Yvelines (78)

Bernard Cohen-Hadad : « Face aux crises, les PME et TPE ont pensé des modèles économiques plus responsables » !

Publié le 10/03/2023

Si les données économiques montrent une situation maîtrisée en 2022, les dirigeants des petites et moyennes entreprises (PME) d’Île-de-France sont plutôt inquiets. Pourtant, face aux différentes crises vécues ces dernières années, les entrepreneurs ont fait preuve de résilience grâce aussi au soutien de l’État. À l’échelle des territoires, dans les Yvelines (78), le taux de chômage atteint 6,5 %, l’un des plus bas niveaux de la région francilienne. Du côté de l’Essonne (91), l’activité économique est dynamique et les défaillances d’entreprises sont 30 % inférieures au niveau de 2019. Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) d’Île-de-France et du think tank Étienne Marcel, Bernard Cohen-Hadad, fait le point sur la conjoncture économique des PME et des TPE de la région capitale.

Actu-Juridique : Globalement, quel bilan faites-vous de la situation économique en Île-de-France durant l’année 2022 ?

Bernard Cohen-Hadad : Paradoxalement, les entreprises ont mieux tenu le choc par rapport à la crise annoncée en 2022. En décembre dernier, le climat des affaires mesuré par plusieurs indicateurs est supérieur à la moyenne. Même s’il a augmenté en Île-de-France, le nombre de procédures collectives reste 20 % en dessous du niveau de 2019. Il n’y a pas eu la vague de faillites crainte par les acteurs économiques. C’est plus une normalisation par rapport à des entreprises qui n’étaient pas viables. Pourtant, face à cette situation plutôt positive, le moral des entrepreneurs n’est pas exceptionnel à cause des différentes crises successives. Il reste aussi beaucoup d’inquiétude pour les très petites entreprises notamment du secteur de l’hôtellerie, de la restauration, de la réparation automobile, du commerce ou encore de la santé. Le bilan est donc mitigé.

Actu-Juridique : Quelles sont les difficultés rencontrées par les TPE et PME franciliennes ?

Bernard Cohen-Hadad : Actuellement, les préoccupations des TPE et PME sont la flambée des coûts de l’énergie, l’explosion des coûts de production et un endettement important qui limite l’ouverture de nouveaux crédits auprès des banques. Nous ressentons un poids important des dettes fiscales et sociales accumulées à cause de la crise sanitaire. Nous constatons aussi une pression sur les salaires du fait de la bataille récurrente du recrutement pour les TPE et PME, dans les zones urbaines ou rurales. Il y a un véritable enjeu en matière d’explosion des coûts et de recherche des compétences. Nous n’avons pas encore trouvé le bon équilibre entre salaire et emploi. Cette problématique est présente sur l’ensemble du territoire francilien avec 15 à 30 % d’emplois non pourvus. Enfin, il y a une baisse globale des chiffre d’affaires pour beaucoup de commerces de proximité. La crise sanitaire, l’ensemble des mouvements sociaux à Paris et l’évolution des modes de consommation ont transféré les clients vers les ventes en ligne.

Actu-Juridique : Quelles sont les causes et les conséquences de l’inflation sur les entreprises d’Île-de-France ?

Bernard Cohen-Hadad : La hausse globale des coûts, l’excès de demande et une importante création monétaire sont plusieurs facteurs explicatifs de l’inflation. Cette hausse des prix reste maîtrisée. Nous l’imaginions beaucoup plus importante. Il y a une forte demande de reprise suite à la crise sanitaire et des nombreuses productions n’ont pas pu suivre. La crise ukrainienne a également entraîné une augmentation des prix de l’énergie. Ces crises à répétition font que certaines entreprises, qui devaient retrouver un repreneur, sont en difficulté et ferment faute de reprise. Certains commerçants, artisans ou professionnels indépendants jettent l’éponge face aux problématiques rencontrées. Il y a donc un certain nombre de radiations. Mais, nous restons sur une situation en dessous du niveau de 2019. Face à cette situation, les pouvoirs publics doivent mobiliser des politiques monétaires et budgétaires. Ils doivent surtout s’orienter vers une économie plus verte, plus humaine, plus responsable et plus en phase avec les territoires. En Île-de-France, nous travaillons là-dessus avec le conseil régional à travers sa stratégie régionale d’économie circulaire et sa stratégie pour une économie sociale et solidaire.

Actu-Juridique : Quels sont les secteurs qui s’en sortent le mieux en Île-de-France ?

Bernard Cohen-Hadad : En 2022, il y a eu une embellie pour les acteurs des domaines de l’événementiel et du tourisme. Ils ont vu leurs activités reprendre à un niveau proche de 2019. Il y a eu cette année de nombreux événements festifs et culturels organisés en Île-de-France. Les touristes reviennent en région parisienne. C’est l’une des régions les mieux dotées en termes de musées, de sites touristiques ou encore de salles de spectacles. L’augmentation des prix de l’énergie et la pénurie de compétences ne doivent pas venir freiner cette dynamique.

Actu-Juridique : En dehors de Paris, l’activité touristique est importante dans le département des Yvelines. Quelle est la situation économique sur ce territoire ?

Bernard Cohen-Hadad : Le département des Yvelines a connu un rebond significatif notamment à travers le tourisme et l’activité commerciale. Les créations d’entreprises ont été importantes sur ce territoire. Néanmoins, il y a un bémol sur le nombre d’emplois créés, qui reste à un niveau inférieur à 2019. Concernant le taux de chômage, il est relativement stable. C’est l’un des plus faibles d’Île-de-France avec 6,5 %. À l’échelle régionale, le taux de chômage atteint les 7 %. Le département des Yvelines a été impacté par la crise avec des entreprises de pointe, des commerces de proximité et une activité touristique forte.

