Loi PACTE : mesures intéressant les droits bancaire et financier

Publié le 27/11/2020

Il est connu que la loi PACTE est à l’origine d’évolutions notables à l’égard des « actifs numériques », notamment ceux qui prennent la forme de « cryptomonnaies ». Pourtant, une étude du texte de la loi permet de noter que ses apports en matière financière ne se limitent pas à cette nouveauté. En outre, à côté des évolutions intéressant ainsi le droit financier, plusieurs modifications non négligeables sont à signaler en droit bancaire. Cette contribution reprend alors l’ensemble de ces nouvelles mesures intéressant à la fois le droit bancaire et le droit financier.

1. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises1, dite loi PACTE, est souvent qualifiée de texte « fourre-tout ». Il est vrai que plusieurs branches du droit sont impactées par celle-ci, et ce sur des questions très diverses.

2. Sans surprise, le droit bancaire comme le droit financier sont également concernés. Certes, pour beaucoup de commentaires « généraux » de la loi du 22 mai 2019, une évolution est avant tout soulignée : la reconnaissance des actifs numériques qu’ils soient sous forme de « cryptomonnaie » ou de « jetons » et les appels de fonds opérés en cryptomonnaie permettant aux investisseurs d’obtenir des jetons (ICO, Initial coin offering)2.

3. Mais les apports de la loi PACTE en droit bancaire et en droit financier ne sauraient se limiter à cette consécration légale, même si elle est en effet notable. Diverses autres « nouveautés » sont ainsi à relever, disséminées dans les 221 articles de la loi. Elles sont d’importance variable.

4. Nous les distinguerons ici selon qu’elles intéressent le droit bancaire (I) ou le droit financier (II).

I – Les évolutions intéressant le droit bancaire

5. Le droit bancaire est un droit encadrant à la fois les professionnels de la banque et les opérations de banque3. Des apports sont à relever, à la lecture de la loi PACTE, dans ces deux cas de figure, c’est-à-dire tant à l’égard de ces professionnels (A) que des opérations qu’ils passent (B).

A – Les évolutions intéressant les professionnels de la banque

6. Quelques modifications sont à relever à propos de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) (1), et d’autres à l’égard de la Banque publique d’investissement (BPI France) (2).

1 – Les évolutions intéressant la CDC

7. Pour mémoire, la CDC est un établissement spécial « chargé d’administrer les dépôts et les consignations, d’assurer les services relatifs aux caisses ou aux fonds dont la gestion lui a été confiée et d’exercer les autres attributions de même nature qui lui sont légalement déléguées »4. La CDC a plusieurs fonctions intéressant le droit bancaire. À titre d’exemple, elle centralise, transforme et gère les dépôts réglementés (livret A, livret de développement durable et solidaire, etc.) en faveur de programmes d’intérêt général. C’est elle, également, qui reçoit les dépôts et les avoirs inscrits sur des comptes inactifs.

8. Or la loi PACTE vient moderniser la gouvernance de la CDC dans le but d’améliorer ses actions en faveur des territoires5. Des évolutions sont donc à relever concernant ses missions, sa gouvernance (notamment son conseil de surveillance), son cadre comptable et enfin sa supervision par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

2 – Les évolutions intéressant BPI France

9. La BPI France est chargée, pour mémoire, de soutenir les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les entreprises innovantes, notamment par l’octroi de crédits ou de garanties.

10. La loi du 22 mai 2019 cherche alors à faciliter la gestion des ressources que les régions allouent à la garantie des prêts bancaires accordés aux entreprises. Antérieurement à ce texte, les régions devaient passer par des fonds spécifiques dont elles étaient actionnaires. Désormais, elles pourront confier à BPI France financement, c’est-à-dire un établissement dont elles ne sont pas actionnaires, mais qui est contrôlé par les pouvoirs publics, les ressources allouées à la garantie bancaire.

