secteur des jeux ;

• les négociants en biens et services de grande valeur (pierres précieuses, matériaux précieux, antiquités ou œuvres d’art, etc.) ;

• les agents sportifs ;

• les sociétés de domiciliation.

Les entités appartenant au secteur financier sont soumises au contrôle et au pouvoir de sanction de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et de l’Autorité des marchés financiers.

Ces autorités sont depuis longtemps chargées de la régulation du secteur financier et disposent ainsi d’une importante expertise sectorielle particulièrement utile à leur mission de contrôle de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Elles abritent également des équipes dédiées en matière de LCB-FT et partagent pleinement l’objectif national de lutte contre les flux financiers illicites.

Les entités appartenant au secteur non financier, quant à elles, sont contrôlées par plusieurs autorités qui disposent d’une connaissance importante du métier, facilitant ainsi leur rôle de supervision comme la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour les intermédiaires immobiliers, les professionnels du secteur du luxe et les sociétés de domiciliation.

Tous les professionnels visés par l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier ont une obligation de vigilance sur leur client ou client occasionnel mais aussi sur le(s) bénéficiaire(s) effectif(s) des opérations dès l’entrée en relation d’affaires, en mettant en place les procédures et mesures adaptées de contrôle interne pour effectuer toutes les diligences nécessaires à des fins d’identification du client sur la base des informations en sa possession ou de tout document écrit probant.

Le professionnel doit déclarer ses doutes le plus tôt possible, dès la naissance du soupçon, c’est-à-dire a priori, mais aussi a posteriori pour les opérations déjà exécutées et qui se sont révélées suspectes tardivement.

Lorsque la transaction qui a fait l’objet d’une déclaration de soupçon n’a pas été encore exécutée, Tracfin peut y faire opposition sur la base de l’article L. 561-25 du Code monétaire et financier. Son opposition est notifiée à l’auteur de la déclaration.

À noter. Les professionnels sont tenus de conserver pendant cinq ans les pièces et documents réunis au titre de la vigilance.

Des facilités de mise en œuvre de ces obligations de vigilance pour certains professionnels sont prévues :

• la « tierce introduction » permet, sous conditions, de sous-traiter et de s’appuyer sur les mesures de vigilance appliquées par un autre professionnel ;

• la possibilité, limitée et strictement encadrée, de partage d’informations sur l’existence d’une déclaration faite auprès du service Tracfin, et ce, afin de permettre d’adapter le degré de vigilance.

Le Code monétaire et financier pose le principe d’une modulation de l’obligation de vigilance en fonction du risque attaché au client, au produit ou à l’opération traitée (C. mon. fin., art. L. 561-4-1 et s.).

Trois types de vigilance peuvent être mis en œuvre par le professionnel selon la nature et le niveau du risque (client, produit ou transaction) auquel il est confronté et sur lequel il a de bonnes raisons de soupçonner qu’il relève du blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme (BC-FT) :

• la vigilance normale exercée au moment de l’entrée en relation d’affaires qui porte sur les éléments d’identification du client et sur l’objet et la nature de l’opération envisagée, dans le suivi de la relation d’affaires ; elle nécessite d’avoir une connaissance actualisée du client afin d’être en mesure d’évaluer la cohérence des opérations qu’il a effectuées ;

• la vigilance renforcée si le risque est jugé élevé. Des mesures de vigilance complémentaires doivent être prises si le client n’est pas physiquement présent aux fins d’identification, si la personne est politiquement exposée, si le produit ou l’opération favorise l’anonymat ou si les opérations sont réalisées avec des personnes situées dans un État dont la législation ou les pratiques font obstacle à la LCB-FT ;

• enfin, des mesures de vigilance simplifiées sont possibles dans certains cas. À cet égard, le décret n° 2023-63 du 3 février 2023 assouplit les dispositifs de LCB pour des services financiers présentant de faibles risques de détournement criminel.

II – L’assouplissement des dispositifs de LCB pour des services financiers présentant de faibles risques de détournement criminel

L’article L. 561-9 du Code monétaire et financier prévoit la possibilité d’alléger les mesures de vigilance dans deux cas :

• le risque de BC-FT paraît faible ;

• les clients, les services ou les produits présentent un faible risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme et il n’existe pas de soupçon de blanchiment ou de financement du terrorisme. Le Code monétaire et financier autorise à différer l’identification du client et du bénéficiaire effectif.

Cette appréciation est personnelle à l’assujetti, ce dernier devant être en mesure de pouvoir démontrer, auprès de l’autorité de contrôle, les raisons pour lesquelles une vigilance allégée est retenue.

Pour l’application des mesures de vigilance simplifiées, il convient de se référer aux articles R. 561-14 et suivants du Code monétaire et financier qui imposent :

• soit de justifier en quoi le client ou le produit présente un faible risque de blanchiment ;

• soit de se référer aux articles R. 561-15 et R. 561-16 du Code monétaire et financier listant les personnes et les produits présentant intrinsèquement un faible risque de blanchiment et permettant ainsi de droit d’accomplir des mesures de vigilance simplifiées.

