Protection de la résidence de l’entrepreneur : les conditions de la réalisation forcée des immeubles

Publié le 31/10/2017

L’examen comparé des législations relatives à la vente forcée des immeubles révèle des contenus hétérogènes du côté tant de la portée des protections spécifiques de la résidence de l’entrepreneur que du régime de ces ventes à travers, notamment, la question d’une évaluation préalable de l’immeuble et de ses conséquences.

Les conditions de réalisation forcée des immeubles varient assez largement d’un pays à l’autre. Un examen comparé des diverses législations révèle, d’abord, que dans certains pays, l’immeuble peut échapper à la vente ou bénéficier d’un régime spécial du seul fait de son caractère familial. La question essentielle est celle de la portée des protections spécifiques au logement de la famille. Peuvent-elles aller jusqu’à paralyser la vente forcée de l’immeuble ? Dans la négative, ont-elles un effet sur les conditions de la réalisation forcée ?

Indépendamment d’une éventuelle protection spécifique, il peut être intéressant de vérifier s’il existe des différences dans les régimes de réalisation forcée. Si tous les systèmes s’accordent à reconnaître que les procédures de vente forcée doivent tendre à réaliser le bien au meilleur prix dans l’intérêt normalement concordant du débiteur et du créancier, leur comparaison révèle que tous ne se dotent pas des mêmes outils pour parvenir à ce résultat. L’évaluation préalable du bien que l’on retrouve dans la plupart des systèmes permet notamment de vérifier que le décalage naturel entre une vente de gré à gré dans des conditions optimales et une vente forcée reste raisonnable. La performance dépend aussi des conditions de réalisation des ventes (utilisation de sites internet pour attirer les acheteurs potentiels, flexibilité dans le choix des modes de réalisation forcée, en cas de vente aux enchères, possibilité d’enchérir sans intermédiaire…).

La portée des protections en cas de vente forcée de l’immeuble

Les solutions sont extrêmement hétérogènes. En droit québécois, la protection de la résidence familiale n’a pas pour effet d’exclure l’immeuble du gage commun des créanciers en cas de faillite du propriétaire, si ce n’est lorsque l’ensemble des créances du failli est inférieur à 20 000 $ canadiens1.

Traditionnellement, le droit anglais ne comportait pas de régime particulier de protection du logement du failli, mais ce point a changé avec l’adoption de l’Enterprise Act de 2002, lequel dispose que l’organe chargé de la liquidation qui n’a pas demandé la vente forcée dans les 3 ans de la déclaration de faillite, ne pourra plus le faire2. Cette disposition a été introduite car, très souvent, l’organe de la faillite ayant constaté que le prix qui pourrait être obtenu suffirait à peine à désintéresser les créanciers bénéficiant de sûretés sur l’immeuble, préférait garder celui-ci en réserve en attendant par exemple une hausse du marché immobilier. La vente, imposée plusieurs années après l’obtention de la discharge, tombait alors comme un coup de massue sur la tête du débiteur. Toujours en droit anglais, l’organe de la faillite peut éviter la vente forcée soit en obtenant une garantie sur l’immeuble3, soit en parvenant à un accord avec un proche du failli afin de permettre le rachat de l’immeuble.

En droit italien, les biens inclus dans le « fondo patrimoniale » sont en principe, insaisissables. Toutefois, les créanciers et, parmi eux, en cas de faillite, le liquidateur peuvent démontrer, par une action paulienne, que le fonds est affecté par la fraude du débiteur et demander qu’il ne soit pas opposable à la masse. En pratique, ce fonds est peu utilisé par les entrepreneurs car les banques le considèrent comme un obstacle au crédit. Il peut être intéressant d’observer que la réforme récente du droit italien des sûretés4 qui a mis en place un régime particulier pour les sûretés portant sur des biens de l’entreprise, ne s’applique pas à la résidence de l’entrepreneur laquelle relève du régime des crédits accordés aux consommateurs, plus protecteur.

Les protections existantes dans la majorité des pays d’Amérique latine présentent le point commun de rendre, en principe, insaisissable l’immeuble inclus dans un fonds familial. Les contours de l’insaisissabilité peuvent varier d’un pays à l’autre, par exemple, sur le point de savoir si la protection peut s’étendre à des créances antérieures à la constitution du fonds ou encore si la protection s’étend par le jeu d’une subrogation au prix de l’immeuble.

