Seine-Saint-Denis (93)

« L’entrepreneuriat se développe de plus en plus en Seine-Saint-Denis »

Publié le 09/03/2023

L’Association pour le droit à l’initiative économie (Adie) a organisé du 30 janvier au 3 février 2023 plus d’une cinquantaine d’événements en Île-de-France sur l’entrepreneuriat dans le cadre de « La semaine pour créer sa boîte ». Près de 550 personnes ont participé à ces rendez-vous afin d’être sensibilisées aux solutions pour entreprendre. Valoriser l’entrepreneuriat comme un choix professionnel accessible à tous, c’est la raison d’être de l’Adie. Cette association existe depuis 35 ans. Elle accompagne les personnes qui ont la volonté d’entreprendre et qui se heurtent à des freins. Près de 2 000 personnes, salariés et bénévoles, font vivre l’association partout en France. En Île-de-France, il y 90 agences ou points d’accueil et une équipe de 350 personnes. En 2022, dans la région francilienne, 4 500 personnes ont été accompagnées financièrement dans leur initiative entrepreneuriale. Grégoire Héaulme, directeur de l’Adie Île-de-France, livre des explications sur l’évolution historique de l’entrepreneuriat en France et sur le doublement de son activité en région parisienne depuis 2018. Rencontre.

Actu-Juridique : De quelles manières accompagnez-vous les futurs entrepreneurs ?

Grégoire Héaulme : D’abord, nous soutenons financièrement les entrepreneurs. Nous leur proposons des microcrédits avec un montant maximum de 12 000 euros. Nous appliquons un taux d’intérêt de 9,75 %, sur une moyenne de 30 mois. En plus du crédit, nous proposons, toute une palette de services d’accompagnement gratuits sous forme individuelle ou collective. Ils peuvent être mobilisés à tout moment durant le parcours de l’entrepreneur, autant pour la personne en phase de finalisation de son projet d’entreprise que pour celui qui a besoin d’affiner un prévisionnel d’activité ou sa démarche commerciale. Nous allons également vérifier la conformité d’un point de vue administratif ou juridique au moment du lancement de la société. Puis, nous accompagnons aussi dans la durée. L’important pour nous ce n’est pas uniquement la création de l’entreprise, c’est aussi son développement. Dans ce cadre-là, nous avons toute une gamme de services pour aider le dirigeant. Il y a du coaching individualisé, des sessions de formation sur le développement commercial ou l’utilisation du digital, par exemple. Nous proposons aussi des rendez-vous d’expertises avec un avocat ou un expert-comptable. Nous avons une véritable approche sur-mesure et à la carte. D’après notre étude d’impact réalisée en début d’année 2021, 81 % des entreprises créées avec notre soutien sont toujours en activité au bout de trois ans.

Actu-Juridique : Quelle est la situation aujourd’hui de l’entrepreneuriat en Île-de-France ?

Grégoire Héaulme : L’entrepreneuriat se développe de plus en plus sur ces dernières années. En 2022, plus d’un million d’entreprises ont été créées en France. C’est une nouvelle année record après l’année 2021, 2020 et 2019. Malgré les crises successives, l’entrepreneuriat a poursuivi son développement. En Île-de-France, sur les chiffres confirmés au 30 septembre 2022, il y avait 210 500 entreprises créées. Sur l’année 2022, nous devrions atteindre les 280 000. Sachant qu’en 2021, nous étions à un peu plus de 275 000 nouvelles entreprises. Dans ces données, la microentreprise représente une part assez importante, plus de 60 % des créations. La dynamique est donc très nette. Au niveau de l’Adie, nous avons financé 4 500 entreprises en 2022, soit une hausse de 20 % par rapport à 2021. Depuis 2018, nous avons doublé notre activité en Île-de-France.

Actu-Juridique : Comment expliquez-vous cette évolution importante sur le territoire francilien ?

Grégoire Héaulme : Deux facteurs permettent d’expliquer cette tendance. D’abord, nous accompagnons cette tendance à l’entrepreneuriat en redoublant nos efforts à notre niveau pour proposer nos services au maximum de personnes possibles. Dans notre mission, plus nous accompagnons, plus nous accomplissons notre mission d’utilité sociale. Nous essayons de progresser dans notre efficacité avec des outils et des process plus performants. Puis, nous sommes surtout plus actifs sur le terrain dans le cadre de nos actions. Les conseillers de l’Adie vont sur les territoires au plus près des habitants notamment dans les quartiers pour les sensibiliser à l’entrepreneuriat. L’idée étant toujours de montrer que cette voie est possible avec la réussite au bout. Dans ce cadre-là, nous travaillons avec une multitude de partenaires institutionnels ou associatifs. Ce sont des relais dans les territoires. Par exemple, à Villeneuve-Saint-Georges dans le Val-de-Marne (94), nous collaborons avec l’association Arc-En-Ciel pour organiser, chaque mois, des cafés à destination des femmes créatrices d’entreprise. Il y a aussi Actives à Corbeil-Essonnes (91), avec qui nous organisons des ateliers pour les femmes. Prochainement, il y aura aussi des ateliers thématiques.

Actu-Juridique : Quels sont les facteurs qui poussent les personnes à se lancer de plus en plus dans l’entrepreneuriat ?

