À Genopole, une jeune créatrice innove pour améliorer la sécurité alimentaire
Et s’il était possible de mettre fin à l’ère des scandales sanitaires à répétition ? Amandine Lancelot, jeune créatrice de l’entreprise DNTech, incubée à Genopole, situé à Évry-Courcouronnes (91), pense que c’est possible. Elle ambitionne de rendre le contrôle qualité des industries agroalimentaire plus simple et plus fiable, en remplaçant la culture bactérienne héritée de Pasteur par l’usage de la PCR. Son projet mis en lumière par le concours Créatrices d’avenir, dans la catégorie Innovation a retenu l’attention avant peut-être de conquérir l’Europe. Entretien.
Actu-Juridique : Que propose votre entreprise ?
Amandine Lancelot : Je suis biologiste de formation, et j’ai créé la société DNTech avec un associé également biologiste. Nous développons un « kit » de détection pour mettre en évidence les bactéries pathogènes dans les aliments. Il est à destination des entreprises agroalimentaires qui fabriquent des ingrédients comme la poudre de lait ou des produits transformés comme les plats cuisinés. Le kit est pensé pour faciliter le travail des laboratoires de contrôle qualité qui ont pour mission de vérifier la qualité microbiologique des aliments avant qu’ils arrivent dans nos assiettes.
AJ : Comment en êtes-vous arrivée à créer cette entreprise ? Quel a été votre parcours auparavant ?
Amandine Lancelot : J’ai fait un DUT en génie biologique et j’ai poursuivi en licence professionnelle à l’Université d’Orsay. En parallèle de mes études, j’ai travaillé en alternance à Genethon, un laboratoire développant des traitements de thérapie génique pour les maladies rares d’origine génétique, présentées lors du Téléthon. L’objectif était de détecter le médicament, c’est-à-dire la version saine du gène muté dans du muscle de patients. Cela m’a permis d’acquérir une expertise dans le domaine de la PCR et de la génétique. Dans le cadre d’un projet étudiant, j’ai dû créer avec d’autres camarades une start-up fictive. Nous avons choisi le sujet de la détection d’agents pathogènes. Pour relever ce défi lancé par nos enseignants, nous avons décidé d’aller encore plus loin. Nous avons été incubés pendant une année scolaire au programme Shaker à Genopole. Nous avons suivi diverses formations sur la création d’une société : les différents statuts juridiques, la propriété intellectuelle. Mes camarades ne souhaitaient pas se lancer dans l’entrepreneuriat après la licence mais j’ai tout de même souhaité continuer ce projet avec leur accord. Comme je poursuivais en master de Biotechnologies à Sorbonne Université, je savais que je devrais avoir fini mes études avant de réellement créer le projet. Pour tout de même avancer et faire maturer l’idée, j’ai posté une annonce sur le site de Genopole pour trouver un associé. J’ai ainsi rencontré un biologiste de formation, comme moi, mais avec un profil plus « business » que le mien. Nous avions des compétences très complémentaires. Nous avons donc poursuivi ce projet à deux. Pendant le master, nous avons été accompagnés par le programme Pépite, c’est-à-dire un pôle d’accompagnement d’étudiants entrepreneurs. Cela nous a permis de valider notre idée, de nous construire un réseau et de nous former pour passer de l’étape de l’idée à celle de la création d’entreprise. En novembre 2022, nous étions prêts et nous avons déposé les statuts de la société DNTech.
AJ : Pourquoi est-il nécessaire d’innover dans le contrôle alimentaire ?
Amandine Lancelot : La détection de bactéries pathogènes est très présente en santé. Dans ce domaine, de nouvelles technologies de détection des bactéries émergent constamment. Les tests PCR, par exemple, se sont démocratisés à grande vitesse lors de l’épidémie de Covid. Nous avons fait le constat que le secteur agroalimentaire ne bénéficie pas de ces innovations. Les contrôleurs qualité détectent les bactéries à l’ancienne. Ils les font pousser sur des boîtes de Pétri. C’est long : il faut attendre entre 5 et 8 jours avant que la bactérie pousse et que l’on puisse déterminer si elle est ou non présente dans l’aliment. Autant de temps que les produits alimentaires passent à attendre en chambre froide ! Il faut en plus compter en moyenne 1 à 2 jours de transport pour les acheminer dans les supermarchés. Pour des produits comme la viande crue, c’est problématique. Après 8 jours, elle est bonne à mettre à la poubelle. Certains industriels délivrent donc les lots dans les supermarchés avant que le résultat du contrôle qualité ne soit connu, au risque qu’il y ait un rappel de lot si un produit s’avère être contaminé. Dix produits sortent contaminés de nos usines chaque jour en France. C’est énorme. Le consommateur n’est pas informé à chaque fois. Parfois, le camion n’est pas encore arrivé dans le supermarché qu’il doit faire demi-tour. Cela génère énormément de déchets alimentaires. La culture bactérienne est également très polluante : chaque site de production génère 200 tonnes de déchets biologiques par an, l’équivalent d’un troupeau de 30 éléphants. Il s’agit de déchets assez durs à évacuer car ils sont pathogènes pour l’homme. Ils doivent être retirés par des sociétés spécialisées.
AJ : Comment fonctionne le kit que vous souhaitez commercialiser ?