La protection dont bénéficie la résidence d’un débiteur nord-américain est généralement rattachée à son statut de résidence principale, communément appelée homestead exemption en droit américain. Ce modèle de la homestead exemption se révèle particulièrement original et son efficacité varie très largement d’un État à l’autre. Le système repose sur une articulation entre le droit fédéral et les droits étatiques. Le Bankruptcy Code américain (droit fédéral) exclut également du patrimoine du failli les biens qui ne peuvent faire l’objet d’exécution forcée par les créanciers d’un failli en vertu du droit applicable des États5. En vertu de cette homestead exemption, les lois étatiques offrent une protection à portée variable à la résidence principale du débiteur, laquelle dépend le plus souvent d’une valeur déterminée par les États. Certains États, notamment la Floride et le Texas, offrent ainsi une protection très large à la résidence principale en n’imposant aucune valeur maximale à la résidence mise à l’abri des créanciers de son propriétaire. Divers autres États, dont le Nouveau Mexique, l’Alaska et le Colorado, offrent une protection limitée à une valeur maximale de la valeur de « l’équité » dans la résidence. La valeur de l’équité est celle qui excède le montant des hypothèques, donc la valeur non grevée. À titre d’exemple, les lois de la Californie protègent jusqu’à concurrence de la somme de 75 000 $ la résidence principale (homestead) d’un débiteur. Cette résidence n’est donc pas susceptible d’exécution forcée par les créanciers du propriétaire si sa valeur nette (une fois payées les hypothèques) est inférieure à 75 000 $. Si l’équité est d’une valeur supérieure à 75 000 $, les créanciers pourront en provoquer la liquidation mais le propriétaire pourra en conserver le produit jusqu’à concurrence de la somme de 75 000 $. Certains États admettent que la valeur protégée soit doublée pour les personnes mariées. La protection peut aussi parfois être étendue à des biens autres qu’une résidence immobilière, comme un mobil home. D’autres États comme le Michigan, la réduisent à la somme de 3 500 $6.

Les provinces canadiennes autres que le Québec s’inspirent pour la plupart de la homestead exemption, et la protection accordée est généralement très modeste. En Colombie-Britannique, la résidence n’échappe à la saisie que si l’équité est inférieure à 12 000 $ canadiens dans la région de Vancouver ou de 9 000 $ à l’extérieur de sa zone urbaine. Dans l’Alberta, la protection s’étend à 40 000 $.

L’examen de ces différentes protections révèle que certaines, au moins, imposent une évaluation de l’immeuble préalablement à sa vente, ce qu’ignore le droit français de la saisie immobilière.

L’évaluation des immeubles, objets d’une cession forcée

Elle s’impose dans la plupart des systèmes étudiés.

Le jeu éventuel de la homestead exemption (USA, Canada) impose inévitablement une évaluation préalable des immeubles. L’évaluation peut aussi avoir pour effet d’encadrer la vente forcée du bien. C’est ainsi par exemple que dans l’État du Wyoming, les statutes prévoient qu’un bien immeuble ne peut, en principe, être vendu en justice pour un prix inférieur aux 2/3 de sa valeur7. Les techniques d’évaluation peuvent varier d’une législation à l’autre. Par exemple, toujours dans le Wyoming, l’évaluation peut se faire par des voies très différentes, comme, par exemple, des attestations de propriétaires voisins ou par expert.

Au Québec, le débiteur dispose de 2 mois à compter de la saisie pour procéder lui-même à la vente de gré à gré de l’immeuble8. L’organe chargé de la vente a le choix entre la vente de gré à gré, par appel d’offres ou aux enchères9. L’article 744 du Code de procédure civile indique que la vente doit se faire à un « prix commercialement raisonnable et selon le mode de réalisation le plus adéquat dans les circonstances ». L’article 461 dispose que « la vente d’un bien est considérée faite à un prix commercialement raisonnable si elle est faite à un prix qui est autant que possible celui de la valeur marchande du bien, au vu des circonstances particulières de la vente ». La vente d’un immeuble ne peut, sauf autorisation du juge10, avoir lieu pour moins de 50 % de l’évaluation municipale, multipliée par le facteur établi aux termes de la loi sur la fiscalité municipale11.

Le droit anglais prévoit aussi une évaluation de l’immeuble. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que, lorsque les droits du failli sur l’immeuble sont inférieurs à 1 500 £, leur cession forcée n’est, en principe, pas permise. Dans ce cas, l’évaluation est faite par le failli, mais elle peut être contestée. Dans les autres hypothèses, elle peut, selon les circonstances, être le fait du failli, d’un expert, à partir de sites internet ou sur la base de la valeur du mortgage.