B – Les évolutions intéressant les opérations de banque

11. Quelques modifications intéressent l’épargne (1) et d’autres, plus nombreuses, la distribution du crédit (2).

1 – Les évolutions intéressant l’épargne

12. Le plan épargne action (PEA) (a), le livret A et le livret de développement durable et solidaire (LDD) (b) et enfin le compte en banque de l’autoentrepreneur (c) sont à mentionner ici.

a – Le PEA

13. Le PEA est un produit d’épargne réglementé. Il permet d’acquérir et de gérer un portefeuille d’actions d’entreprises européennes, tout en bénéficiant, sous conditions, d’une exonération d’impôt. Il existait jusqu’ici deux types de PEA : le PEA classique (bancaire ou assurance), et le PEA-PME dédié aux titres des PME et des ETI.

14. La loi PACTE est donc à l’origine de plusieurs évolutions en la matière6. D’abord, concernant le PEA classique, la loi PACTE assouplit les règles de fonctionnement des plans de plus de 8 ans. Jusqu’à ce texte, en effet, la réglementation interdisait d’effectuer des versements sur un plan de plus de 8 ans. Or c’est à présent possible, du moment que le plafond de 150 000 € est respecté. De même, sous l’empire du droit antérieur, un retrait, même partiel, avant 8 ans entraînait la clôture du plan. Désormais, les retraits entre 5 et 8 ans n’aboutissent plus à cette dernière. Par ailleurs, concernant le PEA-PME, le plafond de versements passe de 75 000 € à 225 000 €, et la loi nouvelle rend éligible à cette forme de PEA de nouvelles catégories de valeurs mobilières, telles les mini-bons ou les obligations à taux fixe.

15. Il est à souligner que l’article 90 de la réforme créé une nouvelle catégorie de PEA, un « PEA Jeunes », qui s’adresse aux majeurs âgés de 18 à 25 ans, résidant en France et à charge de leurs parents. Le plafond de versement de ce « PEA Jeunes » est fixé à 20 000 € et ne s’ajoute pas au plafond des PEA qui pourraient être détenus par ses parents.

b – Le livret A et le livret de développement durable et solidaire

16. L’utilisation des sommes collectées par les établissements de crédit à l’aide des livrets A et des LDD est encadrée par la loi. Il découle, notamment, de l’article L. 221-5 du Code monétaire et financier qu’une partie (en l’occurrence près de 60 %) des fonds collectés par leur intermédiaire doit être centralisée au fonds d’épargne de la CDC afin d’assumer sa mission de financement du logement social et de la politique de la ville.

17. Quid du reliquat ? Celui-ci est conservé au bilan des établissements de crédit concernés et fait l’objet d’un fléchage en direction du financement des PME, des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens et des personnes morales de l’économie sociale et solidaire. La loi PACTE étend cette utilisation à des projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l’empreinte climatique.

c – Le compte en banque de l’autoentrepreneur

18. Depuis le 1er janvier 2015, tous les microentrepreneurs étaient obligés d’ouvrir un compte bancaire dédié à leur activité. Cette démarche devait se faire, au maximum, 1 an après la création de leur autoentreprise.

19. Cette règle présentait cependant des inconvénients. Les banques poussaient ainsi fortement les microentrepreneurs à ouvrir un compte bancaire professionnel, alors même qu’un compte courant suffisait. Surtout, le coût était parfois non négligeable pour les microentreprises les plus modestes.

20. Avec la loi PACTE, les autoentrepreneurs réalisant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 000 € ne sont plus obligés d’avoir un compte bancaire dédié à leur activité professionnelle. Plus concrètement, il faudra dépasser ce chiffre d’affaires de 10 000 € 2 années consécutives pour se voir imposer l’obligation d’ouverture d’un compte bancaire spécial.

