Benoît André : « La conciliation, c’est la possibilité de sortir d’un litige par le haut »
Avec 5 % d’affaires résolues par la conciliation, le tribunal de commerce de Bobigny atteint la moyenne nationale. La juridiction cherche à développer davantage cette pratique. Une « mission conciliation » d’une dizaine de juges a été créée pour convaincre les chambres de l’intérêt des solutions amiables. Pour Actu-Juridique, son responsable, l’ancien chef d’entreprise et juge consulaire Benoît André, en dresse le bilan.
Actu-Juridique : Pourquoi le tribunal de commerce de Bobigny cherche-t-il à promouvoir la conciliation ?
Benoît André : Le tribunal de commerce de Bobigny examine un certain nombre d’affaires qui se prêtent très bien à la conciliation et pour lesquelles il est souhaitable de trouver une solution amiable. Je pense par exemple aux conflits entre associés. Deux parties, actionnaires, s’opposent. La troisième partie, c’est l’entreprise qui subit les conséquences du contentieux qui peut exister. Le pire, c’est le conflit d’associé familial, quand par exemple un frère et une sœur gèrent ensemble une belle entreprise depuis 20 ans, et se mettent à se disputer. Ils nous saisissent, et les salariés se trouvent alors pris dans un conflit de loyauté. Si vous poursuivez le contentieux au tribunal, les juges vont prendre une décision qui risque d’augmenter la rancœur de celui qui aura été désavoué. Les salariés peuvent subir cela. La conciliation permet de trouver une solution qui permet de sortir par le haut, comme la vente des parts de l’un des actionnaires à l’autre. Nous apportons notre savoir-faire pour trouver une solution amiable.
AJ : Depuis quand le tribunal de commerce de Bobigny développe-t-il la conciliation ?
Benoît André : Cela a débuté il y a 3 ans. Le tribunal faisait alors très peu de conciliations : ce n’était pas dans les gènes des juges qui sont plus à l’aise pour rendre des jugements en s’appuyant sur les différents codes (Code du commerce, Code de procédure civile, Code de la consommation, Code des assurances, etc). Le président de notre tribunal, Claude Dufaur, avait à cœur de développer ce mode de règlement des litiges et m’a sollicité pour diriger une équipe de juges conciliateurs. Avec 5 % des affaires placées en conciliation, le tribunal de commerce de Bobigny est dans la moyenne nationale. L’objectif est de doubler ce chiffre l’an prochain. La conciliation donne de très bons résultats. 80 % des affaires entrant en conciliation trouvent une issue favorable.
AJ : Quel type d’affaires se prête à la conciliation ?
Benoît André : Les conflits d’associés sont sans doute les plus importants. Depuis la loi de 2022, le litige des cautions peut se résoudre par la conciliation. La banque est forcée d’avoir une souplesse sur l’aménagement de la dette. En procédure judiciaire, lorsque vous avez un délai pour une caution, le délai maximum est de 24 mois. Vous pouvez augmenter ce délai à 36 mois ou plus en conciliation. Il y a aussi les litiges dans lesquels il apparaît qu’une des deux parties au moins a manqué à ses obligations. Nous pouvons aider à trouver une solution amiable avant de rentrer dans une procédure contentieuse. Les litiges entre partenaires qui ont une relation commerciale permanente ou récurrente se prêtent en général également très bien à la conciliation. Il faut tout faire pour préserver l’entente de ces entreprises partenaires pour qu’elles puissent continuer à travailler ensemble. Enfin, il y a ce qu’on appelle les petits litiges, inférieurs à mille euros, par exemple entre un client et un opérateur téléphonique. Dans ces conflits, la procédure judiciaire coûte plus cher que le litige lui-même. Il arrive néanmoins que les gens en fassent une affaire de principe et que ces litiges soient difficiles à résoudre. Enfin, je citerai les litiges qui concernent de grandes enseignes soucieuses de préserver leur image et que la publicité d’un conflit peut desservir. À l’inverse, les litiges qui mettent en jeu un grand nombre de parties et qui par exemple font intervenir des compagnies d’assurance sont en général plus difficile à régler par le biais de la conciliation. Cela n’est pas impossible pour autant…
AJ : Quels sont les avantages de la conciliation ?
Benoît André : La conciliation permet de sortir d’un conflit par le haut. Cela ne veut pas dire que chaque partie va obtenir tout ce qu’elle demandait mais elle pourra s’en sortir de façon honorable. Limiter les dommages et préserver l’entreprise, même si tout le monde ne sera pas parfaitement content, c’est une satisfaction.
AJ : Pourquoi la conciliation ne se développe-t-elle pas davantage ?