Amandine Lancelot : C’est très simple. Nous avons une machine de la taille d’un micro-onde, ainsi que les réactifs nécessaires à la détection des bactéries : Listeria, Salmonella ou E.coli. Ces bactéries sont d’ailleurs naturellement présentes dans les intestins des animaux. Elles ne sont pas pathogènes pour eux mais le sont pour l’homme. Le service contrôle qualité du site de production doit simplement déposer son échantillon dans le tube et l’insérer dans l’automate. Et ensuite c’est l’automate qui travaille ! Le résultat est obtenu deux heures plus tard seulement. Notre technologie nouvelle génération est basée sur une méthode semblable à de la PCR. On vient donc détecter un gène pathogène bien précis de la bactérie que l’on recherche. Cela limite le risque d’erreur comme les faux négatifs ou les faux positifs.
AJ : Pourquoi cette technique n’est-elle pas déjà pratiquée, si c’est si simple ?
Amandine Lancelot : La France, pays de Pasteur, est très attachée à la culture bactérienne. Les industriels utilisent donc les techniques microbiologiques pasteuriennes depuis plus 30 ans. Passer d’une méthode à une autre change donc les habitudes et peu s’avérer fastidieux même si c’est en vue d’une amélioration. Il y a en outre une barrière réglementaire importante. Ces nouvelles méthodes de détection doivent être certifiées. Quand une nouvelle technologie arrive sur le marché, elle peut être commercialisée aux industriels agro-alimentaires si et seulement si elle a fait les preuves d’une fiabilité équivalente ou supérieure à la méthode bactérienne de référence. Démontrer cela coûte très cher et prend au moins un an par bactérie. Dans le secteur de la santé, la plupart des dispositifs médicaux qui détectent les pathogènes sont remboursés par la sécurité sociale. De ce fait, personne n’a envisagé de faire de la culture bactérienne pour détecter le Covid : tout le monde est passé par le PCR ou le test antigénique. Contrairement au secteur pharmaceutique, les services de contrôle qualité alimentaire ont un budget extrêmement limité. C’est une des raisons pour lesquelles les industries alimentaires continuent à pratiquer la culture bactérienne, moins chère que le PCR. Enfin, les échantillons alimentaires sont bien plus complexes à analyser que des échantillons sanguins, urinaires ou salivaires. Les sels, les lipides, les protéines ou les bactéries inoffensives naturellement présentes peuvent interférer avec les réactifs de PCR et empêcher la réaction. Il existe donc des barrières techniques liées à l’application de ces technologies dans ce secteur en particulier. Et nous sommes là pour relever tous ces défis.
AJ : Pour quels produits votre kit est-il pensé ?
Amandine Lancelot : Nous ciblons dans un premier temps les entreprises les plus à risques : celles qui produisent des produits laitiers et à base de viande. Un autre challenge de l’agroalimentaire est que les produits, notamment ceux qui sont fermentés comme le fromage ou certains yaourts, contiennent énormément de bactéries. En identifier une seule, la Listeria par exemple, revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Nous sommes encore au stade de recherche et développement mais nous avons déjà fait des tests avec succès sur de la viande de bœuf, de volaille et du yaourt. L’idée ensuite serait d’étendre le kit au poisson, aux fruits et aux légumes.
AJ : Qu’est-ce que votre technologie changerait pour les techniciens de laboratoire ?
Amandine Lancelot : Je suis avant tout technicienne. J’ai expérimenté les conditions de travail des contrôleurs qualité : ils travaillent dans une pièce très bruyante, avec plusieurs machines de 90 décibels, effectuent des gestes à répétition dans un environnement qui peut vite monter en température. C’est assez éprouvant, et ces conditions de travail engendrent sur le long terme un risque de troubles musculosquelettiques et de maladies professionnelles. Notre projet permet de miniaturiser un laboratoire entier de microbiologie dans un petit automate compact. Cela allège et améliore la qualité de vie au travail des utilisateurs. Ils n’auront pas besoin d’être des spécialistes de la PCR pour faire la détection et pourront rester focalisés sur leur vraie expertise de contrôle qualité.
AJ : Pourquoi avez-vous postulé au concours Créatrice d’avenir ?
Amandine Lancelot : L’objectif était bien sûr de promouvoir la place des femmes dans la Tech. Les femmes entrepreneuses ne sont pas meilleures que les hommes mais elles agissent différemment : elles ne managent pas leurs équipes de la même manière, limitent la prise de risque dans le développement de leur entreprise. À côté de cet enjeu égalitaire, nous nous présentons également au concours pour mettre en lumière le domaine de la microbiologie alimentaire, peu connu et pourtant essentiel. Les industriels sont incités à produire plus tout en polluant moins. C’est un enjeu majeur. Nous ne prétendons pas réinventer la roue mais voulons apporter une pierre à cet édifice. Notre projet améliore la santé du consommateur, les conditions de travail des contrôleurs de qualité, permet de limiter le gaspillage alimentaire et la production de déchets biologiques. Cette solution ne pourra pas réduire à zéro le risque de contaminations alimentaires mais pourrait le diminuer drastiquement. Les concours en appellent d’autres. La lauréate précédente de la catégorie Innovation du concours Créatrices d’avenir a pu postuler à des concours européens. C’est notre ambition également car le marché et les réglementations se font au niveau de l’Europe.
Référence : AJU016h3