2 – Les évolutions intéressant la distribution du crédit

21. C’est ici que nous rencontrons les évolutions les plus importantes pour le droit bancaire. Elles concernent la remise en cause de l’encadrement juridique des clauses de domiciliation (a) et le renforcement de certaines exceptions au monopole bancaire (b).

a – La disparition des clauses de domiciliation

22. La clause de domiciliation des salaires et des revenus est la stipulation aux termes de laquelle l’emprunteur s’engage à faire verser son salaire ou son traitement, voire ses principaux revenus s’il n’est pas salarié ou fonctionnaire, sur un compte ouvert dans les livres de la banque lui ayant octroyé le crédit.

23. Jusqu’à une date récente, ces clauses n’étaient guère régies par le droit7. Il a fallu attendre l’ordonnance n° 2017-1090 du 1er juin 2017 pour qu’un cadre juridique soit institué. Celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier 2018. Ce texte encadrait ainsi les conditions dans lesquelles l’offre de crédit pouvait être subordonnée à une clause de domiciliation « des salaires ou revenus assimilés », c’est-à-dire des revenus réguliers, sur un compte de paiement ouvert auprès du prêteur en question. Ce dernier devait, dans ce cadre, consentir à accorder un avantage individualisé en contrepartie d’une telle clause. Cette domiciliation ne pouvait pas dépasser un délai de 10 ans8.

24. Or après moins de 18 mois d’application, le régime précité est abrogé par la loi 22 mai 20199. Cette évolution ne saurait surprendre. L’encadrement des clauses de domiciliation faisait l’objet, ces derniers mois, de controverses. Le décret n° 2017-1099 du 14 juin 2017 réglementant les clauses de domiciliation avait notamment fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de la part de l’Association française des usages banques (AFUB) devant le Conseil d’État au motif, notamment, que l’ordonnance pour l’application de laquelle a été pris le décret attaqué « méconnaît l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi » par différentes directives, et en premier lieu par la directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base. Or le Conseil d’État avait décidé de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le risque de non-conformité au droit européen était donc important. L’amendement adopté dans le cadre de la discussion de la loi PACTE a alors permis d’anticiper une décision éventuellement négative de la CJUE à l’égard du droit régissant les clauses de domiciliation dans notre pays.

b – Le renforcement des exceptions au monopole bancaire

25. Le monopole bancaire est le principe voulant que seuls des établissements de crédit peuvent réaliser des opérations de banque, et plus particulièrement recevoir des fonds remboursables du public et délivrer des crédits10. Les sanctions pénales du délit d’exercice illégal de la profession de banquier sont encourues en cas de méconnaissance de ce monopole11.

26. Ce principe n’est cependant pas absolu. Notre droit admet des dérogations en la matière. Il en va ainsi avec les articles L. 511-6 et L. 511-7 du Code monétaire et financier pour la délivrance de crédit et l’article L. 313-2 pour la réception de fonds remboursables du public. Or plusieurs de ces articles font l’objet de modifications par la loi PACTE pour leur donner une portée plus importante. Trois évolutions sont à noter.

27. En premier lieu, citons le prêt interentreprises. Pour mémoire, celui-ci résulte de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité, et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron. Il permet à certaines sociétés de prêter de l’argent aux entreprises avec lesquelles elles entretiennent des « liens économiques ». La mise en œuvre de cette exception au monopole bancaire implique cependant la réunion cumulative d’un grand nombre de conditions légales12.

28. La loi étudiée vient alors appréhender plus largement certaines de ces conditions13. D’une part, jusqu’à cette réforme, les prêts en question ne pouvaient qu’être accordés par des sociétés par actions ou par des SARL. Or le texte du 22 mai 2019 étend ce pouvoir à l’ensemble « des sociétés commerciales ». D’autre part, si jusqu’ici les prêts étaient obligatoirement de moins de 2 ans, ce délai est porté désormais à 3 ans.

29. En second lieu, le financement participatif est à mentionner. On se souvient que celui-ci peut prendre la forme de prêts avec intérêts14. Cette situation, dérogatoire au monopole bancaire, fait cependant l’objet d’un encadrement strict, et notamment le fait que les prêts en question ne peuvent pas dépasser, à l’unité, 2 000 €15.

