La crise sanitaire, facteur d’accélération de la transformation numérique des entreprises
La crise sanitaire a accéléré la transformation numérique des entreprises. Ces dernières ont dû adapter leurs méthodes de travail et, plus généralement, leur fonctionnement. Le recours au télétravail, aux plateformes digitales mais aussi l’organisation à distance des assemblées générales ou encore l’utilisation de l’économie participative à travers la levée de fonds par cryptomonnaie sont devenus des pratiques de plus en plus usuelles dans ce contexte pandémique et sont amenées à se pérenniser.
Mutation numérique de la société. Ce n’est pas une évolution, c’est une révolution. La « troisième révolution industrielle »1, notion utilisée par l’économiste et sociologue Jérémy Rifkin pour démontrer l’essor spectaculaire des nouvelles technologies, a entraîné un profond bouleversement de notre société. Notre économie s’en est trouvée profondément modifiée avec l’émergence de nouveaux modes de production et de consommation dominés par l’outil internet. Aucun secteur d’activité n’y échappe et cela implique l’accélération de la mutation numérique notamment des entreprises.
Mutation numérique des sociétés. Le basculement de l’économie mondiale dans l’ère du numérique change de manière radicale le comportement et le mode de vie tant des particuliers que des entreprises. Comme le relève Pierre-Alain Muret, « l’informatique a d’abord permis l’automatisation de la gestion des dossiers (paye, facturation…) puis la gestion des stocks, la comptabilité, ou la gestion commerciale, avant de prendre en charge le pilotage de processus puis leur réorganisation (reengeneering). Parallèlement, les réseaux intranet ou internet sont devenus l’ossature centrale du système informatique de l’entreprise, notamment dans la relation avec les clients ou avec les fournisseurs »2. Cette réorganisation des entreprises implique une adaptation du système juridique qui a été accélérée par la crise sanitaire et, subséquemment, par leurs besoins en matière de digitalisation. En effet, la pandémie mondiale a contraint le gouvernement à mettre en place de nouvelles règles pour les entreprises, notamment afin de lutter contre les conséquences du confinement. Le télétravail est, par exemple, passé du statut d’exception à la règle3 aux fins de ralentir la propagation du virus. Le législateur a aussi dû prendre en considération la distance imposée aux associés et, ainsi, ajuster les règles de réunion et de délibération des assemblées générales, afin qu’elles puissent avoir lieu sans présence physique.
Au-delà du contexte sanitaire, on peut s’interroger sur les impacts des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) tant au niveau salarial (I) qu’entrepreneurial et actionnarial (II).
I – La transformation de la gestion du temps et de l’espace du travail permise par les nouvelles technologies
Les outils numériques font évoluer les conditions d’exécution de la prestation de travail tant en ce qui concerne le temps de travail (A) que l’espace de travail (B).
A – La réorganisation du temps de travail
Importance de la digitalisation. L’année 2020 a été marquée par de profondes mutations sur de nombreux pans de la société française. Parmi les impacts de la crise sanitaire, dont nous ne mesurons pas encore toute l’amplitude, l’adaptation des entreprises à un mode de fonctionnement « à distance » est sûrement l’un des plus significatifs. Selon une étude INSEE4, parue le 10 décembre 2020, le télétravail a permis à 40 % des sociétés de poursuivre leur activité pendant le premier confinement5. Très encouragé par les pouvoirs publics, ce nouveau mode de fonctionnement a des chances de s’installer de manière pérenne dans les habitudes professionnelles.
Déploiement du télétravail. En effet, le télétravail est apparu comme la solution à la distanciation physique imposée par la pandémie mondiale et il se trouve que celui-ci n’a été rendu possible que par l’existence des outils numériques. D’ailleurs, il est défini comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication »6. La crise sanitaire a été le catalyseur de la digitalisation. En réalité, si nous étions déjà dans l’ère du numérique, la pandémie a accéléré considérablement le recours au « tout digital ». L’évolution technologique, en particulier, l’informatique et internet, a permis le maintien des liens professionnels. La numérisation a facilité l’accès aux ressources professionnelles depuis chez soi et les réunions ont pu continuer à avoir lieu grâce à la visioconférence. En cela, le développement numérique est devenu un objectif pour la majorité des sociétés. Les entreprises ont réalisé l’impérieuse nécessité d’accroître leur organisation digitale.
