L’actualité du coronavirus pour les entreprises en difficultés : le soutien aux entreprises et les décisions récentes
La fin de l’automne a signifié la poursuite et le renforcement du soutien aux entreprises avec d’importants textes prolongeant notamment les mesures prises en mars et mai derniers. La jurisprudence a clarifié plusieurs sujets sur la reprise des poursuites, le repêchage du créancier négligeant, le créancier d’une société absorbée, les loyers impayés, le sort d’un séquestre conventionnel, la déclaration d’insaisissabilité, le recouvrement des honoraires d’avocat et le pourvoi du cocontractant cédé.
La crise du coronavirus n’en finit plus de provoquer un nombre important de textes dont l’inventaire exhaustif devient une gageure, la prolifération de ces textes et les conditions requises aboutissant à une complexité qui nuit parfois au but recherché.
Cependant sur le fond, il est normal d’aider des entreprises qui sont en grande souffrance et cela dans un climat plutôt malsain, dès lors que le nombre de défaillances est d’environ 30 à 40 % inférieur à celui de l’an dernier, ce qui ne correspond pas à la situation actuelle et montre que bon nombre d’aides concernent des entreprises qui sont sans doute irrémédiablement condamnées.
Citons donc des dispositions récentes :
-
les conditions d’éligibilité au fonds de solidarité et le niveau des aides dans le contexte du second confinement ont été revus1. Il s’agit notamment des entreprises de 0 à 50 salariés qui peuvent disposer, sous certaines conditions, d’une aide dans la limite maximale de 10 000 € sous conditions de perte d’un pourcentage du chiffre d’affaires, d’une implantation dans des zones de couvre-feu, de l’exercice dans des secteurs de catégories 1 et 2… Il s’agit d’entreprises ayant débuté leur activité avant le 31 août 2020. Ce dispositif est applicable en l’état aux mois de septembre, d’octobre, de novembre et de décembre ;
-
le cadre juridique de l’état d’urgence a fait l’objet de nouveaux textes, celui-ci ayant été rétabli par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 avec une prolongation jusqu’au 14 décembre 20202, puis jusqu’au 16 février 2021 (loi du 14 novembre 2020 n° 2020-1379).
De nouvelles modalités d’indemnisation ont été prévues pour l’activité partielle pour des entreprises soumises à des baisses d’activité et vouées à des fermetures en cas de rebond de l’épidémie.
L’ordonnance n° 2020-1255 du 14 octobre 2020 a prévu pour certains secteurs d’activité impliquant l’accueil du public, une interruption totale ou partielle et en a précisé les règles (D. n° 2020-1316 du 30 octobre 2020 prévoyant un taux horaire de 60 % limité à 4,56 fois le taux horaire du SMIC). Dans certains cas, ce taux horaire peut être fixé à 70 %3.
Un accès simplifié au prêt participatif pour les TPE et PME de moins de 50 salariés a été mis au point. Il s’agit de faciliter le recours à ces prêts lorsque les TPE et PME n’ont pas trouvé de solution de financement auprès de leur partenaire bancaire ou de financeurs privés4.
L’article 2 du décret du 30 octobre 20205 a déterminé les conditions d’éligibilité et indique que ces entreprises ne doivent pas avoir obtenu un PGE à hauteur d’un montant suffisant pour financer leur exploitation, doivent justifier de perspectives réelles de redressement de l’exploitation, ce qui est bienvenu. Elles doivent être à jour de leurs obligations fiscales et sociales ou avoir obtenu un plan d’apurement de ce passif.
Ces entreprises ne doivent pas faire l’objet d’une procédure collective au 31 décembre 2019 mais si elles sont redevenues in bonis par un plan de sauvegarde ou de redressement, ce dispositif est applicable.
Il s’agit d’un prêt participatif d’une durée de 7 ans avec un différé de paiement du capital de 12 mois et pour le plus grand nombre de secteurs d’activité. Un montant de 100 000 € peut être accordé (sauf pour l’agriculture, la pêche et l’aquaculture).