30. Or la loi PACTE est ici à l’origine d’une solution originale. Il est en effet prévu, à titre expérimental et pendant une durée de 3 ans, qu’un intermédiaire en financement participatif soit autorisé à mettre en relation des prêteurs et des emprunteurs ayant des liens établis au sein d’une même entreprise ou d’un même groupe d’entreprises, y compris les salariés, les dirigeants, les associés, les clients et les fournisseurs, pour des opérations de crédit à la consommation, à l’exception des crédits renouvelables et du regroupement de crédits, visant au financement de projets personnels déterminés. Ces prêts seront cependant strictement encadrés. Ils ne pourront, notamment, dépasser plus de 30 000 € pour un même projet personnel. Les opérations en question devront en outre respecter le formalisme propre au crédit à la consommation.

31. En dernier lieu, il convient de citer le cas du compte courant d’associé. Cette technique de financement des entreprises bénéficie, de longue date, d’une dérogation au monopole bancaire prévue par l’article L. 312-2 du Code monétaire et financier. De la sorte, l’entreprise bénéficiant des fonds de ses dirigeants ou de ses associés ne risque pas d’être poursuivie pour exercice illégal de la profession de banquier pour avoir reçu des fonds remboursables du public.

32. La loi nouvelle est donc à l’origine, ici, de nouveautés16. L’article L. 312-2 est réécrit afin, d’une part, de mentionner les dirigeants qui avaient été oubliés par le passé, et, d’autre part, de ne plus viser pour les associés ou actionnaires un pourcentage minimum de titre détenus. La dérogation au monopole bancaire est donc ici élargie.

33. Un regret s’impose, cependant, à la vue de ces évolutions. La loi PACTE n’envisage toujours pas le cas de celui qui prête les fonds par l’intermédiaire d’un compte courant d’associé. Certes, l’entreprise qui les reçoit échappe à toute sanction, mais rien n’est dit à l’égard de celui qui apporte les fonds. Dès lors, si l’intéressé vient à prêter à deux entreprises distinctes, notamment par l’intermédiaire de deux comptes courants d’associés distincts, il demeure susceptible d’être poursuivi et sanctionné pour violation du monopole bancaire. Il aurait été heureux que le législateur vienne également régir cette situation. Tel n’a pas été le cas.

Photo d'une pile de pièces et des graphique et courbes
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II – Les évolutions intéressant le droit financier

34. La matière financière n’a pas été oubliée par le législateur. La lecture de la loi du 22 mai 2019 permet en effet de constater un certain nombre d’évolutions intéressant cette matière également. On peut même dire que les « nouveautés » sont encore plus importantes en cette matière qu’elles ne le sont pour le droit bancaire.

35. Trois points attireront alors notre attention : les évolutions relatives au retrait obligatoire et aux offres publiques de retrait (A), celles qui portent sur les actifs numériques (B) et enfin celles intéressant le régime de sanction de l’AMF (C).

36. Cette présentation ne sera cependant pas complète. Des évolutions sont également à observer à l’égard des produits dérivés17, mais aussi de la gestion collective18. Cependant, l’étude de ces hypothèses aurait considérablement allongé notre texte. Nous avons donc fait le choix de les écarter.

A – Les évolutions intéressant le retrait obligatoire et les offres publiques de retrait

37. Nous distinguerons ici entre les « nouveautés » relatives au retrait obligatoire (1) et aux offres publiques de retrait (2). Ces évolutions devraient avoir de l’importance en pratique19.

1 – Le cas du retrait obligatoire

38. Le mécanisme de retrait obligatoire permet à un actionnaire détenant une part déterminée du capital ou des droits de vote d’une société cotée d’acquérir la propriété des actions des minoritaires à l’issue d’une offre publique. Ce mécanisme s’apparente ainsi à un droit de cession forcée.

39. Or la loi PACTE abaisse de 95 à 90 % le seuil de détention à partir duquel les actionnaires majoritaires d’une société cotée peuvent contraindre les actionnaires minoritaires à leur céder leurs titres dans le cadre d’un retrait obligatoire. L’article L. 433-4, II, du Code monétaire et financier est modifié en ce sens.