Horaires de travail. Ce déploiement du télétravail, à l’heure de la pandémie mondiale, doit nous permettre de nous interroger sur la possibilité de réorganisation du travail au sein de l’entreprise, notamment en ce qui concerne le temps de travail. Si le télétravail n’a pas pour conséquence de modifier ni l’amplitude, ni les horaires applicables puisqu’ils sont établis sur des bases comparables à celles d’un travail accompli dans les locaux de l’entreprise, l’avènement des nouvelles technologies invite à repenser cette organisation. La répartition du temps de travail en 35 heures du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures avec 2 heures de pause déjeuner survivra-t-elle en cas de généralisation du télétravail ? On peut en douter au regard des nouveaux modes de vie que celui-ci implique. Faut-il alors, par exemple, permettre davantage de flexibilité des horaires de travail, avec un recours plus fréquent aux conventions de forfait7 sur 1 semaine, 1 mois ou 1 année8 ? Ou ne faut-il pas, de manière plus radicale, passer à un système basé, non sur des jours et des horaires de travail, mais plutôt sur des tâches à accomplir ?
Bien-être salarial et productivité. Le déploiement du télétravail a aussi peut-être permis de trouver une solution au problème de l’épuisement professionnel. Ces dernières années, ce sujet a été au cœur des préoccupations. Cette souffrance au travail se manifeste par différentes conséquences allant du simple stress au point de non-retour, le suicide. Le burn out, c’est-à-dire l’épuisement professionnel dû à une surcharge de travail mais aussi son opposé, le syndrome du bore-out9, autrement dit l’épuisement professionnel faute de tâches à accomplir sont connus sous l’appellation « RPS » ou risques psychosociaux. Quant aux personnes susceptibles d’être responsables de ces troubles, la vague de suicide chez Orange a mis en lumière, à côté du harcèlement individuel, un harcèlement institutionnel. Le tribunal de grande instance de Paris, dans une décision du 13 décembre 2019, a relevé, à propos de cette affaire, que « l’incrimination du harcèlement moral au travail telle qu’en vigueur au moment des faits dont le tribunal est saisi permet, sans violer le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, la répression du harcèlement moral au travail dit institutionnel, fondé sur une politique d’entreprise, visant par essence, une collectivité de personnels »10. Souvent mis en cause11, les outils numériques pourraient pourtant être salvateurs. Ces derniers sont, en effet, accusés d’être un terreau fertile au développement des RPS, à cause de la frontière de plus en plus floue qu’ils créent entre la vie professionnelle et personnelle à cause du flux incessant de courriels et de messages. Or ce danger a justement été pris en compte par la jurisprudence et le législateur qui ont consacré la nécessité d’une « régulation de l’utilisation des outils numériques », autrement dit d’un droit à la déconnexion du salarié12. De plus, les possibilités permises par les nouvelles technologies, en termes notamment de travail à distance, sont à même, au contraire, de permettre de meilleures conditions de travail, un rythme de travail personnalisé, davantage d’autonomie du salarié sur son poste de travail, un meilleur agencement de la vie professionnelle et de la vie privée, moins de relations conflictuelles des salariés entre eux et avec leur hiérarchie. Tout le monde s’accorde à dire que le bien-être des salariés favorise leur engagement, diminue l’absentéisme et le turn-over, renforce la bonne réputation de l’entreprise, permet l’innovation et la créativité et donc permet davantage de productivité. De plus, et au-delà des avantages sociaux et économiques que permet le travail à domicile en période de pandémie, les répercussions se révèlent aussi bénéfiques à d’autres égards, notamment en termes de réaménagement des espaces de travail et du développement des lieux collectifs de travail.
