Les manquements commis par des tiers en matière de crédit à la consommation
Les nouvelles obligations du banquier dispensateur du crédit ne pèsent pas toujours que sur les prêteurs. L’intermédiaire de crédit peut lui aussi être fautif. Or, et c’est à souligner, le prêteur peut alors se voir reprocher les manquements de ce tiers. Cette contribution revient sur cette solution pour le moins originale.
1. Depuis la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, les obligations pesant sur le banquier ont été multipliées en matière de délivrance de crédits à la consommation. Mais cela n’est pas tout. Le droit positif ne se limite plus, aujourd’hui, à imposer des obligations aux seuls prêteurs : plusieurs articles visent à la fois le prêteur et l’intermédiaire de crédit1.
2. Mais qui est cet intermédiaire ? L’article L. 311-1, 5°, du Code de la consommation nous le dit. Selon ce dernier, est un intermédiaire de crédit, « toute personne qui, dans le cadre de ses activités commerciales ou professionnelles habituelles et contre une rémunération ou un avantage économique, apporte son concours à la réalisation d’une opération mentionnée au présent titre, sans agir en qualité de prêteur ». Cette définition est assez générale.
3. Il s’agira, souvent, de l’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), dont le régime juridique est expressément envisagé par les articles L. 519-1 et suivants du Code monétaire et financier, lorsque celui-ci intervient en matière d’opérations de crédit. Ces IOBSP sont des personnes qui, « à titre habituel », exercent, « contre rémunération ou toute autre forme d’avantage économique », l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, laquelle consiste « à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation ». Le décret n° 2012-101 du 26 janvier 2012 vient alors préciser, par un article R. 519-1, qu’est considéré comme une telle présentation, proposition ou aide à la conclusion d’une opération de banque ou à la fourniture d’un service de paiement « le fait pour toute personne de solliciter ou de recueillir l’accord du client sur l’opération de banque ou le service de paiement ou d’exposer oralement ou par écrit à un client potentiel les modalités d’une opération de banque ou d’un service de paiement, en vue de sa réalisation ou de sa fourniture ». Ainsi, l’intermédiaire n’accomplit pas, en personne, les opérations de banque ou de services de paiement en question ; il se contente de rapprocher les parties à ces opérations, dont l’une doit nécessairement être un établissement de crédit ou un établissement de paiement. Entrent notamment dans cette catégorie les courtiers qui ont pour missions de rechercher et de négocier les meilleurs taux aux emprunteurs.
4. Mais l’intermédiaire de crédit envisagé par le Code de la consommation ne saurait pour autant se limiter à cette hypothèse des IOBSP intervenant en matière de crédit. Le concours apporté à la réalisation de l’opération par l’intermédiaire de crédit peut être moins important que cela. On peut songer ici au cas des vendeurs de biens dont l’achat est financé par l’octroi d’un crédit bancaire qui ont simplement pour mission de faire le lien entre le client acheteur et la banque prêteuse, notamment en faisant remplir au premier les documents contractuels, fournis par la banque, qui le lieront à cette dernière. Or, cette situation se rencontre de plus en plus fréquemment aujourd’hui. Citons, par exemple, le cas des concessionnaires automobiles ou encore de certaines grandes enseignes d’électroménager qui proposent des crédits à leurs clients en faisant office d’intermédiaires de la banque.
5. Reprenons alors les articles du Code de la consommation retouchés par la loi Lagarde du 1er juillet 2010. Ceux-ci prévoient donc des obligations à la charge de l’intermédiaire de crédit. Cela n’est pas en soit très surprenant, du moins a priori. Un encadrement juridique s’adressant spécifiquement à l’intermédiaire de crédit est ainsi envisagé par les articles L. 312-1 à L. 322-4 du Code de la consommation. Ce n’est donc pas un inconnu de notre droit de la consommation.
6. Cependant, une originalité est ici à souligner : des manquements imputables à cet intermédiaire sont susceptibles de fonder une sanction contre le banquier prêteur ! Cela est très clair avec l’hypothèse envisagée par l’article L. 312-14 du Code de la consommation. Aux termes de ce dernier : « Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière (…). Il attire l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces crédits peuvent avoir sur sa situation financière, y compris en cas de défaut de paiement (…) ». Le plus intéressant se trouve à l’alinéa 2 de cet article : « Lorsque le crédit est proposé sur un lieu de vente, le prêteur veille à ce que l’emprunteur reçoive ces explications de manière complète et appropriée sur le lieu même de la vente, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges »2. L’article L. 341-2 du Code de la consommation prévoit, quant à lui, que : « Le prêteur qui n’a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 312-14 et L. 312-16 est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ».
