Franchise – dol – obligation d’information précontractuelle du franchiseur
T. com. Paris, 6 oct. 2016, no 2015063778
Dans le cadre du développement d’une activité de distribution de jouets en Autriche, la société de droit autrichien Alpo Handels s’est rapprochée de la société de droit espagnol Damerik qui fabrique et commercialise des jouets éducatifs sous l’enseigne « Eurokakids ». Les parties ont conclu le 30 décembre 2013 un contrat de commission-affiliation soumis à la loi et aux juridictions françaises.
Alpo ayant subi de nombreuses difficultés financières dans l’exploitation de son point de vente les impute aux fautes commises par Damerik en lui délivrant sciemment des informations précontractuelles non sincères, erronées et trompeuses.
Alpo, sur le fondement du dol et de la violation de l’article L. 330-3 du Code de commerce, demande au tribunal de prononcer l’annulation du contrat et de condamner Damerik à 250 000 € de dommages-intérêts.
Le tribunal ne retient pas le dol mais annule le contrat sur le fondement du manquement du franchiseur à ses obligations d’information précontractuelle et fait partiellement droit à la demande de dommages-intérêts aux motifs suivants :
« Attendu qu’aux termes de l’article L. 330-3 du Code de commerce : « Toute personne qui met à la disposition d’une autre personne une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères lui permettant de s’engager en connaissance de cause. Ce document (…) précise notamment l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau des exploitants (…) » ; qu’un document intitulé « pre-contractuel document » signé par les deux parties le 29 août 2013 comprenait des informations sur la société commettante, les conditions essentielles du contrat et ses conditions financières, la liste des points de vente membres du réseau… ; qu’à ce document étaient attachées des annexes dont une relative au marché autrichien ; qu’enfin, Damerik communiquait des données financières extrapolées du fonctionnement d’un magasin en Espagne ; que ALPO critique le caractère insuffisant, erroné et non sincère des informations communiquées au vu d’un prévisionnel qu’elle dit largement sous-estimé par rapport à la réalité des dépenses requises et des perspectives de revenus annoncées ; que si les obligations d’information à la charge du commettant doivent être fiables et précises dans la mesure où elles constituent la contrepartie de l’engagement d’exclusivité que souscrit le commissionnaire, le seul fait que le commissionnaire-affilié ait éprouvé des difficultés financières ne pourrait être imputable au franchiseur que si Alpo établit que la cause de ses difficultés provient d’une faute de Damerik, débiteur d’une obligation d’information et qui a manqué à cette obligation de moyens ;
Attendu que le document d’information pré-contractuel critiqué a été remis fin août 2013 à Alpo qui a disposé de plusieurs mois pour l’étudier, le contrat de commission-affiliation ayant été signé le 30 décembre 2013 ; qu’il a donc disposé du temps nécessaire pour échanger avec Damerik sur l’affinement de son plan d’affaires au vu de données relatives à des investissements et des chiffres d’affaire dont Damerik n’avait pas caché qu’elles concernaient des points de vente en Espagne où Damerik avait son implantation principale ; que Alpo n’établit pas que les insuffisances qu’il reproche à Damerik relèvent de manœuvres l’ayant incité à conclure le contrat de sorte que le dol ne sera pas retenu ; que Alpo soutient que le contrat serait nul pour erreur sur sa substance ; que, aux termes de l’article 1110 du Code civil, « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tend que sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention » ; que si Damerik avance qu’il ne saurait y avoir erreur sur l’objet du contrat conclu, le tribunal rappelle que le contrat, objet du litige, est marqué d’un fort « intuitu personae » où la qualité du commettant et celle des informations remises sont déterminantes de l’engagement du distributeur ; que l’argument de Damerik selon lequel Alpo n’avait pas rémunéré l’étude réalisée est sans influence sur l’impératif à la charge du commettant de communiquer une information sincère à son co-contractant de nature à lui permettre de s’engager en connaissance de cause ; que le tribunal relève que, pour l’essentiel, le plan prévisionnel communiqué consistait dans un tableau en format Xcel pour un magasin du même type situé en Espagne ; que si Damerik soutient à juste titre qu’il appartenait à Alpo de réaliser son propre prévisionnel et d’appréhender les données du marché local, Damerik, en tant que débiteur de l’obligation d’information, devait lui fournir une information prévisionnelle suffisamment fiable permettant d’appréhender le réalisme du projet et d’apprécier en toute connaissance de cause le projet dans lequel il s’engageait et ses éléments