Pierre-Jean Gaudel : « La dimension d’impact d’une entreprise contribue à augmenter sa valeur »

Publié le 24/05/2024

Donner un sens à son business au-delà du profit financier ! C’est la logique de la dimension d’impact dans l’économie et la finance. Les entreprises peuvent s’engager dans une démarche vertueuse au niveau social ou environnemental. Si la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’est démocratisée, ce n’est pas encore le cas pour la dimension d’impact d’une entreprise qui se distingue notamment de la RSE. Dans ce contexte, l’Institut de la finance durable a réalisé une série d’auditions auprès de 15 sociétés dont deux entreprises cotées et une organisation non gouvernementale, donnant lieu à la publication d’une étude qualitative intitulée : « Prise en compte par les entreprises de la dimension d’impact et le rôle des financeurs ». Alors qu’est-ce qu’une démarche à impact ? Comment les entreprises perçoivent et se saisissent de cette dimension ? Qu’est-ce qui différencie l’impact des pratiques ou des reconnaissances déjà existantes dans le domaine de l’activité sociale et environnementale des sociétés ? Copilote du groupe de travail de l’Institut de la finance durable et fondateur du cabinet Colibri Advisory spécialisé dans l’accompagnement des entreprises écoresponsables, Pierre-Jean Gaudel décrypte la démarche à impact qui se développe progressivement. Entretien.

Actu-Juridique : Quelles sont les caractéristiques d’une démarche à impact pour une entreprise ?

Pierre-Jean Gaudel : Une entreprise s’inscrivant dans une telle démarche vise à créer un impact positif mesurable sur la société et/ou l’environnement, en plus de générer du profit. Elle se caractérise par plusieurs critères. D’abord, il y a l’intentionnalité de l’entreprise de s’engager dans cette démarche et de l’inscrire au cœur de sa stratégie et de ses opérations. Ensuite, la société doit définir, mesurer et suivre de manière rigoureuse les impacts. C’est la mesurabilité. L’entreprise doit aussi faire preuve de transparence en communiquant ouvertement ses engagements et ses progrès. Elle doit également promouvoir sa démarche auprès de ses parties prenantes pour maximiser les impacts définis à travers la collaboration. Enfin, l’innovation est aussi au cœur des solutions développées par l’entreprise pour répondre aux défis sociaux et environnementaux. Par exemple, une société de cosmétiques utilisera des ingrédients biologiques et s’engagera à la reforestation ou encore une entreprise de recyclage d’ordinateurs créera des emplois pour des personnes en situation de handicap.

AJ : Quelles sont les distinctions entre l’impact, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), le label Investissement socialement responsable (ISR) et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ?

Pierre-Jean Gaudel : La diversité des concepts tels que la RSE, l’ISR, l’ESG et l’impact peut rendre leur compréhension complexe. La RSE, centrée sur le développement durable, intègre les préoccupations sociales et environnementales dans les activités commerciales des entreprises, visant une performance globale. L’ISR, appliqué à l’investissement, sélectionne les entreprises selon leurs pratiques environnementales, sociales et de gouvernance tout en visant la performance économique. Les critères ESG, piliers de l’analyse extra-financière, couvrent l’environnement, le social et la gouvernance dans les entreprises. L’impact, dimension émergente, enrichit le domaine de la durabilité en visant à accélérer la transformation durable de l’économie réelle tout en apportant des preuves de ses effets bénéfiques.

Contrairement à l’ISR, l’impact se concentre sur la recherche de résultats tangibles et mesurables, s’appuyant sur une intentionnalité à générer des bénéfices sociaux et environnementaux. La notion d’impact étend la responsabilité des entreprises envers leur environnement social et naturel, les incitant à définir des enjeux prioritaires, des objectifs mesurables et des indicateurs pertinents pour évaluer leur contribution à la société. Cette diversité de concepts reflète une évolution vers des pratiques économiques plus responsables et transparentes, nécessitant une compréhension approfondie et une coopération entre les entreprises, les investisseurs et les parties prenantes pour promouvoir un développement durable.

AJ : Quels sont les outils financiers spécifiques et mobilisables pour développer une démarche à impact ?