7. Dès lors, nous le voyons, en présence de crédit proposé sur un lieu de vente, si l’emprunteur prétend qu’il n’a pas reçu les explications adéquates par l’intermédiaire et que le prêteur n’est pas capable de démontrer qu’il a veillé à ce que ces explications soient données conformément à la loi, ce même prêteur encourt la déchéance du droit aux intérêts.
8. Cette situation s’est d’ailleurs déjà rencontrée en pratique comme en témoigne un jugement du tribunal d’instance de Lille du 24 novembre 20143. En l’espèce, la banque n’avait pas été capable d’apporter la preuve « qu’elle avait fait délivrer l’information par un professionnel qualifié ». Or, et le jugement le rappelle, « lorsque le prêteur n’a pas respecté les obligations fixées à l’article L. 311-84, il est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ». Ainsi, nous le voyons, ce qui est reproché ici à la banque n’est pas le manquement imputable à l’intermédiaire de crédit, mais plutôt le fait de ne pas avoir pu démontrer qu’elle avait formé l’intermédiaire en question à la distribution du crédit à la consommation.
9. Deux enseignements découlent alors de cette décision. D’une part, une obligation de formation de l’intermédiaire pèse sur le banquier dispensateur de crédit. D’autre part, c’est à ce prêteur que revient la charge de prouver qu’il a bien respecté cette obligation de formation. Mais comment faire cette démonstration ? Le jugement le dit. L’employeur de l’intermédiaire doit tenir, à des fins de contrôle, l’attestation de formation mentionnée à l’article L. 6353-1 du Code de travail établie par un des prêteurs dont les crédits sont proposés sur le lieu de vente ou par un organisme de formation enregistré.
10. Cette solution est difficilement contestable. En effet, jusqu’à la recodification du Code de la consommation par l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, l’article L. 311-8, qui est devenu aujourd’hui l’article L. 312-14 précité, prévoyait encore que : « Les personnes chargées de fournir à l’emprunteur les explications sur le crédit proposé et de recueillir les informations nécessaires à l’établissement de la fiche prévue à l’article L. 311-10 sont formées à la distribution du crédit à la consommation et à la prévention du surendettement. L’employeur de ces personnes tient à disposition, à des fins de contrôle, l’attestation de formation mentionnée à l’article L. 6353-1 du Code du travail établie par un des prêteurs dont les crédits sont proposés sur le lieu de vente ou par un organisme de formation enregistré. Un décret définit les exigences minimales auxquelles doit répondre cette formation ». Cette obligation de formation a été précisée par l’article D. 311-4-3 du Code de la consommation issu du décret n° 2011-1871 du 13 décembre 20115. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2012. Aujourd’hui, cette exigence n’a pas disparue. Elle figure désormais à l’article L. 314-25 du Code de la consommation6, lui même précisé par l’article D. 313-10-6 issu du décret n° 2016-622 du 19 mai 2016, et sa violation est sanctionnée par une amende de 1 500 euros7.
11. Mais est-ce tout ? Le manquement sanctionnable est-il simplement lié à l’absence de formation adéquate de l’intermédiaire ? Peut-être pas. D’après l’article L. 312-14 du Code de la consommation, le prêteur « veille à ce que l’emprunteur reçoive ces explications de manière complète et appropriée sur le lieu même de la vente, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges ». Cela va, semble-t-il, plus loin que le seul devoir de formation. Ne pourrait-on pas voir ici une obligation de suivi de la formation imposant à ce que l’information donnée soit toujours complète, appropriée et à jour ? Une réponse positive à cette question entraînerait d’ailleurs une nouvelle incertitude : comment la banque parviendrait-elle à prouver le respect de cette obligation ? En démontrant qu’elle questionne régulièrement les intermédiaires afin de s’assurer de leurs pratiques ou qu’elle se rend sur place ? Le doute est permis en l’état des textes.
12. Allons encore plus loin. Partons du principe que la formation a été assurée convenablement et que l’emprunteur a scrupuleusement veillé à ce que les explications soient reçues de manière complète et appropriée. Qu’advient-il si, finalement, une difficulté se pose parce que la personne formée n’a pas respecté convenablement les obligations pesant sur elle ? La banque échappe-t-elle alors à toute sanction ?
