Covid-19 : « La reprise d’activité doit être pensée de manière méthodique et priorisée »
Si l’activité économique du pays s’est figée en quelques jours, le temps de la reprise sera lui beaucoup plus long. Pour se préparer les entreprises doivent élaborer des plans de reprise dans la durée. Julie Vallée, directrice associée du cabinet de conseil Iremos, spécialiste dans la gestion de crise, détaille les bonnes pratiques pour « aborder cette reprise avec sérénité ».
Les Petites Affiches : Comment les entreprises peuvent-elles préparer, au mieux, le retour progressif de leurs salariés ?
Julie Vallée : Une reprise d’activité réussie repose sur une planification méthodique et l’adhésion de tous. En premier lieu, les décideurs doivent déterminer les critères de priorisation des activités (criticité des activités, géographie, etc.) et une fois les activités prioritaires identifiées, anticiper les ressources nécessaires à la reprise de ces activités (acteurs clés, sites, etc.), ainsi que les contraintes (protocole sanitaire, cadre juridique, etc.). Selon les dispositions du Code du travail, l’employeur est tenu de mener des actions de prévention pour préserver la santé physique et mentale de ses employés et de mettre en place une organisation et des moyens adaptés. Il est donc impératif que le retour au travail se fasse dans le respect complet de ce cadre légal.
Ce plan doit également être coordonné, concerté et communiqué : coordonné à l’échelle de toute l’organisation pour prendre en compte l’ensemble des impératifs métiers, concerté pour tenir compte des craintes et contraintes individuelles et communiqué pour favoriser l’adhésion de tous, tant collaborateurs que partenaires.
LPA : Les entreprises peuvent-elles se reposer sur d’autres exemples, d’autres crises, pour anticiper cette reprise ?
J. V. : La crise liée à la pandémie de Covid-19 est d’une telle portée économique, géographique et humaine et a provoqué un tel gel de l’activité économique mondiale, qu’il n’y a pas d’antécédent.
Pour autant, il y a de la matière à puiser dans les enseignements tirés de crises déjà vécues par l’entreprise. Les retours d’expérience de crises passées auront servi aux entreprises à rectifier les dysfonctionnements détectés au sein des dispositifs de crise et procédures de continuité d’activité, et de les améliorer afin d’être plus résilients dans le futur.
L’approche que nous préconisons pour cette reprise consiste non pas à s’appuyer sur des typologies de crise et d’y apporter des solutions types mais de travailler à partir des faits, des parties prenantes et des impacts. Cela permet de construire une réponse basée sur un plan d’action et une prise de décision méticuleuse, laissant peu de place à l’oubli ou l’improvisation.
LPA : Les entreprises doivent-elles faire une croix, à court terme, sur une reprise d’activité classique ?
J. V. : Le retour à la normale ne peut en effet qu’être progressif, tant les conditions de la reprise sont multiples. D’un point de vue sanitaire et réglementaire d’abord, la reprise ne pourra se faire tant que les entreprises n’auront pas mis l’ensemble des moyens à disposition pour assurer la protection des collaborateurs.
La problématique économique est aussi importante. Au niveau local, l’ensemble du tissu économique étant impacté, la capacité de reprise d’une entreprise dépend également de la reprise de ses parties prenantes (fournisseurs, sous-traitants, prestataires, partenaires, etc.). Au niveau international, la reprise est également déterminée par la levée des restrictions sur les flux de personnes et de biens.
Enfin les décideurs doivent considérer le facteur « humain ». La reprise est conditionnée à la volonté et l’adhésion des collaborateurs. Certains peuvent se montrer réticents ou angoissés à l’idée de reprendre leurs activités, aussi la concertation avec les collaborateurs doit-elle être menée en premier lieu.
LPA : L’organisation du travail s’en trouvera-t-elle modifiée à long terme d’après vous ?
J. V. : Les employeurs ont dû revoir l’organisation du travail rapidement pour s’adapter à cette crise sanitaire, en s’équipant par exemple de nouveaux outils (accès à distance, visioconférence) et en généralisant le télétravail, ce qui n’est pas sans impacter la manière de travailler des collaborateurs, surtout pour ceux dont c’est la première fois.
Ces évolutions s’inscriront certainement dans la durée. Si les collaborateurs et l’employeur parviennent à la même conclusion que cette organisation du travail s’est révélée efficace, il est en effet possible que certaines entreprises décident d’en conserver le fonctionnement sur le long terme. Et si on ne peut pas complètement faire abstraction du présentiel, un des legs de cette crise pourrait être du moins l’introduction d’une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail, avec plusieurs jours de télétravail par semaine par exemple. Outre les effets bénéfiques constatés par le collaborateur (absence de temps de trajet, flexibilité dans l’emploi du temps, etc.), un tel fonctionnement permet également à l’entreprise de faire des réductions de coûts non négligeables (espaces de travail réduits et donc réduction des loyers, limitation des déplacements, etc.).
LPA : D’après vous, la prise en compte du facteur humain est essentielle. Pourquoi ?
J. V. : Cette crise a une implication émotionnelle particulièrement forte (perte d’un proche, anxiété, isolement social induit par le confinement, etc.), tant pour les collaborateurs que les décideurs ayant pour tâche ardue de sauver l’entreprise de la faillite. Or tout collaborateur étant acteur du processus de reprise, l’intégrer est nécessaire pour en assurer le succès. Aussi est-il nécessaire de garder le lien, motiver, écouter (par la mise en place de cellules psychologiques, canaux de remontée d’informations, etc.) et de communiquer.
Si le facteur humain n’est pas pris en compte, l’entreprise encourt un risque de démobilisation du personnel et par conséquent un impact sur l’activité, une image dégradée et une mauvaise réputation, une imputabilité juridique.
LPA : La communication en interne est-elle également primordiale en amont et pendant la reprise d’activité ?
J. V. : Bien sûr, et elle va dans les deux sens. De la direction vers les collaborateurs : pour les informer des décisions prises, du plan d’action décidé et de ses implications ; pour relayer des directives (émanant des autorités sanitaires ou des politiques internes) et pour rassurer. Mais aussi des collaborateurs vers la direction : pour poser leurs questions, pour exprimer des doutes et être force de propositions.
La mise en place d’un plan de communication accompagnant la reprise de bout en bout est essentielle et passe par l’identification de relais au sein des différents corps de métiers pour s’assurer que tout le monde a le même niveau d’information.