Conformément à l’article R. 561-14-2, une simple identification du client et du bénéficiaire effectif, le cas échéant, est suffisante dans les situations limitativement énumérées aux articles R. 561-15 et R. 561-16 du Code monétaire et financier, que le client soit physiquement présent ou non.

Les organismes concernés sont exemptés de vérifier l’identité respective du client et, au besoin, du bénéficiaire effectif, et donc de l’obligation de consultation du registre des bénéficiaires effectifs à cette fin.

Il peut néanmoins être utile de le faire, dans la mesure où cette consultation est un élément d’aide important pour déterminer et identifier le bénéficiaire effectif, et d’obtenir des éléments de connaissance de la relation d’affaires.

Rappel. La mise en œuvre de mesures de vigilance simplifiées n’exonère pas les organismes financiers de la mise en place d’un dispositif général de surveillance et d’analyse des opérations qui soit adapté à leurs activités, leurs produits et leur clientèle, conformément à l’article R. 561-14. En cas de détection d’une opération inhabituelle ou suspecte, les organismes doivent mettre en œuvre, de manière adaptée aux risques, l’ensemble des mesures de vigilance prévues par la réglementation.

Quoi qu’il en soit, les mesures de vigilance simplifiées prévues par le décret du 23 février 2023 s’appliquent plus spécifiquement aux obligations d’identification et de vérification de l’identité des clients de prestataires de services de paiement (PSP) pour des transactions en espèce de faible montant réalisées pour le paiement de factures de la vie courante.

Ces nouvelles dispositions, qui visent prioritairement des publics défavorisés en marge des circuits bancaires traditionnels, remplissent un objectif d’inclusion sociale et économique, dans les limites fixées par le cadre européen de LCB-FT.

Le décret ajoute, à la liste des services ou produits présentant un faible risque de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme et où il n’existe pas de soupçon de blanchiment ou de financement du terrorisme qui peuvent faire l’objet de mesures de vigilance simplifiées, les paiements réalisés en espèces par une personne physique auprès d’un PSP agissant pour le compte du bénéficiaire du paiement, pour les dépenses et les montants mensuels suivants :

a) loyers inférieurs ou égaux à 600 € dus au titre du logement locatif social ;

b) factures d’eau inférieures ou égales à 200 € ;

c) factures de gaz et d’électricité inférieures ou égales à 150 € ;

d) factures de téléphonie inférieures ou égales à 50 € ;

e) cotisations d’assurance complémentaire santé, habitation et automobile dont le montant cumulé n’excède pas 300 € ;

f) frais de péages et de transport en commun inférieurs ou égaux à 50 €.

À noter. Le PSP peut accepter les paiements qui excèdent les plafonds précités, sauf en ce qui concerne les factures de téléphonie, s’il s’assure que le montant total des paiements réalisés par chaque personne physique ne dépasse pas 1 200 € par mois.

Par ailleurs, le décret du 23 février 2023 prévoit que les émetteurs de monnaie électronique peuvent différer la vérification de l’identité de leur client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif de ce dernier – jusqu’à 12 mois après la date de l’émission de l’instrument de monnaie électronique – lorsque certaines conditions sont réunies :

1. absence de soupçon de BC-FT ;

2. le client ne détient pas d’autres instruments de même nature auprès du même émetteur ;

3. l’instrument de monnaie électronique ne peut être chargé que par des moyens de paiement émis par un PSP dont le détenteur est identifié et vérifié ou par un transfert de fonds provenant d’un instrument régi par l’article 1 du décret et émis par le même émetteur ;

4. l’instrument de monnaie électronique ne doit être utilisé que par des personnes physiques pour les situations suivantes :

• pour des transferts peer-to-peer au sein du même émetteur,

• pour de l’achat de biens et services de consommation auprès de personnes identifiées et vérifiées ayant un compte chez par l’émetteur,

• pour des dons auprès d’associations reconnues d’utilité publique identifiées et vérifiées ayant un compte chez l’émetteur,

• pour des transferts de fonds vers un compte de dépôt ou de paiement ouvert au sein de l’Union Européenne ou de l’Espace économique européen,

5. le contrat conclu entre l’émetteur et le détenteur de l’instrument de monnaie électronique doit indiquer que l’instrument est régi par l’article R. 561-14-1-1 du Code monétaire et financier.

Il doit être procédé à la vérification au plus tard 12 mois après la date de l’émission de l’instrument de monnaie électronique. Néanmoins, la vérification devra être effectuée immédiatement, avant l’expiration de ce délai, lorsque l’une des conditions suivantes, notamment, se réalise :

1. la valeur monétaire chargée sur l’instrument de monnaie électronique ou les paiements réalisés excèdent 150 € sur une période de 30 jours ;

2. le montant cumulé de l’ensemble des chargements excède 1 000 € ;

3. l’instrument de monnaie électronique est utilisé pour réaliser une opération de paiement d’achat de biens ou services de consommation dont le montant unitaire est supérieur à 50 €, lancée par internet ou au moyen d’un dispositif de communication à distance ;

4. les transferts de fonds réalisés avec l’instrument de monnaie électronique excèdent 50 € par opération ou un montant cumulé de 150 €.

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