Seine-Saint-Denis (93)

Déolinda Mota, entrepeneuse dans le 93 : « Mon Graal est ce qu’on ne verra pas ailleurs » !

Publié le 26/09/2022

À Montreuil, tout le monde connaît les boutiques de bijoux et de décoration des Tatas flingueuses, aux vitrines pop et colorées. En les regardant de plus près, on s’aperçoit que la plupart des produits qui s’y trouvent viennent du département ou même de la ville. En créant sa marque en 2014, la fondatrice, Déolinda Mota, avait à cœur de promouvoir l’artisanat local. Un concept qui a séduit le public. Huit ans plus tard, l’entrepreneuse est à la tête de cinq points de vente dans le 93. Un engagement auprès des artisans locaux qui lui a valu de devenir ambassadrice du label « Made in Seine-Saint-Denis ».

Déolinda Mota

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Actu-Juridique : Comment a commencé l’aventure des Tatas flingueuses ?

Déolinda Mota : Je suis arrivée à Montreuil (93) en 1991. La ville avait déjà une aura artistique. J’avais l’habitude d’y traîner pendant les portes ouvertes des ateliers d’artistes, de frayer avec les gens du cinéma. Montreuil n’était pas chère, accueillante, et j’aimais le mélange entre les artistes, les bobos, les gens du cru. En revanche, il n’y avait pas d’endroit sympa pour boire un verre ou acheter un cadeau. J’avais envie de faire un café boutique qui serait un lieu de vie. J’ai ouvert la boutique historique en 2014 rue de Paris, une des grandes artères de la ville, avec une associée qui est partie au bout d’un an. C’était un salon de thé mélangé aux objets de créateurs locaux que l’on vendait. Il n’y avait, à l’époque, pas de lieu sympathique comme cela à Montreuil. Le concept a trouvé son public et a essaimé. J’ai ouvert une boutique aux Lilas en 2018, sur le même concept. J’ai ensuite ouvert deux boutiques à Montreuil et une au Pré-Saint-Gervais. Je suis aujourd’hui seule à la tête de ces cinq boutiques, mais entourée d’une super équipe de filles, qui ont les mêmes valeurs que moi et la même envie de défendre les produits et créateurs locaux.

Actu-Juridique : Quelle est votre clientèle ?

Déolinda Mota : On vient chez les Tatas en sachant ce qu’on va trouver : quelque chose d’atypique. Nous avons une clientèle urbaine, qui nous ressemble, avec beaucoup de jeunes couples qui s’installent en banlieue. Dans les villes populaires, on ne trouve souvent que des bazars bon marché et des chaînes dans les centres commerciaux. Nous proposons une alternative. Nous sommes éclectiques, uniques, originales. On nous taxe parfois d’être des boutiques de bobos mais cela fait 30 ans que je vis à Montreuil. J’ai juste envie d’évoluer avec mon temps et d’acheter des jolies choses de créateurs. Je suis une commerçante et ne suis pas là pour faire de la philanthropie, mais j’aime l’idée de permettre aux gens de ces villes d’accéder à des objets de créateur sans se ruiner. J’essaye de faire autant que possible du made in France.

Actu-Juridique : Que faisiez-vous avant cela ?

Déolinda Mota : J’ai bossé plus de 20 ans dans la mode et la communication. J’ai été agent d’artistes dans la mode, et mon rôle était déjà de défendre le travail des créateurs. J’ai toujours fréquenté les salons de créateurs par goût personnel. J’ai toujours aimé dénicher des talents. Cette recherche est aujourd’hui mon cœur de métier. Il y a un gros travail de sourcing derrière les boutiques des Tatas. Mon Graal est ce que l’on ne verra pas ailleurs. Des créateurs viennent me voir, et je fais du repérage dans les salons : les incontournables comme le salon Maison&Objets de Villepinte, mais aussi les salons de créateurs organisés par les indépendants. Je me sers aussi beaucoup des réseaux sociaux, très intéressants pour ce travail de sourcing. Ils permettent aux artisans de montrer facilement leur production. Quand celle-ci correspond à notre image, j’approche les créateurs et je les référence dans la boutique. Je fonctionne au coup de cœur. J’ai aussi en boutique des marques plus mainstream, car on ne peut pas vendre que des créateurs. Et des produits étrangers, toujours faits main et artisanaux, que je trouve sur des salons ou en voyageant. Quand je pars en voyage, je reviens toujours avec des idées.

Actu-Juridique : Qu’est-ce qui vous fait flasher ?

Déolinda Mota : Les créateurs qui me plaisent ont un esprit coloré, pop et vintage revisité. J’aime les objets pleins de vie. Je les appelle « les merveilles du quotidien ». J’ai toujours adoré chiner, bien avant que ce soit la mode et que l’on voie du vintage partout. Je fais les puces et les brocantes depuis que j’ai 20 ans. Il y a chez les Tatas un côté Almodovar, pop, sixties, color full qui reflète ma personnalité et celle de la plupart des vendeuses.

