Glen Millot : « La culture de l’alerte doit évoluer dans les entreprises » !

Publié le 02/05/2022
Lanceur d'alerte
Papers/AdobeStock

Le 16 février dernier, le Parlement adoptait la loi Waserman sur la protection des lanceurs d’alerte. En transposant une directive européenne du 23 octobre 2019, celle-ci vient renforcer la protection octroyée par la loi dite « Sapin 2 » de 2016. Une avancée pour laquelle se sont battues 36 associations et syndicats réunis par la Maison des lanceurs d’alerte, explique son délégué général, Glen Millot. Rencontre.

Actu-Juridique : Quelle est l’origine de cette loi Waserman, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ?

Glen Millot : Cette loi avait pour raison d’être d’appliquer la directive européenne adoptée en 2019, soit trois ans après la loi Sapin 2. Cette dernière protégeait uniquement le lanceur d’alerte, défini comme une personne ayant personnellement eu connaissance de l’information qu’il divulgue. Cela avait comme conséquence qu’une entreprise pouvait très bien intimider les proches du lanceur d’alerte. Et puis, quand un lanceur d’alerte se fait crever les pneus de sa voiture, cela peut toucher ses proches… La directive européenne avait innové en prenant en compte les proches du lanceur d’alerte, considérés comme « facilitateurs ». Elle considérait que la famille du lanceur d’alerte pouvait recevoir des menaces ou faire l’objet d’intimidations, et devait donc être protégée. Cette directive imposait en outre aux États membres de supprimer l’obligation de passer par le canal interne pour lancer l’alerte. L’argumentaire était évident : il s’agissait de pallier le risque de destruction de preuves et de représailles pour le lanceur d’alerte. La France, comme les autres États membres, devait transposer cette directive avant la fin de l’année 2021. Comme d’autres pays, elle a pris un peu de retard. Mais La loi Waserman va au-delà de la transposition de la directive.

AJ : En quoi cette loi Waserman va-t-elle plus loin que la directive européenne qu’elle transpose ?

Glen Millot : La loi Waserman innove et va plus loi car elle inclut les personnes morales à but non lucratif dans ces facilitateurs. Cela nous semble essentiel. Le lanceur d’alerte est isolé et fragile. Un ami ou un proche peut l’aider, mais pas autant que peut le faire une organisation à but non lucratif, que ce soit en termes de conseil ou de procédure. La directive enjoignait par ailleurs les États à faire preuve de créativité. Elle les exhortait à soutenir financièrement et psychologiquement les lanceurs d’alerte. La loi Waserman a pris une disposition créative dans ce sens : lorsqu’un lanceur d’alerte se fait attaquer via une procédure bâillon – de diffamation ou de dénonciation calomnieuse -, il peut demander au juge qu’une provision en frais de justice soit versée par l’attaquant. S’il est considéré qu’il agissait de bonne foi – ce qui est nécessaire pour qu’il rentre dans la catégorie des lanceurs d’alerte -, il peut garder définitivement la provision versée par l’attaquant, même s’il perd son procès. Cela aide les lanceurs d’alerte, mais uniquement ceux qui sont en procédure. Rien n’est prévu pour quelqu’un qui a été licencié, blacklisté, et ne retrouve pas de travail…

AJ : Vous n’avez pas en revanche obtenu, comme vous le demandiez, de fonds de soutien pour les lanceurs d’alerte…

Glen Millot : Toute la question est de savoir comment alimenter un tel fonds de soutien. On avait imaginé qu’il pourrait être alimenté par les amendes qui arriveraient du fait de la nouvelle loi. Encore faut-il que les amendes soient prononcées et suffisantes. On a imaginé d’autres mécanismes de lignes budgétaires. Par exemple, qu’il soit alimenté par une contribution des assurances, comme pour les fonds d’assurance aux victimes. Nous nous sommes heurtés à l’article 40 de la Constitution, qui empêche les parlementaires de définir le budget. Ils n’ont de ce fait pas pu inclure dans la loi la création d’un fonds de soutien.

AJ : Comment ont pesé les associations ?