B – La réorganisation des lieux de travail
Repenser le lieu de travail. La conjugaison entre la distanciation sociale et le développement des nouvelles technologies amène à repenser le lieu de travail. Les salariés sont appelés à se rassembler davantage virtuellement que physiquement. Le modèle d’un lieu de travail où tous les salariés se retrouvent toute la semaine dans un même espace se fissure. De plus en plus de salariés aspirent à davantage de flexibilité en pouvant déplacer le lieu où ils exercent physiquement leur activité professionnelle. Le coût du logement et le fort désir post-confinement d’acquisition de maisons dotées d’un espace extérieur ne sont sûrement pas étrangers à cette envie de déplacement du lieu de travail. Les entreprises peuvent y voir aussi une possibilité de diminuer considérablement leur patrimoine immobilier, avec en contrepartie une réduction importante des charges sur ce poste de dépense, ainsi que celles concernant les frais de transport pris en charge par l’employeur pour les déplacements résidence-travail des salariés. Outre ces avantages financiers pour l’employé et l’employeur, le travail à distance a un impact favorable en ce qui concerne les émissions de CO2.
Responsabilité environnementale. La baisse des déplacements, pendant les périodes de confinement, a eu effectivement des effets bénéfiques sur l’environnement. Or le développement durable est devenu une des préoccupations majeures13, ces dernières années, pour les entreprises dans le cadre de leur responsabilité sociale (RSE). La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi PACTE) a ainsi modifié l’article 1833 du Code civil pour indiquer que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La préservation de l’environnement n’est alors plus seulement du ressort des pouvoirs publics puisque les entreprises sont également amenées à adopter un comportement éthique destiné à cette fin14. Le télétravail devient alors un des instruments susceptibles de remplir cet objectif. Serait-il l’« enfant caché de la RSE »15 ? On peut le croire au regard de ses effets bénéfiques : la réduction des trajets, le recours aux commerces de proximité autour du lieu d’habitation, la relocalisation du domicile mais aussi la réorganisation des espaces de travail avec une diminution du domaine foncier des entreprises et de la consommation énergétique associée.
Coworking. La réorganisation de l’espace de travail ne doit pas, cependant, avoir pour conséquence d’isoler les salariés mais de permettre des rencontres physiques plus rares mais plus riches, plus saines. En cela, les « tiers lieux » paraissent répondre à cet objectif et ont le vent en poupe depuis plusieurs années. Traduit de l’anglais « third place », cette notion a été définie par Ray Oldenburg, professeur émérite de sociologie à l’université de Pensacola en Floride et désigne un lieu entre l’habitation et le bureau16. Les tiers lieux correspondent à des espaces partagés et collaboratifs. Ainsi, le coworking permet à des professionnels d’horizons différents de profiter d’une infrastructure commune avec une connexion Wi-Fi, des bureaux, des espaces communs, des salles de conférences ou encore un service de restauration. L’environnement se veut convivial, chaleureux, confortable. Réservés au départ aux travailleurs indépendants et aux startups, les espaces de coworking séduisent, aujourd’hui, de plus en plus toutes sortes d’entreprises, y compris des professions qui, au premier abord, pouvaient se révéler assez sceptiques sur ce type d’endroit partagé pour des raisons notamment de confidentialité17. Il faut également préciser que ces lieux, s’ils sont nés grâce aux outils numériques, sont aussi à même de répondre aux difficultés engendrées par ces derniers18, à savoir l’isolement et l’absence d’interaction. À côté des bureaux de collaboration, il existe des ateliers de collaboration appelés des fab labs.
Fab labs d’entreprise. Qu’est-ce qu’un fab lab ? Un fab lab, littéralement un laboratoire de fabrication, est une plateforme de création numérique en accès libre, permettant la conception et la réalisation d’objets de toutes sortes, notamment grâce à l’utilisation d’imprimantes 3D. Ces ateliers permettent une mutualisation à la fois de compétences et d’outils. Les fab labs s’inscrivent parfaitement dans la transformation numérique de l’économie et représentent des opportunités très intéressantes pour les entreprises. Leur essor est révélateur de l’intérêt suscité par le travail collaboratif, tout comme l’est l’économie collaborative qui, nous allons désormais le voir, a une influence sur le fonctionnement des entreprises.
II – La transformation de la vie des sociétés permise par les nouvelles technologies
Le dispositif exceptionnel, mis en place en raison de la crise sanitaire, a révélé qu’il était possible de faire évoluer le droit des sociétés pour qu’il prenne davantage en considération les progrès de la technologie (A). Il ne s’agit là que d’un premier pas qui pourrait conduire à une évolution notable de cette matière (B).
