Fixation de la date de cessation de paiements en cas d’appel du ministère public : la Cour de cassation privilégie la sécurité des transactions
Dans son arrêt du 12 janvier 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient qu’en cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture. Il en résulte que seule la date de l’arrêt de la cour d’appel constitue le point de départ pour la fixation de la date de cessation des paiements. À travers cette décision, la haute cour privilégie la sécurité des transactions.
Cass. com., 12 janv. 2022, no 20-16394, F–B
Lorsqu’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation est prononcée par le tribunal, il revient à ce dernier de fixer la date de la cessation des paiements1. C’est donc au moment où le tribunal statue qu’il doit apprécier si l’entreprise se trouve en état de cessation des paiements2. Celle-ci peut être reportée3 à la demande du mandataire judiciaire, de l’administrateur judiciaire ou du procureur de la République, le débiteur étant assigné4.
Tel est le cas en l’espèce où le tribunal mixte de commerce, saisi par une assignation en redressement judiciaire d’une société par actions simplifiée (SAS), a ouvert la liquidation judiciaire simplifiée d’une société à responsabilité limitée (SARL) et désigné un liquidateur. Le ministère public et la SAS ont fait appel du jugement. La SARL a ensuite fait grief à l’arrêt de la cour d’appel du 10 février 2020 d’infirmer le jugement du 23 novembre 2016, par lequel le tribunal avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à son égard, sauf en ce qu’il avait constaté son état de cessation des paiements et, statuant à nouveau, de fixer au 23 mai 2015 sa date de cessation des paiements, alors que, a-t-elle soutenu, en toute hypothèse, lorsque l’exécution provisoire du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire est suspendue, notamment par un appel du ministère public, la date de cessation des paiements ne peut être reportée de plus de 18 mois avant la date de l’arrêt qui le confirme ou le réforme ; en reportant, toutefois, la date de cessation des paiements de 18 mois avant le jugement d’ouverture de la procédure collective initiale du 23 novembre 2016, soit le 23 mai 2015, quand l’appel formé par le ministère public à l’encontre de cette décision en avait suspendu l’exécution provisoire, la cour d’appel a, selon elle, violé les articles L. 631-8 et L. 661-1 du Code de commerce.
La Cour de cassation devait dès lors répondre à la question de savoir si, en présence d’un appel interjeté par le ministère public d’un jugement de liquidation judiciaire, de la réformation de ce jugement par la cour d’appel, cette dernière pouvait ou non fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de 18 mois à l’arrêt par lequel elle ouvrait la procédure de redressement judiciaire.
La haute juridiction rappelle, sous le visa des articles L. 631-8 et L. 661-1, II, du Code de commerce, que le tribunal fixe la date de cessation des paiements, laquelle peut être reportée une ou plusieurs fois sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d’ouverture de la procédure. En cas d’appel par le ministère public d’un jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire d’un débiteur, lequel est suspensif en application du second texte, et de réformation de ce jugement par un arrêt ouvrant le redressement judiciaire de ce débiteur, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de 18 mois à la date de son arrêt, qui constitue la seule décision d’ouverture. Or, soulignent les juges de la haute cour, pour fixer au 23 mai 2015 la date de cessation des paiements de la SAS, l’arrêt fait droit à la demande de fixation de la date de cessation des paiements formée par la SARL 18 mois avant le jugement d’ouverture de la procédure collective initiale du 23 novembre 2016. En statuant ainsi, alors qu’après avoir infirmé le jugement de liquidation judiciaire, et, statuant à nouveau, ouvert le redressement judiciaire de la SARL, elle ne pouvait reporter la date de cessation des paiements que dans la limite de 18 mois avant son arrêt du 10 février 2020, qui constituait le jugement d’ouverture au sens de l’article L. 631-8, alinéa 2, du Code de commerce, soit à une date non antérieure au 10 août 2019, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Par son arrêt du 12 janvier 2022, la Cour de cassation souligne ainsi qu’en cas d’appel par le ministère public du jugement fixant la date de cessation des paiements, la date de report de la cessation de paiements ne peut être antérieure à 18 mois avant l’arrêt de la cour d’appel et non le jugement (I). Cette décision, qui permet de préserver la sécurité des transactions, est conforme au droit, même si elle suscite quelques réserves (II).
I – Le cadre temporel du report de la cessation des paiements en cas d’appel du ministère public et de réformation du jugement de liquidation
Aux termes de l’article R. 661-1, alinéa 4, du Code de commerce : « En cas d’appel du ministère public d’un jugement mentionné aux articles L. 645-11, L. 661-1, à l’exception du jugement statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, L. 661-6 et L. 661-11, l’exécution provisoire est arrêtée de plein droit à compter du jour de cet appel ».