40. On notera qu’en contrepartie de cet abaissement, le seuil du retrait obligatoire ne peut plus être atteint par les actionnaires majoritaires en capital « ou » en droits de vote, comme l’énonçait auparavant l’article L. 433-4, II, précité, mais doit être atteint en capital « et » en droit de vote, comme l’exige la directive OPA20.

41. Les objectifs du législateur sont simples. D’une part, il souhaite favoriser les introductions en Bourse, en assouplissant ainsi les conditions d’une sortie ultérieure de la cotation. D’autre part, cette évolution a pour but de contrarier les stratégies opportunistes de certains fonds d’investissement dits « activistes », ayant pu être constatées à l’égard de plusieurs sociétés cibles d’une offre, tel Camaïeu, Buffalo Grill ou Radiall, consistant à acquérir une participation dans une société visée par une offre publique pour bloquer le retrait obligatoire et monnayer ensuite au prix fort la cession de leurs titres.

2 – Le cas des offres publiques de retrait

42. L’offre publique de retrait est la proposition d’un actionnaire majoritaire de racheter les titres cotés en Bourse des actionnaires minoritaires. Elle est mise en œuvre à la demande des minoritaires.

43. La loi PACTE aligne le seuil de l’offre publique de retrait sur celui du retrait obligatoire. L’article L. 433-1, I, du Code monétaire et financier indique ainsi désormais que « le ou les actionnaires majoritaires d’une société dont le siège social est établi en France et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (…) détiennent de concert (…) au moins 90 % du capital ou des droits de vote ».

44. Un point attire cependant l’attention : la conjonction « ou ». En effet, en préférant ce « ou » à l’ancien « et », cette évolution introduit une dissymétrie avec le retrait obligatoire. Il permet, dans tous les cas, aux actionnaires minoritaires de demander à l’AMF de contraindre des actionnaires majoritaires qui ne détiendraient que 82 % du capital de la société, mais 90 % de ses droits de vote par l’effet de droits de vote double, à déposer une offre publique de retrait afin de leur racheter jusqu’à 18 % du capital. Cette évolution fait d’ores et déjà l’objet de critiques doctrinales21.

B – Les évolutions intéressant les actifs numériques

45. Les évolutions relatives aux actifs numériques, envisagées par la loi PACTE, ont été particulièrement remarquées. L’objectif du législateur est ici de faire de la France l’un des premiers pays au monde à se doter d’un corps de règles significatives visant à encourager la technologie Blockchain dans le domaine financier22. Les textes nouveaux consacrent alors une nouvelle catégorie de biens (1), mais aussi une nouvelle variété d’opérations financières (2), et enfin une nouvelle catégorie de professionnels (3)23.

1 – La consécration des actifs numériques

46. Le nouvel article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier vise, désormais, les cryptomonnaies (a) et les jetons (b)24.

a – Les cryptomonnaies

47. Selon l’article L. 54-10-1, 2°, du Code monétaire et financier, constitue une cryptomonnaie : « Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ». Il s’agit ainsi d’un bien sui generis auquel la loi vient prévoir un régime juridique propre.

48. Il résulte de ce qui précède que des critères doivent être cumulativement respectés pour être en présence d’une cryptomonnaie :

  • il s’agit de la représentation numérique d’une valeur ;

  • elle n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou une autorité publique ;

  • elle n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant un cours légal ;

  • elle n’a pas le statut juridique de monnaie ;

  • elle est acceptée par des personnes physiques ou morales comme moyen d’échange ;

  • elle peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.

b – Les jetons

49. Selon l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier, « constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

50. Ces jetons n’ont jamais été comparés ou assimilés à de la monnaie. En revanche, on peut se demander si nous sommes en présence d’instruments financiers. Le droit français ne le dit pas. Cependant, il ne l’exclut pas non plus en visant à l’article L. 54-10-1, 1°, du Code monétaire et financier les jetons qui ont les caractéristiques des instruments financiers et des bons de caisse.

