« Femmes du droit, droits des femmes »

Publié le 05/04/2018

Les professions du droit ne sont pas à l’abri des inégalités entre femmes et hommes, voire de discriminations qui ne disent pas leur nom. À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le Conseil supérieur du notariat, sous l’impulsion de son président, Didier Coiffard, réunissait des interlocutrices diverses : juriste d’entreprise, magistrate, avocate ou encore notaire, afin d’évoquer leurs parcours, les freins et les résistances qu’elles doivent encore subir… Et contre lesquelles elles se battent au quotidien.

Si c’est un homme qui a inauguré les discours, Didier Coiffard a su rendre hommage aux récentes initiatives prises au sein du notariat pour soutenir la campagne gouvernementale en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, qui représentent « les violations des droits humains les plus répandues dans le monde ». C’est en effet à l’initiative du Conseil supérieur du notariat (CSN) que cette conférence sur la thématique : « Femmes du droit, droits des femmes » s’est tenue le 8 mars dernier. Et de rattacher ces combats universels aux missions les plus élémentaires des notaires, notamment dans la protection globale des droits humains, dont ceux des enfants fantômes (le livre « Enfants Fantômes » de Laurent Dejoie et Abdoulaye Harissou, de l’association du Notariat francophone, aux éditions Albin Michel) et les personnes vulnérables. Pourtant, l’égalité entre les sexes est encore une utopie, un combat de chaque instant, qui nécessitera les efforts de toutes… et tous.

Des professions en train de se féminiser…

On pourrait se contenter des chiffres encourageants de la féminisation au sein des différentes professions du droit. En effet, les femmes avocates sont désormais majoritaires (55 % de la profession), les femmes notaires représentent 43 % des notaires, contre 24 % en 2007, une belle progression. « Dans les offices créés en 2017 dans le cadre de la loi Croissance, 57 % des notaires nommés sont des femmes. Pour près de 80 % d’entre elles, il s’agissait d’une première nomination en tant que notaire », souligne le CSN. Pour Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de grande instance de Pontoise : « Nous, magistrats, sommes officiellement devenues une profession non mixte », puisque les magistrats sont des magistrates à 65 %. Sarah Leroy, ancienne avocate d’affaires et actuellement juriste d’entreprise et membre de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), fait le constat d’une profession ultraféminisée. C’est la seule des intervenantes à souligner une réelle progression, non seulement numérique, mais aussi qualitative : « Nous, les juristes d’entreprise, sommes de plus en plus rattachées à la direction générale, et notre rémunération est de plus en plus attachée à la performance juridique de l’entreprise, ce qui démontre que la féminisation n’est pas un obstacle ».

… mais de forts écarts de salaire et de situations

Pourtant, les chiffres ne représentent qu’un aspect de la féminisation. Pour Christiane Féral-Schuhl, avocate et présidente du Conseil national des barreaux (CNB), le fait que les femmes avocates soient aujourd’hui majoritaires n’est pas encore un gage d’égalité. « Le cap des 50-50 a été franchi en 2008 chez nous, et les élèves avocates sont désormais des femmes à 70 % », affirme-t-elle. Elles sont donc de plus en plus présentes. Oui, mais à quel poste ? La réalité est qu’elles restent majoritairement collaboratrices et non associées, et que les écarts de salaire sont énormes. « D’un ratio de 1,97 en 2009, on est arrivé à 2,07 en 2016 ! L’écart se creuse », lâche-t-elle, à l’inverse de ce que l’on pourrait attendre.

Cette féminisation change-t-elle quelque chose aux yeux de Gwenola Joly-Coz ? « Oui. Notre image. J’entends parler de surféminisation, de féminisation excessive ou encore de dévalorisation de notre profession », explique-t-elle, un peu amère. Ce qui revient à dire qu’en France, « des hommes sont jugés par des femmes », puisqu’ils représentent 95 % de la juridiction pénale. De fait, « dans les salles d’audience, qui trouve-t-on ? Des avocates, des magistrates, des procureurs, des greffières… Au milieu de ces femmes, un homme ». Pas toujours, évidemment, mais souvent…

Marie-Pierre Péré, notaire, et depuis 2014, représentante des notaires de la cour d’appel de Dijon au Conseil supérieur du notariat, fait aussi ce constat de l’association négative entre féminisation et baisse qualitative. « J’entends que la féminisation de notre profession rime avec paupérisation. Non, pas pour moi, elle rime au contraire avec modernisation ». Et de se souvenir de ses premières années en tant que notaire, lorsque, confrontée à des hommes lors de divorces, ils semblaient sous-entendre que c’est parce qu’elle était une femme qu’elle donnerait plus volontiers raison à leur épouse… « Les hommes m’assimilaient à leur femme, et me jugeaient incompétente, en pensant que j’allais forcément avantager la femme », déplore-t-elle.

