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Entreprise : l’intéressement « est un atout et un moyen d’attirer les talents qualifiés »

Publié le 26/04/2022

89 % des jeunes entreprises franciliennes proposent un mécanisme d’intéressement à leurs salariés. Le recours à ces outils est un objet de compétition pour attirer les salariés qualifiés. Les pratiques du marché n’en restent pas moins complexes pour les néo-entrepreneurs. Pour les aider à s’y retrouver, le cabinet BCTG Avocats et le Réseau Entreprendre Paris viennent de publier un livre blanc. Objectif : déchiffrer l’intérêt des différents mécanismes. Pour Cyprien Dufournier, avocat et counsel chez BCTG Avocats, « le choix d’une option plutôt qu’une autre obéit notamment et le plus souvent à des considérations d’ordre fiscal ».

Actu-Juridique : Dans quel but avez-vous publié ce livre blanc ?

Cyprien Dufournier : Nous avons noué, en février 2021, une convention de mécénat avec le Réseau Entreprendre Paris pour accompagner ses lauréats dans leurs démarches juridiques. Nombreux d’entre eux s’interrogent, dans le but de développer leurs entreprises, sur l’intérêt de mettre en place ou non un mécanisme d’intéressement pour leurs salariés. Les possibilités étant variées et parfois complexes à assimiler, nous avons décidé de publier ce livre blanc en collaboration avec le Réseau. Nous l’avons conçu tel un outil pédagogique qui ne vise, en aucun cas, à distribuer les bons ou les mauvais points, mais seulement à éclairer les lecteurs. Ainsi, nos travaux nous permettent de disposer dorénavant d’une étude de marché des pratiques déployées par une cinquantaine de start-up et PME franciliennes.

AJ : D’après votre sondage, un mécanisme se dégage principalement, « les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE). Pourquoi ? Quels sont les avantages et contraintes des BPSCE ?

Cyprien Dufournier : Comme nous l’indiquions dans le rapport, le choix d’une option plutôt qu’une autre obéit le plus souvent à des considérations liées aux régimes fiscal et social, que ce soit du côté de l’entreprise comme de celui du bénéficiaire.

Concernant les BSPCE, le fait est que les acteurs de l’entreprenariat, entrepreneurs et salariés, sont de plus en plus familiers avec ce mécanisme. Ils sont donc plus enclins à le mettre au sein de leur entreprise pour en faire bénéficier leurs salariés. Son principal atout est la flexibilité qui l’offre et les avantages fiscaux qui y sont liés. Le mécanisme est simple, il consiste à attribuer à ses salariés des bons qui lui permettront d’être exercés en actions, sous certaines conditions de présence et/ou de performance, fixées par les associés ou le président de la société. Sa principale contrainte concerne le champ des entreprises auquel il s’applique, qui est restreint. Notamment, la société désireuse d’attribuer des BSPCE doit être immatriculée depuis moins de 15 ans, doit être détenue par des personnes physiques à 25 % par des personnes physiques (ou des personnes morales si 75 % de leur capital est détenu par des personnes physiques), doit être assujettie à l’impôt sur les sociétés, ou encore ne doit pas être cotée (sauf capitalisation inférieure à 150 M€).

AJ : Les autres mécanismes plébiscités par les jeunes entreprises que vous avez interrogées sont les attributions gratuites d’actions (AGA) et les bons de souscription d’actions (BSA). Pouvez -vous nous les présenter succinctement ?

