Le rôle de la réglementation sur la parité femmes-hommes dans la finance

Publié le 08/03/2022
Femme, réunion, entreprise
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Cet article questionne la place des femmes dans le monde économique et analyse les impacts et perspectives de la réglementation sur le développement de la parité entre les genres au sein des instances de gouvernance, en France et dans le monde. Sont également analysées les forces et faiblesses du système en matière de représentation des femmes au cœur des structures économico-financières, à l’aide d’une approche sectorielle ainsi qu’en présentant les apports successifs des évolutions normatives.

Les femmes sont depuis longtemps dans une position minoritaire quant aux postes à responsabilités, et l’évolution de cette situation s’est faite par jalons successifs.

Lionel Jospin, alors Premier ministre, annonçait le 19 juin 1997 une réforme de la participation des femmes à la vie publique ; réforme qui fut adoptée en Conseil des ministres le 17 juin 1998, soit un an plus tard. C’est en 1999 qu’a été inscrit, dans le socle de nos principes fondateurs, en modifiant les articles 3 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958, l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives1.

Les femmes représentent aujourd’hui 42,4 % des conseillers municipaux, selon la direction générale des collectivités locales (DGCL), 48 % des conseillers régionaux et territoriaux, 50,3 % des conseillers départementaux et 35,8 % des conseillers communautaires.

Lors des législatives européennes en mai 2019, 39 femmes et 40 hommes ont été élus sur les 79 eurodéputés français.

Pour les dernières élections législatives de juin 2017, il y a eu 224 députés femmes élues, soit 38,8 % des 577 sièges de députés.

Ethics & Boards, 2020

Bien que ces chiffres ne montrent pas une situation de parfait équilibre, ils illustrent une évolution et une tendance. La part des femmes est en constante augmentation dans la représentation publique et tend à se rapprocher de celle des hommes.

La situation dans le secteur privé est, en revanche, différente. À la fin des années 2000, le secteur privé restait en retard et montrait une réticence forte à la mise en place de mesures égalitaristes. On comptait moins de 10 % de femmes dans les conseils d’administration (CA) du CAC 40. Les politiques incitatives par la mise en place de quotas sont assez impopulaires et essuient de vives critiques quant à leur efficacité.

En 2008, un nouvel ajout vient autoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités économiques et sociales2. Après le secteur public, c’est le monde économique qui est visé par ces mesures. Le 27 janvier 2011, soit il y a plus de onze ans, la loi CopéZimmermann, du nom des deux députés à son origine, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle3, instaure des quotas obligatoires en faveur des femmes qui sont sous-représentées dans le monde économique.

Elle impose une représentation de femmes supérieure à 40 % dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 personnes. Une dizaine de lois sectorielles visant à renforcer ce dispositif et à diffuser encore plus ce mécanisme de quotas ont suivi. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 20094 a permis la diffusion massive de l’idée des quotas et leur mise en œuvre effective.

Ethics & Boards, 2020

Cette loi a été efficace concernant la question des conseils d’administration. Pour les sociétés anonymes (SA) cotées en Bourse, on observe 44,6 % d’administratrices pour le CAC 40, et 45,2 % pour le SBF 120 pour l’année 2020 contre 10 % en 2009, ce qui place la France en tête de l’Union européenne et deuxième mondiale derrière l’Islande, juste devant avec 46 %5. Cette très forte progression s’explique par le suivi rigoureux des obligations en matière de parité.

La situation est toutefois plus contrastée pour les SA cotées qui n’entrent pas dans les indices du CAC 40 ou du SBF 120. On y compte seulement 34,1 % de femmes dans les conseils d’administration pour l’année 2018.

Pour les sociétés non cotées, ce chiffre tombe à 23,8 % en 2018 pour celles de plus de 500 salariés et d’au moins 50 millions de chiffre d’affaires6. Ces résultats s’expliquent par la difficulté d’établir un suivi efficace et par l’accès restreint aux informations de ces entreprises. Ces données sont à relativiser en raison de l’impossibilité d’identifier tous les acteurs du secteur ; elles émanent donc d’études partielles. La question des entreprises non cotées qui se situent en deçà des seuils évoqués ci-dessus est encore plus complexe à illustrer car il n’existe aucune étude disponible, exhaustive et à jour mais, au vu des tendances observées, on peut légitimement supposer qu’il leur soit plus compliqué encore d’être en conformité avec la loi et donc que l’écart constaté entre hommes et femmes soit encore plus grand. Il s’agit de la principale contrainte rencontrée par les autorités de contrôle, ce qui explique l’écart de situation entre les grands groupes cotés et les plus petites entreprises du marché non cotées.

Si l’on compare à présent les résultats entre les sociétés soumises aux quotas de parité et celles qui ne le sont pas, on observe un décalage significatif dans la représentation des femmes au sein des conseils d’administration.