Pourquoi ne pas en faire une incitation à recourir à la prévention ? Cela serait bienvenu en un temps où les TPE/PME répugnent encore à utiliser cette faculté qui paraît pourtant la meilleure. Dans le cadre de la prévention, elles pourraient ainsi justifier par l’audit habituel de leur capacité à retrouver ou conserver une activité pérenne ainsi qu’une capacité de remboursement crédible.
En ce qui concerne les PGE, des statistiques qui semblent bien optimistes sont citées par Les Échos6. Les banques n’ayant pas démenti leur vigilance sur l’octroi de ces prêts, ce pourcentage paraît élevé (d’autres indiquent qu’un taux de 88 % indiqué par le site www.banque-france.fr au 4 novembre ne tiendrait pas compte de 48 % de refus opérés avant le dépôt du dossier).
Il paraît urgent de développer des outils de traitement adaptés à la crise, avec un tri des entreprises « sauvables », des critères adaptés, des solutions concrètes (abandons partiels de créances…), plutôt que de perpétuer des aides généralisées, coûteuses et partiellement efficaces.
Quelques décisions de jurisprudence. Une décision est venue préciser la condition de la reprise des poursuites après la clôture d’une liquidation lorsqu’un recouvrement devient possible7. Dans cette espèce, il s’agissait de saisir une partie du prix de vente d’un immeuble de SCI pouvant revenir au dirigeant, ce qui concernait une procédure d’exécution qui paraissait efficace. Le liquidateur pouvait donc suivre cette procédure après reprise des opérations de liquidation.
Citons aussi un article intéressant sur le repêchage du créancier négligent qui n’a pas déclaré sa créance mais va bénéficier d’une suspension de prescription en raison de l’impossibilité du créancier de poursuivre son débiteur du fait de la suspension des poursuites. Ainsi, il pourra introduire une action en justice devant le juge de droit commun et préservera sa créance dans l’hypothèse d’une résolution du plan. Cette argumentation n’est guère convaincante car le créancier ne subit pas une impossibilité de déclarer sa créance, comme l’écrit justement Benjamin Ferrari8.
Au titre des voies d’exécution, il a été reconnu qu’un créancier d’une société absorbée peut saisir des comptes bancaires de la société absorbante sans se voir opposer la règle de l’arrêt des poursuites individuelles. Les comptes bancaires de la société absorbante avaient été saisis et il a été considéré que le créancier poursuivant n’a pas à établir l’origine des fonds en démontrant qu’ils provenaient de la société absorbée9.
Sur les droits locatifs, la responsabilité d’un administrateur avait été recherchée au titre de loyers impayés. Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, cet administrateur avait une mission de surveillance et la société ne réglait plus les loyers, dès avant l’ouverture de la procédure.
Puis elle avait été convertie en redressement judiciaire et l’administrateur avait renoncé à poursuivre le bail. Le bailleur a reproché à l’administrateur de ne pas avoir pris l’initiative plus tôt de demander la résiliation du bail. La Cour de cassation a exonéré la responsabilité de l’administrateur judiciaire qui, du fait de sa mission de surveillance, ne pouvait être tenu pour responsable de l’exécution ou de l’inexécution fautive du bail qui avait été poursuivi de plein droit, tant qu’il n’avait pas pris parti sur sa poursuite.
Sa principale mission était en effet d’établir le bilan économique de l’entreprise et de proposer un plan de sauvegarde10.
Il a été jugé par ailleurs que les dispositions protectrices d’un locataire de droit commun l’emportent sur le droit des procédures collectives. En l’espèce, la résiliation mettait fin au bail d’une résidence principale soumise à des dispositions d’ordre public. Le juge-commissaire avait accepté de résilier le bail car il avait été conclu au détriment des intérêts de la bailleresse, le loyer étant sous évalué.
La Cour de cassation a considéré qu’il n’avait pas été caractérisé que l’atteinte aux intérêts du cocontractant était excessive. En outre, il a été établi qu’il fallait respecter un délai de préavis dans l’hypothèse d’une location en meublé, le locataire ayant par ailleurs le droit d’acheter le bien loué dans le cadre d’une location « classique »11.