D’autres formes de discrimination plus sournoises

Chez les juristes, si au temps de l’embauche, les écarts de salaire sont assez minces, le temps – et les étapes de vie – jouent leur rôle dans leur creusement. « Au départ, on note peu de différence, 2 %, mais chez les seniors, cela monte jusqu’à 26 % », note Sarah Levoy. Chez les magistrats, exerçant dans la fonction publique, les discriminations sont « plus subtiles », et se font « sous le chapeau ». « Les garçons et les filles commencent au même salaire », mais tout comme chez les juristes d’entreprise, exerçant pourtant dans le privé, le temps fait son œuvre, notamment à cause de la décennie dédiée à faire des enfants, cette « décennie des bébés », souvent exercée en temps partiel. Résultat, « le temps nécessaire pour accéder au premier grade est beaucoup plus long pour les femmes que pour les autres : il leur faut environ 10-11 ans contre 7 ans pour les hommes. Les femmes n’accèdent donc pas aux postes à responsabilités, et à tous les avantages qui vont avec : primes, chauffeurs, logement de fonction…», déplore Gwenola Joly-Coz. Même dans un milieu très cadré, les femmes sont donc discriminées, au moment même où les enjeux de carrière sont les plus forts.

Chez les avocates, note Christiane Féral-Schuhl, la majorité des femmes exerce à temps plein, et majoritairement en libéral. Mais, contrairement à leurs homologues masculins, « elles passent moins de temps à développer leur clientèle, les collaboratrices touchent moins souvent une part variable (lors d’un apport de client ou d’un travail exceptionnel…) ».

Car, même dans les professions du droit, les femmes restent assujetties à la fonction maternelle et familiale, et bien avant que la notion de charge mentale ne soit verbalisée, les femmes du droit des générations précédentes étaient déjà prises en étau entre le professionnel et le personnel. C’est ce qu’a vécu Marie-Pierre Péré, qui résume les choses en une formule bien sentie. « Quand je partais de l’étude un peu tôt, on me disait ’‘déjà’’ ? Mais chez moi, on me disait ’‘seulement ?’’ ». Sarah Leroy a son explication : puisque naturellement on accorde plus d’importance à la carrière de celui du couple qui gagne le mieux sa vie, c’est la carrière de la femme qui est « naturellement » mise entre parenthèses.

Déconstruire les stéréotypes et soutenir les avancées

Peter Stone, consultant et formateur spécialiste de la thématique de la diversité en entreprise, l’assène : rien ne changera tant que le rôle assigné aux hommes n’aura pas également changé. « Il faut commencer par changer la place des hommes dans la société pour changer la place des femmes dans la société ».

Changer aussi, le regard que les femmes jettent parfois, sur leur carrière. Le concept d’autocensure n’a pas fait consensus parmi les intervenantes. Marie-Pierre Péré a certes évoqué ces femmes notaires qui, pensant réduire leur charge de travail pour mieux concilier leurs obligations familiales et domestiques (cette charge mentale qui les asservit), se tournent vers une petite étude, mais finalement vont devoir s’investir encore plus, notamment dans les départements délaissés où elles sont plus présentes. Gwenola Joly-Coz, elle, se « méfie » de cette notion, craignant que cela véhicule une image des femmes manquant d’ambition. « Le système ne leur est simplement pas favorable : il faut de la mobilité géographique, faire du présentéisme, et il n’y a pas de modèle d’identification chez les jeunes magistrates. Sur les 12 plus gros tribunaux de France, seuls 2 comptent des femmes présidente du tribunal », analyse-t-elle. Ainsi, dans cet univers encore très masculin, « les réseaux féminins sont fort utiles », dont l’association « Femmes de justice », dont elle est membre.

Ainsi, certaines avancées améliorent le quotidien des avocates… Mais pas de toutes. Christiane Féral-Schuhl, est encore choquée de femmes « remerciées » dès leur retour après avoir accouché. Désormais, elles bénéficient d’une période d’immunité pendant laquelle elles ne peuvent pas être renvoyées. La question des quotas a fait aussi son chemin dans leurs réflexions. Les intervenantes, qui partageaient unanimement un avis défavorable aux quotas, y pensent différemment aujourd’hui et voient cet engagement comme une nécessité pour aboutir à une vraie parité, face à des dispositions légales qui ne sont pas suffisantes. « Si le monde de l’entreprise a imposé 40 % de femmes dans les CA des groupes du CAC 40 », le monde du droit est encore à la traîne. Mais la nouvelle génération, le soutien intergénérationnel, le développement du mentoring et de l’accompagnement des « aînées » seront des ingrédients indispensables aux changements. En attendant, deux ministères ont été sanctionnés pour ne pas avoir respecté la loi Sauvadet sur la parité… Dont le ministère de la Justice. Paradoxe, quand tu nous tiens…

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