Benoît André : La conciliation est déjà obligatoire aux prudhommes, avant d’arriver en bureau de jugement. Elle peut également être obligatoire, à l’appréciation du juge, devant les tribunaux judiciaires depuis 2023. Depuis la mise en place de la procédure de l’audience de règlement amiable (ARA), adoptée par décret en juillet 2024, la conciliation devient également une possibilité, à l’appréciation du juge, devant le tribunal de commerce. Cette nouvelle procédure va permettre aux juges de proposer une conciliation puisque la formation de jugement peut désormais décider de convoquer les parties à une audience de règlement amiable. Cela va changer beaucoup de choses. La conciliation devrait de ce fait beaucoup se développer. Les freins actuels découlent avant tout à mon sens d’une question de mentalités. Les juges des tribunaux de commerce n’ont pas tous l’état d’esprit de la conciliation. Les avocats non plus. La première chose à faire est de proposer une conciliation. Tous les juges ne le font pas. Ces freins sont très français. Dans les pays anglo-saxons, les parties ne vont jamais en contentieux. Aux États-Unis, tout le monde cherche à résoudre les conflits par une procédure amiable. Ce n’était pas notre mentalité mais on y vient progressivement.
AJ : Quel est le profil idéal pour un conciliateur ?
Benoît André : Ceux qui ont un passé dans l’entreprise voient plus facilement l’intérêt d’une conciliation. J’ai créé mon entreprise de BTP à 25 ans, je l’ai développée, j’en ai vendu une grosse partie à un major du bâtiment. Mes trois fils ont travaillé avec moi et ont repris un jour l’entreprise que j’ai créé. Beaucoup de juges n’ont pas ce rapport humain à l’entreprise, même s’ils ont eu des postes importants dans l’industrie. Pour pratiquer la conciliation, il faut aimer la négociation, et les gens. Chacun arrive avec sa charge. Dans des conflits d’associés familial, des gens peuvent dire des choses telles que « Papa t’a toujours favorisé ! ». C’est véridique, je l’ai entendu ! Certains conflits prennent leur source très tôt. Il faut écouter les gens, même leurs histoires d’enfance. Avoir parfois une approche proche de celui d’une assistante sociale. C’est passionnant ! Quand vous arrivez à comprendre et à résoudre un conflit d’associé familial qui met en jeu une entreprise importante employant, par exemple 400 personnes, vous vous couchez le soir avec l’impression d’avoir servi à quelque chose. Rendre un jugement correct et équitable, fondé sur de beaux arguments juridiques, c’est certes satisfaisant, mais pas autant sur le plan humain. Et puis, on n’en a pas toujours les moyens : avoir raison est une chose, donner les éléments qui permettent d’avoir raison sur le plan juridique en est une autre. On peut manquer d’éléments contractuels pour permettre de donner raison à une partie dont les revendications sont pourtant justes. C’est un autre argument en faveur de la conciliation ! Avoir mis tout le monde d’accord, permettre une entreprise de perdurer, c’est une vraie satisfaction. Je ne commence pas une audience de référé, audience de l’urgence et de l’évidence, sans rappeler que l’unique sortie de crise par le haut, c’est l’accord.
AJ : Comment se développent la conciliation ?
Benoît André : Le président du tribunal de commerce de Bobigny a fondé un groupe de 10 conciliateurs. Je suis chargé de cette mission : cela signifie que j’affecte les affaires selon les sensibilités des juges. Certains sont habitués aux conflits d’associés, car ils y ont été confrontés. Ils ont une vraie écoute. Certains connaissent bien les conflits bancaires et d’autres les conflits commerciaux ou les conflits de concurrence. Nous avons une équipe de grande qualité, c’est assez passionnant et satisfaisant. Nous sommes passés dans les chambres de contentieux pour en expliquer l’intérêt. Souvent, les juges nous disaient « les parties ne veulent pas entendre parler d’une conciliation ». La loi va nous aider. C’est aussi une habitude à prendre. L’École nationale de la magistrature (ENM) fait des formations sur la conciliation, sur les règlements amiables, sur l’ARA. La conciliation ne peut que progresser. Les gens vont se former à cela. Si la conciliation est un passage obligé, on n’abordera plus les dossiers de la même façon.
AJ : Comment convainquez-vous les juges du tribunal de commerce ?
Benoît André : Nous sommes tous marqués par la gestion économique puisque nous sommes tous des professionnels de l’entreprise devenus juges bénévoles. En conciliation, pour entraîner les gens, je raconte souvent une anecdote : dans ma vie professionnelle, quand on avait un contentieux et que notre avocat perdait, il disait toujours « Je n’ai jamais vu une telle décision de droit ». À chaque procès perdu, nous y avions droit. Au tribunal de commerce, les juges consulaires ne sont pas des professionnels du droit mais connaissent par contre bien l’entreprise. Mieux vaut un accord qu’un jugement qui peine à mettre les parties d’accord.
Référence : AJU015x7