Val-de-Marne (94)

Bruno Lucas : « La revitalisation des bassins d’emploi permet de renforcer les relations entre l’État et les entreprises » !

Publié le 26/01/2023

La revitalisation des bassins d’emploi permet de répondre aux conséquences d’une restructuration ou de suppressions d’emplois d’une entreprise sur un territoire. L’objectif de ce dispositif de l’État est de limiter les impacts sur le tissu économique local. Créée il y a plus de 20 ans, la revitalisation permet de maintenir un équilibre socio-économique d’un territoire malgré les difficultés d’une entreprise majeure dans la vie locale du territoire où elle est implantée. L’État coconstruit avec la société concernée des actions pour compenser les effets de sa restructuration, à l’image de la zone aéroportuaire d’Orly dans le Val-de-Marne (94) par exemple. Bruno Lucas, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle au sein du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion dresse un bilan de ce dispositif.

Actu-Juridique : Comment pouvez-vous définir le dispositif de revitalisation ?

Bruno Lucas : La revitalisation est née dans un contexte particulier en 2002. À l’époque, l’économie française rencontrait une succession de plans sociaux à fort impact. Ces restructurations d’entreprises ont eu des conséquences importantes pour les salariés et les territoires concernés. Par conséquent, le législateur a décidé d’apporter une réponse pour prévenir les plans de licenciements économiques, améliorer les plans sociaux et mettre en place une contribution des grandes entreprises pour la réindustrialisation des sites et des bassins d’emploi touchés par les licenciements. Elle s’inscrit dans la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale. La finalité était de mettre en place une obligation à compenser les conséquences des restructurations subies par les territoires et les habitants, pour certaines entreprises et dans certaines situations. C’est une logique réparatrice qui conduit les sociétés à mener des actions destinées à développer, à faire émerger de nouvelles activités et des créations d’emplois.

Actu-Juridique : Quelles sont les entreprises concernées et concrètement comment fonctionne la revitalisation ?

Bruno Lucas : Les entreprises concernées sont celles de plus de 1 000 salariés, qui subissent des restructurations ou des suppressions d’emplois avec un impact excessif sur la vie économique et sociale des territoires où elles sont implantées. Quand une société doit supprimer des emplois qui affectent l’équilibre du territoire où elle est située, l’État peut l’assujettir à l’obligation de revitalisation. La négociation s’engage entre l’État et l’entreprise concernée pour convenir des actions et du montant de la contribution de revitalisation financée par l’entreprise. C’est une coconstruction. Ensuite, l’entreprise procède à la mise en œuvre des actions avec l’appui et le contrôle de l’État. À la fin, nous mesurons l’efficacité d’une revitalisation par le nombre d’emplois recréés. Le bilan est effectué en regardant les emplois directement créés par les actions de la revitalisation et les équivalents emploi. Par exemple, un fonds de revitalisation pour une entreprise peut servir à financer une machine dont le fonctionnement peut nécessiter l’emploi de deux à trois personnes.

Actu-Juridique : Comment a évolué ce dispositif depuis sa création en 2002 ?

Bruno Lucas : Il y a eu quelques évolutions mais elles n’ont pas changé fondamentalement les principes définis initialement. D’abord, en 2016, il y a eu l’introduction des conventions cadres nationales. Cet élément est important puisqu’il institue une approche nationale de traitement des conséquences de certaines restructurations. Certaines situations peuvent toucher plusieurs bassins d’emploi et de nombreux territoires au-delà du site où est implantée la société restructurée. L’exemple emblématique c’est le site industriel fermé et qui polarise un territoire entier. Les conséquences de telles fermetures sont douloureuses. À l’inverse, des restructurations importantes en volume peuvent être réparties sur l’ensemble du territoire national. Dans ces situations, l’approche doit être nationale pour organiser le travail local à travers des conventions cadres nationales. Cette évolution a permis d’introduire de nouveaux mécanismes de solidarité. Ensuite, en 2017, les ruptures conventionnelles collectives ont été ajoutées dans le champ d’application de la revitalisation au côté des plans de sauvegarde de l’emploi, car cette mesure peut aussi avoir des conséquences sur l’équilibre d’un territoire.