13. Absolument pas, et ce en raison de l’article L. 312-27 du Code de la consommation8 dont le contenu est particulièrement important pour le sujet qui nous occupe. En effet, aux termes de ce dernier : « Le prêteur est responsable de plein droit à l’égard de l’emprunteur de la bonne exécution des obligations relatives à la formation du contrat de crédit, que ces obligations soient à exécuter par le prêteur qui a conclu ce contrat ou par des intermédiaires de crédit intervenant dans le processus de formation du contrat de crédit, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci ». Cette disposition est particulièrement importante : elle a vocation à jouer avec la remise d’une fiche précontractuelle d’information9 ; avec le devoir d’explication mentionné précédemment10 ; avec la remise d’une fiche de liaison à l’emprunteur11 ; ou encore avec l’obligation d’accompagner l’offre de crédit renouvelable d’une proposition de crédit amortissable12. Ainsi, dans l’ensemble de ces cas, les manquements commis par l’intermédiaire sont de nature à entraîner des sanctions pour le prêteur. Mais quelles seront ces sanctions ? Dans les trois premières hypothèses, la déchéance du droit aux intérêts est prévue par les textes13. La solution est plus incertaine pour le dernier cas14.
14. La règle posée est donc sévère : le prêteur se verra infliger une sanction pour des manquements commis par l’intermédiaire de crédit et il ne pourra s’en exonérer en reportant la responsabilité sur ce même intermédiaire fautif. L’idée est ici d’éviter au consommateur des renvois de responsabilité entre intermédiaire et prêteur.
15. Cette rigueur peut néanmoins être tempérée quelque peu. D’une part, l’article L. 312-27 du Code de la consommation ne sanctionne que le non-respect des obligations relatives à la formation du contrat. Des manquements liés à la phase d’exécution du contrat ne sont donc pas concernés. D’autre part, le prêteur pourra toujours exercer un recours contre l’intermédiaire fautif. Enfin, nous n’avons pas trouvé, à ce jour, de décision faisant application de cet article L. 312-27, ni de l’article L. 311-51 auquel il a succédé suite à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.
16. Cette disposition légale constitue néanmoins un danger en perspective. Ce n’est donc pas à proprement parler un contentieux actuel intéressant le crédit à la consommation, mais peut-être un contentieux de demain…
Notes de bas de pages
-
1.
C’est plus particulièrement le cas des articles L. 312-12, L. 312-14, L. 312-17, L. 312-27, L. 312-62 et L. 312-68 du Code de la consommation. Des références à l’intermédiaire de crédit se retrouvent également aux articles R. 312-2, R. 312-5, R. 312-6, R. 312-10, R. 312-32 et R. 312-33 du même code. Par exemple, selon l’article L. 312-17 : « Lorsque les opérations de crédit sont conclues sur le lieu de vente ou au moyen d’une technique de communication à distance, une fiche d’informations distincte de la fiche mentionnée à l’article L. 312-12 est remise par le prêteur ou par l’intermédiaire de crédit à l’emprunteur (…) ».
-
2.
Sur cet article, v. Sousa L., « Le contenu des devoirs précontractuels du prêteur », JCP E 2011, p. 1749.
-
3.
TI Lille, 24 nov. 2014 : Contrats, conc. consom. 2015, comm. 106, obs. Raymond G.
-
4.
Cet article est devenu l’article L. 312-14 du Code de la consommation.
-
5.
RD bancaire et fin. 2012, comm. 43, obs. Mathey N. ; RTD com. 2012, p. 170, obs. Legeais D.
-
6.
Lasserre Capdeville J., « Le renforcement des obligations de formation des prêteurs, des intermédiaires de crédit et des IOBSP suite à la réforme du crédit immobilier », LPA 23 août 2016, n° 119s5, p. 5.
-
7.
C. consom., art. R. 313-10-7.
-
8.
Il s’agit de l’ancien article L. 311-51 du Code de la consommation.
-
9.
C. consom., art. L. 312-12.
-
10.
C. consom., art. L. 312-14.
-
11.
C. consom., art. L. 312-17.
-
12.
C. consom., art. L. 312-62.
-
13.
C. consom., art. L. 341-1, L. 341-2 et L. 341-3.
-
14.
La violation de l’article L. 312-62 du Code de la consommation est sanctionnée par l’article R. 341-13 du même code par une amende, en l’occurrence une contravention de la 5e classe. Or, on ne saurait infliger cette sanction à une autre personne que l’auteur des faits ou son complice : notre droit n’admet pas en effet la responsabilité pénale du fait d’autrui.