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Euronext est la principale place boursière de la zone euro, avec plus de 1 450 émetteurs représentant une capitalisation boursière totale de 4 500 milliards d’euros, dont 25 valeurs phares composant l’indice de référence Euro Stoxx 50, et une clientèle nationale et internationale. Les acteurs présents sur Euronext sont soumis aux réglementations sur les quotas. Par opposition, Euronext Growth (anciennement Alternext Paris) est une plate-forme de transactions organisée, créée le 17 mai 2005 par Euronext Paris à destination des petites et moyennes entreprises de la zone euro, ces dernières n’étant pas soumises aux quotas sur la parité. La différence entre les deux est de plus de 10 points, pour atteindre 17,3 % en 20177 contre 42 % pour les entreprises du CAC 40 sur la même période.

L’absence d’obligation joue donc un rôle majeur dans la faible évolution de la représentation des femmes dans les conseils d’administration.

En se penchant non plus sur les conseils d’administration mais sur les comités par thématique, la proportion de femmes varie selon la thématique du comité. En effet, la parité est dans l’ensemble respectée en matière d’audit, de nomination, de rémunération et de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). En revanche, la proportion de femmes chute à 35 % au sein des comités stratégiques, et même à 26 % pour la présidence de ces comités8. Par ailleurs, concernant la présidence des conseils d’administration, le constat est le même, à savoir que ce poste est majoritairement détenu par des hommes.

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Il en va de même pour les conseils exécutifs et les comités de direction. En 2019, les femmes ne sont que 21 % au sein du SBF 1209 pour seulement 7,3 % 10 ans plus tôt. Un chiffre en augmentation, certes, mais trop faible par rapport aux attentes de la loi.

Ethics & Boards, 2020

En quelques noms, sur les 120 entreprises du SBF 120, on recense seulement trois femmes PDG : Christel Bories chez Eramet, Stéphane Pallez chez la Française des jeux (FDJ) et Marie Cheval chez Carmila ; on recense également 10 DG ou présidentes de directoire et 7 présidentes de conseil. Pour les 40 entreprises du CAC 40, on recense seulement 2 présidentes de conseil, Angeles Garcia-Poveda chez Legrand et Barbara Dalibard chez Michelin, ainsi que 2 femmes DG : Catherine Mc Gregor chez Engie et Christel Heydemann chez Orange.

Ces résultats démontrent qu’en l’absence de contraintes, de quotas obligatoires, les pratiques des acteurs du secteur peinent à inclure le concept de parité spontanément. L’évolution doit donc s’inscrire dans la durée pour permettre une prise en compte de ces critères dans les transformations et les stratégies des entreprises, et pour repenser notamment la structuration des organes de pouvoirs.

Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) œuvre pour développer la parité et ancrer ce comportement au cœur des entreprises avec, par exemple, le Guide de la parité, des lois pour le partage à égalité des responsabilités politiques, professionnelles et sociales.

Parmi les axes d’améliorations est proposée l’extension des quotas paritaires à toutes les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions. Insister particulièrement sur la parité dans les comités de nomination en raison de leur rôle déterminant dans les choix des membres et favoriser une parité plus grande dans ces comités créera de fait une parité plus grande dans toutes les instances de gouvernance. Ces actions prennent en compte le temps de transformation des organisations et s’inscrivent donc au sein d’une feuille de route, le plan égalité de l’entreprise, avec des objectifs progressifs échelonnés dans le temps.

La faible proportion de femmes observée dans les comités exécutifs et de direction, qui est de 20 % dans les entreprises du SBF 120, s’explique par le flou juridique qui entoure l’existence de ces comités et par l’absence d’appréhension législative claire, ce qui permettait aux entreprises d’écarter la mise en œuvre des quotas. C’est maintenant chose faite avec la loi Avenir10 qui, prise en son article 104 (VII-2), les fait entrer dans la législation11. Le HCE insiste donc sur l’application de la réglementation paritaire au sein de ses organes de gouvernance12. Cette loi a également mis en place l’index de l’égalité professionnelle dit index Pénicaud, du nom de la ministre du Travail d’alors Muriel Pénicaud, qui est obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés qui doivent publier leurs résultats le 1er mars au plus tard. Cet indicateur est d’ailleurs perfectible, en intégrant, au-delà de la proportion homme/femme, la part de femmes dans les instances dirigeantes. L’idée est d’avoir une approche globale et non plus sectorielle ; d’intervenir universellement sur tous les secteurs de l’économie et non uniquement de façon ciblée sur certains comme les services financiers.

L’efficacité de la mesure repose également sur son suivi, voire sur sa répression par les autorités de contrôle. Les résultats des différentes études montrent que les entreprises pour lesquelles on a le plus d’informations, à savoir les plus grands acteurs des marchés cotés, appliquent plutôt bien les mesures. Le constat est différent pour celles dont les informations sont moins accessibles, surtout pour le marché non coté. Les greffes des tribunaux de commerce pourraient se charger du contrôle de ces acteurs. En effet, en tant qu’organisme de référence de ces acteurs et possédant de nombreuses informations sur les entreprises, ils seraient tout à fait à même de réaliser ces contrôles. De plus, la loi PACTE13, prise dans son article 189, est venue sanctionner par la nullité les délibérations d’un conseil non paritaire14.