En effet, comme le rappelle justement le professeur Pierre-Michel Le Corre, « contrairement au droit commun de l’appel en matière de procédures collectives où la règle est l’exécution provisoire de droit, l’appel du ministère public est suspensif. Le texte de l’article R. 661-1, alinéa 4, du code excepte toutefois l’appel qu’il forme à l’encontre du jugement d’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire. La solution est justifiée par l’idée qu’il faut éviter tout retard dans le traitement des difficultés, lorsque l’heure est encore au sauvetage. Cette exception n’englobe pas le jugement d’ouverture de liquidation judiciaire »5.
Dans cette affaire, après l’ouverture d’une liquidation judiciaire, le ministère public a interjeté appel de la décision. Cet appel, formé par le ministère public, était donc bien suspensif6. Tout se passe donc comme si cette décision d’ouverture n’était pas intervenue7.
La cour d’appel saisie devait soit confirmer la liquidation de la SARL et, dans ce cas, permettre l’exécution du jugement suspendu, soit le réformer, ce qu’elle fît. En réformant le jugement, la cour d’appel de Cayenne a décidé de prononcer le redressement judiciaire de la société car la preuve manifeste de l’impossible redressement de la SARL n’était, selon elle, pas caractérisée8.
Jusque-là, tout est conforme au droit. Mais alors qu’il fallait reporter la date de cessation de paiements9, la cour d’appel a retenu qu’ «en considération de l’absence d’opposition de la société débitrice, qui fait l’aveu dans ses écritures de ce que son état de cessation des paiements serait ancien, il sera fait droit à la demande de report de la date de cessation des paiements formée par la SARL, dix-huit mois avant le jugement d’ouverture de la procédure collective initiale du 23 novembre 2016, et de dire que c’est au 23 mai 2015 que la SARL s’est trouvée dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ».
Cette décision est cassée par la haute juridiction qui souligne que les juges d’appel ne pouvaient reporter la date de cessation des paiements que dans la limite de 18 mois avant son arrêt du 10 février 2020, qui constituait le jugement d’ouverture au sens de l’article L. 631-8, alinéa 2, du Code de commerce, soit à une date non antérieure au 10 août 2019.
En substance, la cour d’appel devait faire totalement abstraction de la procédure de liquidation ouverte par le tribunal dès lors qu’elle l’a réformée en décidant de prononcer plutôt un redressement judiciaire. Elle ne doit plus considérer l’ancienne procédure collective ouverte. Elle ne peut donc s’appuyer sur celle-ci pour envisager de remonter dans un délai de 18 mois par rapport à cette dernière la date de cessation des paiements. Elle est tenue par les termes de la loi qui lui interdisent de fixer une date de cessation des paiements plus de 18 mois avant le jugement d’ouverture.
La solution retenue par la Cour de cassation est nouvelle car cette dernière ne s’était pas encore prononcée sur ce sujet10. Toutefois, si elle s’appuie sur l’article L. 631-8 du Code de commerce et semble s’y conformer, elle n’est pas sans susciter quelques réserves.
II – Une fixation de la date de cessation des paiements conforme à la loi, quoique contestable sur le principe
Pour retenir la date de cessation des paiements, le demandeur doit démontrer l’état de cessation des paiements à la date à laquelle il sollicite le report11. Le juge est d’ailleurs libre de fixer la date de cessation sans se conformer à la date invoquée par l’une des parties. En revanche, il est tenu par le cadre temporel des 18 mois à compter du jugement d’ouverture, imposé par l’article L. 631-8 du Code de commerce. Cette limite vise, en effet, à préserver la sécurité des transactions12.
Dans l’affaire, l’appel formé par le ministère public était donc suspensif et l’ouverture de la nouvelle procédure de redressement annule la procédure de liquidation ouverte. Le report de la date de cessation des paiements ne pouvait être antérieur à 18 mois à compter de l’arrêt de la cour prononçant le redressement, considéré comme la décision qui ouvre le redressement.
Toutefois, l’application de l’article L. 631-8 du Code de commerce, en l’espèce, entraîne un réel décalage entre le droit et la réalité des faits. En effet, il n’était nullement contesté que la cessation des paiements était antérieure au jugement ayant ouvert la liquidation judiciaire puisque le débiteur lui-même n’a pas remis en cause l’effectivité de la cessation des paiements, qui n’était pas soulevée et n’était pas en discussion devant la cour.
