Créatrices d’avenir : la séquano-dyonisienne Lise Couturier remporte le trophée du public
Pour la neuvième année, Initiative Ile-de-France, premier réseau associatif francilien d’accompagnement des entrepreneurs, organisait à la fin de l’année 2019 le concours Créatrices d’avenir, pour encourager la création d’entreprise au féminin dans la région Ile-de-France. Sur trois cents postulantes, quinze d’entre elles ont été présélectionnées par le jury et six d’entre elles se sont vus décerner un prix. Lise Couturier, jeune entrepreneuse de Seine-Saint-Denis, a été récompensée par le trophée du Public, à l’issue d’un vote sur les réseaux sociaux.
Les Petites Affiches
Pouvez-vous nous présenter votre projet ?
Lise Couturier
Quand vous brassez de la bière, vous mélangez principalement deux ingrédients : de l’eau et du malt. D’un côté, vous récupérez le moût de bière, le liquide avant fermentation, qui va servir à fabriquer la bière. De l’autre, vous récupérez le résidu solide du malt, que l’on appelle des drêches de brasserie. Le malt aura perdu ses sucres dans le liquide, mais il garde des protéines en proportion élevée. Notre idée est de collecter ces drêches de brasseries urbaines, pour éviter qu’elles ne soient évacuées comme un déchet, la sécher rapidement pour éviter sa fermentation, et enfin la valoriser. Nous allons transformer ces drêches, qui ont de réels intérêts nutritionnels, en une farine très riche en fibres et en protéines, avec plus de 20 grammes de protéines pour 100 grammes. Ce produit est une nouvelle source d’alimentation durable locale. Par sa richesse en protéine, il peut se substituer à la viande, mais aussi par exemple à du soja importé de très loin. Le goût de la farine va varier selon la bière qui est brassée. D’autre part, nous voulons transformer en engrais la partie que nous n’arrivons pas à valoriser sous forme de farine également. Un premier client nous en a déjà acheté plusieurs centaines de kilos pour fabriquer des meubles !
LPA
Comment sont traitées ces drêches aujourd’hui ?
L. C.
Aujourd’hui, en ville, ces drêches deviennent des déchets. Cela représente environ 10 tonnes de déchets par jour, rien que pour Paris et la petite couronne. Quelques brasseries arrivent à les valoriser en alimentation animale comme cela se fait en milieu rural. Les autres font appel à des prestataires de la collecte de biodéchets. Leurs drêches sont envoyées loin en dehors de Paris et compostées ou méthanisées. Dans de nombreux cas encore, ces drêches partent à l’incinération. Cela revient à brûler de l’eau et de la matière organique, puisque les drêches sont composées à 80 % d’eau. C’est aussi en quelque sorte jeter de la nourriture à la poubelle. Pour nous, c’est du gaspillage alimentaire de ne pas les valoriser. Nous proposons de transformer ces drêches en un super produit. Ce qui est génial dans le projet des drêcheurs urbains, c’est qu’on ne parle plus des drêches comme de déchet mais de ressources locales.
LPA
Qu’est-ce qui a séduit le public ?
L. C.
C’est un projet qui permet d’éviter des déchets. C’est un projet d’économie circulaire. Nous avons un objectif environnemental, puisqu’il s’agit de produire une nouvelle matière à partir des résidus de brassage. Nous espérons, grâce à cette activité, créer des emplois locaux, non délocalisables, pour lesquels nous privilégierons l’insertion sociale.
LPA
D’où vous est venue l’idée de transformer ces drêches ?
L. C.
J’ai 27 ans. J’ai toujours voulu créer une entreprise. J’ai fait des études en école de commerce qui me destinaient à devenir consultante en systèmes d’information. Cela ne me satisfaisait pas complètement, et j’ai donc fait un master en environnement au cours duquel je me suis intéressée aux déchets. Au cours de ce master, j’ai fait un stage pendant lequel j’ai été chargée d’une étude financée en grande partie par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur la valorisation des drêches en milieu urbain. Nous avons fait des tests d’expérimentation du séchage des drêches. La complexité est qu’il faut les collecter juste à la sortie des cuves de brassage, avant qu’elles ne fermentent. Ce stage m’a apporté cette idée concrète et donné une opportunité de créer une activité sur un sujet qui me passionne et qui a de l’avenir.
LPA
Qu’est-ce qui vous a fait sauter le pas de la création d’entreprise ?
L. C.
L’étude sur laquelle j’ai travaillé pendant ce stage était menée pour une association qui avait obtenu des subventions pour la réaliser. Cette association ne souhaitait pas créer une entreprise, mais souhaitait que son projet sur la valorisation des drêches ait une suite. Je me suis dit que c’était une opportunité de développer cette idée. Je me suis lancée avec une personne qui était en service civique dans l’association pour laquelle j’ai fait mon étude. Il est devenu mon associé. Nous avons présenté notre projet au programme d’accompagnement « UP factory », porté par le groupe SOS et le cabinet de conseil Accenture, qui lançaient un appel à projets. Nous avons été lauréats, cela nous a permis de bénéficier pendant 6 mois d’un accompagnement pour concrétiser l’idée du projet.
LPA
Que représente pour vous ce trophée Créatrice d’avenir ?
L. C.
Le fait que notre projet ait été retenu, parmi 300 candidatures, pour faire partie des 15 finalistes était déjà une reconnaissance des institutions. Le trophée est une reconnaissance et un soutien du public. C’est aussi un vrai coup de pouce. Le prix a une dotation financière de 4 500 euros et ce sont des premiers fonds qui vont nous aider à poursuivre l’aventure. Ce trophée Créatrice d’avenir va nous permettre d’acheter des machines. Il nous faut en faut deux : une machine de séchage et un moulin pour moudre les drêches. La dotation ne couvre même pas l’achat d’une seule de ces deux machines, mais c’est quand même une aide qui compte beaucoup ! J’ai la chance que ce concours m’ait donné ce que j’espérais : de la visibilité, de l’aide financière, la possibilité de créer un réseau. C’est aussi un coup de pouce moral, on se sent encouragé.
LPA
Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?
L. C.
Nous allons lancer une campagne de financement participatif pour commencer à pré-vendre notre produit. Il nous faut aussi trouver des financements pour investir dans des machines et nous installer dans des locaux. Nous avons des pistes pour nous installer dans le 93. Cela fait sens pour nous, car j’habite à Bagnolet, et mon associé à Saint-Denis. J’aime ce département et il se trouve que c’est là où il y a le plus de brasseries artisanales en région parisienne.
LPA
Est-ce nécessaire d’accompagner spécifiquement les femmes dans la création d’entreprise ?
L. C.
Oui, je crois que les femmes ont plus de barrières psychologiques à se lancer dans la création d’entreprise et que l’accompagnement est un grand levier de passage à l’action.