Recouvrement : le titre exécutoire, solution miracle ?
Pour pallier les pertes économiques engendrées par les impayés et les retards de paiement, l’Union nationale des commissaires de justice (UNCJ), ex-huissiers de justice, propose de « déjudiciariser le traitement des factures impayées dès lors qu’elles ne sont pas contestées par les parties ». « Notre idée n’est nullement de réduire les droits de chacun, mais d’éviter une perte de temps, et d’argent, inutiles pour tous », précise Patrice Gras, le président de l’UNCJ. Explications.
Actu-Juridique : Le montant des impayés et des retards de paiement pèsent-ils beaucoup sur l’activité économique ?
Patrice Gras : Oui les données sont très claires à ce propos, chaque année ce sont 56 milliards d’euros qui passent en pertes pour créances impayées. In fine, ce sont 300 000 emplois qui sont menacés et les retards ou défauts de paiement sont responsables de 25 % des défaillances d’entreprise. Et naturellement, ce sont surtout les plus petites entreprises, c’est-à-dire celles qui ont moins de moyens pour se défendre, qui sont davantage concernées par cette réalité.
Les commissaires de justice savent très bien, par le contact émanant du terrain et les échanges qu’ils peuvent avoir avec des artisans, commerçants ou dirigeants de TPE/PME, qu’une facture impayée de quelques centaines d’euros pèse très lourd sur un bilan et une activité. Des montants qui peuvent paraître dérisoires pour des grandes entreprises se révèlent vitales pour des petites structures. C’est donc un sujet majeur qu’il est urgent de régler pour ces acteurs économiques qui n’ont par ailleurs pas le réflexe de faire appel à nos compétences pour les aider. Dans les grandes lignes, la mise en place d’une facture ou titre exécutoire permettrait de régler de nombreuses créances pour un coût de 50 euros environ, à l’instar de ce qui se fait déjà chez nos voisins belges.
AJ : Concrètement comment fonctionnerait une facture exécutoire telle que vous l’appelez de vos vœux ?
Patrice Gras : Tout d’abord, il faut savoir que 90 % des entreprises débitrices sont solvables et que pour une grande partie d’entre elles, elles ne contestent pas leur dette. Or, aujourd’hui, un créancier qui voudrait recouvrir l’argent qui lui est dû fait face, bien souvent, à une procédure judiciaire longue et périlleuse, et ce même dans le cas où il n’y a pas de contestations de la part des parties telle que je vous le disais. Actuellement, plus de 4 mois en moyenne sont nécessaires pour bénéficier d’une formule exécutoire. C’est évidemment beaucoup trop pour la trésorerie d’un artisan ou d’une TPE. L’idée de l’Union nationale des commissaires de justice (UNCJ) et de toute la profession réunie, c’est de proposer aux parlementaires d’instaurer, via une réforme du Code des procédures civiles d’exécution, une déjudiciarisation du traitement des impayés dès qu’il n’y a pas de contestation des parties engagées. Il s’agit là d’un vrai choc de simplification. Nous estimons que les professionnels que nous sommes, en qualité d’officier public et ministériel, tiers de confiance, pourraient remplacer dans ce cas précis le juge pour imposer une force exécutoire à une créance. Cette solution présenterait un gain temporel et économique important. Par ailleurs, le droit de contestation d’un mois serait préservé pour le débiteur. Notre idée n’est nullement de réduire les droits de chacun, mais d’éviter une perte de temps, et d’argent, inutiles pour tous. Aussi, la facture exécutoire déjudiciarisée permettrait de désengorger massivement les tribunaux de commerce.
AJ : Avec une telle réforme, quel serait le temps économisé précisément pour les entreprises concernées ?
Patrice Gras : Il est difficile de répondre précisément à cette question, mais les délais seraient fortement réduits c’est certain. Par ailleurs, la mise en place d’une telle simplification permettrait à des acteurs économiques d’accéder à une procédure qu’ils jugent trop complexe ou trop onéreuse aujourd’hui. Notre solution est simple et efficace, elle est donc naturellement séduisante pour un commerçant ou un chef d’entreprise. Contrairement aux idées reçues, les commissaires de justice ne sont pas des professionnels cruels qui veulent liquider les professionnels. Notre mission relève du rôle d’arbitrage afin d’engager des solutions satisfaisantes pour tous les justiciables.
AJ : Comment comptez-vous porter cette mesure auprès du gouvernement et des parlementaires ?
Patrice Gras : Par un exercice de communication efficace orchestré par des spécialistes en la matière. Aussi, le bon sens de cette idée n’est pas à démontrer. Tout le monde y adhère dès qu’elle est expliquée et notamment les chefs d’entreprise, parlementaires et même le garde des Sceaux lui-même. À ce stade ce n’est qu’une question de volonté politique. Par ailleurs, une telle évolution ne nécessite pas de 49-3 mais une révision d’un article du Code civil et de deux du Code de commerce. Rien d’insurmontable me semble-t-il.
AJ : Pourquoi, d’après-vous, cette simplification du recours à la facture exécutoire n’a pas déjà été actée comme en Belgique ?
Patrice Gras : Les raisons sont multiples, et pour certaines d’entre elles difficile à saisir. Je pense notamment que nous sommes un vieux pays avec des procédures qui mettent du temps à être modifiées. Il s’avère toujours compliqué de changer des habitudes. Néanmoins, nous restons optimistes tant nous sommes convaincus de la pertinence de cette idée.
Référence : AJU009l3