Grégoire Héaulme : Il y a plusieurs éléments explicatifs. D’ailleurs à ce propos, notre étude sur la reconversion que nous avons présentée le 25 janvier 2023 est assez instructive. L’entrepreneuriat a été amplifié de manière importante avec la crise sanitaire de 2020. Nous l’avons observé de manière concrète. Dès l’été 2020, nous avons reçu beaucoup plus de personnes au sein de nos agences. De plus en plus de gens ont eu envie de revisiter le sens de l’engagement professionnel. D’après notre étude, six Français sur dix sont concernés par la reconversion. Parmi eux, deux sur dix ont déjà opéré une reconversion et quatre sur dix ont l’intention de se reconvertir. Il y a plusieurs motivations à cela. D’abord, la volonté d’améliorer ses conditions de vie au niveau financier. Ensuite, 38 % souhaitent donner plus de sens à leur activité professionnelle. Concrètement, il y a la volonté de se sentir utile, de vivre d’une passion ou d’être son propre patron pour pouvoir s’organiser de manière indépendante. D’ailleurs, un tiers d’entre eux font leur reconversion pour se lancer dans un projet entrepreneurial. Chez les moins de 30 ans, cette tendance est encore plus prononcée, puisque 44 % d’entre eux se voient se reconvertir comme entrepreneur.

Actu-Juridique : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Grégoire Héaulme : Je pense à Aïssata, qui a fait des études avec un BTS en vente. Elle a travaillé pendant plusieurs années dans plusieurs enseignes de la grande distribution. Au bout d’un moment, elle n’était plus motivée dans son activité. Depuis son enfance, elle avait une passion pour la cuisine. Elle a choisi de quitter son emploi de vendeuse, pour développer sa propre activité dans le domaine de la restauration. Elle a commencé sur les marchés en testant différentes recettes. Nous l’avons accompagnée dans ses démarches, ce qui lui a permis d’investir. Aujourd’hui, elle a un restaurant dans Paris avec une vingtaine de couverts et elle emploie deux personnes. Elle continue d’avoir des projets puisqu’elle est en train de travailler pour répondre à des marchés en lien avec les Jeux Olympiques de Paris 2024.

Actu-Juridique : Au niveau des territoires, y a-t-il des départements plus dynamiques que d’autres dans votre activité ?

Grégoire Héaulme : Au niveau de l’Adie Île-de-France, les 20 % de croissance sont assez homogènes sur l’ensemble de la région. En revanche, nous avons une activité nettement plus marquée en Seine-Saint-Denis (93). Nous constatons un développement plus rapide dans ce département. C’est lié à la situation sociale de la population. Nous retrouvons plusieurs problématiques comme le chômage, la pauvreté, etc. Puis, il y a beaucoup d’habitants. Avec l’Adie, nous leur apportons des solutions concrètes. Les personnes qui vivent dans ces quartiers et qui ont un projet d’entreprise n’ont pas accès facilement à un financement bancaire. Leur situation personnelle est jugée trop fragile par les banques. Elles considèrent que c’est risqué.

Actu-Juridique : Par conséquent, votre action est de plus en plus importante dans les quartiers prioritaires de politique de la ville, comme en Seine-Saint-Denis ?

Grégoire Héaulme : Exactement, en 2022, 35 % des personnes que nous avons financés étaient issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il y a un véritable dynamisme autour de l’entrepreneuriat dans les quartiers. Nous constatons une créativité et une débrouillardise à la fois subie et voulue de la part des personnes vivant dans ces territoires. Ils vont être amenés à trouver des solutions face aux difficultés vécues pour s’en sortir. Le bouillonnement d’initiatives et d’idées est donc très fort. Beaucoup de jeunes décident d’entreprendre. En 2022, 36 % des projets soutenus été portés par des personnes de moins de 30 ans, issues des quartiers. Dans ces zones, notre rôle est d’autant plus utile avec des situations d’exclusion plus importantes. Nous faisons donc plus d’effort dans les quartiers pour rendre nos solutions accessibles. Sur les projets des entrepreneurs issus des quartiers, c’est assez varié. Il y a une majorité d’activités commerciales. C’est un tiers des sociétés financées. Progressivement, les services à la personne se développent à hauteur de 28 % des projets accompagnés. En revanche, le transport de personnes et de colis a diminué l’année dernière, après avoir connu un boom important depuis 2017 à travers l’activité VTC.

Actu-Juridique : Vous avez un exemple d’un projet entrepreneurial issu d’un quartier prioritaire de la politique de la ville en Seine-Saint-Denis ?

Grégoire Héaulme : Au sein de l’agence de Clichy Montfermeil, j’ai croisé deux jeunes de 28 et 31 ans qui voulaient s’associer pour créer une entreprise de BTP. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une reconversion. L’un des deux était éducateur social de jeunes enfants pendant quelques années. L’autre exerçait déjà dans le BTP en tant que salarié. Ils sont donc venus au sein de l’agence de l’Adie pour bénéficier d’aide dans leurs démarches avec un besoin de financement pour acheter du matériel et un utilitaire.

Actu-Juridique : Quels conseils pouvez-vous donner à une personne qui hésite à se lancer pour entreprendre ?

Grégoire Héaulme : D’abord, cette personne doit se lancer et foncer mais pas la tête baissée. Elle doit penser à se faire accompagner. Il existe de nombreuses structures et associations d’accompagnement à l’entrepreneuriat. Chacun a ses spécificités pour permettre à ceux qui souhaitent entreprendre de le faire dans les meilleures conditions possibles en sécurisant leur démarche et leur parcours. Il faut donc se lancer mais pas seul. Il faut s’entourer le plus possible. Ensuite, sur le fond, il faut bien préciser son idée d’entreprise et son activité. Concrètement, c’est nécessaire de définir les services ou les produits qui vont être proposés et de déterminer la clientèle. Ensuite, la réflexion sur l’aspect organisationnel peut commencer à propos des fournisseurs et des potentiels partenaires. Pour résumer, il faut faire un business plan. Mais je n’aime pas beaucoup ce terme car cela peut être un frein pour de nombreuses personnes. L’idée est vraiment de déterminer le fonctionnement de l’entreprise sans passer forcément par un gros dossier et des tableaux chiffrés.

Plan
X