51. La reconnaissance des jetons par la loi PACTE permet par conséquent de prévoir un régime juridique aux jetons qui ne sont pas, dans le même temps, des instruments financiers.

2 – La création des appels de fonds en actifs numériques

52. Les appels de fonds en cryptomonnaie (ICO, Initial coin offering) existent depuis quelques années au niveau international. Ils ont pour avantage d’être rapides et mondiaux.

53. La loi du 22 mai 2019 propose alors un cadre juridique à ce type d’opération. L’article L. 552-2 du Code monétaire et financier indique qu’une offre au public de jetons « consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à ces jetons ». Il en va différemment, en revanche, s’il s’agit d’une « offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes, fixé par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, agissant pour compte propre ». Ce nombre a été fixé à 150 personnes.

54. L’encadrement légal mis en place s’inspire de celui qui est applicable aux appels de fonds classiques. Un visa est proposé par l’AMF (et non imposé), pour les opérations remplissant un certain nombre de conditions25. Cette procédure, qui est donc optionnelle, est précisée par les articles L. 552-4 et suivants du Code monétaire et financier.

55. L’obtention d’un tel visa de l’AMF présente des avantages notables. D’abord, il est de nature à conforter l’émetteur aux yeux des investisseurs potentiels. De plus, il crédibilise le projet. Enfin, et surtout, un droit au compte est réservé aux émetteurs ayant obtenu un visa. Cette dernière condition est importante car une levée de fonds en cryptomonnaie implique nécessairement d’avoir un compte en banque. Ainsi, selon le nouvel article L. 312-23, alinéa 2, du Code monétaire et financier : « Les établissements de crédit mettent en place des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 552-4, des prestataires enregistrés conformément à l’article L. 54-10-3 et des prestataires ayant obtenu l’agrément mentionné à l’article L. 54-10-5 aux services de comptes de dépôt et de paiement qu’ils tiennent. Cet accès est suffisamment étendu pour permettre à ces personnes de recourir à ces services de manière efficace et sans entraves ». L’alinéa 3 de l’article précise que l’établissement de crédit doit communiquer les raisons de tout refus à l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

3 – La reconnaissance des prestataires de services numériques

56. La loi PACTE est à l’origine d’une nouvelle catégorie d’acteurs financiers : les prestataires de services numériques. Or il est à noter que le législateur ne définit pas ces services, mais se contente d’en fournir une liste.

57. Observons l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier. Celui-ci comprend :

  • le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;

  • le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;

  • le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;

  • l’exploitation d’une plate-forme de négociation d’actifs numériques ;

  • les services suivants : la réception et la transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers ;

  • la gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers ;

  • le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques ;

  • la prise ferme d’actifs numériques ;

  • le placement garanti d’actifs numériques et enfin le placement non garanti d’actifs numériques.

58. Nous voici alors en présence de nouveaux professionnels dotés d’un statut spécifique. On notera plus particulièrement que la loi PACTE opère une distinction entre les prestataires qui doivent être enregistrés et ceux qui peuvent solliciter un agrément du superviseur.

59. D’une part, l’enregistrement auprès de l’AMF est obligatoire pour les professionnels souhaitant exercer les deux premières catégories de services numériques, c’est-à-dire le service de change26. Cette obligation fait l’objet d’un encadrement pénal27. La procédure d’enregistrement est précisément décrite28.

60. D’autre part, la loi PACTE met en place une procédure d’agrément facultatif. Ici encore, l’idée de cet agrément est de crédibiliser les professionnels qui l’ont sollicité, même si cela ne leur confère pas un monopole. Cette procédure fait également l’objet d’un encadrement précis29. Des règles communes sont ainsi prévues pour tous les prestataires, alors que d’autres sont spécifiques à certains services30.

C – Les évolutions intéressant le régime de sanction de l’AMF

61. Deux modifications ont été prévues par la loi PACTE à la procédure de sanction intéressant l’AMF31. L’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, relatif à cette dernière, fait régulièrement l’objet d’évolutions32.