de risque ; que Damerik ne pouvait se contenter de fournir des données très générales sur le concept « Eurekakids » et le marché autrichien et se borner à ne communiquer que des données financières prévisionnelles relatives à un point de vente-type en Espagne ; que s’il souhaitait créer sérieusement un point de distribution en Autriche, marché dont, ainsi qu’il l’admet, il n’avait pas de connaissance particulière, il aurait dû communiquer à son co-contractant une étude de marché beaucoup plus précise, détaillant notamment un modèle de plan d’affaire pour une boutique du secteur du jouet dans une ville autrichienne ce qu’il aurait pu faire puisque il apparaît qu’il avait lancé à Graz (Autriche) un magasin peu de temps auparavant ; qu’il ressort en outre des pièces versées aux débats que Damerik avait indiqué dans son document prévisionnel intitulé « Business Plan Eurekakids Madrid CC Izlasul adapted to Austria » un chiffre d’affaires dès la première année de 454 338 euros pour un investissement en capital de 85 087 euros ; que ces chiffres, dont il ne peut être reproché utilement à Alpo dont le gérant n’avait pas d’expérience du commerce de détail de jouets d’avoir cru à leur vraisemblance dans la mesure où Damerik les indiquait explicitement comme adaptés à l’Autriche, se sont révélés très largement erronés ; qu’ainsi le chiffre d’affaires annoncé pour la première année n’a pu être réalisé qu’à hauteur de 119 843 euros très éloigné du chiffre communiqué dans l’annexe 3 au titre de l’information pré-contractuelle mais aussi de l’engagement de chiffre d’affaire arrêté dans le contrat à 225 000 euros pour l’année 1 alors que le montant réel du capital investi était lui-même supérieur à la prévision, l’écart étant de 59 000 euros ; les seuls éléments communiqués dans le document d’information étant manifestement erronés, ils sont insuffisants à satisfaire l’obligation d’information prévue à l’article L. 330-3 du Code de commerce ; qu’il y a lieu de retenir du chef de cette insuffisance, qui a conduit Alpo à être induit en erreur sur le potentiel du développement commercial envisageable une faute de Damerik qui fonde l’annulation du contrat de commission-affiliation à ses torts ; que ses moyens tendant à soutenir la gestion négligente du gérant de Alpo relèvent d’appréciations qui ne révèlent pas un manquement de ce dernier à ses engagements contractuels et ne peuvent donc être retenus pour venir exonérer Damerik de sa responsabilité ou imputer à la demanderesse une part de celle-ci.
Attendu que la conséquence de l’annulation du contrat est de remettre les parties dans l’état où elles étaient au moment de sa conclusion ; qu’il y aura lieu en conséquence de procéder aux restitutions des prestations exécutées de part et d’autre ; que Damerik doit la restitution du droit d’entrée contractuel d’un montant de 18 000 euros et Alpo doit payer le montant non contesté de 27 196,79 euros au titre des ventes réalisées pour le compte de Damerik ; que sur le stock non restitué par Alpo, Damerik n’établit pas par des pièces comptables son existence et sa valeur de sorte que le tribunal ne pourra que la débouter de cette demande ; que le tribunal ordonnera la compensation judiciaire de ces sommes (27 196,79 euros – 18 000 euros) et condamnera Alpo à payer à Damerik la somme en principal de 9 196,79 euros.
Attendu sur l’indemnité visant à compenser les pertes d’exploitation subies par Alpo à raison du manquement de Damerik à son devoir d’information, qu’il appartient à Alpo d’établir la preuve du préjudice causé par la faute de Damerik ; que Alpo produit divers documents financiers établis par lui-même (pièce n° 14) et qui ne se réfèrent pas à l’opinion d’un commissaire aux comptes ; qu’au vu de ces pièces débattues au contradictoire des parties, le tribunal estimera à une somme de 35 000 euros le préjudice résultant de l’erreur de Damerik sur le coût d’investissement représenté par le poste « travaux de réfection », les autres postes d’investissement ne relevant pas, pour le tribunal, d’une erreur manifeste et fautive ; que sur le chiffre d’affaires, le tribunal prendra comme base l’engagement contractuel de chiffre d’affaires (225 000 € HT) sur la première année au regard du chiffre d’affaires réalisé pour l’année 2014 (119 843 €) ; qu’il en résulte une perte sur le compte de l’exercice 2014 de – 45 307,13 € comparée à un bénéfice prévisionnel communiqué par Damerik positif de 31 668 euros ; que le tribunal, sur cette base, retiendra cette dernière somme pour indemniser Alpo de la perte subie et, au total, condamnera Damerik à payer à Alpo une indemnité de (35 000 € + 31 668 €) soit 66 668 € ; qu’après compensation de la somme de 9 196,79 €, Damerik sera condamnée à payer à Alpo la somme de 57 471,21 € majorée des intérêts légaux au jour du jugement, déboutant les parties du surplus de leurs demandes respectives ».