Actu-Juridique : Autre département francilien, l’Essonne. Comment se portent les acteurs économiques de ce territoire ?

Bernard Cohen-Hadad : Il y a eu une fragilité de l’économie essonnienne. Mais, l’emploi résiste en Essonne. En 2022, les créations d’entreprises ont connu une baisse de 5,7 %. Néanmoins, il y a eu une activité touristique qui a permis de rattraper le niveau d’avant crise notamment sur l’activité hôtelière. À propos des nuitées hôtelières, l’activité connaît une hausse de 1,1 %. C’est nouveau pour ce département. Sur l’Essonne, il y a une dynamique d’attractivité avec une stagnation des défaillances d’entreprises avec un chiffre inférieur de 30 % par rapport au niveau de 2019. Ce territoire a beaucoup progressé avec des bons indicateurs dans le tourisme et la diversité commerciale.

Actu-Juridique : Comment les entreprises gèrent-elles les conséquences de la crise sanitaire et la hausse des coûts ?

Bernard Cohen-Hadad : Sur la gestion de ce tunnel de crise, Covid, inflation et guerre en Ukraine, plusieurs PME et TPE ont engagé une démarche forte de responsabilité sociétale et environnementale. Elles ont cherché des nouveaux modèles pour des questions de survie, de réorganisation interne et de préoccupation des questions sociales, environnementales et de gouvernance. L’objectif est de rester compétitif et viable tout en s’engageant sur ces sujets. Les entrepreneurs, en capacité de le faire, ont tiré du positif de cette succession de crises. Ils ont pu répondre aux nouvelles attentes de leurs salariés et des consommateurs à travers ces enjeux. Le marché global est plus attentif à une transition vers un modèle plus responsable, durable, inclusif et résilient. En Île-de-France, de nombreuses personnes sont attachées à ces valeurs. Malgré les difficultés et les contraintes de ces dernières années, les entreprises se doivent aujourd’hui d’engager cette révolution pour être plus agiles, plus stratégiques et en lien avec le territoire. Ainsi, elles peuvent aller vers un modèle contre le gaspillage, avec une qualité de vie en entreprise et des services nouveaux vis-à-vis des consommateurs.

Actu-Juridique : Les TPE et PME ont-elles la capacité d’investir ?

Bernard Cohen-Hadad : Nous avons une inquiétude sur l’accès au crédit bancaire à des taux compétitifs. C’est une véritable préoccupation. Les établissements bancaires sont plus frileux à l’heure actuelle. Ils demandent beaucoup plus de garanties. Beaucoup de TPE et de PME sont endettées. L’inquiétude n’est pas un moteur pour l’investissement chez les partenaires financiers des entreprises. Les banques préfèrent aider les sociétés en bonne santé. Néanmoins, nous restons attentifs à ce qu’il n’y ait pas de fermeture du robinet du crédit. Nous souhaitons aussi que l’État s’engage dans une démarche de réduction des dépenses publiques. Si le tissu économique a pris ses responsabilités, il reste encore des charges qui pèsent sur les acteurs économiques. Il doit y avoir une baisse des impôts et des taxes sur les entreprises. Mais, le point extrêmement positif c’est le maintien de l’aide à l’embauche d’un apprenti à hauteur de 6 000 € jusqu’en 2027. Une annonce du ministère du Travail intervenue au début de l’année. Ce soutien favorise aussi les projets d’investissement et l’emploi de proximité en s’appuyant sur l’apprentissage.

Actu-Juridique : L’État favorise aussi l’investissement à travers son programme France 2030. Comment les entreprises situées en Île-de-France se sont saisies de ce dispositif ?

Bernard Cohen-Hadad : Ce programme France 2030 est l’occasion de créer des passerelles entre les grands groupes, les ETI, les PME et les TPE. C’est une opportunité pour démontrer la volonté commune de créer un tissu de partenaires économiques innovants en Île-de-France. Toutes les entreprises innovantes doivent pouvoir travailler ensemble, dans le respect des marchés. France 2030 doit permettre aussi de développer les territoires franciliens, en associant les pôles universitaires et créer des pôles d’innovation dans la région capitale, qui est attractive au niveau mondial. À ce propos, le seul bémol se situe au niveau de la qualité des transports. Nous devons améliorer nos infrastructures qui ne sont pas à la hauteur des attentes. Si nous voulons être à la hauteur des attentes des entreprises et de leurs collaborateurs, nous devons réussir à améliorer la qualité de nos transports. Les lignes du projet du Grand Paris Express doivent répondre à cet enjeu.

Actu-Juridique : L’un des exemples de pôle d’innovation en Île-de-France c’est Paris-Saclay. Quelle est la place des TPE et PME sur ce territoire à cheval entre l’Essonne et les Yvelines ?

Bernard Cohen-Hadad : Pour moi, c’est un « work in progress ». Ce pôle d’innovation a été réservé à une catégorie d’entreprise de haute technicité. Cette ouverture à travers l’action de la région Île-de-France et le programme France 2030 permet de diversifier les métiers et le type de société sur ce territoire. La capacité de mettre en place sur ce territoire une intermodalité des transports est un élément qui va permettre de donner au projet économique et technologique la dimension dont il a besoin. Pour cela, la ligne 18 du Grand Paris Express est essentielle. Ce projet a pris du retard. Il est vraiment très attendu. Nous souhaitons une réorientation des budgets pour accélérer les travaux pour concrétiser ce projet. Mon idéal serait d’arriver à relier l’aéroport d’Orly au sud à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle au nord. Si nous réussissons cela, nous pourrons désengorger la capitale et créer des nouveaux pôles d’activité et d’habitat sur la totalité de la ligne 18.

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