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Les notaires s’engagent pour une meilleure protection du logement

Publié le 16/10/2023
Les notaires s’engagent pour une meilleure protection du logement
Damian Sobczyk/AdobeStock

Le 119e Congrès des notaires de France a formulé des propositions pour pérenniser le logement, et notamment renforcer la protection du logement du dirigeant d’entreprise, actuellement moins bien loti que l’entrepreneur individuel, et pour restaurer la protection légale du logement pendant le mariage et en cas de divorce.

Réunis en congrès à Deauville du 27 au 29 septembre 2023, les notaires de France ont travaillé sur le thème du logement. La troisième commission, animée par Emmanuelle Courchelle, notaire à Saint-André-Lez-Lille (59), Agnès Maurin, notaire à Gignac (34) et Vincent Morati, notaire à Annecy (74), s’est penchée sur les réformes à opérer pour pérenniser le logement. Parmi leurs propositions, celle de renforcer la protection du logement face aux accidents familiaux et aux risques professionnels.

Protection du logement de l’entrepreneur

La première proposition de la troisième commission concerne la protection du logement de l’entrepreneur face au risque professionnel. Elle vise à étendre aux dirigeants de sociétés le bénéfice de l’insaisissabilité automatique de la résidence principale, par la modification de l’article L. 526-1 du Code de commerce, alinéa 1.

Les notaires constatent qu’au cours de l’année 2022, 1 071 900 entreprises ont été créées en France, dont :

– 656 400 sous forme d’entrepreneurs individuels sous le régime de la micro-entreprise,

– 122 100 entrepreneurs individuels hors micro-entrepreneurs,

– 293 400 sous forme sociétaire.

Un quart des créateurs d’entreprises optent donc pour la forme sociétaire ab initio. Parallèlement, on assiste à 346 000 radiations d’entreprises, 42 500 ouvertures de procédures judiciaires, soit une hausse de près de 50 % par rapport à 2021.

La situation optimale de l’entrepreneur individuel

En la matière, l’entrepreneur individuel est le mieux loti des chefs d’entreprise. En effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (JORF n° 0038 du 15 février 2022) a institué une scission automatique des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel. Il en ressort que son logement, qui relève de son patrimoine personnel, bénéficie d’une protection automatique face aux actions des créanciers professionnels, et ce, même en cas de confusion des patrimoines ou de renonciation à la scission des patrimoines. Sa résidence principale reste insaisissable.

Au contraire, le logement du dirigeant de société ne bénéficie pas de ces protections. Il ne peut compter que sur l’écran de la personne morale pour mettre à l’abri ses biens personnels. Cette protection ne fonctionne pas en cas de responsabilité pénale (faute détachable à l’égard des tiers de sa fonction de dirigeant), responsabilité fiscale, faute de gestion et en cas d’insuffisance d’actifs. Surtout, il ne bénéficie d’aucune protection lorsqu’il se porte caution des dettes de sa société. Finalement, « le logement du dirigeant de société est paradoxalement nettement plus exposé aux poursuites des créanciers professionnels que celui de l’entrepreneur individuel », regrettent les notaires qui veulent mettre fin à cette inégalité de traitement entre les entrepreneurs selon qu’ils ont opté pour la forme sociétaire ou non. Pour eux, « l’insaisissabilité doit procéder de la nature du bien protégé : le logement, et non du mode d’exercice de l’activité ». Enfin, « le logement, valeur refuge de la famille, devrait être considéré comme un droit absolu ».

Étendre le bénéfice de l’insaisissabilité automatique de la résidence principale

C’est pourquoi les notaires proposent d’étendre le bénéfice de l’insaisissabilité automatique de la résidence principale de l’entrepreneur individuel au dirigeant de société en modifiant l’article L. 526-1 du Code de commerce. Ils proposent de réserver cette extension aux seuls dirigeants de droit, dont le nom figure sur l’extrait Kbis de la société, à l’exclusion des dirigeants de fait et des mandataires, et à la résidence principale, à l’exclusion des autres biens immobiliers, afin de ne pas bloquer l’accès au crédit, outil indispensable de l’activité économique, pour défaut de garantie.

Lorsque la résidence principale est à usage mixte, « une vente d’une partie de la résidence principale est illusoire, l’état descriptif de division est dans ce cas nécessaire, considèrent-ils. Il faut donc ouvrir l’insaisissabilité à la résidence principale à usage mixte ». Les notaires veulent s’approcher du « patrimoine de dignité. La protection doit être un droit absolu. Elle provient de la fonction même du logement ».

Protéger le logement des accidents familiaux

Autre souci de protection : celle du logement face au risque divorce. Les notaires proposent de retoucher le mécanisme légal de protection de l’article 215, alinéa 3 du Code civil, dont l’application par la jurisprudence s’est éloignée de l’esprit du texte.

Puisque la fonction particulière du logement explique que des lois de police en protègent la pérennité, ces lois conduisent, dans le cadre du mariage, à le soumettre à une cogestion, indépendamment du droit de propriété (article 215 du Code civil, alinéa 3). Cette règle de cogestion est un effet direct du mariage. Elle vise la préservation du lieu de vie choisi d’un commun accord. Pourtant, les notaires relèvent que « la jurisprudence en fait une application paradoxale. D’une part, elle exige parfois cette cogestion pour des actes qui ne sont pas des actes de disposition et y soustrait au contraire des actes qui sont pourtant des actes de disposition. D’autre part, elle apparaît tantôt très souple, notamment en présence d’un couple partageant une pleine vie commune (par exemple, pas de cogestion pour donner la nue-propriété du logement, même sans usufruit successif en faveur du conjoint du donateur), tantôt très sévère (cogestion rigoureuse même en cas de rupture consommée de la vie commune et d’autorisation à résider séparément). »

Par exemple, la détention à travers une société civile revient à écarter le mécanisme protecteur de l’article 215 du Code civil, alinéa 3. Ainsi, en cas de mésentente entre époux, la situation peut être durablement bloquée puisqu’il faudra la majorité pour prendre une décision de disposition du bien. Une situation qui donne libre cours au chantage.

De plus, il existe certaines zones d’ombre faute d’intention du législateur ou de jurisprudence notamment sur le sujet de la renonciation à l’insaisissabilité de la résidence principale. On ne peut que regretter « une imprévisibilité peu compatible avec une règle de police, une exploitation parfois dévoyée de la finalité du texte et un alourdissement du contentieux lié à l’application d’un texte pourtant concis ».

Des retouches sont donc nécessaires.

L’équipe du 119e Congrès des notaires de France propose ainsi de confirmer que l’article 215 du Code civil, alinéa 3, s’applique à tout acte disposant du logement en cours d’union, qu’il produise des effets immédiats ou posthumes. Il tient également à enrichir les dispositions relatives aux mesures provisoires en cas d’instance en divorce, afin de tenir compte de la réforme de la procédure contentieuse, pour permettre indubitablement la constatation ou la détermination par le juge de la localisation du logement familial, protégé(s) par les dispositions de l’article 215, alinéa 3.

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