Au service du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, la direction générale des entreprises (DGE) conçoit et met en œuvre les politiques publiques concourant au développement des entreprises. Son action est au cœur des chantiers du gouvernement pour la transformation économique du pays. Elle porte des missions à la fois sectorielles (politique industrielle, régulation du numérique et déploiement des infrastructures, politiques de soutien à l’artisanat, au commerce, aux services et au tourisme), transverses (simplification règlementaire, politique d’innovation) et relatives à la transformation numérique et écologique de l’économie. Elle pourrait donc venir apporter son concours à l’action des greffes des tribunaux de commerce en rapportant tous les ans le bilan et les évolutions de la situation dans les entreprises. Cela permettrait de suivre l’ensemble des acteurs de l’économie et non plus seulement ceux qui agissent sur le marché coté avec, par exemple, le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées mis en place par l’association française des entreprises privées (AFEP) et le mouvement des entreprises de France (MEDEF).

En plus des acteurs institutionnels publics et privés, les entreprises elles-mêmes ont un rôle à jouer. En effet, la comitologie d’entreprise doit avoir également pour mission le déploiement des principes paritaires d’autant plus que, depuis, la loi PACTE de 2018, les articles L. 225-18-1 et L. 225-69-1 du Code de commerce les y obligent à peine de nullité.

Les administrations publiques (APU) ont un poids dans l’économie soit par le biais de l’obligation et de la contrainte juridique, soit par le biais de l’incitation par l’intermédiaire de la fiscalité ou des aides et subventions. Conditionner l’obtention de financements publics au respect de certaines mesures de gouvernance paritaire permettrait d’accentuer la proportion de femmes dans les instances et les comités de décision des entreprises. Ce concept développé par le HCE se nomme égaconditionnalité15. Il s’inscrit dans la poursuite de la politique de redistribution et de lutte contre les inégalités des APU. Il pourrait toucher des éléments plus larges que la seule comitologie, comme les dispositifs de recherche et développement (R&D) (CIR et CII), ou s’ajouter aux critères de financement de la Banque publique d’investissement (Bpifrance), notamment dans le cadre du plan de relance 2020-2022 qu’elle déploie avec la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le but de relancer l’économie française à la suite de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19.

Il faut renforcer la collecte et la publication d’informations non financières pour avoir une vision plus globale de la performance et de l’impact des entreprises, et ne plus se baser seulement sur des indicateurs financiers qui ont montré leurs limites.

La loi dite Rixain, du nom de la députée Marie-Pierre Rixain, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle16, va en ce sens en voulant accroître la mixité dans les entreprises. Elle vise à instaurer des quotas dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et à imposer 30 % de femmes aux postes à plus haute responsabilité en 2027, puis 40 % en 2030. Cette loi a été déposée le 23 mars 2021 et le gouvernement a engagé la procédure accélérée le 5 avril 2021, ce qui a conduit à son adoption en première lecture le 12 mai 2021 par l’Assemblée nationale puis à sa promulgation le 24 décembre 2021, et, enfin, à sa publication au Journal officiel le 26 décembre 2021.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. const. n° 99-569, 8 juill. 1999.
  • 2.
    L. const. n° 2008-724, 23 juill. 2008.
  • 3.
    L. n° 2011-103, 27 janv. 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
  • 4.
    IGAS, Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, B. Gresy, juill. 2009, https://lext.so/R9jcyU.
  • 5.
    Ethics & Board, 2020.
  • 6.
    Étude K. Bouais et D. Roth-Fichet, in D. Roth-Fichet, rapp., La féminisation des instances de gouvernance et de direction des entreprises, mars 2019 (données 2018), https://lext.so/e_fXn8.
  • 7.
    AFECA-IRCORE, « La place des administratrices dans les conseils des sociétés cotées sur Euronext (Compartiments A, B, C) Paris et Alternext Paris », juin 2017, https://lext.so/3fNQRv.
  • 8.
    Labrador Maverick, Ethics & Boards et EY, « Panorama de la Gouvernance. Gouvernance et Responsabilité », 2019, https://lext.so/U9tlR-.
  • 9.
    Labrador Maverick, Ethics & Boards et EY, « Panorama de la Gouvernance : nouveau monde, nouvelle exigence », 2020 (données 2019), https://lext.so/x_uoIA.
  • 10.
    L. n° 2018-771, 5 sept. 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
  • 11.
    C. com., art. L. 225-37-4, al. 6, et L. 225-68.
  • 12.
    HCE, rapp. n° 2019-12-10-PAR-41, Accès des femmes aux responsabilités et rôle levier des financements publics. De nouveaux champs pour la parité professionnelle, volet I, déc. 2019, https://lext.so/5dpS8Q.
  • 13.
    L. n° 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.
  • 14.
    C. com., art. L. 225-18-1 et L. 225-69-1.
  • 15.
    HCE, Rapport relatif à la lutte contre les stéréotypes. Pour l’égalité femmes-hommes et contre les stéréotypes de sexe, conditionner les financements publics, oct. 2014, https://lext.so/07DtOv.
  • 16.
    L. n° 2021-1774, 24 déc. 2021, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.
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