62. La première d’entre elles concerne la participation du directeur général du Trésor aux séances de la commission des sanctions. Cette dernière est purement et simplement supprimée. Il est vrai qu’en pratique l’intéressé n’intervenait quasiment plus à ce stade. Sa mise à l’écart, à ce stade, n’est donc pas « révolutionnaire ».

63. La seconde évolution, plus importante, est relative au délai de prescription pour les manquements boursiers. Celui-ci passe de 3 à 6 ans. Ainsi, désormais la commission des sanctions « ne peut être saisie de faits remontant à plus de 6 ans s’il n’a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction ». Le point de départ de ce délai de prescription est fixé au jour où le manquement a été commis « ou, si le manquement est occulte ou dissimulé, au jour où le manquement est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice par l’Autorité des marchés financiers de ses missions d’enquête ou de contrôle ». Il est à noter cependant qu’un « délai butoir » de 12 ans, débutant au jour de la commission des faits, demeure applicable en la matière.

64. On reconnaît, ici, le régime applicable en matière pénale depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 201733. Il n’est pas anormal que la répression administrative applicable en matière financière « bénéficie » de l’allongement du délai de prescription applicable en matière pénale alors que la procédure d’« aiguillage », envisagée par l’article L. 465-3-6 du Code monétaire et financier, permet d’orienter les manquements liés aux abus de marché soit devant le juge pénal, soit devant la commission des sanctions de l’AMF. Cette uniformisation des règles applicables en matière de prescription est, selon nous, cohérente.

65. On notera, cependant, que tout n’est pas encore limpide en la matière. Qu’est-ce qu’un manquement dissimulé ou un manquement occulte ? La réponse est, pour l’heure, incertaine. Il appartiendra à la jurisprudence de l’AMF de clarifier ces notions.