Cyprien Dufournier : Le dispositif d’AGA, conformément à leur nom, offre la possibilité à une société d’attribuer gratuitement des actions à ses salariés ou ses mandataires, là où l’exercice du BSPCE exige, pour obtenir l’action sous-jacente, le paiement d’un prix. Le cadre juridique est néanmoins assez strict. Ainsi, chaque action attribuée gratuitement ne sera pleinement « disposable » qu’au terme d’une période minimum de deux ans. Aussi, les sociétés ne peuvent pas distribuer plus de 10 % de leur capital sous forme d’AGA, contrairement au BSPCE pour lesquelles il n’existe pas de limites. L’autre avantage des AGA réside dans le fait que ce dispositif pousse réellement en faveur de l’actionnariat salarié, qui est le but premier de tous ces mécanismes. En effet, le bénéficiaire va pouvoir rapidement devenir associé de la société. Pour les BSPCE en revanche, il préférera souvent, si le prix d’exercice est élevé, attendre d’être certain de faire une plus-value à la revente pour exercer son bon pour le revendre dans la foulée, de sorte qu’il n’aura été associé que pour quelques instants.

À propos des BSA, dont le mécanisme est similaire à celui des BSPCE à ceci près que le bénéficiaire n’a pas nécessairement à être salarié ou mandataire, leur étude a été mise de côté en raison des décisions défavorables dont ils font l’objet ces dernières années, mouvement accentué encore l’été dernier par deux décisions du Conseil d’État (CE, 13 juill. 2021, n° 428506 ; CE, 13 juill. 2021, n° 437498). En synthèse, le Conseil d’État, saisi par deux contribuables et l’administration fiscale, a estimé « que les gains tirés de ces dispositifs doivent être imposés comme des « traitements et salaires » et non comme des « plus-values de cession de valeurs mobilières », si les salariés en ont bénéficié en contrepartie des fonctions qu’ils exercent dans l’entreprise ». En réduisant encore l’attractivité du régime fiscal des BSA, ces décisions semblent pousser un peu plus les sociétés qui y sont éligibles vers les dispositifs d’AGA et BSPCE.

AJ : Une partie de votre rapport s’intéresse au « pacte d’associés ». De quoi s’agit-il ?

Cyprien Dufournier : Le pacte d’associés est un contrat conclu entre les associés qui a vocation à régir, en toute confidentialité, en premier lieu leurs relations et les modalités de transfert des actions de la société. Pour les salariés, on prévoit généralement la conclusion d’un pacte « parallèle », destiné à prévoir des droits et obligations propres aux salariés. Ainsi, ce pacte permet aux « associés historiques » de garder une forme de contrôle via des règles précises sur les titres cédés à de nouveaux entrants : inaliénabilité des actions du salarié pendant une certaine période, droit de préemption (les associés principaux peuvent acquérir en priorité les actions que le salarié souhaite vendre), agrément (l’acquéreur des actions du salarié est soumis à l’agrément des autres associés).

Autre particularité du pacte conclu avec le salarié, celle de contenir fréquemment une clause de « claw back » ou « good / bad leaver », permettant aux autres associés (ou certains d’entre eux) d’acquérir tout ou partie des titres du bénéficiaire en cas de cessation des fonctions. L’application de ces clauses est conditionnée par les circonstances de départ du salarié. En clair, le prix d’achat de l’action, si le départ se passe dans de bonnes conditions (good leaver), correspond à la valeur de marché au moment de son exercice. Dans le cas contraire (bad leaver), le prix d’achat des actions fait l’objet d’une décote dégressive à mesure que les années passent. Il faut faire bien attention lors de la rédaction de ces clauses, à éviter que le mécanisme puisse être assimilé à une sanction pécuniaire et, pour cela, l’accompagnement par un conseil juridique est fortement recommandé.

AJ : 89 % des sondés ont mis en place un mécanisme d’intéressement pour leurs salariés. Pourquoi de jeunes entreprises, à la santé financière souvent fragile, font-elles ce choix ?

Cyprien Dufournier : Il est vrai que chez nos clients ces types d’intéressement sont standards, et tout particulièrement depuis 5-6 ans. Pour les sociétés c’est un atout et un moyen finalement d’attirer les talents qualifiés, au-delà du seul argument du salaire. C’est aussi un levier de motivation et de reconnaissance supplémentaire pour de jeunes salariés qui expriment un fort désir d’investissement dans leur travail.

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