Actu-Juridique : Un de vos produits phares est la box de Montreuil…

Déolinda Mota : J’ai tout de suite travaillé avec les artisans et créateurs locaux. En 2015, j’ai créé la box gourmande que j’ai appelée la Montreuil box car elle ne contenait que des produits locaux : du café, du savon, de la bière, du chocolat cru, des biscuits. Elle a évolué en même temps que nos boutiques et est devenue la Box du 93 quand nous avons ouvert aux Lilas et au Pré-Saint-Gervais. Le concept est resté le même. On y trouve en plus, aujourd’hui, des petites choses pour l’apéros, de la confiture de Romainville, des sauces de la Courneuve, du vin vinifié à Montreuil. On la vend très bien à Noël et toute l’année. C’est notre fer de lance, le cadeau idéal local et gourmand. On défend très bien le territoire avec elle.

Actu-Juridique : Comment s’est passée l’arrivée au Pré-Saint-Gervais et aux Lilas ?

Déolinda Mota : J’adore développer ma marque mais je ne cherche pas à le faire à tout prix. J’avais envie de m’implanter dans d’autres villes du 93 parce que je sentais qu’il y avait de la place pour ce genre de boutiques. Le Pré-Saint-Gervais et les Lilas sont des villes plus petites que Montreuil, mais nous y avons trouvé notre clientèle. Dans ces boutiques, je mets en avant des créateurs de ces villes. Cela fait une petite émulation made in 93. Quand on vient me voir pour me proposer un projet, je vais sur place. Je suis actuellement en pourparlers avec Pantin et j’ai visité un local à Saint-Ouen. En revanche, j’ai décliné une proposition à Vitry-sur-Seine (94). C’était une belle adresse, mais ce n’était pas mon territoire.

Actu-Juridique : Comment avez-vous vécu la crise sanitaire ?

Déolinda Mota : Comme toutes les petites structures, nous avons beaucoup souffert du Covid. À Paris, beaucoup de boutiques ont fermé. Nous avons bénéficié de prêts de l’État et de la région qui nous permettent d’être là aujourd’hui mais qu’il va falloir rembourser. Nous avons travaillé en click and collect pendant les confinements, mais c’était assez anecdotique. En revanche, dès la réouverture des portes, les clients nous ont beaucoup soutenues. Ils sont venus acheter, même sans besoin particulier, pour soutenir les Tatas, qui sont une institution dans ces villes. J’ai été très touchée par ce grand élan de solidarité.

Actu-Juridique : Comment avez-vous tissé ce lien avec ces villes ?

Déolinda Mota : Dans les boutiques des Lilas et du Pré-Saint-Gervais, nous mettons notre patte et on est très proche des créateurs. Mais à Montreuil encore plus. Les Tatas sont très présentes dans la ville. On vit Montreuil, on respire Montreuil, on est fans de notre ville. Chaque année, on fait notre « bal des talents », au début du mois de juillet. C’est à la fois notre fête d’anniversaire, et l’occasion de donner une vitrine supplémentaire aux créateurs locaux. Cette année, après deux ans d’interruption pour raisons sanitaires, nous avons fait une super belle fête sous le soleil. Il y avait à l’entrée de la place une photographe montreuilloise qui avait installé un studio de photo dans une voiture taxi anglaise et tirait le portrait de ceux qui le souhaitaient, un groupe de musiciens montreuillois qui chantait et, sous la halle de la place du marché, des dizaines de créateurs de vêtements, d’objets, de bijoux, tous du cru.

Actu-Juridique : Comment voyez-vous la ville changer ?

Déolinda Mota : Quand je me suis installée à Montreuil personne n’allait dans la rue piétonne, encore moins dans la rue de l’Église. Ces rues ont explosé avec les nouveaux arrivants. Les jeunes couples avec bébés et enfants ont dynamisé la ville. Cela a provoqué une flambée des prix de l’immobilier, mais la ville reste roots. Il y a toujours du bordel, un mélange de gens… Aujourd’hui, il y a pléthore de cafés et des boutiques qui ressemblent aux nôtres. J’ai été imitée mais, comme disait Gabrielle Chanel, mieux vaut être copié que copier !

Actu-Juridique : Vous êtes ambassadrice de la marque Made In Seine-Saint-Denis. Pouvez-vous nous présenter ce label ?

Déolinda Mota : C’est un label créé par la région, qui regroupe des artisans, des créateurs, de la mode. Ils m’ont approchée quand j’ai lancé la box gourmande, car en faisant cela je valorise le territoire. Je suis devenue ambassadrice de In Seine-Saint-Denis et j’en suis très fière. Concrètement, cela implique d’aider à promouvoir l’activité locale. Je participe aux salons et manifestations organisés par les départements. J’étais par exemple présente au Salon de l’agriculture, avec les brasseurs locaux qui y participaient. Je suis dans le jury de plusieurs concours. Il y a eu dernièrement un concours de jeunes créateurs pour faire des lampes upcyclées. Nous avons soutenu les lauréats, que nous avons exposés dans nos boutiques, pour leur donner de la visibilité pendant trois mois.

Actu-Juridique : Comment voyez-vous le département ?

Déolinda Mota : C’est un département en ébullition et en changement. Le 93 a longtemps été stigmatisé comme le département où on brûle des voitures. Aujourd’hui, ça bouge. Énormément d’entreprises s’installent en Seine-Saint-Denis. Il y a beaucoup de création et d’artisanat dans le département. Des villes comme Saint-Ouen, Aubervilliers ou Clichy sont en train de se développer. Ce sont des villes en devenir, elles vont sans doute suivre la trajectoire de Montreuil. Montreuil, il y a 20 ans, j’entendais dire que c’était la zone. Aujourd’hui la jeunesse est arrivée et tout le monde trouve ça super.

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