Notes de bas de pages

  • 1.
    JO, 23 mai 2019, texte n° 1.
  • 2.
    V. infra, nos 45 et s.
  • 3.
    Lasserre Capdeville J. et a., Droit bancaire, 2e éd., 2019, Dalloz, Précis, p. 1, n° 1.
  • 4.
    C. mon. fin., art. L. 518-2.
  • 5.
    Lasserre Capdeville J., « Loi PACTE : la réforme de la Caisse des dépôts et consignations », Lexbase, La lettre juridique, 23 mai 2018, n° 784.
  • 6.
    Pando A., « Loi PACTE : les évolutions des PEA et PEA-PME », LPA 3 juin 2019, n° 144m7, p. 7.
  • 7.
    Seule la recommandation n° 04-03 du 27 mai 2004 de la Commission des clauses abusives était venue déclarer que de telles clauses pouvaient apparaître déséquilibrées, et donc abusives, si l’obligation de l’emprunteur n’était « accompagnée d’aucune contrepartie individualisée » à son profit : v. Commission des clauses abusives, recomm. n° 2004-03, 27 mai 2004.
  • 8.
    C. consom., art. L. 313-25-1 anc.
  • 9.
    Lasserre Capdeville J., « La remise en cause du droit régissant les clauses de domiciliation par la loi PACTE », RD bancaire et fin. 2019, étude 10.
  • 10.
    C. mon. fin., art. L. 511-5.
  • 11.
    C. mon. fin., art. L. 571-3. Il prévoit 3 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.
  • 12.
    C. mon. fin., art. L. 511-6, 3 bis.
  • 13.
    Lasserre Capdeville J., « Le renforcement du prêt inter-entreprises par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises », RD bancaire et fin. 2019, focus 62.
  • 14.
    C. mon. fin., art. L. 511-6, 7°.
  • 15.
    D. n° 2016-1453, 28 oct. 2016 : JO, 30 oct. 2016, texte n° 8. Antérieurement à ce texte, le montant n’était que de 1 000 €.
  • 16.
    Lasserre Capdeville J., « Compte courant d’associé et monopole bancaire : l’occasion manquée », LPA 7 oct. 2019, n° 148g1, p. 4.
  • 17.
    On peut notamment citer l’élargissement du champ d’application matériel du « close-out netting », mais aussi l’admission de la capitalisation des intérêts pour une durée inférieure à un an lorsqu’ils sont calculés en application d’un contrat-cadre de place. V. Caillemer Du Ferrage A. et Debeney N., « Loi PACTE et produits dérivés », BJB juill. 2019, n° 118m1, p. 45.
  • 18.
    Il en va ainsi concernant l’investissement de certains FIA dans des actifs numériques, mais aussi le réaménagement du régime de certains FIA (notamment les fonds d’épargne salariale et les fonds de capital-investissement). V. Riassetto I. et Storck M., « La loi PACTE et la gestion collective », BJB juill. 2019, n° 118k8, p. 51.
  • 19.
    Gaudemet A., « La loi PACTE et le droit des offres publiques », BJB juill. 2019, n° 118m0, p. 40 ; Pietrancosta A., « Le retrait obligatoire et l’offre publique de retrait révisée par la loi PACTE », Rev.sociétés 2019, p. 623.
  • 20.
    Dir. n° 2004/25/CE, 21 avr. 2004, concernant les offres publiques d’acquisition, art. 15, 2°. On notera que la doctrine de l’AMF voyait déjà dans la conjonction alternative « ou » la conjonction copulative « et » afin de parer à l’effet d’aubaine lié à la détention de droits de vote double par les actionnaires majoritaires. Gaudemet A., « La loi PACTE et le droit des offres publiques », BJB juill. 2019, n° 118m0, p. 40, n° 3.
  • 21.
    Rontchevsky N., « OPR et RO après la loi PACTE : incohérence et nouvelles difficultés en vue ? », BJB juill. 2019, n° 118k3, p. 1 ; Le Nabasque H., « L’abaissement du seuil du retrait obligatoire à 90 % ou le “et” versus “ou” », RD bancaire et fin. 2019, repère 3.
  • 22.
    Pour des critiques de la réforme, v. Roussille M., « Loi PACTE et ICOs : réflexion tronquée, occasion manquée ? », RD bancaire et fin. 2019, alerte 48.
  • 23.
    Legeais D., « Loi PACTE : les dispositions relatives aux actifs numériques et aux prestataires de services numériques », JCP E 2019, 1433 ; Moulin J.-M., « Actifs numériques. Prestataires de services. Encadrement », RD bancaire et fin. 2019, comm. 145 ; Drummond F., « Loi PACTE : et actifs numériques », BJB juill. 2019, n° 118m3, p. 60.
  • 24.
    Legeais D., « Les actifs numériques », JCP E 2019, 650.
  • 25.
    Pour une précision des règles applicables, v. A., 27 mai 2019 : JO, 4 juin 2019, texte n° 31.
  • 26.
    C. mon. fin., art. L. 54-10-3, al. 1.
  • 27.
    C. mon. fin., art. L. 54-10-4 et C. mon. fin., art. L. 572-23, al. 2 ; Banque et droit juill-août 2019, n° 186, p. 76, obs. Lasserre Capdeville J.
  • 28.
    C. mon. fin., art. L. 54-10-3.
  • 29.
    C. mon. fin., art. L. 54-10-5.
  • 30.
    « Loi PACTE : les dispositions relatives aux actifs numériques et aux prestataires de services numériques », JCP E 2019, 1433.
  • 31.
    Conac P.-H., « Modification du cadre juridique de la procédure de sanction de l’AMF par la loi PACTE du 22 mai 2019 », Rev. sociétés 2019, p. 640.
  • 32.
    V. par ex., récemment, L. n° 2016-819, 21 juin 2016 ; L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 ; Ord. n° 2017-11017, 22 juin 2017 et enfin Ord. n° 2018-1125, 12 déc. 2018.
  • 33.
    CPP, art. 8 et CPP, art. 9-1.
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