Pierre-Jean Gaudel : Le développement d’une démarche à impact peut être soutenu par divers outils financiers spécifiques. D’abord, les investissements d’impact visent à générer un retour financier tout en ayant un impact social ou environnemental positif mesurable. Ils peuvent prendre la forme d’investissements en capital, en dette, ou sous d’autres formes financières. Ensuite, les dettes vertes ou sociales, souvent obligataires, sont émises par des entités publiques ou privées pour financer des projets à fort impact environnemental ou social. Le taux d’intérêt sera inférieur à celui du marché si les objectifs environnementaux ou sociaux préétablis sont atteints. Les plateformes de financement participatif (crowdfunding) peuvent aussi être utilisées pour mobiliser des fonds auprès d’un large public pour des projets à impact. Cela peut inclure le financement de start-up sociales, de projets communautaires ou des initiatives environnementales. Enfin, dernier exemple d’instrument financier assez innovant avec le contrat à impact. Grâce à cet outil, des investisseurs fournissent un financement à des organisations ou des entreprises pour mettre en œuvre des interventions visant à résoudre un problème défini. Le remboursement de l’investissement et le rendement sont conditionnés à la réalisation d’objectifs sociaux ou environnementaux prédéfinis et mesurables.

AJ : Comment les entreprises perçoivent-elles les bénéfices et les inconvénients d’une démarche à impact ?

Pierre-Jean Gaudel : Les entreprises engagées dans une démarche à impact peuvent en tirer plusieurs avantages. Elles peuvent en premier lieu améliorer leur image de marque et leur réputation grâce aux impacts vertueux qu’elles apportent dans leur démarche. C’est aussi une source d’attractivité et de fidélisation des clients et des talents déjà présents dans la société ou qui pourraient devenir des futurs collaborateurs. La démarche à impact permet aussi de renforcer la cohésion interne et la motivation des employés qui se sentent investis d’une mission qui dépasse l’aspect matériel. Enfin, c’est aussi un vecteur d’innovation qui peut permettre d’acquérir de nouveaux marchés et des opportunités de croissance.

Cependant, ces avantages peuvent être contrebalancés par des inconvénients susceptibles de ralentir les entreprises tentées par une démarche à impact. Cet engagement peut être perçu par les chefs d’entreprise comme un coût en termes de temps, de ressources et de compétences. L’aspect parfois abstrait de l’impact peut aussi induire des difficultés à mesurer ses effets et à trouver des indicateurs. Il y a aussi la crainte d’être accusé d’écoblanchiment (« greenwashing »), c’est-à-dire d’une communication trompeuse sur les engagements pris et les résultats obtenus. Enfin, l’engagement dans une stratégie à impact vient remettre en cause des habitudes pour concilier les objectifs de cette démarche avec les attentes en termes de profits.

AJ : Quels secteurs d’activité sont le plus engagés à l’heure actuelle dans une démarche à impact ?

Pierre-Jean Gaudel : Il est difficile de hiérarchiser les secteurs d’activité. La plupart sont aujourd’hui engagés dans une démarche à impact, avec bien sûr de fortes disparités d’une entreprise à l’autre. Cependant, quelques secteurs sont aujourd’hui sensibilisés par la recherche d’impact. C’est le cas notamment de l’agriculture et de l’alimentation à travers l’agriculture biologique, le commerce équitable ou encore la lutte contre le gaspillage alimentaire. Les secteurs de l’énergie et de l’industrie sont aussi concernés par la démarche à impact. Le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire participe respectivement à la recherche d’une efficacité énergétique et à la lutte contre la production de déchets et la pollution. Enfin, les sociétés du bâtiment et des travaux publics, à travers l’écoconstruction et la réduction de l’empreinte carbone des bâtiments, s’inscrivent également dans une démarche à impact.

AJ : Comment votre cabinet aide-t-il les entreprises à profiter des opportunités liées aux financements à impact ?

Pierre-Jean Gaudel : Colibri Advisory, créé il y a 15 ans, est spécialisé dans l’accompagnement des entreprises écoresponsables, dans leurs opérations de levée de fonds ou de cession. Nous connaissons bien l’écosystème des investisseurs et entreprises à impact et aidons nos clients à trouver la meilleure contrepartie, sur le plan financier et celui, tout aussi important, de la maximisation de leur impact à long terme. Cela signifie, pour les entreprises à impact, mettre en avant leurs performances, non seulement financières mais aussi extra-financières, puis organiser des séances de présentation auprès d’investisseurs (investisseurs privés, fonds d’investissement ou sociétés d’investissement familiales (family-offices) ou d’acquéreurs (groupes industriels ou sociétés de services) sensibles à ces démarches. Un des enjeux consiste à montrer que la dimension d’impact d’une entreprise contribue à augmenter sa valeur.

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