Le système espagnol repose aussi sur une évaluation car la procédure comporte des seuils calculés par rapport à la valeur de l’immeuble (50 % de la valeur et 70 % pour l’immeuble servant de résidence à la famille : vivienda habitual)12. Lorsque la vente résulte de la procédure de saisie immobilière de droit commun, une évaluation a lieu en début de procédure. La situation est différente lorsque la vente s’inscrit dans la procédure de réalisation forcée propre aux « exécutions hypothécaires ». Lors de l’inscription de l’hypothèque, les parties peuvent déclarer une valeur de référence en vue de la vente forcée, laquelle peut être différente de la valeur de taxation utilisée lors de l’inscription hypothécaire13, sans pouvoir lui être inférieure de plus de 75 %. Ces différentes évaluations jouent comme autant de freins pour éviter une vente à un prix trop bas. La vente doit atteindre 50 % de la valeur retenue. Ce seuil est porté à 70 % si l’immeuble sert de logement à la famille. Si personne ne présente d’enchère égale ou supérieure à ces seuils, le créancier peut demander le transfert de propriété pour soit 50 % de la valeur de l’immeuble, soit pour une valeur égale à la totalité de la dette. Les seuils de réalisation forcée sont un peu différents lorsqu’il s’agit de la résidence principale, l’attribution du bien peut se faire soit pour 70 % de la valeur de l’immeuble, soit pour le montant de la dette si celui-ci est inférieur à 70 % à condition que la somme retenue ne soit pas inférieure à 60 % de la valeur de référence.

En droit italien, les ventes judiciaires sont précédées par une évaluation du bien. Celle-ci permet notamment d’éviter que le bien soit vendu pour une somme inférieure aux frais de la procédure. Le régime de l’exécution forcée des crédits hypothécaires impose lui aussi que la valeur de l’objet de la garantie soit estimée par un expert indépendant choisi par les parties d’un commun accord ou, à défaut d’accord, nommé par le président du tribunal civil, lequel fera une expertise postérieure à la défaillance du débiteur14. Les évaluations peuvent s’appuyer sur les analyses de l’Observatoire du marché immobilier mis en place par le fisc (OMI), qui fournit un contrôle statistique sur le marché de l’immobilier résidentiel et effectue les communications nécessaires aux fins de contrôle de supervision macro-prudentielle. En général, les expertises font toujours référence aux valeurs attestées sur le site internet de l’OMI.

Dans le cas où la vente forcée de l’immeuble se réalise par un système d’enchères, plusieurs législations imposent le recours à une publicité par le biais d’internet afin de toucher un large public. La plupart des législations mettent en place un système de contrôle de la solvabilité des enchérisseurs, et n’imposent pas de recourir à un intermédiaire appartenant à une profession réglementée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    NCPC, art. 700 et LFI, art. 67 (1)(b).
  • 2.
    Section 283 of the Insolvency Act 1986, modifiée par l’Enterprise Act de 2002.
  • 3.
    Charging order on the family home.
  • 4.
    L. n° 119, 30 juin 2016, entrée en vigueur le 3 juill. 2016.
  • 5.
    V. U.S. Bankruptcy Code, art. 5 (22), 11.
  • 6.
    Constitution of Michigan, art. X, § 3.
  • 7.
    Title 1. Code of Civil Procedure
  • 8.
    Chapter 17. Enforcement of Judgments
  • 9.
    Article 3. Lien of Judgment and Enforcement by Execution.
  • 10.
    Code de procédure civile québécois, art. 709.
  • 11.
    Art. 744 du même code.
  • 12.
    Laquelle ne peut être donnée que si le tribunal est convaincu que la vente ne peut être faite à un tel prix dans un délai acceptable (art. 461 du même code).
  • 13.
    Art. 761 du même code. L’évaluation municipale doit refléter la valeur d’échange sur un marché libre et ouvert à la concurrence.
  • 14.
    Code de procédure civile espagnol, art. 655 et s. (Ley de Enjuiciamiento Civil, LEC).
  • 15.
    En toda escritura de hipoteca debe especificarse la valoración del bien a efectos de subasta. Este valor no podrá ser inferior al 75 por ciento del importe de la tasación del bien que se efectuó para la concesión del préstamo hipotecario.
  • 16.
    D. législatif n° 72/2016, créant les nouveau art. 120 quinquiesdecies du T.U.B transposant la dir. n° 2014/17/UE, plus connue en Italie comme la Mortgage Credit Directive.
X