A – Les impacts du numérique sur la vie des sociétés
Dématérialisation des formalités de constitution. Les nouvelles technologies ont permis de dématérialiser les documents utiles à la formation des sociétés. Ainsi les dépôts des pièces au registre du commerce et des sociétés peuvent s’effectuer par voie électronique19. S’agissant du centre de formalités des entreprises, les demandes d’autorisation peuvent également être adressées par voie électronique20. Cette volonté d’intégration du numérique au stade de la formation des entreprises n’est pas nouvelle puisque, dès 2003, la Commission européenne a exigé la mise en place des registres du commerce et des sociétés électroniques21. Cette exigence s’est traduite par la création des sites internet infogreffe.fr et i-greffes.fr. Le premier permet d’accéder à des informations à jour sur les entreprises (extrait du RCS, privilèges, endettement, gage, statuts, comptes annuels, cessation des paiements, procédures collectives, etc.) tandis que le second permet de réaliser les formalités en ligne et notamment de dématérialiser les échanges entre les avocats et les greffes des tribunaux de commerce22. Cette digitalisation en droit des sociétés est encouragée et souhaitée par la Commission européenne23, ce qui l’a conduite à rédiger une proposition de directive en date du 25 avril 201824 aux fins d’harmonisation au sein de l’Union européenne. À titre d’exemple, l’interconnexion des registres du commerce, qui permet d’identifier les sociétés et leurs succursales dans les États membres, prévue par la directive du 13 juin 201225, n’est pas encore effective dans l’ensemble des États membres26. La simplification des démarches administratives au stade de la formation des entreprises se retrouve aussi au stade de leur fonctionnement et de leur gouvernance dont le processus a été accéléré par la pandémie mondiale.
Assemblées générales à distance. La crise sanitaire, et le confinement qu’elle a imposé, a nécessité une modification des règles de fonctionnement des organes de gouvernance des sociétés. L’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 et son décret d’application du 10 avril 2020 a ainsi autorisé la tenue des assemblées générales à distance27. Le législateur a permis la tenue de l’assemblée hors la présence physique de ses membres. Deux possibilités leur sont offertes : soit ils y assistent par visioconférence ou conférence téléphonique, soit ils y participent mais par le biais de questions écrites, de demandes d’inscription de résolutions ou de votes à distance. Cette dernière possibilité, consistant en une assemblée à huis clos, n’est pas sans conséquences sur le dialogue actionnarial et il ne paraît pas souhaitable de la généraliser28. En revanche, la tenue d’assemblée générale par conférence téléphonique ou audiovisuelle a des chances de s’installer durablement dans le paysage sociétaire.
Vote électronique. Cette dématérialisation du droit des sociétés se retrouve aussi concernant le recours au vote électronique qui suppose que la société ouvre un site internet accessible aux seuls actionnaires29. La voie digitale permet aux associés de voter sans avoir à engager des frais de déplacement et sans avoir à se faire représenter.
Entreprises en difficultés. Au-delà de permettre une simplification de la constitution et du fonctionnement des sociétés, le numérique joue également un rôle important lorsque celles-ci se retrouvent en difficulté, ce qui malheureusement concerne de nombreuses entreprises actuellement. Ainsi les algorithmes sont utilisés pour détecter et prévenir la défaillance des entreprises. L’application Signaux faibles, créée par la Direction générale des entreprises (DGE) en partenariat notamment avec la Banque de France et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), a pour objectif de repérer les entités fragiles. Il est alors proposé à ces entreprises des solutions adaptées à leurs besoins30. Si les algorithmes participent au soutien des entreprises en difficulté, d’autres solutions pourraient aussi être envisagées, comme le recours à la blockchain. De manière plus générale, leur survie les oblige à se réinventer notamment en adoptant des solutions numériques innovantes.