Même si la sécurité des transactions commande de se limiter aux 18 mois à compter du jugement d’ouverture, en l’espèce, cette fixation de la date de cessation des paiements ne cadre pas avec l’effectivité de la date de cessation des paiements. Cette dernière, fixée à 18 mois avant l’arrêt de la cour d’appel du 10 février 2020, alors même qu’il était incontestable que la cessation des paiements était bien antérieure, révèle une certaine incohérence. Les juges suprêmes auraient pu prendre en compte le fait qu’en l’occurrence, la date de cessation de paiements n’a jamais fait l’objet de contestation. L’absence d’opposition de la société débitrice, qui fait l’aveu dans ses écritures de ce que son état de cessation serait ancien, aurait pu justifier un report de la date de cessation des paiements au 23 mai 2015.
Mais finalement, la cohérence de l’arrêt commenté peut être recherchée ailleurs.
En effet, d’une part, dans la mesure où le tribunal apprécie la date de cessation de paiements au moment où il statue, la cour d’appel évalue également la situation économique de la société au moment où elle statue et, si elle a estimé que la liquidation n’était pas encourue, la société ayant une chance de se redresser, il aurait été tout aussi incohérent de retenir une date de cessation des paiements remontant à plus de 18 mois à compter de la date de sa décision ; d’autre part, remonter la date de cessation des paiements au 23 mai 2015, soit presque 4 ans en arrière, aurait remis en cause les transactions passées sur plus de 18 mois, étant entendu que l’appel du ministère suspendait la décision de liquidation prononcée et entraînait ainsi la poursuite de l’activité de la société en attendant la décision de la cour d’appel.
Les juges du second degré, rendant leur décision qui prononce le redressement judiciaire le 10 février 2020, ne pouvaient donc que se limiter à la date du 10 août 2019 comme date de cessation des paiements. La solution s’inscrit dans une logique qui, comme le relèvent certains auteurs13, doit emporter l’adhésion.
En somme, entre cohérence de la fixation de la date de cessation des paiements avec la matérialité des faits et sécurité des transactions, le juge, en ne dérogeant pas à la lettre de l’article L. 631-8 du Code de commerce, a fait son choix qui, bien que contestable, demeure conforme à la loi.
Notes de bas de pages
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1.
Le tribunal ne se borne pas à constater, s’il y a lieu, la cessation des paiements. Il doit également se demander depuis quand elle existe : F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ, n° 406.
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2.
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 11e éd., 2018, LGDJ, n° 1088.
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3.
Les jugements de report de date de cessation des paiements sont extrêmement fréquents : B. Soinne, M. Menjucq et B. Saintourens, Traité des procédures collectives, 3e éd., 2021, LGDJ, n° 295.
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4.
J.-L. Vallens, « Liberté d’appréciation des tribunaux pour la fixation de la date de cessation des paiements », RTD com. 2019, p. 767.
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5.
P. M. Le Corre, « La fixation de la date de cessation des paiements en cas d’arrêt de l’exécution provisoire et de réformation du jugement d’ouverture », La lettre juridique n° 891, 17 mars 2022.
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6.
J. Vallansan, L’exécution provisoire dans les procédures collectives, LPA 28 nov. 2008, p. 31, n° 239, colloque de Nice, 16-17 mai 2008.
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7.
J. Vallansan, L’exécution provisoire dans les procédures collectives, LPA 28 nov. 2008, p. 31, n° 239, colloque de Nice, 16-17 mai 2008.
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8.
CA Cayenne, 10 févr. 2020, n° 16/00521.
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9.
Sur le point de départ pour l’action en report de la date de cessation de paiements, v. Cass. com., 27 nov. 2019, n° 18-18194, F-PB.
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10.
La Cour de cassation avait notamment jugé que la date de cessation des paiements ne pouvait être reportée antérieurement à une décision refusant d’ouvrir une procédure au motif que le débiteur n’était pas en état de cessation des paiements ; en ce sens Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-17818 : Bull. civ. II, n° 182. Elle a aussi jugé qu’en cas de conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire, la date de la cessation des paiements ne peut être reportée au cours de la période d’observation de la procédure de sauvegarde ; v. Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-24910, FS-PB. En revanche, en cas de résolution du plan de redressement, la date de la cessation des paiements peut être fixée avant l’arrêté du plan résolu ; en ce sens, v. Cass. com., 12 janv. 2016, n° 14-23798, F-D.
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11.
B. Soinne, M. Menjucq et B. Saintourens, Traité des procédures collectives, 3e éd., 2021, LGDJ, n° 308.
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12.
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 11e éd., 2018, LGDJ, n° 1090 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ, n° 409.
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13.
B. Ferrari, « Effet de l’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement en droit des entreprises en difficulté », Dalloz actualité, 31 janvier 2022 ; P. M. Lecorre, « La fixation de la date de cessation des paiements en cas d’arrêt de l’exécution provisoire et de réformation du jugement d’ouverture », La lettre juridique n° 891, 17 mars 2022.
Référence : AJU004d7