Actu-Juridique : Après 20 ans de mise en application, quel bilan faites-vous de la revitalisation ?

Bruno Lucas : D’abord, ce dispositif de la revitalisation est devenu de plus en plus consensuel pour les entreprises à qui nous imposons cette obligation. Au départ, il engendrait de nombreuses discussions et des inquiétudes de la part des acteurs économiques. Cette mesure est importante pour l’État car cela permet de contribuer à répondre à des situations difficiles. C’est aussi intéressant pour les entreprises concernées, y compris dans le cadre de leur politique de responsabilité sociétale et environnementale (RSE) ou encore dans une logique citoyenne. Elles peuvent procéder aux adaptations nécessaires tout en conservant une relation positive avec les acteurs des territoires concernés par les restructurations. L’évaluation du dispositif a permis de montrer qu’il répondait bien aux objectifs fixés par le législateur, en facilitant la mise en place d’actions concrètes, qui permettent de limiter les conséquences de ces restructurations. Nous avons aussi constaté un autre effet important et original. Ce dispositif permet en effet de renforcer la relation entre l’État et les entreprises. Toute une série d’acteurs des territoires sont mis en réseau autour de la revitalisation. Ces effets plus qualitatifs sont très intéressants en termes de mise en œuvre de nos politiques publiques. C’est un partenariat public-privé très pragmatique, concret et apprécié des territoires.

Actu-Juridique : Avec l’expérience sur 20 ans, pouvez-vous dégager une typologie des situations de revitalisation ?

Bruno Lucas : Il est compliqué de dégager une typologie. L’intérêt de la revitalisation est justement de s’adapter à chaque situation. Ce dispositif permet de tenir compte des caractéristiques des entreprises, de leur secteur d’activité d’exercice, et des territoires où elles sont implantées. La palette d’actions mobilisées est diversifiée et permet de mobiliser des leviers adaptés aux besoins. Il y a des aides à la reconversion, de l’appui et du conseil aux TPE et aux PME pour les aider à se développer et atteindre de nouveaux marchés. Il y a aussi le soutien à des incubateurs, des pépinières ou encore des actions de formation, d’insertion socioprofessionnelle à destination des publics prioritaires. La revitalisation peut être financée à travers des subventions directes à l’emploi ou des financements indirects auprès d’acteurs qui vont mener des initiatives dans le cadre d’une revitalisation. C’est une évolution importante. À l’origine de ce dispositif, la revitalisation permettait d’attribuer des subventions directes à l’emploi. De nombreuses études économiques démontrent aujourd’hui que ces aides financières ne sont pas toujours les plus efficaces pour créer des emplois durables. Aujourd’hui, la revitalisation se traduit davantage par des prêts, des actions à impact pour recréer des emplois sur les territoires concernés. Progressivement, les subventions directes à l’emploi sont devenues de moins en moins importantes dans les conventions de revitalisation. Mais encore une fois tout dépend de la situation et chaque cas est différent. Les moyens, les leviers et les acteurs mobilisés touchent à toutes les composantes de la politique de l’emploi.

Actu-Juridique : Quel bilan chiffré faites-vous concernant l’année 2022 ?

Bruno Lucas : En 2022, nous avons conclu 17 conventions cadres nationales entre l’État et des entreprises. Ce sont souvent des grands groupes. Ces conventions représentant un montant total de plus de 27 millions d’euros. Ce financement a vocation d’ici à 2025 à recréer 7 500 emplois. Si nous faisons le calcul, nous arrivons à environ 4 000 investis par emploi recréé. Nous constatons ces dernières années que pour chaque convention de revitalisation signée, l’objectif de l’entreprise est atteint voire même dépassé.

Actu-Juridique : Avez-vous des exemples de convention de revitalisation en cours dans la région Île-de-France ?