B – Les enjeux du numérique sur la vie des sociétés
Blockchain. Les NTIC, dont l’utilisation a été particulièrement mise en valeur pendant l’année 2020, sont à même de transformer durablement la vie des sociétés. Par conséquent, le droit des sociétés est amené à rapidement composer avec les nouvelles technologies. Il en va ainsi particulièrement de la blockchain31. S’il existe effectivement un sujet qui, depuis quelques années, fait l’objet d’une littérature juridique très abondante, c’est la question de l’utilité de la blockchain dans les différentes branches du droit. En droit des sociétés, ce nouvel instrument est susceptible de faire évoluer cette matière à tous les stades de la vie de la société, de sa naissance jusqu’à sa liquidation. À titre de rappel, la blockchain, ou chaîne de blocs, est un registre de stockage et de transmission d’informations qui permet à son utilisateur de le partager en réseau et d’éviter ainsi de passer par un intermédiaire (l’Administration par exemple). La blockchain serait alors susceptible de permettre de faciliter davantage les formalités de constitution des entreprises, qui, grâce au numérique, ont été déjà allégées comme nous l’avons vu précédemment. Les statuts, ainsi que tous les documents annexes, seraient immédiatement disponibles au sein d’un réseau sécurisé32. De même, la blockchain permettrait de remédier à la tenue à huis clos des assemblées générales qui prive, comme nous l’avons dit, les actionnaires de leur droit de vote33.
Apport en cryptomonnaie. La blockchain permettrait également d’envisager la souscription d’apports en cryptomonnaie, et notamment en bitcoins en tant que monnaie virtuelle de référence34. Si la question est posée, elle engendre une série de difficultés comme celle de la qualification juridique de ce type d’apport ainsi que son évaluation. En effet, comme l’ont soulevé certains auteurs35, l’apport en cryptomonnaie ne peut être ni qualifié d’apport en industrie, ni d’apport en numéraire puisque la seule monnaie ayant cours légal est l’euro36. Seule la qualification d’apport en nature est donc possible puisque celui-ci vise l’apport de tout bien meuble ou immeuble, corporel ou incorporel. La question de l’évaluation de cet apport se pose également puisque la valeur des bitcoins est « volatile »37. Au-delà de cette possibilité d’apport en cryptomonnaie, la blockchain peut être un outil de financement des entreprises grâce à la levée de fonds par l’émission de tokens.
Levée de fond grâce aux tokens. Les tokens sont, depuis la loi PACTE, définis dans le Code monétaire et financier comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien »38. La loi PACTE consacre un régime aux Initial Coin Offerings (ICO)39, qui constituent des méthodes de levée de fonds grâce à l’émission de tokens. L’avantage est d’obtenir rapidement un financement qui ne passe pas par le système classique bancaire. Dans une logique similaire à celle du crowdfunding, ce système correspond à un financement participatif mais via la blockchain40.
Smart contract. Les smart contracts41 sont également susceptibles d’être mobilisés en droit des sociétés. Ces protocoles informatiques, que l’on appelle les contrats intelligents, sont composés d’algorithmes qui entraînent un résultat automatique lorsque certaines conditions sont réunies. Ainsi, les stipulations contractuelles42, le versement automatique des plus-values à la suite de l’exercice de stock-options ou le paiement de dividendes43 seraient mises en œuvre automatiquement.
L’adaptation du droit ? Les outils numériques transforment profondément la vie des sociétés, qui sont amenées à y avoir recours de plus en plus, et on peut même aller jusqu’à dire systématiquement. En effet, leur réactivité, leur compétitivité, les besoins tant de leurs salariés que de leurs associés et plus généralement leur ancrage dans le monde actuel, impliquent de nouvelles stratégies entrepreneuriales. Les professionnels du droit ont un rôle important à jouer en s’adaptant à ces nouveaux modes de fonctionnement des entreprises et en essayant d’anticiper les nombreuses potentialités à venir, afin d’accompagner, du mieux possible, les acteurs économiques dans leur évolution digitale. Quant au législateur, il doit poursuivre, et sûrement accélérer, son mouvement de réforme, pour que le droit positif puisse embrasser les situations nouvelles qui résultent des NTIC et les mutations que la crise sanitaire a entraînées.
Notes de bas de pages
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1.
J. Rifkin, La troisième révolution industrielle, 2012, Les liens qui libèrent.
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2.
P.-A. Muret, « Impacts économiques de la révolution numérique », Revue économique 2006, vol. 57, n° 3, p. 347-375.
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3.
