Et si la justice consulaire devenait (un peu) payante ?
Lors de la rentrée solennelle du tribunal de commerce de Paris, le 19 janvier dernier, son président Jean Messinesi a estimé qu’il était sans doute temps de rendre la justice consulaire payante. Ce serait une réponse possible à l’insuffisance chronique de moyens qui affecte l’institution judiciaire en France.
Un jour c’est le papier qui fait défaut dans le tribunal, un autre un rideau tombe de crasse sans que l’on puisse le faire laver, une autre fois encore c’est un tapis qui se découd et qu’il faut bien arranger pour que les justiciables ne se prennent pas les pieds dedans. Avec des crédits de fonctionnement de quelques milliers d’euros par an, le tribunal de commerce de Paris est à la peine. La légère augmentation de crédits qu’il a obtenue l’an dernier lui a uniquement permis d’acheter des codes pour les nouveaux juges et de renouveler les contrats de maintenance des photocopieurs. Il s’est félicité également d’avoir enfin obtenu de la Chancellerie, grâce au soutien des chefs de cour, un accès à une base de données juridique. L’une des difficultés des juges consulaires en effet était jusque-là de ne pas pouvoir accéder aux bases de données de la cour d’appel pour des raisons de sécurité et de n’avoir pas de solution alternative.
Alors son président Jean Messinesi a lancé à la rentrée solennelle une idée hautement iconoclaste : « Je suis convaincu que nous devrons revisiter dans les mois et les années qui viennent notre principe de justice gratuite. Il s’agira bien sûr de préserver l’accès de tous à la justice et de ne pas tomber dans les excès d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique, ou même de l’arbitrage ici et ailleurs, mais il faut trouver les modalités qui prennent en compte l’activité à but lucratif des entreprises qui plaident devant ce tribunal. Il ne me semble pas convenable que lorsqu’une des premières entreprises allemandes assigne à Paris pour plus de 2 milliards d’euros une entreprise du CAC 40, cela ne lui coûte en moyenne que 146 €, jugement inclus ».
En France, la gratuité de la justice est un principe apparemment intangible. Pour autant, la matière commerciale est spécifique et l’idée, semble-t-il, pourrait faire son chemin. « Il ne s’agit évidemment pas de faire payer les procédures de redressement ou de liquidation mais uniquement le contentieux, précise après l’audience le président. « Et bien sûr il conviendrait de mettre en place un système gradué de sorte que les tarifs soient adaptés à la taille des entreprises et au montant du litige ». L’idée est lancée !
Le succès confirmé de la conciliation
En dehors de ce débat, le président a dressé le traditionnel bilan d’activité de la juridiction pour l’année écoulée. Le tribunal a prononcé 6 850 jugements au fond en 2016, soit un recul de 3 % par rapport à 2015, tandis que les jugements de caisse ont atteint le chiffre record de 3 940. Les référés, au nombre de 4 110, ont eux aussi connu une diminution de l’ordre de 6 %. En revanche, les ordonnances sur demandes d’injonction de payer ont progressé de 12 % pour atteindre le chiffre de 16 000. Le président a souligné que les modes alternatifs de règlement des conflits demeuraient une priorité de la juridiction.
Le tribunal a néanmoins choisi de réduire le nombre de dossiers envoyés en consultation : « Il est essentiel de sélectionner les litiges et de préparer les parties et leurs conseils à l’éventualité de la conciliation plutôt que d’envoyer les dossiers systématiquement au conciliateur ». Une politique qui s’avère payante puisque le total des conciliations réussies, 291, correspond à une augmentation de 4 % par rapport à l’année précédente. S’agissant des difficultés des entreprises, on note là aussi une contraction. Le tribunal a été saisi de 2 782 demandes de liquidations, soit 4 % de moins qu’en 2015, et 955 demandes de redressement, niveau comparable à l’année précédente. Quant aux sauvegardes, 93 demandes ont été déposées, 42 jugements d’ouverture prononcés, soit 30 % de moins que l’année passée mais, précise le président, sur des entreprises importantes. Au total, le tribunal a ouvert 3 846 procédures collectives en 2016, soit quasiment autant qu’en 2015. Enfin, s’agissant de la prévention, les 55 juges qui en sont en charge ont mené 2 270 entretiens confidentiels avec des dirigeants en difficulté, lesquels ont débouché sur l’ouverture de 300 procédures de négociation, soit une hausse de 17 % par rapport à 2015.
Regrettable limite d’âge
Concernant le fonctionnement du tribunal, le président a annoncé que le tribunal avait obtenu en 2016 le renouvellement triennal de sa certification ISO 9001 grâce au concours de la Caisse des dépôts et consignations et que, par ailleurs, 129 juges du tribunal avaient consacré 4 000 heures à la formation continue. Seule ombre au tableau, la réforme J21 fixe à 75 ans la limite d’âge des juges consulaires : « Cette limite va accélérer le départ dans les prochaines années des juges avant la fin de leur judicature, redoute Jean Messinesi, elle va réduire le développement de la courbe d’expériences des juges qui ne prennent en majorité la pleine mesure de leurs fonctions qu’à partir de la quatrième année avant laquelle ils ne peuvent d’ailleurs pas accéder aux fonctions de juge des référés, des requêtes et des procédures collectives ». Le tribunal peine en effet à recruter des femmes et des hommes encore pleinement actifs professionnellement. Si l’on ajoute à cela l’allongement de la vie professionnelle, cela signifie qu’il va devenir de plus en plus compliqué d’avoir des juges en mesure d’effectuer une judicature complète.
« Or, les premières années sont celles durant lesquelles il peut arriver que les juges peu expérimentés puissent se décourager devant la charge de travail à laquelle ils doivent faire face », souligne le président. Une situation d’autant plus regrettable que ces recrutements ne coûtent rien à la collectivité puisque les fonctions de juge consulaire sont bénévoles. En revanche, elles soulagent leurs collègues. Selon une étude réalisée par le tribunal, un juge de contentieux travaille 20 heures par semaine et 20 heures de plus quand il agit par délégation du président dans des fonctions telles que les référés ou les requêtes.