Bruno Lucas : À la suite de la restructuration conduite en 2020-2021, Renault a mis en œuvre son obligation de revitalisation sur les territoires concernés en tenant spécifiquement à intégrer les effets induits par le déménagement des activités du site de Choisy-le-Roi (94) vers le site de Flins. La convention cadre nationale signée en juin 2022 avec la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) prévoit donc que les territoires bénéficiaires des fonds de revitalisation et recréations d’emplois réels ou équivalents emplois soient les Yvelines (78), les Hauts-de-Seine (92), le Val-de-Marne (94), l’Essonne (91) et la Seine-Maritime (76). Dans ce cadre, plusieurs initiatives ont été menées comme des actions d’insertion à destination des réfugiés, le support à des entreprises ayant intégré le programme de mobilité du futur « Software République » ou encore le développement d’un campus autour de l’économie circulaire dans l’automobile au sein de la Refactory de Flins.

Ensuite, nous avons aussi une convention de revitalisation mise en œuvre dans le Val-de-Marne (94). C’est un soutien financier d’environ 240 000 € apporté à un cluster emploi compétence sur la zone aéroportuaire d’Orly afin de répondre aux problématiques des métiers en tension et au besoin de structuration d’une filière des 3A (aéronautique, aérien et aéroportuaire). Orly international représente et anime un écosystème regroupant 110 structures associatives et près de 300 entreprises et associe de nombreux partenaires, tels que Pôle emploi, les missions locales, les services emploi des villes et agglomérations, la Cité des métiers, la Maison de l’environnement et du développement durable du Groupe ADP, des organismes pour la formation, l’emploi et l’insertion. Ces acteurs sont engagés notamment sur la connexion entre dynamisme économique et progrès social, l’accès aux outils digitaux et le développement des compétences des demandeurs d’emploi.

Autre exemple dans le secteur de la distribution, suite à sa restructuration en 2018, Carrefour a mis en œuvre son obligation de revitalisation afin de recréer un total de 1 768 emplois ou équivalents emplois sur les douze territoires les plus touchés par la restructuration dont le Val d’Oise (95) et le Val-de-Marne (94). La convention cadre nationale a été signée avec la DGEFP en mars 2019 et le comité national de clôture s’est tenu en décembre 2022 après délivrance du quitus par l’ensemble des départements. Des actions communes à ces deux territoires ont été menées ainsi que des actions propres aux spécificités des territoires : soutien aux commerces de proximité par le financement de travaux, financement d’une boutique connectée nomade et d’un service d’appui aux ressources humaines dans le Val d’Oise, ainsi que d’un pré-incubateur départemental et d’un dispositif d’accompagnement à la création d’entreprise dans le Val-de-Marne. Dans le cadre de cette convention, les objectifs de recréation de 195 emplois ou équivalents dans le Val d’Oise et de 159 dans le Val-de-Marne ont été dépassés puisque ce sont respectivement 210 et 180 emplois et équivalents qui ont pu être valorisés à la clôture de la convention.

Actu-Juridique : Quelles sont les prochaines évolutions prévues concernant le dispositif de revitalisation ?

Bruno Lucas : Dans la continuité de l’harmonisation des pratiques sur les initiatives vertueuses qui ont pu être identifiées, cinq grands chantiers seront lancés par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle dans les mois à venir. D’abord, nous souhaitons poursuivre la mise en œuvre des actions nationales permettant de répondre aux enjeux des restructurations d’envergure nationale. Dans ce cadre-là et dans une logique de péréquation, l’idée serait de flécher des moyens pour financer des actions vers des départements fragilisés par de précédentes restructurations. Nous allons aussi renforcer les actions structurantes pour les territoires et les actions d’insertion socio-professionnelle. Ensuite, nous avons l’objectif d’encourager la mise en place d’appels à manifestation d’intérêt et d’appels à projets et la constitution de réseaux de partenaires internes et externes aux services de l’État. Ainsi, l’identification des besoins de financement des projets à fort impact pour le territoire serait simplifiée. Nous voulons aussi renforcer le positionnement des Directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) comme interlocutrices privilégiées des entreprises en matière de revitalisation. Enfin, nous lançons des travaux relatifs aux fonds mutualisés, afin d’en étudier les différentes modalités de mise en œuvre et leur garantir un cadre en adéquation avec les objectifs de la revitalisation.

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