P. Sirinelli et S. Prevost, « Télétravail, saison 1 », Dalloz IP/IT 2020, p. 329.
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4.
INSEE, L’impact de la crise sanitaire sur l’organisation et l’activité des sociétés, étude n° 1830, déc. 2020.
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5.
Not. v. B. Géniaut, « Covid-19 et télétravail », Dr. soc. 2020, p. 607 ; D. Castel, « Conditions de travail. Télétravail : une obligation... facultative », Juris tourisme 2020, n° 236, p. 9 ; B. Sourbès et A. Probst, « Controverse : Faut-il une “autre” réforme du télétravail ? », RDT 2020, p. 514 ; H. Guyot, « Nouvel ANI relatif au télétravail : quelles opportunités ? », JCP S 2020, 311 ; J.-M. Mir et J.-B. Cottin, « Télétravail. 2020 : année 0 », JCP G 2020, doctr. 1473.
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6.
C. trav., art. L. 1222-9.
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7.
V. M. Morand, « Clarification et sécurisation des conventions de forfait », JCP S 2016, 1295.
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8.
C. trav., art. L. 3121-53.
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9.
Sur cette notion, v. not. S. Vernac, « La notion de bore out au travail », D. 2020, p. 1832.
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10.
TGI Paris, 31e ch., 2e sect., 13 déc.2019, n° 9535790257.
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11.
Not. v. M. Gollac, Les métiers face aux technologies de l'information, étude, avr. 2003, La Documentation française ; F. Rosa, « Le périmètre de la vie personnelle du salarié à l'épreuve des nouvelles technologies », Juris tourisme 2020, n° 228, p. 17.
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12.
Not. v. G. Loiseau, « La déconnexion », Dr. soc. 2017, p. 463 ; C. Willmann, « La déconnexion des salariés, un droit “mou” aux forts enjeux », Dalloz IP/IT 2019, p. 684.
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13.
Par exemple, voir la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 qui a intégré la Chartre de l’environnement au bloc de constitutionnalité.
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14.
V. M. Hautereau-Boutonnet, « Face à la crise écologique, quel rôle pour le droit privé ? », Revues des Juristes de Sciences Po janv. 2020, n° 18, janv. 2020, 11 : « En imposant à certaines entreprises des obligations environnementales incitatives ou prescriptives de planification et incidemment de contractualisation, le législateur fait entrer la prévention des atteintes à l'environnement dans les relations entre personnes privées. C'est alors dorénavant sous le contrôle et la pression, non plus seulement de l'État, mais aussi des “parties prenantes”, actionnaires, ONG ou investisseurs, que les entreprises sont appelées à adopter un comportement davantage respectueux de l'environnement ».
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15.
Rép. trav. Dalloz, v° Responsabilité sociale des entreprises, 2017, n° 63, note R. de Quenaudon.
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16.
R. Oldenburg, The Great Good Place, 1989, Da Capo Press.
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17.
V. « Un avocat n'a pas besoin d'un bureau à temps plein. Les nouvelles technologies permettent de mutualiser les moyens. 3 questions à Arnaud Lizop, fondateur et président d’Avocap 2.2 », JCP G 2016, 449.
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18.
L. Pignot et J.-P. Saez, « Tiers-lieux, un modèle à suivre ? », L'Observatoire 2018/2, n° 52, p. 7-8 : « Le tiers-lieu (…) s’est construit à la fois en réaction aux effets de la technologie et en réponse à celle-ci ».
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19.
C. com., art. R. 123-77.
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20.
C. com., art. R. 123-8.
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21.
PE et Cons. CE, dir. n° 2003/58/CE, 15 juill. 2003, modifiant la directive 68/151/CEE du Conseil en ce qui concerne les obligations de publicité de certaines formes de sociétés.
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22.
G. Chiron, « Le droit des sociétés à l'ère des nouvelles technologies ? », JCP E 2012, 1756.
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23.
B. Lecourt, « Publication prochaine de deux propositions de directive sur la mobilité des sociétés et la digitalisation, Rev. sociétés 2018, p. 337.
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24.
PE et Cons. UE, prop. dir. modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne l’utilisation d’outils et de processus numériques en droit des sociétés du 25 avril 2018.