Glen Millot : Nous avons travaillé avec le député Sylvain Waserman, à l’origine de cette proposition de loi. Il avait auparavant déjà été à l’origine d’une recommandation du Conseil de l’Europe, qui allait plus loin que la directive. Il avait également des interlocuteurs comme le Medef et la FNSEA et cherchait un compromis. Il ne souhaitait pas que les lanceurs d’alerte puissent être personnes morales. Nous avons également travaillé en aval avec l’ensemble des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, auxquels nous avons soumis des propositions d’amendements. Nous avons également lancé des campagnes d’interpellations des parlementaires, cherchés à sensibiliser l’opinion publique, afin que celle-ci demande que la protection des lanceurs d’alerte soit renforcée. Nous avons publié des communiqués de presse, des analyses. Nous avons eu des retours très positifs. Des groupes parlementaires se sont approprié nos amendements. Nous avons eu des échanges avec le gouvernement dans l’espoir qu’il s’empare de ce besoin de créer un fonds de soutien. Nous n’avons pas obtenu ce que nous attendions sur ce point. Mais nous avons été satisfaits de constater que la directive n’avait pas été transposée a minima, comme nous le craignions. Sylvain Waserman a obtenu un feu vert du gouvernement notamment pour les personnes morales facilitatrices.

AJ : Cette loi Waserman est donc une avancée ?

Glen Millot : C’est en effet une avancée. Nous avons évité un recul sur certains points. Par exemple, la commission du Sénat a voulu retailler la définition du lanceur d’alerte, en enlevant les alertes sur les risques et menaces pour l’intérêt général. Cela aurait eu pour conséquences d’entraver toutes les alertes dans le domaine de la santé et de l’environnement qui ne concernent pas des délits. On a vu par exemple dans l’affaire du Médiator qu’il avait fallu des années avant ce que révélait Irène Frachon ne soit considéré comme un délit. À l’époque, elle n’aurait pas été considérée comme lanceuse d’alerte.

AJ : Les lanceurs d’alerte sont-ils correctement protégés aujourd’hui ?

Glen Millot : À titre personnel, je suis assez critique quand on parle de protection des lanceurs d’alerte. Si on les protégeait, il n’y aurait pas de représailles. Là, les représailles ont lieu et on cherche à réparer. Plutôt qu’une loi de protection, la loi Waserman est pour moi une loi de réparation. Nous avions d’ailleurs proposé que le lanceur d’alerte ait le même statut qu’un salarié protégé. Cela impliquerait d’avoir l’autorisation de l’inspection du travail pour les licencier. Cette proposition n’a pas été retenue. La loi Sapin 2 interdisait les représailles mais n’a pas empêché qu’elles aient lieu et que les lanceurs d’alerte se retrouvent malgré la loi dans des situations qui leur prennent 3 ans de vie, voire plus. La protection arrive a posteriori, quand les dégâts sont faits, et la loi Waserman ne devrait pas changer grand-chose ! La culture de l’alerte doit évoluer dans les entreprises. C’est un pari sur l’avenir …

AJ : Pensez-vous que les entreprises acquièrent une culture de l’alerte ?

Glen Millot : On sent un état d’esprit différent de la part du patronat. Il n’a pas fait obstacle à ce que les personnes morales soient considérées comme facilitatrices. Peut-être que les dirigeants se rendent compte qu’ils ont intérêt à ce que les alertes puissent être données. Je prends souvent l’exemple des lasagnes de cheval de Spanghero. L’opinion se souvient des lasagnes de cheval, mais pas du nom de la marque. Toute la filière a été éclaboussée. Un lanceur d’alerte aurait pu éviter aux autres entreprises du secteur les dégâts d’une perte de réputation. D’autre part, les entreprises craignaient que l’on ouvre une boîte de pandore. À la Maison des lanceurs d’alerte, nous avons reçu 700 demandes d’accompagnement en 2 ans d’existence. Le Défenseur des droits en a reçu quelques centaines : cela représente 1 % des affaires qu’il traite dans le rôle de médiateur de la République. Ce n’est pas le tsunami redouté.

AJ : Qu’attendez-vous maintenant ?

Glen Millot : On ne peut pas se cantonner à la protection. Dans toutes les lois sur l’alerte, le traitement n’a jamais été résolu. Une manière de dissuader les lanceurs d’alerte est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de traitement derrière. Le Défenseur des droits est censé protéger les lanceurs d’alerte et les orienter vers les institutions qui vont traiter l’alerte. Seule la loi Blandin, d’avril 2013, sur la santé publique et l’environnement a envisagé le traitement de l’alerte, et elle a perdu la plupart de ses prérogatives. Les lanceurs d’alerte ne comprennent pas que leurs interlocuteurs ne prennent pas en compte leur signalement. C’est pour cette raison qu’ils finissent souvent par s’adresser aux médias, car leur signalement ne donne rien.

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