Dans une autre espèce, un agent immobilier avait été séquestre conventionnel et avait reçu un dépôt de garantie dans le cadre d’une promesse d’achat sur un terrain. Le couple avait renoncé à cette promesse et avait demandé la restitution du dépôt de garantie, ce qui avait été refusé, l’agent immobilier ayant été mis en liquidation judiciaire.
Les promettants avaient demandé à récupérer les fonds et ont obtenu satisfaction, bien que leur créance soit « antérieure », la cour d’appel ayant déclaré pour ce motif leur demande irrecevable. Cette décision a été cassée car la Cour de cassation a considéré que le dépositaire, même en liquidation judiciaire, devait rendre la chose contentieuse déposée entre ses mains à la personne qui serait jugée devoir l’obtenir, sans concours avec les autres créanciers. Cela paraît logique dès lors que cette somme n’est pas entrée dans le patrimoine du débiteur12.
Une décision classique a estimé qu’une banque qui avait consenti un prêt pouvait prendre une hypothèque provisoire et faire constater le montant et l’exigibilité de sa créance. Cependant, du fait de la suspension des poursuites, son action ne peut tendre au paiement de sa créance.
Pourtant dans cette affaire, la déclaration d’insaisissabilité avait été publiée postérieurement au prêt consenti par la banque13.
La créance d’honoraires d’un avocat peut-elle être une créance postérieure ? C’est ce qui a été jugé dans l’hypothèse où la créance d’honoraires d’avocat était née de l’exercice des droits propres du débiteur.
Dans cette hypothèse, elle est toujours née régulièrement. Il a été constaté que les recours avaient permis de consolider, sécuriser la pérennité de l’entreprise. C’est donc un critère de l’utilité réelle qui a été apprécié souverainement, en l’espèce14.
Au titre des recours, il a été jugé qu’un pourvoi en cassation du cocontractant cédé n’est recevable qu’en cas d’excès de pouvoir par les juges du fond. En effet, selon l’article L. 661-7, alinéa 2, du Code de commerce, le pourvoi en cassation n’est ouvert qu’au ministère public pour les arrêts rendus en application du III, IV et V de l’article L. 661-6.
Le cocontractant cédé peut certes interjeter appel de la partie du jugement qui emporte cession de son contrat mais la voie du pourvoi en cassation lui est en principe fermée. En l’espèce, aucun excès de pouvoir n’avait été relevé à l’encontre des juges du fond et le pourvoi a été déclaré irrecevable15.
Notes de bas de pages
-
1.
D. n° 2020-1328, 2 nov. 2020 : JO, 3 nov. 2020.
-
2.
Sénat PL n° 108, 4 nov. 2020
-
3.
V. not. M. Morand, 5 nov. 2020, Éditions législatives.
-
4.
Ce dispositif a été créé par la loi de finances 2006 n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 et a été réactivé par la loi du 25 avril 2020 n° 2020-473 jusqu’au 31 décembre 2020 et prolongé jusqu’au 30 juin 2021.
-
5.
D. n° 2020-1314, 30 oct. 2020 : JO, 31 oct. 2020.
-
6.
G. de Calignon, 17 nov. 2020 sur leur site : « Plus de 97 % des entreprises qui l’ont demandé l’auraient obtenu, pour un montant global de 125 milliards d’euros ».
-
7.
Cass. com., 21 oct. 2020, n° 19-14894, PB.
-
8.
D. 2020, p. 2228 « O temps, suspends… la prescription de l’action, du créancier forclos ! », Cass. com., 9 sept. 2020, n° 19-10206 : Bull. civ. IV. P.M. Le Corre, Lexbase hebdo. Éd. affaires, 17 sept. 2020, n° 647.
-
9.
Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-14755, FS-PB.
-
10.
Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-14807, PB.
-
11.
Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-10685, 2e esp., PB – et Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-14388, PB.
-
12.
Cass. com., 23 sept. 2020, n° 19-15122, PB.
-
13.
Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-13560, F-PB : Éditions législatives, 20 oct. 2020, note P. Roussel Galle.
-
14.
Cass. com., 7 oct. 2020, n° 19-12996, F-PB.
-
15.
Cass. com., 23 sept. 2020, n° 18-26280, PB.