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25.
PE et Cons. UE, dir. n° 2012/17/UE, 13 juin 2012, modifiant la directive 89/666/CEE du Conseil et les directives 2005/56/CE et 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l'interconnexion des registres centraux, du commerce et des sociétés.
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26.
A. Lecourt, « Droit des sociétés et numérique », Répertoire IP/IT et Communication nov. 2020.
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27.
Article 11 modifié par l’ordonnance n° 2020-1497 du 2 décembre 2020 portant prorogation et modification de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de Covid-19 : « La présente ordonnance est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 1er avril 2021, sauf prorogation de tout ou partie de ses dispositions jusqu'à une date fixée par décret en Conseil d'État et qui ne peut être postérieure au 31 juillet 2021 ».
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28.
Not. v. T. Bonneau, « L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 suspend-il temporairement les droits attachés à la qualité d'actionnaire ? », JCP E 2020, act. 674 ; A. Couret, J.-J. Daigre et C. Barillon, « Les assemblées et les conseils dans la crise », D. 2020, p. 723 ; O. de Bailliencourt, « La prolongation de l'ordonnance AG : une prolongation de l'atteinte à la démocratie actionnariale pour la prochaine saison des assemblées générales de sociétés cotées ? », Dr. sociétés 2021, comm. 8 ; N. Dupouy et A.-F. Zattara-Gros, « Numérique et gouvernance des sociétés », JCP N 2020, n° 52, 1273 ; B. François, « Tenue des assemblées générale à “huis clos” : analyse par l’AMF et le HCGE », Rev. sociétés 2021, p. 66.
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29.
V. C. com., art. R. 225-61 pour la SA et C. com., art. R. 223-20-1, al. 2, pour la SARL.
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30.
Not. v. M. Laroche, « Digital et procédure collective : imagination et raison », D. 2019, p. 657 ; F. Macorig-Venier, « Détection des difficultés des entreprises : un nouvel outil et une meilleure circulation de l'information, mais des interrogations », RTD com. 2019, p. 975.
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31.
Not. v. M. Mekki, « Les mystères de la blockchain », D. 2017, p. 2160.
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32.
V. X. Vamparys, « Blockchain et droit des sociétés. Quelques réflexions d'un praticien », JCP E 2018, 1200 ; Cabinet d'avocats Simmons & Simmons LLP, « Le droit et la technologie blockchain : une approche sectorielle », Contrats, conc. consom. 2017, étude 10.
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33.
V. B. François, « Tenue des assemblées générale à “huis clos” : analyse par l’AMF et le HCGE », Rev. sociétés 2021, p. 66.
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34.
M. Roussille, « Le bitcoin : objet juridique non identifié », Banque et droit 2015, n° 159.
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35.
V. X. Vamparys, « Blockchain et droit des sociétés. Quelques réflexions d'un praticien », JCP E 2018, 1200.
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36.
C. mon. fin., art. L. 111-1.
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37.
V. S. Yablonsky, « La révolution technologique du Bitcoin et des ICO : un casse-tête pour les commissaires aux comptes », LPA 31 janv. 2018, n° 133m6, p. 4.
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38.
C. mon. fin., art. L. 552-2.
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39.
C. mon. fin., art. L. 552-3.
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40.
B. François, « Les nouveaux modes de sollicitation des investisseurs », Rev. sociétés 2019, p. 630 : « Ce financement présente d'incontestables avantages. À l'instar du financement participatif, il s'adresse à de nombreux investisseurs, en particulier internationaux, par le biais de plateformes Internet, accessibles 24h sur 24h. Son coût est peu élevé, sa réalisation facile et le calendrier resserré. En outre, il n'y a pas de dilution du capital. Au demeurant, la modernité de ce mode de financement fait partie du marketing de la levée de fonds ; elle est d'ailleurs souvent cohérente avec l'innovation du projet porté par l'émetteur. Les risques sont néanmoins nombreux, notamment ceux associés au projet financé - qui en est presque toujours à un stade précoce de son développement -, voire des risques d'escroquerie ou de blanchiment ».
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41.
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M. Mekki, « Le contrat, objet des smart contracts », Dalloz IP/IT 2018, p. 409.